29 mars 2024

Le Coin de l’Economie – politique monétaire – productivité – zone euro – Etats-Unis – déficits publics en France

Zone euro, comment échapper au cercle vicieux de la baisse de la productivité ?

L’économie de la zone euro est encalminée en raison du recul de la productivité du travail et de l’absence de marges de manœuvre budgétaires. Avec, en outre, une population active en déclin, la croissance potentielle s’effrite d’année en année. Les capacités de rebond de l’activité sont conditionnées à une reprise de l’investissement et à une amélioration de la formation de la population active.

La productivité du travail dans la zone a, depuis 2018, décru d’environ 3 %. En quinze ans, celle-ci n’a augmenté que de 5 % soit bien moins qu’aux États-Unis. Si la productivité du travail avait continué à progresser comme de 2010 à 2017, le produit intérieur brut en volume serait, au 4e trimestre 2023, supérieur de 8 points à celui qui a été observé. Le PIB de 2010 à 2023 a progressé de 17 points, soit deux fois moins qu’aux États-Unis. Cette moindre croissance réduit le montant des recettes publiques et augmente les dépenses sociales. L’application du pacte de stabilité budgétaire prévoyant un déficit public inférieur à 3 % du PIB et une dette publique inférieure à 60 % du PIB devient de la sorte de plus en plus délicate. Les États de la zone euro réduisent leurs dépenses publiques d’investissement qui sont passées de 3,4 à 3,1 % du PIB de 2010 à 2023. Les dépenses d’éducation s’érodent également. Elles sont passées de 5,5 % à 5,3 % du PIB de 2002 à 2023. Cette attrition de ces deux catégories de dépenses ne facilitent pas la reprise des gains de productivité. L’enclenchement d’une spirale négative menace ainsi l’Europe, la diminution de la productivité alimentant le déficit et ainsi de suite.

Pour sortir du cercle vicieux, les États de la zone euro sont contraints de privilégier les dépenses structurantes, investissement, éducation, recherche au détriment des autres dépenses afin de permettre une amélioration de la croissance et des recettes. Pour y parvenir, les gouvernements ont la possibilité soit de réduire les dépenses sociales ce qui est par nature impopulaires, soit d’augmenter les prélèvements, ce qui l’est tout autant ou d’accepter un niveau plus élevé de déficit, ce qui n’est pas sans limite. Des États comme la France préconisent que l’Union européenne s’endette comme elle l’a pratiqué lors de la crise sanitaire. Les États d’Europe du Nord et l’Allemagne sont pour le moment fortement opposés à cette solution.

Déficits publics en France, l’équation est-elle impossible ?

Le déficit public a atteint, en France, 5,5 % du PIB en 2023, bien au-dessus de l’objectif de 4,9 % initialement retenu. Le ralentissement de la croissance ainsi que la progression des dépenses publiques bien plus rapide que prévu expliquent cette dérive. Le retour du déficit public à moins de 3 % du PIB d’ici 2027 est sans nul doute compromis, sauf à mener une politique d’austérité qu’aucun gouvernement n’a réellement engagée depuis une trentaine d’années.

La croissance moyenne du PIB prévue sur la période 2024-2027 par le gouvernement français était initialement (à la fin de 2023) de 1,6 % par an. Or, en ramenant le taux de croissance de 1,4 à 1 % pour 2024, la croissance moyenne sur quatre ans n’est plus que de 1,5 % par an. Elle pourrait même être moindre, sachant que pour 2024 de nombreux instituts économiques prévoient une croissance inférieure à 1 %. Plusieurs facteurs contribuent à la baisse de la croissance potentielle de la France: insuffisance de l’investissement en nouvelles technologies et des dépenses de Recherche-Développement, attitudes négatives vis-à-vis du travail, recul de la durée du travail, vieillissement de la population active, faiblesse des compétences, etc.

La croissance potentielle d’un pays dépend de sa productivité, de l’évolution de sa population active ainsi que de celle de son taux d’emploi. Or, la productivité par tête a diminué de plus de 5 % de 2018 à 2023. La population de 15 à 64 ans diminue depuis 2022. Si le taux d’emploi a fortement augmenté passant de 64 à plus de 68 % de 2010 à 2023, il est resté près de 10 points inférieur au niveau constaté au sein des États d’Europe du Nord. Dans ces conditions, selon l’économiste de Natixis Patrick Artus, le taux de croissance potentielle du pays ne dépasse pas 0,8 %. Le déficit public serait, toute chose étant égale par ailleurs, non pas de 2,7 % en 2027 mais de 4,3 %.

Pour respecter les objectifs adressés à la Commission de Bruxelles, le gouvernement serait amené à réaliser au minimum 10 milliards d’euros d’économies en 2024 et 20 milliards d’euros en 2025. La diminution des dépenses publiques aura un effet économique en réduisant la croissance de 0,8 point de PIB par an, soit en cumulé 3,2 points. Le déficit public serait, par ces moindres dépenses, aggravé de 1,6 point. Le risque est la stagnation de la croissance entre 2024 et 2027 avec des tensions sociales à la clef. Ce scénario a été expérimenté par l’Italie dans les années 2010. Pour y échapper, le gouvernement espère une baisse du taux d’épargne et une reprise de l’économie mondiale. La question d’une augmentation du volume de travail et de l’investissement se pose. Sur le premier point, aucun consensus ne se dégage en faveur de mesures visant à augmenter le nombre d’heures par actif.

La productivité face à la tertiarisation des économies

Au sein des pays occidentaux, trois quarts du PIB proviennent désormais d’activités tertiaires. En France, l’industrie pèse moins de 12 % du PIB, contre 24 % au début des années 1970. Normalement, la productivité du travail augmente plus vite dans l’industrie que dans les services. Il en découle un recul du poids de l’emploi industriel et une progression du poids des services dans l’économie. En France, selon l’INSEE, de 1970 à 2014, les gains de productivité ont été deux fois plus rapides dans l’industrie manufacturière que dans l’ensemble de l’économie. Depuis plusieurs années, au sein des pays de l’OCDE, cette règle n’est plus vérifiée ce qui n’est pas sans conséquence sur la croissance.

Aux États-Unis, depuis 2011, la productivité par tête augmente plus vite dans les services que dans l’industrie. Le ratio entre productivité dans l’industrie et dans les services est passé de 200 à 175 de 2010 à 2023 (base 100 en 1995). Avec les moindres gains de productivité, l’emploi industriel s’est stabilisé autour de 8,5 % de l’emploi total. Ce phénomène prend forme à partir de 2014 mais surtout à compter de 2020. Dans la zone euro, jusqu’en 2020, la productivité de l’industrie croît plus vite que la productivité dans les services. Le ratio de productivité entre le deux secteurs passe de 160 à 180 (base 100 en 1995). L’emploi industriel représente 13 % de la population active en 2023, contre 15 % en 2010.

Quels sont les facteurs expliquant l’atonie des gains de productivité dans l’industrie depuis quelques années ? Le recul de l’investissement de l’industrie constitue une des raisons majeures. L’investissement de l’industrie manufacturière est passé de 1995 à 2023 de 3,3 à 2,6 % du PIB aux États-Unis et de 3,3 à 3,2 % du PIB dans la zone euro. La baisse est plus récente chez cette dernière expliquant le décalage avec les États-Unis. La progression du stock de capital tend à ralentir depuis un quart de siècle. Elle est passée de 5 à 2 % aux États-Unis et de 2 à 1 % en zone euro.

Avec le développement des entreprises du secteur de la technologie et de l’information, les services enregistrent des gains de productivité plus importants que dans le passé. Le poids du secteur des nouvelles technologies est passé de 2 à 9 % du PIB de 1995 à 2023 aux États-Unis et de 2 à 8 % au sein de la zone euro. La productivité par tête pour ce secteur augmente de plus de 3 % par an depuis vingt ans de part et d’autre de l’Atlantique.

L’augmentation des coûts de production (énergie, coût du travail) et la réglementation (contraintes urbanistiques et environnementales) incitent les entreprises industrielles à délocaliser leurs centres de production. Elles maintiennent en Occident des unités sans pour autant y investir des sommes importantes. Les gains de productivité de l’industrie sont réalisés au sein des pays émergents et en développement.

À défaut d’avoir des gains de productivité dans l’industrie, les pays occidentaux s’exposent à un risque de croissance potentielle faible. La construction de nouvelles usines de microprocesseurs ou de batteries contribuera à inverser légèrement la tendance à la condition que le nombre d’ingénieurs et de techniciens formés augmente. La réindustrialisation souhaitée par les populations suppose que celles-ci acceptent l’implantation de nouvelles usines le cas échéant à proximité de leur logement.

La Banque centrale américaine abaissera-t-elle réellement ses taux en 2024 ?

En début d’année, l’affaire était réglée, les taux directeurs des banques centrales étaient censés diminué avant la fin du premier semestre voire dès le premier trimestre pour les États-Unis. Depuis, celle-ci est de moins en moins certaine. Les derniers résultats de l’inflation aux États-Unis témoignent d’une résistance de celle-ci en raison de la vitalité même de l’économie qui s’est adaptée à des taux d’intérêts plus élevés.

Les derniers chiffres de l’inflation aux États-Unis en février, 3,2 % sur un an pour l’inflation totale, 3,8 % sur un an pour l’inflation hors énergie et alimentation, 3,9 % sur un an pour les services hors logement, commencent à faire douter les investisseurs sur les intentions de la Réserve fédérale, investisseurs qui néanmoins continuent d’anticiper plusieurs diminutions des taux directeurs en 2024. Depuis l’automne dernier, l’inflation reste globalement stable aux États-Unis, voire augmente légèrement retardant d’autant son retour dans la cible des 2 % fixée par la banque centrale. L’inflation ces derniers mois est avant tout provoquée par l’augmentation des prix des services. Au mois de février, la hausse de ces derniers a atteint, Outre-Atlantique, 4 % en rythme annuel. En revanche, les salaires et plus globalement les coûts salariaux s’assagissent ce qui constitue une bonne nouvelle, du moins en ce qui concerne l’inflation. La progression du salaire nominal par tête est passée de 5 à moins de 4 % de 2022 à 2024. Par ailleurs, la productivité est en progression depuis le milieu de l’année 2023 permettant de compenser les augmentations salariales. Une partie de l’inflation américaine provient de la hausse des taux de marge bénéficiaire des entreprises constatée depuis le 3e trimestre 2023. Le taux de marge a gagné 2 % en neuf mois. De 2021 à 2024, ce dernier a progressé aux États-Unis de 6 %. Les entreprises améliorent leur profitabilité ce qui induit des hausses de prix. En revanche, ce phénomène n’est pas à même de créer une spirale inflationniste.

La banque centrale américaine, compte tenu du maintien d’un taux d’inflation autour de 3 % et de la forte croissance, plus de 2 % en 2024 prévu, est fondée à différer la baisse de ses taux directeurs. Pour le moment, la demande faiblit peu malgré la hausse des prix quand les entreprises tendent à donner la priorité à l’amélioration de leurs marges. Les créations d’emploi demeurent dynamiques tout comme la consommation.

 La politique monétaire : toujours accommodante 

Les grandes banques centrales ont officiellement mis un terme à leur politique monétaire non-conventionnelle, dite accommodante, en 2022 afin de lutter contre l’inflation. Ce changement de cap s’est traduit par une hausse des taux directeurs, hausse qui a surpris après des années de taux historiquement bas. En 2024, des experts demandent le retour à une politique monétaire plus expansive afin de favoriser la croissance. Pour autant, la politique monétaire actuelle est-elle, aux États-Unis comme en Europe, réellement restrictive ?

Après une longue période de taux directeurs faibles voire négatifs, les hausses intervenues à partir de 2022 ont créé une réelle rupture. Les taux directeurs ont, en quelques mois, atteint plus de 5 % pour les États-Unis et plus de 4 % en zone euro. La vitesse des relèvements a été particulièrement rapide afin d’empêcher un emballement de l’inflation. Les effets sur les taux longs a été immédiat. Le taux de l’emprunt de l’État en France à dix ans qui était négatif en 2021 dépasse désormais 2,7 %. Le taux de son équivalent américain est passé de 0,7 % à 4 % de la mi 2021 à mars 2024. En raison de la hausse des taux, la croissance des crédits immobiliers des ménages a enregistré une forte baisse. Elle est de 3 % aux États-Unis au premier trimestre 2024, contre 10 % en 2021. En zone euro, leur croissance est nulle en fin 2023 quand elle était supérieure à 4 % en 2021. Aux États-Unis, les ventes de logements sont passées de 6 à 4 millions de 2021 à 2023. En zone euro, les mises en chantier de logements ont baissé de 2019 à 2023 de 20 %. Le nombre de transactions immobilières est, par ailleurs, passé de 2021 à 2023 de 4 à 3 millions. Au vu de ces chiffres, la politique monétaire peut être qualifiée de restrictive. Son durcissement est un choix délibéré des banques centrales pour diminuer le taux d’inflation. Ce dernier est ainsi revenu de 9 à 3 % de fin 2022 à fin 2023 aux États-Unis et de 10 à 2,6 % pour la zone euro d’octobre 2022 à février 2024.

Sur certains aspects, la politique monétaire des deux grandes banques centrales demeurent malgré tout expansionnistes. Leur bilan reste fortement hypertrophié après des années de quantitative easing, une pratique qui s’est traduite par des rachats massifs d’obligations. Les opérations de réduction du bilan (« quantitative tightening ») sont pour le moment limitées. La base monétaire de la Réserve fédérale est ainsi passée de 2 500 à 9 000 milliards de dollars de 2010 à 2022 avant de revenir à 7 800 milliards de dollars au début de l’année 2024. Celui de la zone euro est passé de 1 500 à 6 000 milliards d’euros de 2010 à 2022 avant de s’abaisser à 5 500 milliards d’euros en début d’année 2024.

L’encours de monnaie détenu par les agents économiques non bancaires (billets, dépôts à vue, livrets d’épargne, dépôts à terme, fonds monétaire) reste impressionnant et sans précédent. Il s’élève à 30 000 milliards de dollars en 2023 aux États-Unis, contre 9 000 milliards de dollars en 2002. Pour la zone euro, les chiffres respectifs sont 16 000 et 1 500 milliards d’euros. Depuis 2022, si l’encours n’augmente plus, il n’y a pas eu de réelle réduction.

Cette montagne de liquidités entretient le processus de valorisation de certains actifs comme les actions, l’or ou le bitcoin. La valeur du Nasdaq a été multiplié par sept entre 2010 et mars 2024. Il a progressé de plus de 45 % entre 2022 et 2024. La valeur de l’indice S&P500 a été multiplié par cinq et celui d’Eurostoxx par deux. Le cours du bitcoin a atteint un nouveau record historique au mois de mars 2024 au-delà de 70 0000 dollars. L’or a également battu un record en dépassant la barre des 2 200 dollars l’once. Ce dernier valait moins de 1 200 dollars en 2016.

Compte tenu du niveau élevé de l’endettement public et privé, les banques centrales sont contraintes de maintenir une politique monétaire conciliante. La hausse des taux directeurs a été forte non pas au vu de l’inflation mais au vu des taux passés. Par ailleurs, elle ne s’est pas accompagnée d’une réduction brutale de la base monétaire qui aurait pu conduire à des tensions financières sur les marchés notamment obligataires. Les banques centrales ont fait preuve de pragmatisme en veillant à réduire l’inflation sans provoquer une crise financière. La poursuite de ces deux objectifs a comme inconvénient d’entretenir une augmentation déconnectée en partie des réalités économiques de certains actifs.