21 août 2021

Le Coin de la Conjoncture – politique monétaire – Etats-Unis – cycle économique

Les deux temps de la politique monétaire en Europe

De la création de l’euro en 1999 à 2013, la Banque Centrale Européenne a mené une politique monétaire plus restrictive que la Réserve Fédérale. Depuis 2014, l’inverse est constaté avec des taux d’intérêt plus faibles. Cette situation devrait perdurer durant plusieurs années avec, comme conséquences, une dépréciation de l’euro et une la valorisation croissante des actifs européens.

À l’exception des périodes précédant l’éclatement de la bulle Internet et la crise des subprimes, le taux repo de la zone euro a été supérieur en moyenne d’un point au taux FED Funds. En revanche, depuis la fin de l’année 2014 et la mise en place de vastes programmes de rachats d’obligations, il est inférieur. Les taux longs européens sont également plus bas que  ceux des États-Unis depuis sept ans avec, en parallèle, un taux de croissance inférieur pour la zone euro par rapport à celle enregistrée Outre-Atlantique. Les États-Unis ont mis en place leur politique de quantitative easing dès 2008 quand l’Europe ne s’y est engagée qu’à partir de 2015.

Si la base monétaire de la Réserve Fédérale américaine a augmenté plus vite que celle de la Banque Centrale Europe de 2009 à 2016, c’est également l’inverse qui se produit depuis. La base monétaire américaine est passée de 1 500 à plus 4 000 milliards de dollars de 2008 à 2015 contre respectivement 1 500 et 1 800 milliards d’euros pour la zone euro. En 2021, la base monétaire américaine atteignait plus de 8 000 milliards de dollars, contre 6 000 pour la zone euro. En cinq ans, la base monétaire de la zone euro s’est accrue de plus de 200 % quand elle n’a augmenté que de 77 % pour les États-Unis. A la différence de son homologue américaine, la Banque Centrale n’a pas réduit son bilan et n’a jamais remonté ses taux depuis 2014. L’inversion de politique a été conduite pour la BCE par Mario Draghi et est poursuivie par Christine Lagarde. Après la crise sanitaire, la Réserve Fédérale devrait stabiliser la taille de son bilan au cours de l’année 2022 et commencer à augmenter les taux d’intérêt à court terme en 2023, tandis que la BCE conserverait plus longtemps une politique très expansionniste. Le décalage de politique est la conséquence d’une inflation sous-jacente qui est, depuis 2013, structurellement plus basse dans la zone euro qu’aux États-Unis. La BCE doit également tenir compte de la situation des différents États membres. Le fort endettement des États du Sud de l’Europe rend délicat une remontée brutale des taux voire l’arrêt rapide des opérations de rachat d’obligations.

Si la politique monétaire reste plus expansionniste dans la zone euro qu’aux Etats-Unis, malgré des excédents commerciaux importants, l’euro devrait se déprécier vis-à-vis du dollar. Le taux de change est d’un euro pour 1,18 dollar en dollar au premier semestre 2021, contre 1,4 en 2013. Les flux de capitaux allant de la zone euro vers les États-Unis devraient s’amplifier. L’encours d’obligations de l’État américain détenues par des agents économiques de la zone euro est passé de 400 à 1 200 milliards de dollars de 2013 à 2021.

Le maintien d’une politique monétaire accommodante devrait entraîner la poursuite du cycle d’appréciation du cours des actions et des prix de l’immobilier au sein de la zone euro. Ainsi cette dernière devrait combler progressivement son retard sur les États-Unis, en particulier pour l’immobilier où il demeure assez important. Le prix des maisons a été multiplié par trois aux États-Unis de 2000 à 2021 quand il a doublé, sur la même période, au sein de la zone euro. Ce décalage de politique conduit à une fuite de capitaux et à une inflation de la valeur de certains actifs qui ne génèrent pas obligatoirement des gains de productivité. Les effets négatifs des politiques monétaires accommodantes sont connus mais nul en Europe n’imagine pour le moment leur abandon compte tenu de la dépendance des États aux faibles taux d’intérêt.

À la recherche des cycles économiques !

Depuis le début de l’ère industriel, les économistes ont constaté l’existence de cycles économiques. La survenue régulière de crises, tous les 8 à 10 ans en moyenne, nourrit la littérature sur les cycles. L’économiste français Clément Juglar fut l’un des premiers (1862) à établir une histoire des cycles économiques en retenant les données économiques de la France, de l’Angleterre et des États-Unis. Quatre catégories de cycle ont ainsi été mises en évidence :

  • le cycle Kitchin (3 à 4 ans) ;
  • le cycle Juglar (8 à 10 ans) ;
  • le cycle Kuznets (15 à 25 ans) ;
  • le cycle Kondratiev (40 à 60 ans).

À partir de Keynes et durant les Trente Glorieuses, la notion de cycle perd de son intérêt aux yeux de nombreux économistes. À partir des années 1980, avec la succession de crises, elle redevient d’actualité.

Les cycles de moyen terme sont liés à l’évolution des prix et des salaires qui commanderaient la croissance et le chômage. Que ce soit en Europe ou aux États-Unis, la grille d’analyse des cycles de Juglar ne serait plus vraiment pertinente.

Jusque dans les années 1990, la croissance débouchait sur des hausses de salaires amenant une remontée de l’inflation. En fin de cycle, la productivité déclinait tout comme les résultats des entreprises. Avec le plein emploi, celles-ci éprouvaient progressivement de plus en plus de difficultés à recruter, conduisant à une hausse des salaires. L’augmentation de la demande induite provoquait une augmentation des prix. Les actifs – actions et immobilier – connaissaient également une progression sensible de leur valeur. Pour freiner l’inflation, les banques centrales relevaient leurs taux d’intérêt provoquant une contraction de l’investissement ce qui réduisait la croissance. Les États tentaient également de peser sur la demande en limitant autant que possibles leur déficit.

Depuis la crise des subprimes, les enchaînements sont bousculés. Même en période de plein emploi et de difficultés de recrutement, les augmentations de salaire et l’inflation demeurent faibles. Les taux d’intérêt le sont aussi quand les politiques monétaire et budgétaire demeurent expansionnistes. Depuis une dizaine d’années, les États-Unis enregistrent un déficit public se situant entre 2 et 15 % du PIB. Pour la zone euro, le déficit évolue entre 0,5 et 8 % du PIB entre 2010 et 2021. Les taux d’intérêt sont en baisse constante depuis 2008, en particulier pour la zone euro. Sur toute la durée du cycle, les prix des actifs est orienté à la hausse. Les difficultés de recrutement des entreprises interviennent en début de cycle comme cela est constaté depuis quelques mois dans le cadre de la sortie de crise sanitaire.

La politique monétaire restant accommodante durant tout le cycle, les taux n’évoluent plus en fonction de la croissance. En 2018 et 2019, la Réserve Fédérale avait tenté de revenir à un « taux normal » provoquant l’ire du Président Donald Trump. La Banque Centrale Européenne qui devait durcir sa politique à l’automne 2019 y a renoncé en raison du ralentissement de la croissance. Les agents économiques (dont les administrations publiques) dépendent de plus en plus des taux bas. Leur remontée ne serait pas sans poser de problème pour la croissance et la solvabilité des Etats.

L’absence d’inflation malgré une longue période de croissance comme ce fut le cas aux États-Unis entre 2009 et 2020, s’explique par une déconnexion partielle des phénomènes monétaires et des process de production. La mondialisation, la tertiarisation des économies et la digitalisation ont réduit le pouvoir de négociation des salariés. La segmentation du marché du travail se traduit par la coexistence d’un sous-emploi et d’une pénurie de main d’œuvre. Les entreprises rencontrent des difficultés à pourvoir des emplois exigeant pas ou peu de qualification, et des emplois à forte qualification. La demande finale a tendance, en outre, à progresser plus lentement que dans le passé en lien avec l’augmentation de l’épargne. En raison de la multiplication des crises, les acteurs économiques souhaitent conserver un volume de liquidités plus important que dans le passé. Leur aversion aux risques a tendance à augmenter. Par ailleurs, le vieillissement de la population s’accompagne d’une baisse de la demande en biens industriels et d’un effort d’épargne plus important. L’inflation tend à se loger dans la valeur des actifs avec une augmentation rapide des prix de l’immobilier et des actions déconnectée, en partie, de l’évolution de la croissance.

Cette remise en cause des cycles de Juglar rend le pilotage économique et financier complexe. Les banques centrales ne remplissent plus leur rôle traditionnel de stabilisatrices financières. Face à l’augmentation des prix des actifs et de la pénurie de main d’œuvre, elles pourraient souhaiter revenir à une politique plus orthodoxe. Or, ce changement aurait comme risque de ralentir fortement la croissance et de générer du chômage.

Pourquoi les Américains sont-ils les champions de la sortie de crise ?

Tous les États ne sont pas égaux face aux récessions. En règle générale, elles durent plus longtemps en Europe qu’aux États-Unis. Par ailleurs, les États mettent plus ou moins de temps à effacer les pertes de ces récessions.

Aux États-Unis, les autorités réagissent plus rapidement et plus fortement en cas de récession qu’en Europe. L’association politique monétaire et politique budgétaire y est plus nette. En 2020 comme en 2000 et en 2008, le déficit s’est accru de manière importante aux États-Unis. Il a ainsi dépassé 15 % du PIB en 2021, contre 6,5 % du PIB pour la zone euro. En 2008/2009, l’écart était de 3 points entre les deux espaces économiques en faveur des États-Unis. En 2000, la politique budgétaire était, en revanche, comparable de part et d’autre de l’Atlantique. La Réserve Fédérale américaine réagit toujours plus vite que la BCE. Cela se vérifie en 2000 et en 2008. En revanche, en 2020, l’avantage est à la zone euro pour les taux car, avant même la crise, la politique était restée très accommodante en Europe. En ce qui concerne le montant des rachats d’obligations, même si la BCE a comblé une partie de son « retard », la FED est toujours en pointe. En juin 2021, la base monétaire dépasse 8 000 milliards de dollars aux États-Unis contre 6 000 milliards d’euros pour la zone euro.

Si les crises sont plus durement ressenties aux États-Unis qu’en zone euro, le retour à la normale est aussi plus rapide outre-Atlantique qu’en Europe. Les pertes des crises sont plus vite effacées, notamment en ce qui concerne les profits des entreprises et l’emploi. Les profits des entreprises américaines dépassent leur niveau de 2007 dès 2010 quand il a fallu attendre 2015 en Europe. Certes, la crise des dettes souveraines a compliqué la situation des entreprises des États membres entre 2012 et 2015. L’emploi avait retrouvé son niveau d’avant-crise en 2011 aux États-Unis quand il fallut attendre 2017 en Europe. Que ce soit pour la production industrielle ou pour la construction, avant la survenue de la crise sanitaire, la zone euro arrivait à peine à renouer avec les niveaux d’avant 2007 quand les États-Unis les avaient dépassés depuis 2014 pour la première et 2019 pour le second. Si l’investissement aux États-Unis était en 2019 supérieur de 50 % à son niveau de 2007, il était encore en-dessous en ce qui concerne la zone euro.

Sur ces vingt dernières années, les États-Unis ont gagné le match des sorties de crise. La restauration des profits et la forte augmentation des investissements constituent les deux facteurs qui expliquent cet avantage. La destruction créatrice a joué plus fortement son rôle aux États-Unis qu’en Europe avec un renouvellement plus franc du tissu économique. Si les États-Unis ont été moins marqués par les récessions que l’Europe, ils le doivent à la force du secteur technologique qui bénéficie de sources de financement privées et publiques abondantes. Le marché du travail américain est plus large et plus flexible que les marchés européens, ce qui constitue des atouts indéniables pour sortir rapidement de crise. Le prix à payer a été une stagnation voire une diminution des salaires des emplois à faible valeur ajoutée depuis les années 2000. En Europe, si les entreprises n’ont pas joué sur le niveau des salaires de manière aussi importante qu’aux États-Unis, elles ont néanmoins eu un recours croissant aux CDD, à l’intérim ou aux travailleurs non-salariés. Aux États-Unis, les pouvoirs publics ont soutenu les entreprises nationales et la recherche à travers la commande publique que ce soit sous les administrations démocrates ou républicaines.