7 janvier 2023

Le Coin de l’Economie – inflation – dettes publiques – emploi – Courbe de Philips

Désinflation aux États-Unis, inflation en Europe

La politique économique menée aux États-Unis combinant une réduction rapide du déficit public avec un relèvement des taux d’intérêt et une appréciation du dollar, commence à porter ses fruits avec un début d’inflexion de l’inflation. La zone euro est dans une situation différente. La Banque Centrale Européenne a amorcé plus tardivement que la FED le durcissement de sa politique monétaire et les pouvoirs publics maintiennent un niveau élevé de soutien aux populations. Même si une décrue de l’inflation a été constatée, la prudence est de mise sur son évolution en ce début d’année 2023.

À la fin de l’année 2022, les salaires accéléraient toujours en Europe, les prix de l’énergie et des produits agricoles restant élevés. Les entreprises n’ont pas, loin de là, intégré dans leurs prix de vente l’ensemble des hausses subies depuis neuf mois. Les augmentations du prix des importations, accentuées par la dépréciation de l’euro ne sont pas complètement passées dans les prix de consommation. Au cours du premier semestre 2023, l’inflation demeurera plus forte dans la zone euro qu’aux États-Unis. Face à cette divergence, quelle sera la réaction de la Banque Centrale Européenne et comment le marché « actions » réagira-t-il ?

Aux États-Unis, dès le début de 2022, le Gouvernement et la banque centrale ont réagi rapidement à la hausse des prix. Celle-ci était due en grande partie aux plans de relance successifs engagés pendant et après la crise sanitaire. L’État fédéral a réduit le montant du déficit public qui est passé de 14 % à 4 % du PIB. Cette politique budgétaire restrictive provoque le recul des salaires réels et du revenu disponible des ménages contribuant à la désinflation. Aux États-Unis, le revenu disponible brut a diminué en valeur réelle de plus de 2 points. La hausse des taux d’intérêt a été forte et rapide. Les taux à 10 ans sont passés à plus de 4 % en 2022, contre 0,5 % en 2021. Du fait de l’augmentation des taux, les mises en chantier ont décroché l’année dernière. Elles sont passées de 1,8 million à 1,4 million de 2021 à 2022. La valorisation du dollar par rapport aux autres monnaies a renforcé les effets des politiques de lutte contre l’inflation en diminuant le prix des importations. En 2022, le taux de change effectif du dollar s’est accru de plus de 12 %.

Les effets des plans de relance se sont estompés au fil des mois. Par ailleurs, les États-Unis qui sont autosuffisants en énergie ont été moins touchés que l’Europe par les hausses des prix. La décrue du cours des matières premières, des produits agricoles et de l’énergie au cours du second semestre, ainsi que la normalisation des prix pour le transport maritime ou les microprocesseurs, favorisent la diminution de l’inflation. Dans ce contexte, l’inflation sous-jacente s’est stabilisée et l’inflation est en décrue, passant de 10 à 8 % entre l’été et l’hiver 2022.

Dans la zone euro, la situation est différente. L’inflation est essentiellement provoquée par la hausse des prix de l’énergie. Après avoir dépassé 600 euros le mégawattheure sur le marché spot durant l’été 2022, le prix de l’électricité reste deux fois plus élevé qu’avant la crise sanitaire, bien que revenu à 50 euros. Le prix du gaz demeure au-dessus de son niveau de longue période même si un repli est intervenu durant l’automne. En deux ans, l’indice des prix de l’énergie a augmenté de 40 % et celui de l’alimentation de 18 %. Les prix des biens importés ont progressé de plus de 30 % en un an. Cette hausse n’a été que partiellement répercutée dans les prix des produits finaux. Les salaires commencent à s’ajuster avec des indexations plus ou moins explicites. Ils ont augmenté de 4 % en 2022, contre 2 % avant la crise sanitaire. La hausse devrait se poursuivre dans les prochains mois.

Les États européens maintiennent une politique budgétaire expansive. Le déficit public était voisin de 5 % du PIB en 2022, contre 6 % en 2021. Les mesures de soutien au pouvoir d’achat adoptées après le déclenchement de la guerre en Ukraine ont remplacé celles qui avaient été institué lors de la crise sanitaire. Dans ce contexte, l’inflation sous-jacente continue à augmenter dans la zone euro. Elle est passée de 1 à plus de 6 % de 2021 à 2022. L’inflation a légèrement baissé en novembre du fait de la décrue du cours du pétrole mais elle ne devrait pas diminuer de manière significative avant le printemps.

La BCE pourra-t-elle maintenir sa politique de relèvement modéré des taux quand l’environnement reste globalement inflationniste ? L’inflation pourrait surprendre les investisseurs des marchés financiers qui croient en la résorption rapide de la hausse des prix. La banque centrale risque d’être contrainte d’arbitrer entre les représentants des États d’Europe du Nord qui demande une lutte plus importante contre l’inflation et ceux des États d’Europe du Sud qui souhaitent modérer la hausse des taux afin de ne pas être confrontés à une crise des dettes souveraines. La réponse modérée de ces derniers mois pourrait laisser place à une action énergique plus forte nécessitant la mise en place de mesures anti-fragmentation de la zone euro. Un soutien en faveur des États surendettés et ayant peu de marges budgétaires comme l’Italie ou l’Espagne sera sans nul doute nécessaire.

Une augmentation des taux directeurs en 2023 pourrait avoir des effets limités sur le cours des actions. Les places européennes pourraient bénéficier de la hausse du marché américain qui engrangera les résultats de la baisse de l’inflation et de la stabilisation des taux d’intérêt aux États-Unis. Les indices boursiers américains ont commencé à se stabiliser à la fin de l’année 2022 et pourraient rebondir dès le premier semestre.

Si le dollar s’est apprécié par rapport à l’euro en 2022, il devrait connaitre une évolution inverse en 2023. La FED devrait cesser de relever ses taux quand la BCE continuera à le faire. Le redressement de l’euro en fin d’année 2022 semble anticiper ce mouvement.

De part et d’autre de l’Atlantique, le tempo économique n’est pas le même. L’inflation devrait reculer plus tôt aux États-Unis qu’en Europe. La croissance devrait y être également plus forte. Compte tenu du caractère internationalisé des grandes entreprises européennes, la sortie de l’inflation des États-Unis devrait contribuer à la hausse du cours de leurs actions.

La baisse du cours du pétrole constitue une aubaine pour la zone euro. Un baril de pétrole se situant autour de 70 dollars serait la preuve du ralentissement de l’économie mais il serait une aide non négligeable dans la lutte contre l’inflation.

2023 et la question de la soutenabilité des dettes publiques

Après quelques hésitations, la Banque Centrale Européenne s’est engagée dans la bataille contre l’inflation. Depuis le mois de juillet 2022, l’augmentation cumulée des taux directeurs s’élève à 250 points de base. Cette progression est la plus forte constatée depuis création de l’euro en 1999 sur une période aussi courte. Ce processus devrait se poursuivre durant le premier semestre 2023. Cette hausse de taux pourrait poser la question de soutenabilité des dettes publiques pour certains États membres.

À la fin du mois de décembre 2022, la BCE a clairement indiqué sa volonté de lutter contre l’inflation, provoquant un rebond des taux des obligations d’État. Ce choix est justifié par le maintien d’un taux d’inflation au-dessus de 10 % et par la progression de l’inflation sous-jacente qui dépasse désormais 6 %. Les taux des obligations d’État à dix ans qui ont été en territoire négatif de 2010 à 2021 sont remontés à plus de 2,5 % en 2022. En parallèle aux relèvements des taux directeurs, la Banque centrale a réduit puis supprimé ses rachats d’obligations publiques, ce qui conduit à la hausse des taux. Durant la crise sanitaire, la moitié des obligations des États pouvait être acquise par la banque centrale. En dix ans, la BCE a acheté ainsi pour plus de 5 000 milliards d’obligations d’État et d’entreprises. Son bilan total consolidé est d’environ 8 800 milliards d’euros, contre 1 200 milliards d’euros en 2000. En 2022, le taux de l’Obligation Assimilable du Trésor français est passé de 0,2 % à 3,1 %. Pour le titre équivalent, le taux a atteint en Allemagne, 2,5 % contre -0,1 %, en Italie 4,7 % contre 1,4 %, en Espagne 3,6 % contre 0,7 %. Le risque pour la zone euro est la divergence des taux avec la constitution de deux groupes et donc une fragmentation. La remontée des taux pose pour certains d’États, notamment ceux d’Europe du Sud, la question de la soutenabilité de leur dette publique. Celle-ci est assurée quand le taux d’intérêt réel à long terme, calculé avec le prix du PIB, est inférieur à la croissance potentielle.

L’écart entre croissance potentielle et le taux d’intérêt réel à long terme est positif pour les Pays-Bas (3,10), la Belgique (2,55) l’Allemagne (1,92) et la France (1,16). Il est négatif pour l’Italie (-1,49), la Grèce (-0,28) et pour l’Espagne (-0,05). Il convient de souligner qu’il est positif pour le Portugal (1,47).

La poursuite de la hausse des taux par la BCE pourrait donc poser des problèmes pour l’Italie et la Grèce. Ces dernières devront dégager des excédents primaires importants (solde budgétaire avant imputation des intérêts de la dette publique) pour éviter une dérive des taux, ce qui limitera leurs marges de manœuvres pour compenser les effets de la guerre en Ukraine sur leur population. A contrario, les États comme la France ou l’Allemagne pourront conserver des soldes primaires positifs. Ils devraient être en Allemagne comme en France supérieurs à 2 points du PIB. Il serait négatif de 4 points en Belgique quand il ne le sera que de 0,5 point de PIB en Italie. Plus les taux progresseront, plus les pays confrontés à problème de solvabilité de leurs dette publique devront réduire leur déficit primaire voire dégager des excédents primaires. Ils seront contraints de mettre en œuvre des politiques budgétaires restrictives. Cette situation ne pourra qu’alimenter des tensions politiques au sein de la zone euro.

Face à un risque de fragmentation, les autorités européennes n’auront pas d’autre solution que de s’engager dans la voie d’une mutualisation des dettes publiques afin par exemple d’égaliser les taux d’intérêt à long terme que payent les différents pays. Cette mutualisation permettra de réduire les écarts entre les capacités budgétaires des différents États membres. Elle suppose que les États de l’Europe du Nord acceptent de soutenir indirectement les États de l’Europe du Sud. Elle s’inscrit dans un processus de fédéralisme budgétaire qui s’est amorcé lors de la crise sanitaire.

Chômage et inflation, un couple en difficulté ?

Dans un article intitulé « The Relation between Unemployment and the Rate of Change of Money Wage Rates in the United Kingdom », publié en 1958 dans le journal Economica, l’économiste néo-zélandais William Phillips a révélé une courbe traduisant l’existence d’une relation décroissante entre le taux de chômage et le taux de croissance des salaires nominaux dont dépend l’inflation. La courbe de Philips qui a longtemps été au cœur de l’analyse économique de la relation entre l’emploi et l’inflation, a été améliorée par l’économiste italo-américain, Prix Nobel, Franco Modigliani. Cette relation s’explique de la manière suivante. Quand le chômage baisse, le pouvoir de négociation des salariés augmente, amenant à des hausses de salaires. Pour pouvoir recruter de nouveaux salariés, les entreprises sont contraintes de proposer des salaires plus élevés favorisant la hausse des prix. Cette dernière aboutit à une diminution en valeur réelle des salaires, conduisant les employeurs à continuer à embaucher, les salaires étant supposés progresser moins vite que les prix. Si les salaires augmentent plus vite que les prix, les entreprises réduisent leur recrutement, provoquant une hausse du chômage qui amènera à une baisse des salaires permettant la naissance d’un nouveau cycle. La relation explicative de la courbe de Philips s’appuie ainsi sur une boucle de rétroaction entre l’augmentation des embauches et l’augmentation des salaires. Depuis une vingtaine d’années, les effets de la courbe de Phillips (lien entre chômage, hausse des salaires et inflation) ont été jugés beaucoup plus faibles que dans le passé.

Aux États-Unis, le lien entre taux de chômage et hausse des salaires s’est affaibli à partir de 2008. Les fortes créations d’emploi après la crise financière n’ont pas induit une augmentation des rémunérations. En Europe, ce lien reste relativement stable mais à un niveau faible du fait certainement de la persistance d’un chômage de masse dans plusieurs pays. La moindre sensibilité des salaires à l’évolution du marché de l’emploi est liée à la modification de ce dernier. La polarisation du marché du travail avec de nombreuses créations d’emplois à faible qualification dans le secteur des services et avec des créations moins importantes d’emplois à forte valeur ajoutée, joue un rôle clef dans cette évolution. Le pouvoir de négociation sociale est moindre dans les services et tout particulièrement pour des emplois à faible qualification. La progression des emplois à temps partiel ou du travail indépendant contribue également à la moindre progression des rémunérations salariales. Les employeurs peuvent également arbitrer entre la création d’emplois et l’automatisation.

Avec le retour du plein emploi, avec les départs massifs à la retraite, le lien entre chômage et salaire pourrait redevenir d’actualité. La proportion d’entreprises rencontrant des difficultés à recruter est élevée au sein des États membres de l’OCDE, soit près d’une sur deux en France. Des secteurs comme l’hébergement restauration peinent à trouver des salariés du fait des horaires décalés. Celui du bâtiment rencontre également des difficultés de recrutement. Pour le moment, en Europe, l’augmentation des salaires est inférieure à la hausse des prix : 4 % contre plus de 6 % sur l’ensemble de l’année 2022. Compte tenu de l’atonie de la demande, la capacité des entreprises à relever leurs prix reste relativement faible, toute augmentation des salaires provoquant alors une baisse du taux de marge.

Si elle se poursuit, la baisse du chômage devrait amener une relative amélioration des rémunérations mais la corrélation avec l’inflation serait certainement moins forte que dans les années 1970, années durant lesquelles les règles d’indexation étaient bien plus fortes qu’aujourd’hui.