18 février 2023

Le Coin de l’Economie : inflation – Inde – Chine – productivité

Les marchés financiers sont-ils en proie à un optimisme déraisonné ?

Les marchés financiers ne pensent pas mais peuvent réaliser des erreurs. Depuis le mois de décembre, la tendance est à la hausse rapide des indices, le CAC40 ayant même battu le 16 février dernier son record du mois de janvier 2022. Les indices ont fréquemment six mois d’avance sur la conjoncture. A en croire leur évolution, un rebond économique est à attendre pour le second semestre. Les investisseurs anticipent depuis plusieurs semaine la fin de l’épisode inflationniste et donc de celui de la hausse des taux. Leur optimisme peut-il être contredit pas les évènements ?  Plusieurs facteurs pourraient, en effet, les amener prochainement à plus de réalisme, l’évolution de l’inflation sous-jacente, la baisse de la productivité, le faible taux de chômage.

Aux États-Unis, l’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) baisse lentement, et il n’est même pas sûr que cette baisse se prolonge en raison des coûts salariaux unitaires qui augmentent rapidement avec le recul de la productivité du travail. Dans la zone euro, cette inflation sous-jacente continue à augmenter. Elle accélère depuis la fin de l’année 2022. La décrue des indices des prix s’explique avant tout par une baisse du cours de l’énergie, baisse qui pourrait n’être que temporaire. La diminution de la production russe, prévue pour le mois de mars, a provoqué une hausse de 8 dollars du cours de baril Brent au début du mois de février.

Cette baisse de l’inflation a entraîné le repli des taux des valeurs monétaires et obligataires, les investisseurs considérant que la fin du durcissement des politiques monétaires était proche. Or, ces derniers ont surestimé la vitesse de la désinflation.

Aux États-Unis, l’inflation sous-jacente ne recule que lentement, soit -0,4 point de novembre 2022 à janvier 2023 en rythme annuel. Cette baisse pourrait être, en outre, remise en cause avec le recul de la productivité du travail et la progression des coûts salariaux unitaires. La productivité diminue de 2 % en rythme annuel à la fin de l’année dernière. De son côté, le coût salarial unitaire augmentait de près de 7 % par an en décembre 2022. À 3,4 %, le taux de chômage aux États-Unis est au plus bas depuis 50 ans. S’il a légèrement baissé depuis le mois de septembre, le ratio des emplois vacants par rapport au nombre de demandeurs d’emploi reste néanmoins à un niveau historiquement élevé (1,8 en janvier 2023 contre 1,3 en décembre 2019). Dans ce contexte, une réelle inflexion, au niveau de l’inflation, ne pourrait survenir qu’au cours du second semestre, voire en 2024, après digestion par l’ensemble des acteurs économiques des hausses de prix.

Pour la zone euro, la situation est encore plus compliquée. L’inflation sous-jacente n’a pas encore commencé à diminuer. Sa progression s’explique par le recul des gains de productivité et par l’augmentation assez vive des coûts salariaux. La productivité par tête est en recul de 3 points entre 2019 et 2022 au sein de la zone euro. Le coût salarial unitaire y est en hausse de 4 % l’an à la fin 2022. Le taux de chômage y était de 6,6 % à la fin de l’année dernière et près d’une entreprise sur deux rencontraient de difficultés de recrutement. Les tensions sur le marché du travail devraient favoriser la hausse des salaires. Faute de pouvoir compter sur des gains de productivité, les entreprises devraient augmenter cette année leurs prix après avoir réduit leurs marges en 2022. La multiplication des revalorisations salariales ne peut qu’amplifier ce processus. L’inflation sous-jacente peinera à baisser avant le début de l’année 2024. La diminution de l’indice des prix en 2023 ne sera dû qu’à un effet base, les prix des matières premières, des produits agricoles et de l’énergie ayant augmenté de manière importante en 2023.

L’inflation sous-jacente restera, sans nul doute, plus élevée que prévu en 2023, obligeant les banques centrales à durcir leur politique monétaire plus longtemps qu’envisagé. Ce report de la baisse de l’inflation pourrait conduire à des arbitrages au détriment des actions au cours de l’année avec à la clef une volatilité accrue.

L’Inde peut-elle remplacer la Chine comme moteur de l’économie mondiale ?

De 1999 à 2014, la Chine a été le moteur de l’économie mondiale, sa croissance représentant presque 2 points de la croissance mondiale, soit la moitié de celle-ci. La progression de ses exportations expliquait à elle seule la moitié de celle du commerce international. Cette période semble s’achever. La Chine est confrontée à un ralentissement structurel de sa croissance. Ce fléchissement tient notamment au vieillissement de sa population, à l’essor de l’épargne de précaution des ménages et à la crise de l’immobilier avec le probable ralentissement des gains de productivité. Le rôle de locomotive de l’économie mondiale peut-il être repris par l’Inde qui est devenue le pays le plus peuplé de la planète ?

La croissance potentielle de la Chine est passée de 8,5 % dans la période de 2001 à 2011, à 3 % aujourd’hui, et à 1,8 % dans les années 2025-2030. Depuis 2020, la population active de ce pays diminue de 0,5 % par an. La productivité qui progressait de plus de 5 % par an se situe désormais autour de 1 %. Le taux d’épargne des ménages qui était de 25 % au début du siècle dépasse désormais 30 % du revenu disponible brut. Cette hausse résulte de la faiblesse des dépenses publiques en faveur des retraites et de la santé. La première n’absorbe que 5 % du PIB, contre 13,8 % en France. La seconde représente 2,2 % du PIB contre plus de 8 % au sein de la zone euro. Pour préparer leur retraite, les ménages chinois ont investi dans l’immobilier provoquant une bulle immobilière. Plus de 60 millions de mètres carrés sont construits chaque année depuis une dizaine d’années contre moins de 20 millions en 1998. Les Chinois qui partent à la retraite sont conduits à vendre leurs biens immobiliers, ce qui devrait entraîner une chute des prix. Cette dernière pourrait être accentuée par le fait que de nombreux logements sont inoccupés.

La population de l’Inde a récemment dépassé celle de la Chine et compte plus de 1,4 milliard d’habitants. La croissance de l’Inde qui était jusque dans les années 2012 inférieure à celle de la Chine la dépasse désormais. Elle lui était même en 2022 deux fois supérieure.

Malgré une tradition protectionniste, l’Inde tend à s’ouvrir au commerce mondial. Les importations représentent désormais 30 % de son PIB mais son économie demeure de taille modeste, 30 à 40 % de celle de la Chine. Les importations indiennes représentent 3 % de celles du monde (11 % pour celles de la Chine).

L’Inde devrait conserver un fort taux de croissance durant de nombreuses années. La croissance indienne est tirée à la fois par l’investissement et la consommation. Les exportations commencent par ailleurs à progresser. Le taux de croissance de ces dernières dépasse désormais 10 %. En revanche, l’Inde demeure fragilisée par des problèmes structurels récurrents. La proportion des diplômés du secondaire et de l’enseignement supérieur demeure modeste, moins du quart de la population active. En dix ans, ce ratio a néanmoins gagné 10 points. Le taux d’emploi des femmes reste faible, moins d’un tiers d’entre elles ont un emploi. Ce taux était de 18 % en 2002. Le taux d’emploi des hommes est en revanche correct à 77 %. Le taux de chômage reste malgré tout élevé autour de 8 %. Les infrastructures indiennes demeurent en grande partie absentes ou défaillantes. La production d’électricité par habitant est six fois plus faible qu’en Chine.

L’Inde est engagée dans un processus de réel rattrapage économique avec des gains de productivité élevés, autour de 5 % par an, ce qui lui permettrait de jouer un rôle de plus en plus important au sein de l’économie mondiale, sous réserve de réduire les inégalités qui minent la société et d’opter pour un développement ouvert, ce qui ne fut pas toujours le cas dans le passé.

Le mystère de la baisse de la productivité en France

La croissance dépend de l’évolution de la population active, des investissements et de la productivité. Or, la France est un des grands pays de la zone euro dans lequel la productivité du travail recule le plus. En trois ans, la baisse atteint trois points. Si ce recul de la productivité persiste, la croissance potentielle de la France deviendra négative. Faute de productivité, le financement des régimes de protection sociale sera de plus en plus complexe. La France pourrait être confrontée à un problème de dette souveraine, les investisseurs rechignant à prêter à un pays ayant une croissance potentielle négative.

La France se différencie de ses partenaires par un recul important de la productivité par tête en France. Elle a, en effet, baissé de 2,9 % depuis 2019, contre -0,2 % en Allemagne. Elle a augmenté de 1,2 % en Italie. Seule l’Espagne enregistre un plus mauvais résultat que la France avec une contraction de 4 %. Le recul de la productivité du travail en France est dû pour 30 % au recul de la durée du travail par salarié et pour 70 %, au recul de la productivité horaire du travail.

En l’absence de progression de la productivité du travail en France, la croissance potentielle de la France sera nulle ou négative, puisque les projections de population active montrent que cette dernière devrait être stable puis déclinante d’ici la fin de la décennie. Une telle évolution de la productivité remettrait en cause les prévisions du Conseil d’orientation des retraites qui repose sur une croissance de cette dernière de 0,7 % par an entre 2021 et 2050. Sans croissance, les déficits publics devraient augmenter assez rapidement. La perte de PIB est évaluée à plus de 6 % sur sept ans en cas d’absence de gains de productivité. Un risque de décrochage rapide de l’économie française pourrait intervenir avec un risque de défiance de la part des investisseurs étrangers vis-à-vis de la dette publique.

L’évolution de la productivité dépend notamment du rapport des Français au travail. La baisse de la durée du travail amorcée en 2012 semble irréversible. Ce temps de travail a diminué de 4 % en dix ans. La baisse des gains de productivité est manifeste depuis le début du siècle. Elle peut s’expliquer par l’évolution de la structure de l’économie française, de moins en en moins industrielle et de plus en plus dépendante des services domestiques. L’industrie représentait 9 % du PIB en 2022, contre 24 % à la fin des années 1970. Les gains de productivité sont moindres dans le tertiaire que dans le secondaire. La baisse du taux de chômage (7,2 % en 2022) et la hausse du taux d’emploi concernent surtout les salariés peu qualifiés qui ont un niveau de productivité faible. Le taux d’emploi a gagné près de 3 points en trois ans. Les secteurs de la logistique et des transports ont créé de nombreux emplois ces dernières années. Depuis la crise sanitaire, les Français sont moins enclins à occuper des emplois à horaires décalés ou pénibles. Les entreprises sont contraintes de doubler les postes ou d’augmenter les rémunérations pour maintenir leurs effectifs. Compte tenu des pénuries de main-d’œuvre, les entreprises renoncent à licencier en période de sous-activité de peur de ne pas pouvoir recruter ultérieurement. Ce phénomène est assez marqué dans l’industrie qui n’a pas retrouvé son niveau d’avant le covid et qui n’a pourtant pas réduit ses effectifs. Avec la disparition des goulets d’étranglement, la production industrielle devrait augmenter avec une progression de la productivité. Le recul de celle-ci depuis 2019 est concentré dans le secteur du matériel de transport (-35 % pour la productivité par tête entre 2019 et 2022). Malgré tout, la baisse de la productivité a également touché les services aux entreprises et ceux aux ménages.

Si plusieurs facteurs peuvent expliquer le recul de la productivité en France, ce phénomène n’est pas constaté avec la même ampleur dans les autres pays européens, exception faite de l’Espagne. L’Allemagne avec une industrie plus puissante que celle de la France aurait dû être confrontée à une forte baisse de la productivité compte tenu des problèmes rencontrés dans l’approvisionnement des biens intermédiaires après la crise sanitaire. Or, tel n’a pas été le cas. L’Italie a, de son côté, réussi à augmenter sa productivité ces dernières années. Il y a donc un mystère autour de la productivité de la France que la question de l’appétence au travail ne parvient pas à expliquer à elle seule.