27 mai 2023

Le Coin de l’Economie – inflation – immigration – transition – croissance – productivité

 

La croissance face à la panne de la productivité

La productivité en zone euro augmente lentement depuis une vingtaine d’années. Elle n’a progressé que de 10 % de 2002 à 2022 et est étale depuis trois ans.Elle est même en baisse au sein de plusieurs États membres comme la France ou l’Espagne depuis 2019. Aux États-Unis, après avoir progressé de 45 % entre 2002 et 2019, elle a connu une contraction de cinq points ces trois dernières années.

En parallèle de la stagnation ou de la baisse de la productivité, l’emploi est en forte progression au sein de l’OCDE. Cette augmentation concerne en premier lieu les emplois non-qualifiés. Par rapport à 2019, le nombre d’emplois est en hausse de 4 %. Le taux de chômage des personnes sans qualification, qui était de plus de 10 % aux États-Unis après la crise des subprimes, est désormais de 5 %. Pour la zone euro, de 2012 à 2022, ce même taux de chômage est passé de 17 à 11 %. L’arrivée sur le marché du travail de personnes à faibles qualification s’explique par l’impossibilité pour les entreprises de recruter des salariés plus qualifiés. Elle est également imputable à des besoins croissants dans les services domestiques (tourisme, restauration, services à la personne, logistique, etc.). Les postes à forte pénibilité et à horaires décalés trouvant moins en moins preneurs, les entreprises peuvent être amenées à doubler les postes. Un recours à plusieurs salariés sur un même poste peut en atténuer la pénibilité. Le recours à des personnes sans qualification, le développement des services domestiques et un plus grand nombre de personnes employées pour un nombre identique de poste amènent une baisse de la productivité. L’essor du télétravail donne lieu à des études contradictoires en matière de productivité. Certaines estiment qu’il n’aurait pas d’incidence sur la productivité quand d’autres soulignent ses effets négatifs. De nombreuses entreprises, notamment américaines, entendent pour autant limiter le nombre de jours télétravaillés.

L’érosion de la productivité est également provoquée par un recul de l’investissement des entreprises depuis la crise des subprimes de 2008-2009. Cette faiblesse de l’accumulation de capital est amplifiée aujourd’hui par le durcissement des conditions du crédit aux entreprises. Ce dernier est en recul depuis le troisième trimestre aux États-Unis comme dans la zone euro.

Un processus de substitution du travail au capital est constaté tant aux États-Unis qu’en zone euro, ce qui signifie une baisse du niveau de gamme de la productoin. Cette évolution des économies occidentales si elle se poursuit devrait réduire le taux de la croissance potentielle. Pour inverser la tendance, un effort important devrait être réalisé au niveau de l’enseignement et de la formation. La priorité devrait être également donnée à la recherche & développement ainsi qu’à l’innovation.

Inflation, un danger pour la cohésion sociale

L’inflation est un danger pour l’économie car elle est une source d’inégalités et remet en cause la sincérité des échanges. Elle génère, en effet, des effets de rente ou d’aubaine pour certains acteurs au détriment des autres. De tout temps, les pouvoirs publics et les instituts d’émission monétaire craignent l’inflation qui corrompt la monnaie et provoque des tensions sociales. Elle est d’autant plus crainte que son sevrage est difficile et nécessite une rigueur difficilement supportable par les consommateurs.

Lors de la dernière grande période d’inflation provoquée par les deux chocs pétroliers de 1973 et de 1980, les gouvernements avaient alors procédé à la désindexation des salaires. Depuis le milieu des années 1980, que ce soit en zone euro ou aux États-Unis, les salaires ne suivent plus ou que partiellement les prix. Cette mesure de désinflation a cassé les spirales inflationnistes. Elle a pour conséquence une baisse du pouvoir d’achat des salariés depuis 2022. Cette baisse atteint 3 à 4 points. Elle a été en partie compensée par les États qui ont mis en place des mesures de soutien (chèque énergie par exemple). La contraction du pouvoir d’achat n’est pas homogène. Certains salariés peuvent bénéficier de revalorisations salariales quand d’autres n’y ont pas accès. Ces différences peuvent être liées à la présence ou non de syndicats ou de la capacité des entreprises à répercuter sur leurs produits ou prestations les hausses de prix.

Depuis le début de la nouvelle vague d’inflation, aussi bien en zone euro qu’aux États-Unis, les entreprises ont réussi à sauvegarder leurs profits après taxes et intérêts et avant dividendes, semblant confirmer que le partage de la valeur ajoutée s’est effectué au détriment des salariés. Comme pour les salariés, la situation est hétérogène. Certaines entreprises subissent des fortes hausses de leurs coûts de production au point de devoir réduire cette dernière. Depuis le début de la guerre en Ukraine, des entreprises sidérurgiques, des entreprises de produits agroalimentaires ont ainsi été amenées à fermer leurs usines pendant plusieurs semaines. En période d’inflation, des entreprises peuvent, au contraire, bénéficier d’effets de rente. Les entreprises pétrolières ont ainsi augmenté fortement leurs profits en lien avec la hausse des cours de l’énergie.

Les épargnants sont perdants car les taux d’intérêt augmentent moins vite que l’inflation. Les banques centrales relèvent leurs taux directeurs avec beaucoup de prudence afin d’éviter des problèmes de solvabilité pour les États. Les taux d’intérêt réels sont ainsi négatifs, en particulier en zone euro. En France, où l’épargne financière est investie à plus de 60 % en produits de taux, de nombreux ménages subissent ainsi une dépréciation de la valeur de leur patrimoine.

La hausse des taux d’intérêt entraîne la baisse du prix de l’immobilier et rend plus difficile son acquisition. Lors de la précédente vague de hausse des prix, l’indexation des salaires avait facilité l’achat de logement. Même si les taux étaient élevés, les salaires augmentaient à due concurrence des prix quand la valeur du capital des emprunts étaient dépréciée. Ce phénomène ne joue pas actuellement et cela d’autant moins que les banques ont resserré les conditions d’accès aux crédits.

La lutte contre l’inflation suppose à la fois une réduction des dépenses d’investissement et de consommation. La hausse des taux réduit les capacités d’emprunt pour les investissements et la dégradation du pouvoir d’achat diminue la consommation. La contraction de la demande doit amener un assagissement des prix en l’absence de chocs extérieurs. Ce processus touche plus les ménages modestes que ceux ayant des revenus élevés. La tentation des pouvoirs publics est d’adopter des mesures de soutien aux ménages afin d’atténuer le processus récessif provoqué par la hausse des taux. Ce soutien se doit d’être sélectif, faute de quoi il limitera les effets de la politique monétaire.

Immigrations, comment dépasser les préjugés ?

Dans plusieurs États européens, une forte pression pour limiter les flux migratoire se développe. Or, face à la multiplication des pénuries de main-d’œuvre dans un contexte de dénatalité, le recours aux travailleurs immigrés apparaît nécessaire.

Le vieillissement est rapide en Europe. Le solde naturel, différence entre le nombre de naissances et celui des décès, devient négatif dans la grande majorité des États membres de l’Union européenne. Dans l’ensemble de l’Union européenne, en 2022, le nombre de décès excédait celui des naissances de 1,2 million. En Allemagne, comme en Italie, le solde naturel est négatif de 300 000. Il est négatif de 200 000 en Espagne. Le solde reste légèrement positif pour la France (100 000).

En extrapolant les dernières statistiques, la population totale reculera, d’ici 2050, de 7,5 % en Allemagne, de 7,0 % en Espagne, de 14,2 % en Italie et de 8,1 % dans l’ensemble de l’Union européenne si le recul du nombre de naissances par rapport aux décès n’est pas compensé par une immigration importante. En France, elle devrait continuer de croître 3 %.

Dans tous les pays européens, la population en âge de travailler  (20-64 ans) diminuera d’ici 2050. Au niveau de l’Union européenne, elle passera de 280 à 230 millions de 2022 à 2050. En Allemagne, les 20-64 ans seront 42 millions en 2050, contre 50 en 2022. Les chiffres respectifs sont pour la France 36 et 33 millions, pour l’Espagne 29 et 22 millions, pour l’Italie 36 et 26 millions.

Le recul de la population en âge de travailler de 2022 à 2050 serait de :

  • 14 % en Allemagne ;
  • 7 % en France ;
  • 28 % en Espagne ;
  • 26 % en Italie ;
  • 18 % dans l’Union européenne.

La population en âge de travailler (20 à 64 ans) reculera bien plus vite que celle de la population totale entre 2022 et 2050, l’écart d’évolution entre les deux catégories étant de :

  • 7 points en Allemagne ;
  • 10 points en France ;
  • 21 points en Espagne ;
  • 12 points en Italie ;
  • 10 points dans l’Union européenne.

Moins d’actifs, plus de personnes à la retraite, signifie une baisse de la croissance potentielle. Un tel phénomène est sans précédent en période de paix. La Première Guerre mondiale en réduisant le nombre de jeunes actifs avait désorganisé les circuits de production durant l’entre deux guerre. Cette situation avait conduit à l’augmentation du travail féminin.

Toute chose étant égale par ailleurs, le processus en cours appelé à s’amplifier devrait provoquer un affaiblissement du revenu par tête. La stagnation des gains de productivité ne permettrait pas de compenser l’attrition de la population en âge de travailler. Le recours à des politiques natalistes a des effets aléatoires et différés dans le temps. L’abandon de la politique de l’enfant unique en Chine ne s’est pas accompagné d’un véritable essor démographique. En Russie, les politiques favorables à la natalité n’ont pas donné de résultats tangibles. Même en cas de remontée de la natalité, avant que celle-ci ait des effets concrets en termes de production, il faudra attendre 25 ans.

Pour limiter le recul du ratio de la population en âge de travailler à la population totale, le recours à l’immigration paraît être une solution efficace. À l’exception de l’Allemagne et de l’Espagne, depuis une quinzaine d’années, les pays européens ont limité leurs flux migratoires. Les besoins en main-d’oeuvre sont immédiats pour plusieurs secteurs comme ceux de la santé, du bâtiment ou des loisirs (hergément-restauration) ou de l’informatique. En France, les déficits peuvent également concerner les métiers de la métallurgie. Avec les départs massifs à la retraite, ces besoins seront croissants. L’apport de travailleurs immigrés est une nécessité pour maintenir la qualité des services et du niveau de production. Contrairement à quelques idées reçues, une immigration importante ne pèse pas sur les salaires. Faire appel à des travailleurs étrangers reviendrait à priver les pays formateurs d’une population active de qualité, mais en règle générale, ces pays connaissent une forte augmentation de leur population. L’économie augmentant à un rythme moindre, elle n’est pas capable d’intégrer la totalité des flux de nouveaux actifs. L’émigration génère des échanges et participe au processus de diffusion des connaissances et des cultures. Il y a un enrichissement mutuel entre pays d’émigration et pays d’immigration. Les flux financiers des travailleurs immigrés vers leur pays d’origine participent au développement de ces derniers. Ces travailleurs sont accusés de coûter cher en prestations sociales pour les pays d’accueil. Ce mythe tenace n’a jamais été vérifié par des études statistiques. Les travailleurs immigrés sont plus jeunes que la moyenne de la population d’accueil et consomment de ce fait moins de frais de santé. Ils ont tendance par ailleurs à faire moins appel que le reste de la population aux soins. Les éventuels problèmes sont avant tout liés aux deuxième ou troisième générations qui rencontrent des difficultés d’insertion. Ces difficultés ne sont pas spécifiques aux personnes dont les aïeux sont d’origine étrangère et reflètent les dysfonctionnement de notre système éducatif et de formation.

Le rejet de l’immigration n’est pas un phénomène nouveau. La France dont le déclin de la natalité s’est amorcé au cours du XIXe siècle a fait appel à l’immigration pour assurer son développement économique, immigration qui a donné lieu à des réactions parfois violentes de la part de la population locale. Le 17 août 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes un pogrom a été organisé avec, à la clef, une centaine de victimes (morts ou blessés) parmi les ouvriers italiens. Après la Première Guerre mondiale, pour remplacer les jeunes soldats tués durant les combats, le recours à la main-d’œuvre étrangère ou en provenance de l’empire colonial est devenu nécessaire. Des tensions xénophobes se sont multipliées dès les années 1920. Avec la grande crise, des centaines de milliers de salariés ont été obligés de repartir de France. Après la Seconde Guerre mondiale, la forte croissance économique a nécessité un nouveau recours à l’immigration, portugaise, espagnole et maghrébine. Des tensions épisodiques ont persisté à l’encontre des travailleurs étrangers. Avec l’augmentation du chômage, au début des années 1980, elles se sont durcies. Les relations complexes de la France avec sa population immigrée est aussi un problème d’altérité de confiance en soi. En 2023, un débat de non-dit s’est imposé : avec d’un côté, un refus de plus en plus dur de toute immigration et, de l’autre, des besoins plus importants nécessitant de faire appels aux travailleurs immigrés qualifiés ou non plus, besoins en lien avec ceux de la population qui souhaite par exemple être soignée et disposer d’aides à la personne ou d’artisans en temps réel.

La transition énergétique sera-t-elle fiscale ou pas ?

Commandé par Elisabeth Borne et publié lundi, le rapport de Jean Pisani-Ferry et de l’inspectrice des finances Selma Mahfouz a évalué que la transition écologique nécessiterait un investissement supplémentaire de 66 milliards d’euros par an, dont 34 milliards d’euros assumés par les finances publiques. La transition énergétique devrait, en outre, occasionner une perte de recettes publiques en lien avec le recul progressif des taxes sur les énergies fossiles qui ont représenté 35 milliards en 2021.

Pour financer la transition énergétique, les auteurs du rapport proposent une taxe exceptionnelle et temporaire de 5 % sur la valeur du patrimoine financier des 10 % des Français les plus riches. Prélevée en une fois, elle rapporterait, selon eux, 150 milliards d’euros sur trente ans, soit 5 milliards par an. Cette taxe reviendrait à instituer un super ISF. Ils proposent également une hausse de l’endettement de 250 à 300 milliards d’euros cumulés d’ici 2030, soit un accroissement de 10 points de PIB supplémentaires.

Bruno Le Maire a exclu l’accroissement des impôts sur les Français les plus aisés, « les 10 % des Français les plus riches paient déjà 75 % de l’impôt sur le revenu ». Le ministre de l’Économie et des Finances se prononce en faveur du verdissement de la fiscalité (suppression des niches fiscales sur les énergies fossiles, alourdissement des taxes et autres malus sur les véhicules thermiques), la mobilisation de l’épargne des Français avec notamment la création du nouveau plan d’épargne avenir climat, le financement par les entreprises et de la mobilisation des banques, comme la Banque européenne d’investissement (BEI) qui « doit devenir la banque du climat ». La Première Ministre a confirmé le vendredi 26 mai qu’elle n’entendait pas créer de nouvel impôt pour financer la transition….