23 décembre 2023

Le Coin de l’Economie – emploi – inflation – immobilier – taux d’intérêt

Remontée du chômage : quels effets ?

Avec le ralentissement de la croissance, le taux de chômage tend à remonter que ce soit en zone euro ou aux États-Unis. Même si cette hausse demeure, pour le moment, limitée, elle pourrait entraîner des conséquences sur le comportement des ménages et, éventuellement accentuer la dégradation de la conjoncture.

Avec le relèvement des taux directeurs des banques centrales, le processus de baisse du chômage constaté depuis la fin des confinements a pris fin avec, depuis le deuxième trimestre 2023, une légère tendance à une remontée. Le taux de chômage reste néanmoins à des niveaux historiquement bas, 3,7 % aux États-Unis en novembre et 6,5 % en octobre au sein de la zone euro. Aux États-Unis, il est de 0,2 point au-dessus de son point bas du mois de juillet. Pour la zone euro, il est stable mais, selon les pays, il peut être entre 0,2 et 0,3 point au-dessus du point bas atteint à la fin de l’année 2022 ou au début de l’année 2023. La proportion des entreprises rencontrant des difficultés pour recruter qui avait atteint un niveau historique en 2022 est en recul mais reste à des niveaux bien plus élevés qu’avant la zone euro.

La situation économique et le comportement des ménages face à l’évolution du marché du travail semblent différer de part et d’autre de l’Atlantique. Le pouvoir d’achat des salaires augmente en moyenne de 2 % aux États-Unis quand il est stable en zone euro. Aux États-Unis, le nombre de créations d’emplois demeure élevé, près de 200 000 en novembre, donnant ainsi un pouvoir de négociation aux salariés. En zone euro, il demeure plus faible d’autant plus que le ralentissement économique est plus marqué. Aux États-Unis, les employeurs recherchent des salariés quand en Europe, ils hésitent à licencier estimant qu’ils rencontreront des difficultés pour en trouver au moment de la reprise.

En revanche, de part et d’autre de l’Atlantique, la confiance des consommateurs est très basse. Aux États-Unis, l’indice de confiance n’a jamais retrouvé son niveau d’avant crise sanitaire. Les bons résultats économiques et la baisse du chômage n’ont pas induit une hausse de la confiance chez les ménages. Le sentiment de défiance à l’encontre des pouvoirs publics est élevé. En zone euro, un rebond au niveau de la confiance est intervenu en 2021 avant de laisser la place à une chute provoquée par la guerre en Ukraine. En Europe, le faible niveau de confiance s’accompagne du maintien d’un fort taux d’épargne. Il reste deux points au-dessus de son niveau d’avant la crise sanitaire. Aux États-Unis, le taux d’épargne est, en revanche, en forte baisse. Il se situe en-dessous de son niveau d’avant covid.

Dans ces conditions, la consommation progresse aux États-Unis quand elle recule en zone euro. Fin 2023, la consommation des ménages américains est supérieure de 7 points à son niveau de 2019 et deux points en-dessous chez les européens. De 2010 à 2023, la consommation a augmenté de 40 % aux États-Unis contre moins de 10 % en zone euro.

La divergence entre les États-Unis et la zone euro ne repose pas uniquement sur l’appréciation des ménages de l’évolution du marché du travail. D’autres facteurs y contribuent comme le rôle du secteur de l’information et de la communication ou celui de l’énergie. La dépendance des pays de la zone euro aux hydrocarbures pèse sur la croissance. Aux États-Unis, les exportations de gaz et de pétrole alimentent a contrario la croissance. Les Européens semblent malgré tout mal supporter la succession des chocs depuis trois ans en restreignant leur consommation par peur de l’avenir.

Désinflation, l’Europe à la traîne

Sur un an, l’inflation est en forte baisse aux États-Unis et dans une moindre mesure en zone euro. Elle est, en revanche, stable au Royaume-Uni. La différence de part et d’autre de l’Atlantique trouverait en grande partie son origine dans l’évolution divergente de la productivité.

L’inflation hors énergie et alimentation (dans la zone euro, aliments non transformés) et hors loyers imputés aux propriétaires de leurs logements (pour les États-Unis) est passée de janvier à novembre 2023 de :

  • 4,6 % sur un an à 2,8 % sur un an aux États-Unis ;
  • 7,1 % sur un an à 4,2 % sur un an dans la zone euro ;
  • 5,8 % sur un an à 5,7 % sur un an au Royaume-Uni (octobre).

La désinflation plus rapide aux États-Unis peut s’expliquer par la mise en œuvre de manière plus précoce d’une politique monétaire restrictive. L’inflation trouvait par ailleurs sa source plus dans les plans de relance engagés après la crise sanitaire que dans le hausse des prix de l’énergie. En revanche, en Europe, celle-ci a joué un rôle majeur dans le déclenchement de de la vague inflationniste.

L’évolution des gains de productivité joue également un rôle non négligeable dans le processus de désinflation. Aux États-Unis, la productivité par tête a progressé entre le troisième trimestre 2022 et le troisième trimestre 2023 de 1,6 % quand elle a baissé de 1,3 point en zone euros et de 0,6 point au Royaume-Uni. De 2018 à 2023, elle a progressé de 10 % aux États-Unis, contre 2 % en zone euro et 0 % au Royaume-Uni. Les entreprises américaines ont pu compenser la hausse des prix en matière d’énergie et de biens intermédiaires ainsi que celle des salaires en jouant sur leurs gains de productivité, ce que n’ont pas pu faire les entreprises européennes. Or, l’évolution des coûts salariaux est déterminante pour apprécier celle de l’inflation sous-jacente.

Faute de gains de productivité, les entreprises européennes sont contraintes de conserver des effectifs importants contribuant à maintenir tendu le marché de l’emploi. Cette situation concourt à une progression plus rapide des salaires. Ainsi, depuis le début de l’année 2023, le salaire par tête progresse de plus en plus lentement aux États-Unis et de plus en plus rapidement dans la zone euro et au Royaume-Uni.

Le maintien du décalage en matière de gains de productivité de part et d’autre de l’Atlantique pourrait avoir comme conséquence un écart d’inflation sous-jacente. Celle-ci resterait plus forte en Europe avec à la clef une perte de compétitivité des exportations.

L’immobilier, trop cher !

Depuis trente ans, le prix de l’immobilier connaît une augmentation au sein des pays de l’OCDE déconnectée des fondamentaux économiques et en particulier des revenus des ménages. Les prix relatifs de l’immobilier résidentiel par rapport au prix de la consommation des ménages ont augmenté ainsi, depuis 1990 de :

  • 155 % aux États-Unis ;
  • 95 % au Canada ;
  • 110 % au Royaume-Uni ;
  • 15 % en Allemagne ;
  • 80 % en France ;
  • 40 % en Espagne ;
  • 60 % en Italie ;
  • 180 % aux Pays-Bas ;
  • 190 % en Australie.

En lien avec la diminution de la population, les prix ont, en revanche, diminué de 25 % au Japon.

La progression des prix de l’immobilier a été alimentée par la faiblesse des taux d’intérêt sur les crédits immobiliers. Tous les pays de l’OCDE à l’exception du Japon ont constaté une corrélation entre taux et prix de l’immobilier. Au Japon, la déflation à l’œuvre depuis le début des années 1990 a également touché l’immobilier. Pour que les prix augmentent, le niveau de stock de logement par rapport à la demande doit être faible. Le niveau des mises en chantier par habitant est en baisse depuis 1990 aux États-Unis, au Canada, en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas, au Japon ou en France. L’essor des plateformes en ligne de locations saisonnières réduit le marché des locations traditionnelles incitant des locataires à acquérir leur logement. La demande est également dopée par la multiplication des familles monoparentales.

La forte appréciation des prix de l’immobilier a de nombreux effets pervers sur l’économie. Elle réduit les revenus disponibles des ménages pour d’autres usages. Elle affaiblit la consommation. La hausse des prix de l’immobilier est particulièrement forte dans les centres-villes des grandes agglomérations. Elle oblige un nombre croissant de ménages à habiter loin des centres-villes ce qui contribue à accroître les dépenses de transports.

La hausse des prix relatifs de l’immobilier génère un enrichissement patrimonial non justifié avec des effets de rente importants. Elle mobiliser un volume croissant de capitaux qui auraient pu être plus judicieusement utilisés au sein d’activités à forts gains de productivité.

La hausse des prix de l’immobilier empêche les jeunes et les personnes à revenus modestes d’acquérir un logement. elle conduit à un excès d’endettement des ménages. Celui-ci ménages représente une proportion élevée de leur revenu au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Australie et aux Pays-Bas. Le taux d’endettement des ménages atteint des niveaux records que ce soit en France ou en Allemagne.

La hausse des taux d’intérêt n’a pas provoqué une baisse tangible des prix de l’immobilier car la pénurie de logements perdure. Les réglementations environnementales réduisent le foncier disponible. En outre, au sein des communes, les populations sont de plus en plus rétives à accepter des projets de création de logements. Les propriétaires rejettent toute idée de baisse des valeurs et sont pour le statu quo fiscal. Un système malthusien s’est ainsi mis en place qui n’est pas tenable à moyen terme.

La surréaction à la baisse des taux d’intérêt à long terme de la zone euro

Par anticipation des futures baisses des taux directeurs des banques centrales, du mois d’octobre 2023 à mi-décembre 2023, le taux d’intérêt à 10 ans sur les dettes publiques de la zone euro est passé de 3,70 % à 2,74 %. Cette baisse peut apparaître surprenante au vu des fondamentaux économiques et financiers.

Les taux d’intérêt à long terme dépendent des taux directeurs, des anticipations d’inflation ainsi que de l’équilibre entre investissement et épargne. Depuis le mois d’octobre, les investisseurs semblent croire à une baisse durable de l’inflation, à une décrue des taux directeurs et au retour d’un excédent de la balance des paiements courants en zone euro.

Plusieurs facteurs pourraient contrarier le scénario des investisseurs et favoriser le maintien de taux d’intérêt à long terme plus élevés que dans le passé.

La hausse des coûts salariaux

L’augmentation des coûts salariaux unitaires en lien avec la hausse des salaires constitue un facteur de maintien de taux d’intérêt élevés. Le salaire nominal par tête progresse en zone euro de plus de 4 % par an à la fin de l’année 2023. À défaut de gains de productivité, les augmentations salariales alimentent l’inflation sous-jacente.

La diminution de la taille du bilan de la banque centrale

Durant la période de politique monétaire accommodante, la Banque Centrale Européenne a accru de manière exponentielle la taille de son bilan. La base monétaire est passé de 1 200 à 6 500 milliards d’euros de 2016 à 2021. Elle a décidé depuis 2022 de réduire progressivement la taille de son bilan. Ce processus est amené à se poursuivre et à s’accélérer. La BCE rachète de moins en moins d’obligations au moment du tombé de celles acquises dans le passé. Or, en raréfiant les liquidités, elle favorise une hausse des taux d’intérêt. Une réduction de 1 000 milliards d’euros de la base monétaire provoquerait une hausse du taux d’intérêt à 10 ans de l’ordre de 30 points de base.

Les non-résidents de plus en plus réticents à acheter des obligations européennes

Les achats nets d’obligations de la part des non-résidents ne dépassent pas un point de PIB. Cette relative absence des investisseurs internationaux occasionne une hausse des taux d’intérêt.

Des besoins publics en hausse

Les déficits publics restent élevés au sein de la zone euro. Le déficit public moyen est de 3 % du PIB. L’État devrait émettre, en 2024, 285 milliards d’euros d’obligations et de titres publics, ce qui constituera un record en Europe. Les dépenses publiques sont orientées à la hausse en raison du vieillissement démographique, de la transition énergétique ou de l’effort de défense. L’aversion des investisseurs aux risques étant forte, ces derniers devraient exiger des taux plus élevés.

Le solde de la balance des paiements courants

Avec la guerre en Ukraine et la hausse des prix de l’énergie qui en a résulté, la zone euro est passée d’un exécédent de sa balance des paiements courants de 3 % du PIB à un déficit de 1  % du PIB de 2021 à 2022. En 2023, elle a renoué avec un résultat exdédentaire en 2023. Un déficit de la balance des paiements courants traduit un déficit d’épargne ce qui concourt à la hausse des taux quand à l’inverse un excédent doit logiquement conduire à une détente sur ces derniers.

Les facteurs devant conduire à une hausse des taux sont plus nombreux que ceux devant amener une baisse. Le maintien d’importants déficits publics, l’absence de gains de productivité, la hausse des salaires et la fin des rachats d’obligation par la banque centrale devraient conduire les taux d’intérêt à long terme à des niveaux plus élevés que ces derniers mois. La BCE surveillera néanmoins leur évolution pour éviter l’accroissement des écarts de taux entre les États d’Europe du Sud et l’Allemagne.