17 juin 2023

Le coin de la dépendance – productivité – monnaie digitale – écoles privées

La monnaie digitale -a-t-elle un avenir ?

L’essor des cryptoactifs dans les années 2010 et la tentative de Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook, de créer un nouveau système monétaire international avec son libra ont incité les banques centrales à réagir en développant des projets de monnaies numériques de banques centrales. Pour leurs détracteurs, elles ne sont qu’une mode, qu’un moyen pour lutter contre les cryptoactifs ; pour leurs partisans, elles sont une réponse nécessaire à un monde qui se numérise. Des responsables de banques centrales estiment qu’elles seront indispensables pour ancrer la valeur de l’argent dans un système financier sans numéraire. Si ces monnaies de banques centrales voyaient réellement le jour, les gouvernements seraient conduits à reconstruire leurs systèmes bancaires et de paiement. La Banque d’Angleterre est en train réaliser sur ce sujet une consultation publique qui prendra fin le 30 juin prochain. Les premiers résultats de cette étude soulignent l’évolution des comportements de paiement de la population. La suppression progressive de la monnaie fiduciaire et la réduction des contacts avec leurs banques, les Britanniques apparaissent assez ouverts à changer de système. La multiplication des monnaies parallèles nécessite que les autorités monétaires disposent d’outils adaptés pour ancrer la valeur et la robustesse de tous les fonds qui circulent dans les différents pays. Ce jugement est partagé par la Banque Centrale Européenne qui doit veiller à ce que « la monnaie qu’elle émet conserve son rôle d’ancrage monétaire », selon Fabio Panetta membre du conseil des gouverneurs. La FED aux États-Unis ne partage pas cet avis. « La monnaie physique peut effectivement disparaître, et tout fonctionne toujours », a expliqué Chris Waller de la FED. Selon David Andolfatto de l’Université de Miami, l’absence d’argent physique n’entraînerait « aucune conséquence ».

Le système bancaire actuel repose sur la confiance qu’inspirent les banques centrales qui sont les prêteurs en dernière instance. Les déposants de la grande majorité des pays de l’OCDE ont la garantie d’avoir accès à leurs liquidités sans risque. Par ailleurs, en cas de faillite de leur banque, la Banque centrale s’engage à les rembourser du moins jusqu’à une certaine limite. En l’état actuel, les monnaies digitales de banques centrales reposant sur la blockchain ne disposent pas d’un avantage comparatif tel pouvant justifier un changement de système en leur faveur. Il faudrait que les doutes à l’encontre des banques traditionnelles se multiplient pour entraîner un mouvement de fonds vers les monnaies numériques. La blockchain n’inspire pas pour le moment une réelle confiance pour une grande partie de l’opinion publique. Celle-ci, dans un grand nombre pays, reste attachée à la manipulation de billets et de pièces, symboles de l’existence concrète des monnaies. Si l’argent physique a moins d’utilité que dans le passé, il conserve son statut de « cours légal » ce qui signifie, dans la plupart des contextes, que les créanciers doivent l’accepter comme moyen de remboursement des dettes. La règle protège la fonction de l’argent liquide en tant que réserve de valeur alors même qu’il devient moins utile pour les paiements.

Les monnaies digitales de banques centrales pourraient, en outre, être concurrencées par des monnaies digitales privées. Le risque de fragmentation du système monétaire serait même accru en raison de la banalisation des monnaies digitales. Les banques centrales auraient tout intérêt à réguler les cryptomonnaies et à développer les stablecoins pour stabiliser le système des paiements.

La monnaie reste un symbole fort des États, au côté du monopole du pouvoir coercitif. Elle est l’instrument pour payer les impôts. La suppression de tout lien entre monnaie et État contribuerait à déliter les liens entre ce dernier et les citoyens. La fixation des taux d’intérêt par les banques centrales est aujourd’hui un puissant outil économique. Comment les banques centrales pourraient peser sur l’inflation si elles perdaient le pouvoir des règles monétaires ? Dans le passé, cependant, nul n’imaginait qu’un système monétaire puisse fonctionner sans étalons tels que l’or ou l’argent.

Les écoles privées, lieu d’excellence et de convoitise

Au sein des États de l’OCDE, certaines écoles d’enseignement secondaire privées jouissent d’un statut à part. Eton College au Royaume-Uni, fondée en 1440, peut se vanter d’avoir formé plus d’un tiers des 57 premiers ministres britanniques au cours de ses 583 années. En France, de nombreux chefs d’entreprises, ministres, députés ou sénateurs sont issus du collège Stanislas ou de l’École alsacienne. En France, au Royaume-Uni ou aux États-Unis, des parents choisissent des écoles privées dans l’espoir que leurs enfants bénéficieront d’une meilleure formation et d’une plus grande attention. Pour autant, au sein de l’OCDE, la proportion d’élèves scolarisés dans des établissements privés diminue. Elle est passée d’environ 8 % en 2000 à quelque 5 % en 2018. Au Royaume-Uni, ce taux était, en 2021, de 6,5 %. Il était de 9 % aux États-Unis. Dans ce pays, une grande partie des écoles privées bénéficient d’aides publiques. Seuls 2 % des élèves sont scolarisés dans des établissements réellement indépendants. La France est en la matière assez proche du système américain. 17 % des élèves sont scolarisés dans le privé dont 97 % le sont dans des établissements sous contrat avec à la clef une prise en charge importante de la part de l’État des dépenses d’enseignement (75 %). Cette spécificité explique sans nul le rôle important du secteur privé en France. Dans les autres pays, l’augmentation des frais de scolarité explique, ces dernières années, le recul des écoles privées.

Si dans certains pays, le recours au privé est moindre que dans le passé, il est, en revanche, de plus en plus l’apanage des classes aisées. Au Royaume-Uni, les coûts des écoles privées sont parmi les plus élevés au monde. La scolarisation d’un enfant peut atteindre 20 000 euros par an, soit trois fois plus que dans les années 1980. Ce montant correspond à 50 % du revenu médian des ménages en Grande-Bretagne, contre 20 % il y a quarante ans. Les frais aux États-Unis sont moindres même s’ils ont augmenté de 60 % dans les années 2000. Les écoles les plus prestigieuses demandent des contributions dépassant 28 000 dollars par an pour un élève. En France, la moyenne des frais se situent entre 1 000 et 1 500 euros. Le collège Stanislas demande entre 3 000 et 3 600 euros annuels.

Les écoles privées sont critiquées par le manque de mixité sociale au sein des élèves et par la perpétuation des élites qu’elle génère. À la rentrée 2021, en France 40 % des élèves scolarisés dans un collège privé sous contrat étaient issus d’un milieu social très favorisé, contre à peine 20 % dans le public. Inversement, 18 % des collégiens du secteur privé sous contrat faisaient partie de classes sociales défavorisées, contre 42 % des élèves du secteur public.

Au sein de l’OCDE, les résultats des écoles privées sont partout supérieurs à ceux du public. Leurs élèves réussissent mieux et intègrent plus fréquemment que dans le public les plus grandes universités ou les plus grandes écoles. Est-ce en raison de la sélection à l’entrée ou de la qualité de la formation délivrée, à moins que cela soit la combinaison des deux ?

Selon une étude de 2015 menée au Royaume-Uni, à l’âge de 25 ans, les élèves britanniques ayant suivi un enseignement privé gagnent 17 % de plus que ceux ayant suivi des études secondaires dans le public. L’avantage salarial s’accroît avec l’âge. À 42 ans, il est supérieur de 21 % pour les femmes et de 35 % pour les hommes. Les élèves du privé occupent des postes à responsabilités dans des secteurs à forte rémunération comme la finance ou les nouvelles technologies. Les écoles privées disposent de réseaux d’anciens élèves qui facilitent l’accès à des postes rémunérateurs. Il n’en demeure pas moins que les origines sociales des élèves expliquent la réussite professionnelle des élèves du privé. Une étude britannique confirme par ailleurs que la qualité des formations reçues avec notamment une plus grande diversité des matières proposées majore les résultats des élèves du privé par rapport à ceux du public, à revenu égal des parents. Les élèves du privé bénéficient grâce à leurs meilleures notes d’un accès facilité aux établissements d’enseignement supérieur. En 2021, plus de la moitié des élèves de l’enseignement privé ont intégré une des vingt-quatre meilleures universités du Royaume-Uni. 6 % des élèves du privé qui ont commencé un diplôme en Grande-Bretagne ont obtenu des places dans les universités d’Oxford ou de Cambridge, contre 2 % pour ceux des écoles publiques. Dans le privé, les élèves sont plus susceptibles que dans le public d’accéder aux disciplines électives facilitant leur réussite dans les universités très sélectives. Les élèves du privé bénéficient également d’un appui plus important pour préparer les entretiens et les tests d’admission. Aux États-Unis, les écoles privées placent facilement leurs élèves au sein des grands établissements d’enseignement supérieur. En 2021, selon une étude de Education Reform Now, un groupe de réflexion à Washington, 34 % des étudiants de premier cycle dans les grandes universités étaient précédemment scolarisés dans des écoles secondaires privées sachant que le privé ne forme que 9 % des lycéens américains. Les écoles indépendantes obtiennent encore de meilleurs résultats. Un tiers des nouveaux étudiants de premier cycle à Dartmouth et plus d’un quart à Princeton sont issus de ces écoles. En France, de nombreux établissements privés du secondaire occupent la tête des classements. Leurs élèves sont surreprésentés au sein des grandes écoles et les différentes filières d’excellence. Avant d’intégrer ces dernières, ils peuvent intégrer une classe préparatoire publique de renom comme Henri IV, Louis le Grand ou Saint Louis à Paris.

Que ce soit aux États-Unis, en France ou au Royaume-Uni, les écoles privées sont plus ouvertes sur l’étranger. En plus grand nombre que dans le public, leurs élèves poursuivent leurs études dans un autre pays en intégrant bien souvent un établissement prestigieux. Ce phénomène s’explique par les carrières des parents qui sont amenés à changer plus fréquemment que ceux scolarisant leurs enfants dans le public.

Au Royaume-Uni, l’accès aux écoles privées fait l’objet d’un débat. Le Parti travailliste, qui pourrait remporter les prochaines élections législatives souhaite abolir le statut d’organisme de bienfaisance des écoles privées et supprimer les avantages fiscaux dont elles bénéficient. Aux États-Unis, l’administration entend réduire les pratiques implicites de ségrégation qui existent au sein des écoles privées. En France, la question des classes préparatoires est régulièrement posée car elles sont jugées élitistes. Leurs difficultés de recrutement a amené le gouvernement à lancer une réflexion sur leur évolution. Depuis des années, la tentation est de vouloir les intégrer au système universitaire. Cela ne concerne pas spécifiquement les écoles privées. Au sein des partis de gauche, certains estiment néanmoins que les avantages dont bénéficient ces dernières sont exorbitants du droit commun et demandent un moindre subventionnement par l’État. Néanmoins, ce sujet est, depuis les grandes manifestations de 1984 en France, glissant voire tabou.

La panne de la productivité, un changement de monde

Au sein des pays de l’OCDE, la productivité est en recul sur une période de trois ans. S’il se prolonge, ce phénomène sera une rupture dans le processus de croissance tel que nous le connaissons depuis le milieu du XVIIIe siècle. La panne du progrès technique intervient à un moment où les États occidentaux ont besoin d’un surcroît de richesse afin de relever le défi de la transition énergétique et celui du vieillissement. Sans productivité, la croissance s’étiolera, forçant à de douloureux arbitrages.

En France, la productivité du travail est inférieure à celle de 2019 de trois points. Pour l’Espagne, l’écart serait de plus de 5 points. Aux États-Unis, le pays dont la productivité est la plus élevée, la contraction est de 2 points. Dans les autres pays occidentaux, elle est au mieux étale. Cette attrition de la productivité est-elle conjoncturelle ou est-elle liée à des facteurs structurels ?

Une baisse de la productivité conjoncturelle ?

La baisse de la productivité dans une période économique complexe et anxiogène peut s’expliquer par l’adoption de comportements défensifs de la part des employeurs. Compte tenu du caractère volatil de la croissance depuis la survenue de la crise sanitaire, les entreprises n’ajustent plus en temps réel leurs effectifs même en cas de baisse de la demande ou d’incapacité de produire en raison d’un manque par exemple de bien intermédiaires. Les difficultés de recrutement les incitent à ne pas se défaire de leurs salariés. Le maintien de personnel en surnombre par rapport aux besoins provoque par définition une baisse de la productivité du travail. Les aides des États pour faire face à l’épidémie de covid ou aux effets de la guerre en Ukraine atténuent les conséquences de cette baisse de la productivité sur le taux de marge des entreprises. Pour le moment, ce dernier reste au sein de l’OCDE élevé au vu de la conjoncture. Avec la baisse des prix de l’énergie et la normalisation des circuits d’approvisionnement, la situation des entreprises pourraient s’améliorer même si elles seront sans nul doute confrontées à des augmentations de salaires.

Le rôle de l’apprentissage dans la baisse de la productivité en France

Dans certains pays, une modification de la législation a pu induire des effets sur la productivité. En France, le développement de l’apprentissage et de la formation par alternance depuis l’adoption de la loi du 5 septembre 2018 pèse sur la productivité du travail. Les alternants et les apprentis, répartissant leur temps entre l’entreprise et leurs cours, ont une productivité moindre que des salariés en contrat à durée indéterminée. L’essor de l’apprentissage expliquerait de 30 à 40 % de la baisse de la productivité en France.

Le rejet du travail et la baisse de la productivité

L’évolution du rapport au travail constatée depuis plusieurs mois a-t-elle des conséquences sur la productivité ? Sur ce sujet, les études divergent. Le rejet de certains emplois pénibles à horaires décalés est de plus en plus net depuis le covid. La baisse du chômage permet aux actifs de choisir plus facilement leur emploi et de se détourner de ceux qu’ils ne jugent en phase avec leurs attentes. Dans certains secteurs, pour attirer des salariés, les entreprises sont contraintes d’augmenter les salaires ou de doubler les postes ce qui par nature entraîne une baisse de la productivité. L’hôtellerie et la restauration sont les secteurs les plus concernés. Le développement du télétravail donne lieu à débat en matière de productivité. Certains estiment qu’il dope cette dernière quand d’autres qu’il explique une partie de sa baisse. La réduction des interactions humaines est en règle générale peu propice à l’innovation et à l’émulation. De nombreuses entreprises américaines, comme Google, Apple ou Microsoft, tentent de limiter le nombre de jours de télétravail. Ce dernier crée des tensions entre les salariés qui peuvent en bénéficier et les autres. Ces tensions sont peu favorables à l’amélioration des circuits de production et donc à l’augmentation de la productivité. Plus globalement, le rapport au travail aurait profondément évolué. Dans une société de l’hyper-loisirs, le travail serait de moins en moins perçu comme un facteur de réalisation ou de socialisation. En étant coupé de leur milieu professionnel durant plusieurs semaines, la crise covid aurait accentué une tendance de fond qui avait déjà cours depuis des années. La dégradation du rapport au travail est assez marquée en France. La forte progression depuis trois ans des arrêts maladie est un signe de ce malaise. Aux États-Unis, les démissions se sont multipliées. Les salariés cherchent des emplois leur laissant plus de libertés et situés dans des villes répondant à leurs aspirations. En France, des communes comme Bordeaux, Angers, Nantes, Marseille ou Ajaccio bénéficient des faveurs d’un nombre croissant d’actifs.

Une économie plus tertiaire, une économie moins productive

La baisse de la productivité s’explique également par une modification des structures de l’économie. Au sein des pays de l’OCDE, les services domestiques remplacent l’industrie qui est la source principale des gains de productivité. Dans l’hôtellerie, dans la restauration, dans les parcs d’attraction, les gains de productivité sont plus difficilement réalisables que dans l’industrie. Le secteur tertiaire représentant plus de 80 % du PIB en France, la possibilité d’améliorer la productivité est bien plus faible qu’au début des années 1970 quand l’industrie pesait près de 40 % du PIB. Ces dernières années, les créations d’emploi ont essentiellement concerné des secteurs à faibles gains de productivité comme la logistique, la santé ou le conseil en entreprise.

Le progrès ne fait plus rêver

Si le progrès était, dans le passé, une source de rêves, d’espoirs et d’amélioration de conditions de vie, il est désormais regardé par une partie non négligeable des populations occidentales comme un potentiel danger. À tort ou à raison, le réchauffement climatique, les atteintes à la biodiversité, le développement de certaines maladies lui sont imputés. Une défiance vis-vis des inventions scientifiques comme l’a prouvé les débats sur la vaccination contre le covid concerne un nombre non négligeable de personnes. Même si l’hostilité au progrès technique n’est pas nouvelle, elle semble être en phase ascendante. Sa diffusion s’en trouve d’autant freinée, ce qui pèse sur la productivité. Le vieillissement de la population ne contribue pas également à augmenter celle-ci. Si une fois de plus les études ne sont pas homogènes en ce qui concerne l’appréciation de la productivité des salariés en fonction de leur âge, en revanche, la diffusion des innovations tend, en effet, à se ralentir au sein des population actives âgées.

La panne de la productivité peut enfin s’expliquer par l’épuisement du progrès. En l’état actuel des connaissances, les innovations capables d’amener un saut de productivité seraient plus rares. Au nom de la thèse de la stagnation séculaire de l’économiste Larry Summers, les innovations à forte rentabilité auraient été découvertes. Il faut investir de plus en plus pour obtenir de nouvelles inventions sachant que leurs effets sont moindres.

La transition énergétique joue également contre la productivité à court terme. Le passage aux énergies renouvelables n’est pas dicté par des considérations d’efficience. Il vise à préserver la pérennité de la planète. Les énergies renouvelables sont, actuellement, moins efficaces que les énergies carbonées. Elles nécessitent la réalisation d’infrastructures importantes et redondantes pour pallier le manque de soleil ou de vent ainsi que la mise en place de capacités de stockage.

La panne de productivité est-elle amenée à durer ? Si les contraintes conjoncturelles devraient s’atténuer, celles de nature structurelle incitent à penser que la panne n’est pas accidentelle. Faute de productivité, la croissance ne peut qu’être faible d’autant plus que la population active, au sein des pays de l’OCDE, est vouée à diminuer. Face à un obstacle, la force de l’esprit humain est de trouver une solution, de créer une rupture permettant de dévier la route a priori tracée. Malthus qui pronostiquait la famine à grande échelle a eu tort. Non pas que son raisonnement au moment où il l’établit était absurde mais parce qu’il a négligé l’intelligence humaine qui a permis d’augmenter de manière impressionnante les rendements agricoles.