14 juillet 2023

Le Coin de l’Economie – endettement – mondialisation – productivité – inflation

Les États de l’OCDE et leur endettement total, quelles marges de manœuvre ?

La dette totale – ménages, entreprises et administrations publiques – témoigne des besoins de financement des différents États et de la nécessité à faire appel à l’épargne extérieure. Au sein de l’OCDE, les États ne sont pas tous dans la même situation et ne disposent donc pas des mêmes marges de manœuvre pour financer par exemple la transition énergétique ainsi que les dépenses de santé, de retraite, de défense et d’éducation.

La dette totale du Japon est la plus importante des pays de l’OCDE. Elle a atteint, en 2022, 450 % du PIB contre 300 % du PIB en 1998. La dette total des États-Unis s’élevait, fin 2022, à 245 % du PIB. Elle est comparable à son niveau de 2008 et supérieure de 70 points de PIB à son niveau de 1998. Les ménages et les entreprises se sont désendettés après la crise des subprimes quand les administrations ont continué à accroître leur endettement. La dette totale du Royaume-Uni est passée de 150 à 255 % du PIB de 1998 à 2022. Elle a suivi une évolution assez proche de celle des États-Unis. En Europe continentale, les États ayant les ratios de dettes les plus élevés étaient, en 2022, la France et l’Italie (respectivement 260 % et 255 % du PIB). La France est le pays qui, depuis 1998, connaît la progression la plus importante de son endettement (140 % du PIB en 1998 et 180 % du PIB en 2008). La hausse de la dette s’est accélérée à partir de 2016 avec la politique monétaire accommodante et surtout, depuis 2020, en lien avec la crise covid. L’Italie qui avait un niveau d’endettement supérieur à la France, en 1998, se situe désormais en-deçà. L’Espagne a connu plusieurs phases au niveau de sa dette publique lors de ces vingt dernières années. Elle a enregistré une forte hausse de sa dette totale entre 1998 et 2012. Celle-ci est passée, durant cette période, de 145 à 270 % du PIB avant de redescendre à 220 % du PIB en 2019. Elle a atteint 250 % du PIB en 2021 avant de revenir à 220 % en 2022. La crise des subprimes de 2007/2009 et celle des dettes souveraines en 2012 ont conduit les agents et en premier lieu les ménages à se désendetter. La forte croissance que ce pays a connue entre 2017 et 2019 et depuis 2021 a également permis de réduire le poids de la dette publique. De son côté, l’Allemagne a connu une augmentation de sa dette globale entre 1998 et 2003 en relation avec la réunification intervenue le 3 octobre 1990. Sa dette globale s’élevait à 180 % du PIB en 2003 avant de revenir à 160 % du PIB en 2020. Avec la crise  sanitaire et la guerre en Ukraine, le niveau de la dette augmente à nouveau dans ce pays en atteignant en 2022, 175 % du PIB. Le taux d’endettement total est ainsi plus élevé, aujourd’hui, qu’en 2008 au Japon, en France et en Italie. Il est à peu près au même niveau qu’en 2008 aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne.

Quand les taux d’intérêt réels à long terme sont inférieurs à la croissance réelle à long terme (à la croissance potentielle), le pays peut avoir un déficit public primaire sans qu’il en résulte une hausse de son taux d’endettement public. Le taux d’intérêt réel à 10 ans (calculé comme l’écart entre le taux d’intérêt nominal à 10 ans et le swap d’inflation à 10 ans) est inférieur à la croissance du PIB, au premier semestre 2023, d’un point aux États-Unis, en France et en Allemagne et de trois points au Japon. Au Royaume-Uni et en Espagne, le taux de croissance et les taux d’intérêt réels sont identiques. En Italie, le taux d’intérêt réel est supérieur à la croissance d’un point. L’Italie est fortement handicapée par la faiblesse de sa croissance potentielle qui s’explique notamment par le déclin de sa population. La situation de la France est plus favorable mais pourrait devenir rapidement délicate si la croissance persistait à se dérober en lien avec la contraction des gains de productivité. En effet, la France est le pays où l’endettement global progresse le plus rapidement au sein de l’OCDE.

Gains de productivité, une question d’âge ?

La productivité s’affiche en baisse au sein de nombreux pays. Ces dernières années, elle a même reculé en France ou aux États-Unis. Les facteurs contribuant à son recul sont multiples : diminution de l’investissement, tertiarisation des activités, changement de comportements des actifs, baisse de la durée du travail, etc. Le vieillissement de la population est également mis en avant pour expliquer cette diminution de la productivité.

Au sein de l’OCDE, de 1995 à 2022, la croissance de la productivité par tête lissée sur quatre ans est passée de 1,9 % à 0,6 %. De 2019 à 2022, cette dernière s’est contractée de 3 à 5 % en France et en France ainsi qu’aux États-Unis.

Parmi les explications de cette baisse des gains de productivité fréquemment émises figure, depuis la crise des subprimes, le sous-investissement des entreprises. Le taux d’investissement des entreprises au sein de l’OCDE est passé de 14,5 % du PIB à 12 % en 2010. Depuis 2012, il se situe autour de 13,5 % du PIB.

Le déclin de l’industrie et la montée en puissance des services en particulier domestiques (services à la personne, loisirs) contribuent, sans nul doute, à la baisse de la productivité. Ce type de services génère peu de gains de productivité à la différence de l’industrie. Le poids de cette dernière est passé au sein de l’OCDE de 15 % du PIB en 2007 à 13,5 % du PIB en 2022. Dans certains pays comme la France, le France ou les États-Unis, son poids est désormais inférieur à 10 % du PIB.

La baisse du temps de travail conduit à une moindre production par actif employé. Le nombre annuel d’heures de travail est passé de 1750 à 1625 heures de 1995 à 2022. La baisse a été marquée en Europe et en particulier en France. Dans ce dernier pays, le développement récent de l’apprentissage explique en partie la baisse de la productivité. Les apprentis suivant des cours, une partie de leur temps, ont des capacités de production moindres que les autres actifs.

L’évolution du rapport au travail peut entraîner des conséquences sur la productivité. Le rejet des horaires décalés et des emplois à forte pénibilité peut conduire les employeurs à doubler les postes ce qui induit une moindre productivité. Depuis la crise sanitaire, le nombre d’heures supplémentaires est en recul.

Les nouvelles formes d’organisation du travail donnent lieu à débat en ce qui concerne la productivité. Le développement du télétravail apparaît pour certains comme une source de productivité quand, pour d’autres, il amène au contraire un recul de cette dernière.

Le vieillissement de la population active est également avancé comme un facteur pouvant éroder la productivité. Une population ayant une proportion importante de jeunes actifs favorise la diffusion du progrès technique et crée un climat d’émulation. Elle est, de ce fait, considérée comme potentiellement plus productive qu’une population plus âgée.

En comparant le ratio entre la population de 45 à 64 ans et la population de 20 à 44 ans en moyenne sur 2002-2022 avec celui de la progression de la productivité du travail sur la même période, une corrélation peut être notée. Les pays comme la France, le Japon, la France ou la Grèce qui sont confrontés à un rapide vieillissement de leur population active. En revanche, la Corée du Sud ou la France échappent à la malédiction de l’âge en ayant des gains de productivité élevés malgré une population en vieillissement. Au-delà des États membres de l’OCDE, la Chine a réussi, jusqu’à ces dernières années, à concilier gains de productivité et augmentation du nombre d’actifs de plus de 50 ans. Néanmoins, depuis trois ans, ce pays est également confronté à un recul de la croissance de la productivité.

La baisse de la productivité est difficile à analyser car elle semble s’expliquer par une multitude de facteurs avec des interférences possibles. Le développement des activités tertiaires n’est pas sans lien avec le vieillissement de la population, le besoin en services augmentant avec l’âge. La diminution de l’investissement est également la conséquence de tertiarisation des activités. Elle peut être favorisée par un ralentissement de la diffusion du progrès technique. Ce dernier peut être attribué à une population âgée moins adepte aux innovations qu’une population plus jeune.

Le retour de l’inflation a commencé bien avant la crise sanitaire

La guerre en Ukraine et la crise sanitaire sont jugées comme les facteurs expliquant le retour de l’inflation au sein des pays de l’OCDE. Dans les faits, cette dernière est avant tout un phénomène monétaire qui a commencé à poindre dès 2017 mais elle restait ignorée par les autorités monétaires qui craignaient l’installation d’un climat déflationniste.

L’inflation n’inquiète les banques centrales (la Réserve fédérale et la BCE) qu’à partir de l’été 2022. Mais en réalité, les premiers signaux du retour de l’inflation datent de la fin de 2017. Cette dernière s’est alors manifestée à travers les tensions sur le marché du travail, la remontée du PIB par rapport au PIB potentiel dans la zone euro, et de l’évolution des causes de la limitation de la production. Cette poussée d’inflation a été reportée dans le temps par la crise de la Covid, mais elle aurait tout de même dû inquiéter les banques centrales en 2018 et 2019. Effectivement, si la Réserve fédérale a mis en place, en 2018, le « quantitative tightening » et a un peu remonté ses taux d’intérêt, la BCE, a poursuivi, quant à elle, une politique monétaire très expansionniste sans se soucier du risque d’inflation.

En désorganisant les circuits de distribution à l’échelle mondiale, l’épidémie de covid-19 a provoqué des goulets d’étranglement entraînant une hausse des prix sur certains biens ou services (médicaments, microprocesseurs, conteneurs, etc.). Par crainte de la réédition d’une longue crise sur le modèle de ce qui avait été vécu lors de celle des subprimes entre 2007 et 2009, les gouvernements ont multiplié les plans de relance provoquant une forte hausse de la demande, en particulier aux États-Unis. Face à une offre encore déstabilisée par la crise covid, l’inflation s’est accélérée. La guerre en Ukraine a créé une série de chocs d’offre touchant non seulement l’énergie, les matières premières ou l’énergie mais aussi des biens intermédiaires (verre, carton, engrais, etc.). La crainte de pénuries a généré d’importantes hausses de prix dont l’Europe a été la principale victime.

Les banques centrales ont réagi tardivement face à la résurgence de l’inflation. La FED a commencé à relever ses taux directeurs durant le printemps 2022, la BCE durant l’été. Ce retard s’explique par la durée exceptionnelle de la période de basse inflation que le monde a connue entre les années 1980 et les années 2010. La récession brutale liée à l’arrêt sur image de l’économie provoqué par les confinements en 2020 a laissé craindre l’installation d’une déflation. Les banques centrales face à cette menace ont assoupli un peu plus leur politique monétaire en multipliant les achats d’actifs. Le bilan des banques centrales enregistre alors une croissance sans précédent. Celui de la FED passe de 2 000 à 4 000 milliards de dollars entre 2010 et 2015 pour atteindre près de 9 000 milliards de dollars en 2021. Celui de la BCE passe, de 2010 à 2016, de 1 500 à 3 500 milliards d’euros et dépasse, en 2021, 6000 milliards d’euros. L’augmentation des cours des matières premières, de l’énergie et des produits agricoles sont perçus comme des chocs d’offre extérieurs. La BCE, dans un premier temps, estime qu’une augmentation de ses taux n’aurait pas d’effets sur les prix. L’accélération de la hausse des prix au cœur de l’été 2022 impose un changement de politique et le relèvement des taux directeurs.

Plusieurs indicateurs laissaient présager, avant même l’épidémie de covid-19, une augmentation de l’inflation qui aurait pu mériter alors une hausse des taux à commencer par a baisse rapide du chômage à partir de 2018, tant en zone euro qu’aux États-Unis. Plusieurs États de l’OCDE étaient en situation de plein emploi. La France a commencé à voir son chômage décroître en 2018. La crise covid n’a interrompu ce processus mais seulement temporairement. La baisse du chômage s’explique par une croissance faible de la population active, en lien avec le vieillissement démographique. Le développement des services à la personne et la digitalisation s’accompagnent de la création de nombreux emplois. Avant l’épidémie de covid, plus de 35 % des entreprises américaines rencontraient des difficultés de recrutement. Pour la zone euro, le nombre d’entreprises faisant face à de telles difficultés avait été multiplié par deux entre 2015 et 2019. Des revendications salariales commençaient à poindre. Aux États-Unis, la progression des salaires était passée de moins de 2 % à près de 3 % entre 2016 et 2019. En zone euro, la hausse atteignait plus de 2 % en 2019, contre moins de 1 % entre 2010 et 2017. Avant la survenue de l’épidémie de covid, un nombre croissant d’entreprises rencontrait des problèmes pour faire face à la demande, la production étant contrainte par la période 2009/2017 de sous-investissement.

Une partie de l’inflation générée par la progression exponentielle de la masse monétaire s’était logée dans la valeur des actifs financiers (actions) et immobiliers. Leur augmentation rapide était la conséquence de la faiblesse des taux d’intérêt qui incitait les agents économiques à s’endetter.

Sans crise sanitaire, sans guerre en Ukraine, tout concourait malgré tout à une accélération de la hausse des prix, ce qui était, alors, l’objectif des banques centrales. La non-prise en compte de ces différents signaux par les banques centrales explique la progression rapide de l’inflation qui a bénéficié d’un terreau favorable.

Le monde se sépare-t-il en deux blocs ?

Après la deuxième grande vague de mondialisation, entre 1990 et 2010 – la première datant de la fin du XIXe siècle – le monde semble revenir à une logique de blocs avec, d’un côté, les pays de l’OCDE emmenés par les États-Unis, et de l’autre, les pays émergents emmenés par la Chine et la Russie. Les échanges entre les deux blocs demeurent importants en raison du rôle occupé par la Chine dans les échanges mondiaux. Néanmoins, depuis plusieurs années, ces échanges ne progressent plus voire régressent. Cette évolution sur fond de retour du protectionnisme répond-elle à une nouvelle partition idéologique du monde ou à une logique économique, l’Occident étant entré dans un cycle de stagnation voire de déclin quand les pays émergents sont encore en forte croissance ?

Les échanges à l’intérieur des deux grands blocs se renforcent depuis le début des années 2010. Les exportations de l’Amérique du Nord vers les autres pays de l’OCDE sont passées de 4,7 % du PIB sur la période 2002/2009 à 8,6 % du PIB sur la période 2017/2023. Les exportations de l’Europe vers les autres pays de l’OCDE sont passées de 5,6 % à 7 % du PIB. Enfin, celles du Japon, de l’Australie, de la Corée du Sud et de la Nouvelle-Zélande vers les autres pays de l’OCDE sont passées de 2,4 % à 5,3 % du PIB.

Dans le même temps, les pays émergents ont accru leurs échanges entre eux. Cet essor intervenu essentiellement entre 2017 et 2023, est lié à la mise en place aux États-Unis de mesures protectionnistes mais aussi à un différentiel de croissance favorable aux pays émergents.

La croissance des exportations des pays de l’OCDE vers la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil ne s’élève plus qu’à 5,9 % en rythme annuel entre 2017 et 2023 quand elles étaient de 18,8 % entre 2002 et 2009. La croissance des exportations des pays émergents précédents vers ceux de l’OCDE est également en recul. Elle s’élevait à 9,6 % en rythme annuel entre 2017 et 2023, contre 18,2 % entre 2002 et 2009. Les pays émergents commercent davantage entre eux car leur croissance est plus élevée que celle de l’OCDE. Par ailleurs, la montée du protectionnisme conduit à une régionalisation du commerce mondial. L’Europe qui avait joué la carte de la Chine et de la Russie, ces dernières décennies, est contrainte de réorienter à grande vitesse ses échanges. L’Allemagne est la plus exposée aux évolutions géopolitiques de ces derniers mois. Dépendante, pour son énergie, de la Russie, l’Allemagne a profité d’un accès, à faible prix, à une énergie abondante. Les embargos avec la guerre en Ukraine l’ont contrainte à rechercher de nouveaux fournisseurs avec, à la clef, une forte augmentation des coûts de production. Le durcissement des relations avec la Chine qui en quelques années est devenue son premier partenaire pénalise l’industrie automobile allemande ainsi que celle de la machine-outil. L’Europe est donc de plus en plus tiraillée entre l’alignement commercial avec les États-Unis qui assure une grande partie de la sécurité face à la tentation hégémonique russe et un non-alignement lui permettant de commercer librement avec la Chine.