12 juin 2021

Le Coin de la Conjoncture – sciences – progrès – épargne

Erreur d’aiguillage pour l’épargne mondiale ?

Depuis une vingtaine d’années, le taux d’épargne progresse sans pour autant entraîner l’investissement dans son mouvement. La croissance a même tendance à s’éroder en lien avec l’affaiblissement des gains de productivité. L’épargne n’aurait pas été utilisée de manière efficiente.

Au niveau mondial, le taux d’épargne national est passé de 23 à 27 % du PIB de 1995 à 2019. En ce qui concerne la seule épargne privée, les chiffres respectifs sont de 26 et 30 %. L’année dernière, avec la crise sanitaire, le taux d’épargne privée a atteint des sommets historiques à plus de 36 % du PIB. Cette épargne abondante s’accompagne d’une progression des déficits publics. Toujours à l’échelle mondiale, ils sont passés de -3,5 à -6 % du PIB de 1995 à 2019. En 2020, ils ont dépassé 10 % du PIB.

En un quart de siècle, la croissance potentielle de l’économie mondiale a été divisée par deux (2 % en 2019, contre 4 % en 1995). Les gains de productivité ont décliné sur toute la période. En logique, l’augmentation de l’épargne amène automatiquement celle de l’investissement. Or, l’endettement accru des acteurs économiques ne s’est pas toujours traduit par une hausse du capital productif. Les États ont emprunté pour financer des dépenses de transferts. Certaines entreprises se sont endettées pour racheter leurs actions et non pour investir. Par ailleurs, l’augmentation de l’investissement brut constatée à l’échelle mondiale est insuffisante en raison d’une consommation de capital fixe qui s’est accélérée. L’obsolescence des équipements, plus rapide, exige leur remplacement plus fréquent. La digitalisation explique cette évolution tout comme la transition énergétique qui contraint de mettre en rebus des investissements non amortis. Malgré une hausse du taux d’investissement, le stock net de capital n’augmenterait que faiblement, ce qui expliquerait en partie la diminution de la croissance de la productivité.

Les États-Unis captent une part non négligeable de l’épargne mondiale, notamment celle des pays émergents, du Japon et de la zone euro. Le déficit structurel de leur balance des paiements courants et la faiblesse relative de leur épargne expliquent l’impérative nécessité pour les États-Unis d’attirer des capitaux. Cette orientation n’est pas optimale car elle bénéficie au pays qui a déjà l’un des taux de productivité les plus élevés. Elle ne permet pas aux autres pays de compenser leur retard.

Le faible prix de l’argent ne favorise pas le financement d’investissements rentables. Il permet au contraire le maintien en vie d’entreprises peu productives qui auraient été amenées à disparaître dans un contexte économique classique. Les États sont également tentés de financer des investissements à faible rentabilité comme cela a pu être constaté notamment en Chine au niveau des infrastructures. En créant des bulles sur certains actifs comme l’immobilier ou les actions, les faibles taux orientent l’épargne vers les marchés secondaires. L’investissement en immobilier augmente plus par effet de valeur que par effet de construction (le taux d’investissement en construction a augmenté de 10 points de PIB en vingt-cinq and en Chine).

L’investissement productif peut avoir des conséquences négatives sur la productivité quand les emplois industriels qu’il supprime sont remplacés par des emplois peu qualifiés à faible valeur ajoutée. Ce phénomène est constaté avec les nouvelles techniques de l’information et de la communication.

Une progression de l’investissement est indispensable pour favoriser celle de la croissance potentielle. Elle ne suffit pas néanmoins pour déclencher un cercle vertueux. Une réorientation de l’épargne vers des investissements productifs réels et une meilleure allocation mondiale sont souhaitables. Par ailleurs, les investissements à financer devraient être mieux sériés ; ce qui est difficile dans un environnement de taux bas.

Esprit scientifique es-tu encore là ?

La crise sanitaire a révélé la dépendance industrielle de la France, y compris dans des secteurs autrefois réputés pour leur forte compétitivité comme l’industrie du médicament. Cette dépendance s’est doublée d’une impossibilité à développer rapidement un vaccin contre le Covid. Au-delà de cette situation, l’esprit scientifique est en fort recul dans un pays qui faisait, il y a peu, notoriété en la matière. Le pays pouvait s’enorgueillir de disposer de chercheurs de haut niveau que ce soit en physique ou en mathématiques (8 médailles Fields pour les mathématiques, 13 prix Nobel de Physique). Les enquêtes de l’OCDE et TIMMS soulignent que depuis la fin du XXe siècle, la France perd du terrain en matière de compétences scientifiques. Pour les connaissances au niveau des sciences, avec un score de 489 points, la France se situe sous la moyenne internationale des pays de l’Union européenne et de l’OCDE (515), devant la Roumanie (470) et le Chili (462). Un élève reçoit 128 heures de cours de sciences par an dans les pays de l’Union et quand la moyenne en France est de 113 heures.

Selon le classement TIMSS, avec un score de 485 points en mathématiques, la France est dernière au sein de l’Union européenne pour le classement des CM1. Elle est avant-dernière pour les classes de 4e, la Roumanie occupant la dernière place.  Le niveau des jeunes français est en retrait par rapport à celui des jeunes singapouriens, japonais ou coréens. Si plusieurs pays européens dont l’Allemagne ont depuis 1995 amélioré leur classement, celui de la France continue à se dégrader. Le score moyen a baissé de 47 points, par rapport à 1995, première année de l’enquête. En mathématiques, les collégiens français de 4e en 2019 auraient le niveau des élèves de 5e de 1995. En un quart de siècle, les élèves auraient perdu un an de scolarité. Jusque dans les années 1990, la France se caractérisait par des faiblesses sur le niveau moyen compensé par un niveau plus élevé que la moyenne pour les bons élèves. Ce n’est malheureusement plus le cas. Seulement 3 % des collégiens dépassent le niveau avancé de l’enquête TIMSS, contre 11 % en moyenne dans l’Union européenne, et plus de 50 % à Singapour. Un nivellement par le bas est constaté en particulier chez les jeunes garçons. À la publication de cette enquête, le Ministère de l’Education nationale a rappelé que le déploiement du plan Villani-Torossian sur les mathématiques était en cours. Plan qui prévoit notamment d’accentuer la formation initiale et la formation continue des professeurs. La réforme du second cycle a néanmoins supprimé les mathématiques des matières dites essentielles, ce qui ne devrait pas se traduire par une augmentation des vocations en la matière.

Les pays à faible culture scientifique se caractérisent par un effort de recherche et d’innovation inférieur à celui des pays dont le niveau en mathématiques et en sciences est plus élevé. Cette corrélation est nette pour les pays d’Europe du Nord. De même, le poids de l’industrie est proportionnel au niveau des connaissances. Le Japon, la Corée du Sud, la Suède ou la Finlande en sont les brillants exemples. Il en est de même pour les gains de productivité, le recours à la robotisation et l’évolution des parts de marché à l’exportation. Le décrochage industriel et commercial de la France est parallèle à son recul au niveau des compétences scientifiques. L’écart s’est fortement accru ces vingt dernières années avec l’Allemagne et avec le reste de la zone euro. Ainsi, le stock de robots pour 100 salariés en France est passé de 0,5 à 1,5 de 1999 à 2019 quand les chiffres respectifs sont de 1 et 3 pour l’Allemagne et 0,6 et 2,4 pour le reste de l’Europe. Les relocalisations en France supposent donc au préalable une revalorisation des matières scientifiques tant dans les enseignements secondaire que supérieur. Un changement d’état d’esprit vis-à-vis du progrès est également nécessaire tout comme une meilleure rémunération des chercheurs français qui sont aujourd’hui de plus en plus attirés par des carrières à l’étranger.