Le Coin de l’économie – taux d’intérêt – Europe
Quelles perspectives pour les taux d’intérêt de long terme ?
Depuis quelques semaines, les taux directeurs des banques centrales diminuent, mais, dans le même temps, les taux d’intérêt à long terme sont orientés à la hausse. Ces derniers dépendent certes de l’évolution anticipée des taux d’intérêt à court terme, mais aussi des prévisions d’inflation à long terme, des besoins de financement et du degré de perception du risque par les investisseurs. La fixation des taux d’intérêt à long terme au niveau mondial dépend principalement de ceux des États-Unis.
Les taux américains pourraient augmenter dans les prochains mois pour plusieurs raisons : les perspectives d’inflation, l’évolution du déficit public et de la dette publique. Une hausse de l’inflation est attendue avec la mise en place de droits de douane, qui sont en fait des taxes sur la consommation. La réduction de l’immigration aurait également pour conséquence une hausse des salaires et donc des prix. La Banque centrale américaine pourrait, de ce fait, reporter ses baisses de taux directeurs, ce qui aurait un impact sur les taux longs. Les anticipations d’inflation à court terme sont en hausse depuis le mois d’octobre 2024. L’inflation sous-jacente a cessé de diminuer et s’est stabilisée autour de 3 %. L’inflation anticipée à long terme, représentée par les swaps d’inflation à 10 ans, a légèrement remonté (de 2,25 % à 2,45 %) depuis l’été 2024.
La persistance d’un déficit public élevé aux États-Unis conduit également à la hausse des taux d’intérêt, d’autant plus qu’au niveau mondial, les besoins de financement pour les administrations publiques sont en progression. Le niveau de la demande d’obligations du Trésor des États-Unis, mesuré par la comparaison entre le taux d’intérêt à 10 ans sur la dette publique des États-Unis et le taux d’intérêt à 10 ans sur les swaps en dollars, est influencé par le swap spread. Celui-ci représente l’écart entre le taux d’intérêt fixé sur les marchés des swaps (échanges de flux financiers à taux fixe contre taux variable) et le taux d’intérêt offert par les obligations d’État de maturité équivalente. Concrètement, il mesure la différence entre le coût d’emprunt pour l’État (considéré comme sans risque ou à faible risque) et le coût d’emprunt sur les marchés privés. Cet indicateur permet d’évaluer la perception du risque par les investisseurs : lorsque le swap spread diminue fortement, cela reflète généralement une inquiétude accrue concernant la qualité ou la soutenabilité de la dette publique par rapport à la dette privée. Le swap spread est l’écart entre le taux d’intérêt des swaps et le taux d’intérêt sur la dette publique. Il diminue si le risque systémique lié à la détérioration de la dette publique augmente par rapport au risque systémique lié à la détention d’obligations du secteur privé ou bancaire. Une baisse significative du swap spread est constatée depuis l’été 2023, ce qui est compatible avec une perte de qualité de la dette publique des États-Unis.
Le niveau élevé des incertitudes, tant sur le plan national qu’international, conduit également à l’augmentation des taux, les investisseurs réclamant une prime de risque plus importante. Si la variabilité des taux d’intérêt à long terme, qui reflète celle des taux d’intérêt à court terme, est forte, la prime de terme augmente, ainsi que les taux d’intérêt à long terme. L’incertitude accrue sur les politiques économiques menées aux États-Unis, apparue depuis l’élection de Donald Trump, a conduit à une variabilité forte des taux d’intérêt à 10 ans et des taux d’intérêt à court terme anticipés.
À l’inverse, la croissance anticipée et la confiance des consommateurs reculent en raison des perspectives d’inflation, ce qui pourrait faire baisser les taux d’intérêt à long terme. La perception du risque en hausse pour les actifs risqués incite les investisseurs à privilégier les actifs non risqués, comme les obligations d’État, ce qui favorise également la baisse des taux.
La perception du risque est devenue élevée, avec l’incertitude concernant la politique de droits de douane, la politique migratoire, la politique étrangère et les institutions aux États-Unis. Habituellement, une perception du risque élevée pousse les investisseurs vers les titres publics et fait baisser les taux d’intérêt à long terme. Cependant, si la perception du risque concerne la politique économique et budgétaire des États-Unis, au contraire, on peut observer une hausse des taux d’intérêt à long terme.
Les taux d’intérêt à long terme américains influencent les taux des autres États, que ce soit ceux des membres de l’OCDE ou ceux des pays émergents comme le Mexique et le Brésil. L’influence des taux américains s’explique par le poids élevé du dollar dans les émissions obligataires internationales (70 %) et dans les prêts bancaires (60 %). Le dollar demeure de loin la première monnaie de réserve (58 %), loin devant l’euro (20 %). Le titre à long terme de référence, à l’échelle mondiale, est une obligation en dollar. Ce rôle est conforté par le poids important de la dette publique américaine, alimentée par un déficit élevé, qui ces dernières années s’élève à plus de 6 % du PIB.
L’évolution des taux d’intérêt à long terme, tant aux États-Unis qu’au niveau mondial, est influencée par un ensemble complexe de facteurs économiques, politiques et géopolitiques. Tandis que les taux directeurs des banques centrales diminuent, la hausse des taux à long terme reflète les incertitudes persistantes liées à l’inflation, au déficit public et à l’évolution des politiques économiques, notamment aux États-Unis. La situation actuelle souligne l’importance de la perception du risque par les investisseurs, qui, face à des incertitudes croissantes, exigent une prime de risque plus élevée, ce qui conduit à des taux plus élevés. À long terme, ces dynamiques devraient continuer à façonner l’environnement économique mondial, avec des impacts sur les financements publics, l’investissement et les stratégies monétaires des banques centrales.
L’Europe toujours à la croisée des chemins !
L’Europe est amenée à relever plusieurs grands défis en ce deuxième quart de siècle, du vieillissement démographique à la remise en cause de son alliance avec les États-Unis, en passant par la concurrence de la Chine et la transition écologique.
Les pays de la zone euro, avec le Japon et la Corée du Sud, sont ceux qui sont les plus confrontés à la baisse du taux de fécondité et à la diminution de leur population active. Au sein de la zone euro, le taux de fécondité était, en 2024, inférieur à 1,5. Depuis 2012, la population active est en recul. En 2024, la baisse a atteint 0,4 %.
La zone euro connaît une érosion de sa productivité par tête depuis 2021. Celle-ci, depuis 2002, n’a augmenté que de 10 %, contre 40 % aux États-Unis.
La demande intérieure ne progresse que lentement dans la zone euro, en lien avec le vieillissement démographique et la préférence donnée par les ménages à l’épargne. Le taux d’épargne est, en effet, passé, au sein de la zone euro, de 12 à plus de 15 % du revenu disponible brut, de 2019 à 2024. Dans le même temps, l’investissement des entreprises a reculé, passant de 12,5 à 11,5 % du PIB.
Avec le protectionnisme américain et la concurrence de la Chine, les exportations européennes déclinent. Les exportations de la zone euro ont reculé de 8 % de 2021 à 2024. Le renchérissement de l’énergie a pénalisé les ventes de biens, notamment allemands. Le prix du gaz naturel a été multiplié par deux depuis le début de la guerre en Ukraine. La production industrielle outre-Rhin a baissé de plus de 10 % depuis 2022.
L’Europe souffre de règles environnementales strictes, d’autant plus que les États-Unis ont décidé de quitter une nouvelle fois les Accords de Paris. Donald Trump a pris des mesures visant à faciliter l’exploitation du gaz et du pétrole et entend remettre en cause les dispositions en faveur de la transition énergétique dans son pays. Les émissions de gaz à effet de serre, qui diminuaient aux États-Unis comme en zone euro depuis 2022, pourraient augmenter chez les premiers. Les émissions de CO2 s’élèvent, en 2024, à plus de 4500 millions de tonnes aux États-Unis contre moins de 2800 millions au sein de l’Union européenne.
Ces dernières années, le poids de la zone euro dans l’économie mondiale a diminué. Il est passé de 19 à 14,3 % du PIB mondial de 2010 à 2024. Pour l’ensemble de l’Union européenne, les chiffres respectifs sont 22 et 18 %.
L’Europe traverse une période difficile. La transition écologique pourrait lui être néanmoins bénéfique en réduisant sa dépendance aux énergies carbonées essentiellement importées (États-Unis, Moyen-Orient, Russie). La décarbonation des activités pourrait lui donner un avantage comparatif favorisant l’implantation d’usines. La question du vieillissement suppose un recours à l’immigration, qui est de plus en plus récusé. Une population âgée est, en règle générale, peu encline au changement et à l’intégration d’étrangers. Un tel phénomène avait été constaté en France dans l’Entre-deux-Guerres, période durant laquelle la population diminuait.
Face au défi du recul de la population active, de nombreux pays agissent afin de relever leur taux d’emploi et notamment celui des seniors. En Allemagne, le taux d’emploi des 60-64 ans est ainsi passé de 32 % en 2005 à plus de 65 % en 2024. La France, la Belgique et l’Italie ont un taux d’emploi des 60 – 64 ans inférieur à 40 % ce qui leur offre des marges de manœuvre mais en France, l’hostilité au report de l’âge de la retraite est importante. La France pourrait également améliorer le taux d’emploi des moins de 25 ans qui demeure faible malgré la montée en puissance de l’apprentissage qui concerne désormais un millions de jeunes contre 300 000 en 2017.
En matière d’innovation industrielle et de transition énergétique, l’Europe s’est engagée notamment en ce qui concerne la défense ou la transition écologique, à réaliser des efforts importants. L’Union européenne consacre ainsi près de 250 milliards d’euros, dans le cadre du Green Deal européen, à la transition écologique entre 2021 et 2027. La Suède est devenue leader dans l’industrie décarbonée, notamment grâce à ses projets d’acier vert (comme l’usine Hybrit près de Luleå, qui ambitionne d’être totalement neutre en carbone dès 2026). L’Espagne a massivement investi dans les énergies renouvelables : en 2024, plus de 50 % de son électricité provient désormais d’énergies renouvelables, essentiellement éoliennes et photovoltaïques. 800 milliards d’euros sont prévus dans les prochaines années pour accélérer le réarmement de l’Europe.
Pour préserver sa compétitivité à long terme face aux États-Unis et à la Chine, l’Europe devra toutefois intensifier ses efforts en matière de numérique et d’automatisation. En effet, l’investissement européen en intelligence artificielle reste inférieur à celui des États-Unis et de la Chine : seulement 18 milliards d’euros par an dans l’UE contre respectivement 50 milliards aux États-Unis et plus de 70 milliards en Chine en 2024.
L’Europe se trouve face à des enjeux majeurs, qu’il s’agisse de son vieillissement démographique, de la concurrence internationale ou de ses ambitions en matière de transition écologique. Si les défis sont considérables, ils ouvrent également des opportunités, notamment en matière de décarbonation et d’innovation industrielle. Cependant, la réponse à ces défis passe par une adaptation profonde de ses politiques économiques, sociales et environnementales. L’immigration, la modernisation des secteurs industriels et la gestion de la productivité seront des éléments clés pour permettre à l’Europe de conserver son rôle sur la scène mondiale tout en assurant un avenir prospère à ses citoyens.