Le Coin de l’Economie – plein emploi – inflation – monde sous tensions
Quand le plein emploi pose un problème
Les entreprises rencontrent des difficultés croissantes de recrutements aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro. Ces difficultés sont multiples. Les employeurs doivent faire face à une pénurie de main d’œuvre en lien avec des problèmes de formation ou avec des problèmes de conditions de travail ou de rémunération. Avec la crise sanitaire, ils ont accumulé un retard non négligeable au niveau du recrutement. Cette situation sans précédent depuis une quarantaine d’années peut rendre en partie inopérantes les hausses de taux des banques centrales décidées pour ralentir la hausse des prix en freinant la demande.
Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, à la fin du premier trimestre 2022, la population active n’avait pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. L’écart était d’un point pour les premiers et de deux points pour le second. À l’inverse, la population active de la zone euro a retrouvé son niveau d’avant-crise. Néanmoins, l’emploi dans l’hôtellerie et la restauration a chuté de 15 % de 2020 à 2022 au sein de la zone euro. Les salariés sont de plus en plus nombreux à refuser les emplois à horaires atypiques, mal rémunérés ou à forte pénibilité. Convaincus de pouvoir trouver des emplois correspondant à leurs attentes, ils délaissent les emplois des secteurs de la restauration, de l’hôtellerie, du bâtiment, de la santé et des transports. Aux États-Unis, plus de 50 % des entreprises ont indiqué des problèmes de recrutement. Ce taux est supérieur à 40 % en France. Il monte à plus de 60 % dans le secteur du bâtiment.
Les tensions sur le marché de l’emploi rendent plus difficile la mise en œuvre de politiques monétaires restrictives. Face à une inflation qui atteint 8 %, les banques centrales ont décidé d’augmenter les taux et de supprimer les rachats d’obligations afin de ramener le taux d’inflation à 2 % d’ici 2024. Logiquement, une hausse des taux directeurs amène une réduction de la demande en renchérissant le coût des crédits. Cette moindre demande est censée provoquer une hausse du chômage qui induit une modération des salariés.
Avec, au sein des pays occidentaux, de nombreux départs à la retraite, malgré le ralentissement de la croissance, les entreprises sont contraintes de recruter. Dans un contexte de stagnation voire de déclin de la population active, elles ne pourront pas réduire les salaires, voire elles seront contraintes de proposer de meilleures rémunérations. Le contexte démographique réduit l’efficacité de la politique monétaire. Afin d’atteindre l’objectif des 2 % d’inflation, les banques centrales pourraient être amenées à relever plus fortement leurs taux directeurs. Cette solution a comme limite le risque d’une crise des dettes souveraines. Les États surendettés seront mis sous tension en cas de hausse rapide des taux. Par ailleurs, les établissements financiers s’ils sont favorables à une augmentation progressive des taux, mais sont, en revanche opposés à des relèvements importants de manière brutale.
Les banques centrales qui, depuis la crise financière de 2008, jouent un rôle clef dans l’élaboration des politiques économiques, sont aujourd’hui confrontées à de véritables dilemmes : la lutte contre l’inflation, la croissance, la solvabilité des États et de la sphère financière.
L’inflation peut-elle s’emballer en zone euro ?
Les anticipations d’inflation dans la zone euro restent aujourd’hui faibles pour 2023 et 2024, mais cette situation pourrait être amenée à évoluer rapidement. Les entreprises n’ont pas, en effet, répercuté la hausse de prix des intrants et elles sont confrontées à des demandes croissantes de revalorisation des salaires. L’Europe pourrait subir à la rentrée de septembre une nouvelle augmentation du prix de l’énergie et des matières premières, hausse d’autant plus importante que l’euro s’est déprécié parrapport au dollar.
Les investisseurs estiment que l’inflation au sein de la zone euro devrait revenir progressivement autour de 2 % d’ici 2024. Ils ne parient pas sur un emballement des prix dans les prochains mois. Pour autant, plusieurs risques pourraient déboucher sur un scénario d’une toute autre nature. Les entreprises européennes devront, faute de gains de productivité suffisants, répercuter la hausse de leurs coûts. Pour le moment, elles rognent sur leurs marges à la différence des entreprises américaines qui ont relevé rapidement leur tarif. La demande plus faible en Europe et le caractère concurrentiel du marché unique expliquent le décalage dans la répercussion de l’augmentation du coût des intrants. Moins de la moitié de celle-ci aurait été transmise aux prix finaux. Les salaires augmentent moins vite en Europe qu’aux États-Unis mais ce décalage pourrait s’estomper dans les prochains mois. La hausse est de 3 % en zone euro contre 5 % aux États-Unis. Avec la multiplication des pénuries de main d’œuvre, les tensions salariales pourraient s’accentuer. Les politiques des gouvernements européens alimentent l’inflation. Les mesures de soutien du pouvoir d’achat favorisent la demande et contribuent donc à l’augmentation des prix au moment où l’offre de biens et services est contrainte par les problèmes de main d’œuvre. La demande est également soutenue par la réduction, certes lente mais réelle, de l’effort d’épargne. La guerre en Ukraine a accentué une situation de rareté au niveau de l’énergie que les pays producteurs organisent depuis plusieurs années. Le sous-investissement dans ce secteur pourrait également se traduire par une incapacité à augmenter la production en tant que besoin. Si la crise ukrainienne a renchéri le coût du pétrole et du gaz, elle ne saurait masquer un phénomène structurel de hausse des prix des matières premières et de l’énergie. Le recours croissant aux énergies renouvelables stimulela demande de métaux rares dont les prix sont, de ce fait, en forte croissance. La dépréciation de l’euro par rapport au dollar, occasionnée par la divergence des politiques monétaires et l’écart de croissance de part et d’autre de l’Atlantique, alimente également l’inflation en renchérissant le prix des importations. L’euro a perdu 15 % de sa valeur depuis le 1er janvier 2022.
La BCE croit à un assagissement progressif de l’inflation et essaie de temporiser au maximum pour éviter des hausses brutales des taux qui pourraient tout à la fois casser le peu de croissance qui demeure et générer des tensions au niveau des dettes publiques de la zone euro. Si ce souhait ne se réalisait pas, elle serait contrainte de réagir rapidement avec force, ce qui ne serait pas sans danger.
Un monde sous tension
Après un arrêt sur image sans précédent, l’économie mondiale a connu un bref épisode d’euphorie en 2021, rapidement interrompu par la guerre en Ukraine. Des signes avant-coureurs en fin d’année dernière signalaient que l’économie était déjà à la peine du fait des problèmes récurrents d’approvisionnement et de recrutement. Les pays occidentaux butent sur une insuffisance de bras et sur un surcoût de l’énergie, ces deux facteurs étant la clef de toute croissance.
Aux États-Unis, la moitié des entreprises rencontre des difficultés de recrutement. En France, ce taux est de 40 %. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, le taux d’emploi en 2022 n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise sanitaire. Dans de nombreux pays, les salariés refusent les emplois pénibles, à horaires atypiques et à faible rémunération. La démographie des pays occidentaux et celle de la Chine se traduiront, dans les vingt prochaines années, par un fort vieillissement de la population et une diminution de la population active.
Depuis la crise sanitaire, la demande s’est déformée en faveur de l’industrie. Les besoins en équipements électroniques et en biens d’équipement se sont accrus. La transition énergétique accentue cette tendance. Les économies doivent faire face à la désorganisation des chaînes d’approvisionnement. La persistance de l’épidémie et de la politique du zéro covid en Chine provoque des goulets d’étranglement. La rareté de l’énergie, des matières premières et des semi-conducteurs ainsi que l’insuffisance de la capacité des transports génèrent des augmentations de prix. L’éclatement des chaînes de valeurs amplifie ce phénomène. La relocalisation souhaitée par de nombreux acteurs bute sur des problèmes d’investissement et de main d’œuvre disponible.
Cette nouvelle donne économique peut attiser les tensions au sein des États. Les demandes de revalorisations salariales devraient se multiplier tout comme le souhait des populations de ne pas supporter la taxe inflationniste. Elle peut provoquer d’amples réactions sociales parmi les pays pauvres importateurs d’énergie, de matières premières et de produits agricoles. Les pressions sur l’OPEP de la part des pays occidentaux devraient également s’accroître afin d’obtenir une augmentation de la production. Pour éviter une déstabilisation d’un certain nombre d’États en développement, les institutions multilatérales pourraient être amenées à mettre en œuvre des plans de soutien et de rééchelonnement des dettes. La hausse des taux en Occident pourrait occasionner des défauts de paiement parmi les pays pauvres, intensifiant les risques de tensions sociales et géopolitiques.