13 août 2022

Le Coin de l’Economie – politique monétaire – croissance – rentabilité du capital – épargne

La France toujours en mode croissance

Les conjoncturistes avaient sous-estimé la croissance du deuxième trimestre en n’anticipant pas la remontée des recettes liées au retour des touristes étrangers. Le PIB s’est accru de 0,5 % le trimestre dernier, contre 0,2 % attendu. Pour le troisième trimestre qui englobe la saison estivale, les prévisionnistes restent prudents. La légère détente du prix des carburants et la confirmation de l’embellie du tourisme international pourraient néanmoins permettre un taux de croissance plus élevé que prévu. Dans sa note du mois d’août, la Banque de France prévoit une croissance tout juste positive pour le troisième trimestre.

L’activité au mois de juillet, quasi-stable dans l’industrie, a, selon les économistes de la banque centrale, progressé dans les services marchands couverts par l’enquête, notamment grâce à la vigueur des services à la personne, mais s’est contractée dans le bâtiment. Pour le troisième mois consécutif, les difficultés d’approvisionnement se tassent légèrement mais restent élevées dans l’industrie (57 % en juillet après 59 % en juin) et le bâtiment (48 % après 52 %).  Pour le mois d’août, les chefs d’entreprises font état de perspectives plus défavorables dans l’industrie et le bâtiment, sans qu’on puisse en déduire une inflexion de tendance. Dans les services marchands, l’activité continuerait cependant à progresser. Les carnets de commandes restent globalement bien garnis.

Selon les chefs d’entreprises interrogés par la Banque de France, la production en juillet serait en forte hausse dans l’industrie chimique, les équipements électriques, l’informatique et l’agro-alimentaire. À l’inverse, dans l’automobile, le caoutchouc-plastique et le textile-habillement, l’activité s’inscrit en net recul par rapport au mois précédent.  Dans l’ensemble de l’industrie, le taux d’utilisation des capacités de production évolue peu et se situe à 78 % en juillet. Dans la plupart des secteurs, il se situe au-dessus de sa moyenne historique, à l’exception principale de l’aéronautique et autres transports (écart de – 5 points), de l’automobile (écart de – 6 points), et de la pharmacie (écart de – 4 points).

Dans les services marchands, l’activité progresse de nouveau en juillet, à un rythme plus élevé que celui anticipé par les chefs d’entreprise le mois dernier. Ce regain de dynamisme concerne la plupart des services aux particuliers (réparation automobile, location de véhicules, et hébergement). Parmi les services aux entreprises, les activités d’édition, de conseil en gestion et les services techniques affichent de fortes croissances, tandis que la publicité et les services juridiques et comptables s’inscrivent en recul.

L’activité se contracte en juillet dans le secteur du bâtiment, conformément aux anticipations exprimées par les chefs d’entreprises le mois dernier. Ce secteur doit faire face à une pénurie de biens intermédiaires et à une augmentation des prix qui dissuadent quelque peu certains clients.

En août, selon les anticipations des entreprises, l’activité se replierait dans l’industrie et le bâtiment, et progresserait dans les services marchands. L’opinion sur la situation des carnets de commandes se contracte légèrement en juillet dans l’industrie, et se stabilise dans le bâtiment. Les niveaux actuels demeurent par ailleurs, dans les deux cas, très supérieurs à leur moyenne de long terme. Les difficultés d’approvisionnement diminueraient, conduisant à de moindres tensions sur les prix. Cette dynamique d’ensemble masque des différences entre secteurs. La part des entreprises indiquant des difficultés d’approvisionnement recule de façon plus marquée dans la métallurgie, les équipements électriques et l’automobile. A l’inverse, les difficultés se renforcent dans la pharmacie et les autres produits industriels.

25 % des chefs d’entreprise dans l’industrie manufacturière déclarent avoir augmenté leur prix de vente en juillet, soit un peu moins que prévu le mois dernier (29 %). Cette proportion est particulièrement élevée dans l’agro-alimentaire, la chimie, l’industrie du bois, papier et imprimerie. Elle s’élève à 30 % pour les entreprises du bâtiment, et à 25 % pour les services marchands. Les perspectives pour août suggèrent un nouveau recul de la proportion de hausses de prix dans l’industrie (14 %) et les services (17 %), et une stabilisation dans le bâtiment (30 %).

Les problèmes de recrutement se contracteraient légèrement tout en restant à un niveau élevé. 58 % des chefs d’entreprise seraient concernés (-3 points en un mois dans le bâtiment et -1 point dans l’industrie). Parmi les dix secteurs présentant les plus fortes proportions de difficultés de recrutement en juillet, sept correspondent à des activités de services aux entreprises : services techniques (architecture et ingénierie), programmation, intérim, services d’information et nettoyage sont les plus affectés. Dans l’industrie, les plus fortes difficultés de recrutement se situent dans l’aéronautique.

Les premières indications sur la période estivale soulignent une forte activité dans les transports et des taux de remplissage des structures d’hébergement élevé. La restauration serait en retrait. Les vacanciers réduiraient leurs dépenses de loisirs et de sortie au profit des achats en grande surface. Le développement des locations saisonnières induit des changements dans leur comportement de consommateur.

L’épargne toujours indispensable !

La France comme les autres Etats de l’OCDE a des besoins importants en investissements pour réaliser la transition énergétique, relocaliser une partie de la production industrielle, digitaliser les activités économiques et faire face au vieillissement de la population. L’épargne en France qui est abondante et doit être réorientée vers ces investissements sachant qu’actuellement elle est essentiellement affectée à l’immobilier et aux déficits publics à travers les produits de taux. La mauvaise allocation de l’épargne se traduit par la concomitance de son augmentation et la baisse des gains de productivité.

En 2022, Le taux d’épargne de tous les agents économiques dépasse 22 % en France et atteint au sein de la zone euro 24 % du PIB. Le taux d’épargne des ménages en 2022 est supérieur à 16 % du revenu disponible brut en France comme dans la zone euro, soit un point de plus qu’avant la crise sanitaire. L’investissement en constructions représentait 11 % du PIB en 2021 contre 9 % en 2022. Les déficits publics en France se maintiennent à un niveau élevé (plus de 5 % en 2022), et ne correspondent pas à un surcroît d’investissements publics. Ces derniers atteignent 3,1 % du PIB en 2022 en France, contre 3,5 % en 2007. Ils sont, par ailleurs, inférieurs à la moyenne de la zone euro de 0,5 point de PIB en 2022. Les déficits sont avant tout la conséquence d’un accroissement des dépenses courantes.

Quand les épargnants n’optent pas pour le financement de la pierre ou des déficits publics, ils privilégient des titres financiers sur le marché secondaire. Ces achats occasionnent une augmentation du prix de ces actifs financiers sans augmenter les capacités d’investissement des entreprises.

Au niveau des crédits, les banques privilégient les entreprises installées. Il reste peu de capitaux disponibles pour la transition énergétique et pour les secteurs d’avenir. Malgré un taux d’épargne élevé, la productivité par tête stagne en France comme en zone euro. Le développement de l’immobilier et des services domestiques amène peu de gains de productivité. La désindustrialisation explique cette stagnation préoccupante de la productivité.

La réorientation de l’épargne vers l’investissement réellement productif est donc une nécessité pour l’Europe. Le plan de relance, associé à un financement réellement européen, constitue un des moyens pour assurer cette réorientation. Un autre moyen est le développement d’un financement direct par les marchés des activités économiques. Actuellement, deux tiers du financement des entreprises sont opérés de manière bancaire.

La politique monétaire peut-elle tout faire ?

En économie, un outil économique doit avoir un seul objectif, faute de quoi il n’en atteint aucun. Or, aujourd’hui, les politiques monétaires doivent tout à la fois lutter contre l’inflation, si possible sans déclencher une récession, assurer la stabilité financière, éviter les crises des dettes publiques, et permettre la réalisation d’investissements nécessaires pour la transition énergétique dont la rentabilité financière est faible.

En quelques mois, l’inflation est passée de 0 % à plus de 8 %. Après avoir espéré qu’elle s’assagisse naturellement, les banques centrales ont décidé de relever leurs taux directeurs et de mettre un terme à leurs programmes de rachats d’obligations. Ce retour de l’inflation ne s’accompagne pas pour le moment d’une hausse du chômage comme cela a pu être constaté dans le passé. Le taux de chômage est rapidement revenu à son niveau d’avant crise sanitaire, voire inférieur dans un certain nombre d’Etats. Les banques centrales doivent veiller à ne pas provoquer une récession avec une hausse de leurs taux. Les opinions publiques sont plus sensibles que dans le passé aux aléas conjoncturels, les démocraties étant sur la défensive. Les banques centrales doivent également assurer lastabilité financière en veillant à éviter l’apparition de bulles de crédits ou d’actifs. La croissance des crédits aux ménages et aux entreprises est assez rapide depuis le milieu de l’année 2021. Elle est désormais supérieure au niveau d’avant crise sanitaire. Avec la remontée des taux d’intérêt, les indices boursiers sont, depuis le mois de novembre, en retrait mais restent à des niveaux élevés. La progression des prix des logements s’est stabilisée tant aux Etats-Unis qu’en zone euro, mais elle demeure élevée. Les banques centrales doivent éviter la survenue d’une crise des dettes publiques. Or, avec l’épidémie de covid, celles-ci ont progressé de près de 20 points de PIB au sein de l’OCDE, augmentation qui est la conséquence d’une forte progression des dépenses publiques. En vingt ans, la dette s’est accrue de 50 % aux Etats-Unis et de plus de 25 % en France ou en Espagne. Avec la crise sanitaire et depuis le début de la guerre en Ukraine, les Etats sont confrontés à des besoins de financement croissant pour faire face à de nouvelles dépenses. A cela s’ajoutent la transition énergétique et le vieillissement de la population. La décarbonation des activités exige la réalisation d’investissements qui ont souvent des rentabilités financières faibles. Le vieillissement est une source importante de dépenses (santé, retraite, dépendance) quand, dans le même temps, la taille relative des actifs au sein de l’ensemble de la population tend à se contracter.

Face à ces quatre objectifs – la maîtrise des prix, la stabilité financière, la soutenabilité des dettes publiques, la réalisation des investissements – il faut logiquement quatre instruments distincts.

Les banques centrales peuvent utiliser les taux d’intérêt à court terme pour réduire l’inflation. Depuis le début de l’année, la Réserve Federale les a augmentés à plusieurs reprises ; la BCE l’a fait également au mois de juillet dernier. Plusieurs relèvements sont prévus d’ici la fin de l’année de part et d’autre de l’Atlantique.

Pour assurer la stabilité financière, les banques centrales peuvent recourir à des politiques macroprudentielles (ratios de bilan des banques, limitation à la distribution de crédit, taxation des plus-values en capital). Pour favoriser les investissements à long terme, elles peuvent agir sur la pente de la courbe des taux d’intérêt en jouant sur la taille de leur bilan. Depuis la crise financière, la base monétaire a été multipliée par quatre tant en zone euro qu’aux Etats-Unis. Pour limiter les risques de crise des dettes souveraines, dans la zone euro, la BCE entend mettre en œuvre des instruments de contrôle des spreads de taux d’intérêt entre pays (achats spécifiques de certaines dettes publiques stérilisés pour ne pas modifier la quantité de monnaie).

Si la politique monétaire dispose donc bien de quatre instruments (taux d’intérêt à court terme, pente de la courbe des taux d’intérêt, contrôle des spreads entre pays, politiques macroprudentielles) en face de quatre objectifs (stabilité des prix, stabilité financière, soutenabilité des dettes publiques, soutien des investissements nécessaires), leur association n’est pas sans poser quelques difficultés. L’augmentation des taux directeurs se traduit par une augmentation des écarts de taux. En ralentissant la croissance, elle rend plus difficile la maîtrise des dépenses publiques. La lutte contre l’inflation entre en opposition avec la nécessité de soutenir l’investissement. La solution passe par une augmentation des taux d’intérêt à court terme élevés sans que cette hausse ne se transmette aux taux d’intérêt à long terme. Il faut donc une forte inversion de la courbe des taux d’intérêt, ce qui suppose une action des banques centrales avec un possible relais au niveau européen à travers l’émission d’emprunts supranationaux.

La rentabilité du capital en berne, un fatalité ?

La rentabilité des entreprises européennes, aussi bien la rentabilité des fonds propres que la rentabilité économique du capital, est amenée à reculer aujourd’hui en raison des effets de la transition énergétique, de l’essor des politiques redistributives, du redressement du pouvoir de négociation des salariés et des relocalisations.

La transition énergétique nécessite la réalisation d’investissements nombreux etcoûteux (décarbonation des activités économiques, production et stockage d’énergies renouvelables, rénovation thermique des bâtiments, etc.). En l’état actuel de la technologie, ces investissements ont une rentabilité faible. S’il y a une hausse de l’intensité capitalistique avec des investissements à faible productivité, la rentabilité du capital recule. La transition énergétique devrait s’accompagner d’une hausse du prix de l’énergie. La contrainte du stockage et le maintien de capacités de production excédentaires pour faire face aux aléas météorologiques génèrent des coûts importants. La transition énergétique risque d’accroître les  inégalités de revenu, les ménages à revenu faible affectant une partie importante de leurs revenus à l’achat de l’énergie. Les pouvoirs publics seront amenés à compenser en partie ce surcroît de dépenses provoquant une hausse de la pression fiscale.

La crise de la Covid a modifié le comportement des salariés, les a conduits à rejeter les emplois pénibles, à horaire atypique. Dans un contexte de stagnation de la population active, les entreprises éprouvent des difficultés croissantes à recruter, conduisant au redressement du pouvoir de négociation des salariés et à une hausse plus rapide des salaires. Plus de la moitié des entreprises peinent à trouver des salariés correspondant à leurs besoins. Les salaires commencent à progresser au sein de la zone euro, soit + 4 % en moyenne annuelle au premier semestre, contre +2 % durant la période 2009/2019.

Les pays occidentaux souhaitent relocaliser des industries dites stratégiques (médicaments, électronique, équipements pour la transition énergétique). Ces relocalisations sont susceptibles de réduire les marges bénéficiaires des entreprises avec des coûts de production plus élevés dans les pays de la zone euro que dans les pays émergents, même si elles opteront pour des solutions technologiques pour compenser le surcoût salarial. Entre les pays émergents et ceux de la zone euro, l’écart au niveau des coûts salariaux fin 2021, était de 35 %.

Le rendement du capital des entreprises européennes pourrait reculer. L’écart entre le ROE (résultat net sur capitaux propres) et les taux d’intérêt devrait diminuer. Cet écart a pu atteindre plus de 6 points ces dernières années, donnant un réel avantage aux actionnaires. Il devrait se réduire d’autant plus que les taux d’intérêt sont orientés à la hausse. Les entreprises devraient recourir de plus en plus à l’autofinancement pour réaliser les importants investissements dont elles ont besoin dans le cadre de la transition énergétique ou la digitalisation. Une des clefs des prochaines années sera la capacité de dégager des gains de productivité qui permettront de compenser les surcoûts salariaux et énergétiques.