7 mai 2022

Le Coin de l’Economie – productivité – inflation – dettes publiques – taux

France, la productivité ne fait pas tout !

La France se caractérise par un niveau de productivité assez élevé tout en ayant un faible niveau de compétences et une industrie de taille réduite. Malgré une productivité importante, le PIB par habitant est, en effet, en France, relativement faible par rapport à celui de ses voisins. L’écart entre PIB par emploi et celui par habitant pose un réel problème pour les finances publiques et pour la cohésion sociale du pays.

Depuis plusieurs décennies, la France se caractérise par un niveau important de la productivité du travail. Le niveau de productivité par tête, est de 20 000 euros en France contre 16 000 en Allemagne et de 14 000 en Espagne ou en Italie. Au sein des grands pays de l’OCDE, seuls les Américains ont un niveau de productivité supérieur (32 500 dollars en parité de pouvoir d’achat par tête et par trimestre contre 24 000 pour la France).

Du fait des contraintes réglementaires, du coût salarié élevé, les entreprises françaises ont, de longue date, recherché à accroître le rendement du travail au point que les actifs les moins productifs ne peuvent pas s’intégrer sur le marché du travail. Ce phénomène d’exclusion a été longtemps mis en avant pour expliquer le chômage de masse. Et pour justifier les allégements de charges censés permettre améliorer l’employabilité des salariés sans qualification.

 Le faible niveau de compétences de la population active, la France se classant 21e à l’enquête PIAAC de l’OCDE, constitue un handicap quand l’emploi se doit d’être productif pour être rentable. Cette nécessité est d’autant plus nécessaire que la France est souvent positionnée en gamme moyenne et doit faire face à la concurrence directe des pays émergents à la différence de l’Allemagne qui a privilégié le haut de gamme.

La productivité du travail se concentre sur un nombre réduit d’emplois en France. L’industrie manufacturière employait, en 2021, 9 % de la population active, contre 16,5 % en Allemagne et 15,8 % en Italie ou au Japon. Les États-Unis sont dans une situation équivalente à la France avec 8 % des actifs travaillant dans l’industrie. Le taux d’emploi est, dans l’hexagone, limité. Il avoisine 68 % quand il dépasse 76 % en Allemagne. Ce faible taux d’emploi est lié à un rapport altéré au travail et au niveau élevé des cotisations sociales et des impôts de production. Ces derniers représentent 14 % du PIB en France, contre 8 % dans la zone euro (hors France).

La taille limitée de l’industrie et le taux d’emploi réduit ont pour corolaire une production par habitant en France faible notamment par rapport à l’Allemagne. L’écart avec ce dernier pays était de 17 % en 2021. Il s’élevait à 45 000 euros en Allemagne, contre 38 000 euros en France.  Un faible PIB par habitant, en France, réduit le montant des recettes et explique, en partie, un déficit public supérieur à celui de l’Allemagne. Si avant la crise financière de 2008, la dette publique de la France était proche de celle de l’Allemagne, autour de 60 % du PIB, une divergence s’est opérée depuis une dizaine d’années. La dette publique dépasse, en 2021, 110 % du PIB, en France, quand elle s’élève à 70 % du PIB chez notre partenaire. Moins de recettes en France engendre également plus de dépenses. L’État est contraint de compenser la faiblesse des revenus en jouant sur les prestations sociales et les aides diverses et variées. En vingt ans, les dépenses publiques ont augmenté de 50 % en France, contre 35 % en Allemagne.

La priorité pour la France est d’accroître sa production intérieure en améliorant son taux d’emploi. Le développement d’un tissu productif avec l’émergence de nouvelles entreprises est indispensable tant pour améliorer les revenus des résidents français que pour limiter l’ampleur des déficits et diminuer la dette publique.

La lutte contre l’inflation et l’écueil de la crise des dettes souveraines

L’inflation dépassait, en avril, les 10 % au sein de plusieurs États membres de la zone euro. D’ici l’été, la majorité des États pourrait connaître une inflation à deux chiffres, un phénomène sans précédent depuis le deuxième choc pétrolier. Pour éviter une installation durable de l’inflation, la Banque centrale européenne est contrainte d’opérer un changement de politique monétaire avec une hausse sensible de ses taux directeurs. Cette hausse réduira la croissance et donc les recettes fiscales des États qui, en outre, devront supporter une augmentation de leur service de la dette. Ces Etats seront également amenés à augmenter leurs dépenses pour compenser les effets de la hausse des prix auprès de leurs citoyens. Ce dérapage des finances publiques pourrait provoquer de nouvelles tensions sur les dettes publiques des Etats périphériques que la Banque centrale européenne souhaitera éviter.

Avec une inflation qui perdure depuis le milieu de l’année 2021, une transmission, du moins partielle, aux salaires est de plus en plus incontournable. Aux États-Unis, cette transmission serait déjà en cours. En Europe, elle s’amorce. En mars, au sein de la zone euro, les salaires ont progressé, en rythme annuel, de 3,8 % quand le taux d’inflation dépasse 7,5 %. Les gains de productivité ne permettront pas de compenser les surcoûts salariaux ce qui provoquera une accélération de l’inflation, d’autant que les prix de consommation ont pris du retard sur les prix de production. Une inflation supérieure à 10 % apparaît probable dans les prochains mois au sein de la zone euro.

Face à une inflation élevée renforcée par les mécanismes d’indexation des salaires, la BCE sera contrainte d’augmenter ses taux directeurs. Elle a décidé d’abandonner son programme de sortie lente de sa politique monétaire accommodante. Initialement, les rachats d’obligations auraient dû cesser à la fin de l’année et les hausses de taux intervenir fin 2023 ou début 2024. Une première hausse est maintenant prévue pour cet été.  Ce relèvement plus rapide des taux peut, s’il est mal négocié, provoquer une crise de la dette publique dans plusieurs pays.

Cette vague inflationniste intervient juste en sortie de la crise sanitaire qui a entraîné une augmentation sans précédent de l’endettement public, autour de 20 points de PIB. L’acuité du règlement de cette dette covid déjà importante avant la guerre en Ukraine, l’est encore plus depuis. La faible croissance potentielle de plusieurs États comme l’Italie, la Grèce et dans un degré moindre la France, expose, ces derniers, à des problèmes de remboursement de la dette et de financement des déficits en cas de hausse des taux. Les pays dits périphériques pourraient subir des écarts de taux de plus en plus élevés par rapport à l’Allemagne compte tenu du risque qu’ils portent au niveau de leur dette publique. L’écart varie en fonction des pays d’un à deux points. Ces pays avaient, depuis la fin de la crise de la zone euro (2012-2014), évité une nouvelle crise de la dette grâce à la politique monétaire très expansionniste de la Banque centrale européenne. Les achats massifs de dettes publiques par la BCE nt même fait apparaître, pour ces pays, des taux d’intérêt à long terme inférieurs à la croissance en valeur.

Les États membres de la zone euro, pour éviter la réédition de la crise grecque, seront certainement contraints à prendre des dispositions spécifiques pour assurer la soutenabilité des dettes publiques en période de hausse des taux. L’adoption de ces dispositions s’imposera à partir du moment où les taux d’intérêt de la zone euro deviendront voisins de la croissance potentielle de la zone euro (3,5 % en nominal). Ils seront alors supérieurs à la croissance en valeur des pays à croissance potentielle faible les mettant alors en tension financière. La Banque centrale pourrait instaurer une garantie collective de solvabilité à tous les États membres avec le cas échéant des rachats d’obligations ciblés. La contrepartie, délicate à négocier, serait l’instauration de règles budgétaires strictes. Cette politique remplacerait la politique monétaire accommodante générale en vigueur depuis près de dix ans. Elle constituerait une nouvelle étape vers un fédéralisme économique. L’Union pourrait également mettre en œuvre une politique budgétaire de soutien dans le prolongement de l’action conduite dans le cadre du Plan de Relance de 2021.

Comment les États ont-ils réduit dans le passé la dette publique ?

Le niveau d’endettement des États est, en 2022, comparable à celui de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les destructions en moins. La dette publique représentait, fin 2021, près de 250 % du PIB au Japon, plus de 150 % en Italie, 130 % du PIB aux États-Unis, 120 % en Espagne, 113 % en France et 70 % en Allemagne. La question de la stabilisation ou même de la réduction des taux d’endettement public se pose et se posera avec encore plus de force dans les prochains mois, car les taux d’intérêt à long terme ne peuvent qu’augmenter avec la résurgence de l’inflation.

Depuis 1970, comment les États ont-ils réussi à maîtriser leurs dettes publiques et à quel prix ?

Les États-Unis ont connu trois périodes de réduction de leur taux d’endettement public (1972-1980, 1993-2000, 2004-2006). Cette diminution a été réalisée à chaque fois avec un excédent budgétaire primaire et une croissance forte. Pour les périodes 1972-1980 et 2004-2006, les taux d’intérêt étaient inférieurs aux taux de croissance. La réduction du taux de dette publique, la plus forte, a été enregistrée durant les mandats de Bill Clinton, marqués par une croissance importante. À l’exception des années 1970, les taux d’intérêts réels étaient positifs lors des phases de réduction de la dette publique.

Le Royaume-Uni, comme les États-Unis, a réussi à trois reprises, lors de ces cinquante dernières années, à réduire le poids de la dette publique (1970-1990, 1994-2001, 2013-2019). Ces diminutions ont été obtenues grâce à des excédents budgétaires sauf entre 2013 et 2019. La croissance n’a joué un rôle que pour la période 1994-2001. De faibles taux d’intérêt n’ont été constatés que pour les périodes 1979-1990 et 2013-2019.

Le Japon qui détient la dette publique la plus élevée de l’OCDE a connu de brèves périodes où son poids au sein du PIB a légèrement reculé (1973-1974, 1988-1992 et 2003-2008). Ces trois phases de réduction ont été rendues possibles par la croissance. Des excédents budgétaires ont été constatés entre 1988 et 1992, qui est également la période de plus forte baisse. L’es faibles taux d’intérêt n’ont joué un rôle que lors de la première période de réduction.

L’Allemagne a connu également trois périodes de diminution de sa dette publique : 1998-2000, 2005-2008 et 2013-2019. Ces trois périodes ont été, à chaque fois, associées à des excédents budgétaires et à une forte la croissance. Les taux d’intérêt bas n’ont eu un effet que pour la période 2013-2019.

Depuis 1970, la dette publique par rapport au PIB a diminué, à cinq reprises, en France : 1970-1972, 1976-1977, 1995-2001, 2005-2007 et 2016-2019 Ces reculs ont été obtenus par la réalisation d’excédents budgétaires primaires (les 3 premiers épisodes), grâce la croissance (les 4 premiers épisodes) et grâce à la baisse des taux d’intérêt (2016-2019). À la différence de l’Allemagne ou des États-Unis, les diminutions sont, en France, de faible ampleur et de courte durée.

L’Italie a de son côté enregistré trois périodes de recul de sa dette publique en 1979, de 1993 à 2007, et de 2013 à 2019. Ces diminutions sont associées à des excédents budgétaires primaires (les 2 derniers épisodes), à la croissance (1979) et aux taux d’intérêt bas (les 2 derniers épisodes).

Les expériences passées de réduction des dettes publiques par rapport au PIB soulignent l’importance de la croissance et des politiques budgétaires restrictives. La diminution de la dette est plus forte et plus longue dans le temps pour les États qui ont réalisé des économies budgétaires. Les États optant essentiellement pour les hausses d’impôt enregistrent des reculs de leurs dettes plus limités et plus éphémères, ce qui est le cas de la France. La baisse des taux a été un facteur non négligeable de la diminution des dettes publiques. À la lecture des exemples passés, les gouvernements doivent donc agir pour améliorer le taux de croissance potentielle et pour réduire leurs dépenses publiques. La croissance potentielle est actuellement au sein de l’OCDE, handicapée par la stagnation de la population active, par l’accroissement des prélèvements et par les faibles gains de productivité. Au niveau budgétaire, les États doivent faire face à des demandes croissantes. La santé, la retraite, la dépendance, la transition énergétique, le soutien au pouvoir d’achat en période d’inflation constituent des sources importantes d’augmentation des dépenses publiques.