5 août 2023

Le Coin de l’Economie – transition énergétique -croissance – productivité – endettement – pouvoir d’achat

Transition énergétique, consommation ou épargne, faut-il choisir ?

La transition énergétique suppose un effort d’investissement conséquent durant plusieurs années, 3 à 4 points de PIB en rythme annuel. Cet effort suppose un accroissement de l’épargne et donc une diminution de la consommation. Sachant que cette dernière représente en moyenne au sein des pays de l’OCDE, 60 % du PIB, sa réduction pèsera sur la croissance.  Souhaitée par certains au nom de la réduction des émissions des gaz à effet de serre, cette baisse de la consommation sera durement ressentie par une partie de la population, en premier lieu par les personnes les plus modestes.

Le besoin d’investissement supplémentaire, tant public que privé, est amené à progresser avec la transition énergétique. En quelques années, la part des énergies fossiles est amenée à se réduire au profit de celles qui sont renouvelables et du nucléaire. Cette substitution suppose la réalisation de nombreux investissements : fabrication et installation de panneaux solaires et d’éolienne, construction de nouvelles centrales nucléaires, réalisation de nouveaux réseaux. Compte tenu du caractère aléatoire des énergies renouvelables, des capacités de production d’énergie électrique de substitution et de stockage devront être prévues. Des réseaux de bornes électriques devront être installés. Les logements devront être rénovés afin de réduire leur empreinte carbone. Les entreprises devront réaliser des investissements pour décarboner leur processus de production. Des équipements seront nécessaires pour mieux gérer l’eau. À ces besoins s’ajoutent ceux liés aux relocalisations que les États entendent effectuer afin de réduire leur dépendance vis-à-vis de certains pays. Le taux d’investissement qui avait tendance à baisser au sein de l’OCDE depuis 2008 devrait passer entre 2022 et 2030 de 21 à 24 % du PIB. Au sein des pays émergents, le taux d’investissement avoisine 31 % du PIB depuis une dizaine d’années. Ce fort taux est lié à l’effort de rattrapage économique par rapport à l’Occident. Les pays émergents seront donc obligés de ralentir ce rattrapage afin d’accélérer la décarbonation de leur économie.

L’augmentation du taux d’investissement concerne autant l’investissement public que l’investissement privé. Depuis une dizaine d’années, le taux d’investissement public, au sein de l’OCDE a eu tendance à diminuer passant sur moyenne période de 3,6 à 3,2 % du PIB de 2007 à 2022, celui des entreprises étant stable autour de 13 % du PIB depuis 2011 (hors période covid). En matière de dépenses, en plus de la transition énergétique, les États doivent faire face à une augmentation des besoins en matière de santé, de retraite, de dépendance, de défense et d’éducation. De leur côté, les entreprises ont accumulé un retard d’investissement depuis la crise financière de 2008/2009 puis durant la crise sanitaire. Elles doivent digitaliser et robotiser leurs activités.

Depuis une quarantaine d’années, les gouvernements ont multiplié les aides à la consommation au détriment de l’investissement. La multiplication des crises a, en effet, incité les pouvoirs publics à instituer des dispositifs de soutien conjoncturels comme ce fut le cas lors de l’épidémie de covid et lors du déclenchement de la guerre en Ukraine. Les dépenses de transfert en faveur des ménages représentaient, en 2022, 18 % du PIB au sein de l’OCDE, contre 11 % en 1980. En France, ce poids dépasse 33 % du PIB. Durant cette période, les dépenses d’investissement public ont diminué.

La réorientation en faveur de l’investissement suppose une réduction de la consommation et un arbitrage en faveur de l’épargne au niveau de chaque État. L’autre moyen serait une augmentation de la croissance ce qui supposerait des gains de productivité qui pour le moment font défaut. Les pouvoirs publics pourraient encourager l’épargne de long terme investie en faveur de la transition énergétique. Ils pourraient prendre à leur compte une partie du risque que portent les investissements liés à cette dernière, à travers un système de bonification ou à travers un mécanisme d’intermédiation.

La politique en faveur de la transition énergétique ne sera pas favorable aux consommateurs car elle s’accompagnera d’une augmentation des prix dans plusieurs domaines. L’énergie, les transports et les biens industriels devraient coûter plus chers. Il pourrait en être de même avec les produits alimentaires en raison de la hausse du prix de l’eau. La montée des mesures protectionnistes sur fond de circuits courts et de réindustrialisation sera également une source d’augmentation des prix pénalisant, en premier lieu, les ménages modestes. La politique de transferts sociaux devra cibler ces ménages, ce qui suppose de délicats arbitrages et certainement une mise à contribution de ceux ayant des revenus élevés. La transition énergétique sera donc politiquement et socialement un sujet sensible dans les prochaines années avec un risque de partition accrue de la société entre les tenants d’une décarbonation rapide et ceux enclins à laisser du temps au temps.

L’endettement et la croissance, des faux amis

Jamais en période de paix, l’endettement n’avait progressé aussi rapidement au sein des pays occidentaux que ces dernières années. La succession de crises a induit une forte augmentation des dépenses publiques reportant d’année en année l’assainissement des comptes.

De 2007 à 2022, le taux d’endettement public, en pourcentage de PIB, a progressé de 66 % à 118 % aux États-Unis et de 66 % à 97 % dans la zone euro. Sur la même période (fin 2007 à fin 2022), le taux d’endettement des entreprises non financières, toujours en pourcentage de PIB, a augmenté de 40 % à 48 % aux États-Unis, de 84 % à 103 % dans la zone euro. De son côté, le taux d’endettement des ménages est passé de 93 % à 73 % du PIB aux États-Unis, de 51 % à 55 % du PIB dans la zone euro. De 2007 à 2022, la dette totale (des États, des entreprises, des ménages) a augmenté de 205 % du PIB à 241 % du PIB aux États-Unis, de 206 % du PIB à 253 % du PIB dans la zone euro.

La forte progression de l’endettement n’a pas été suivie par une augmentation du taux de croissance. Logiquement, le recours à l’emprunt est censé contribuer à la hausse de la demande que ce soit par un surcroît d’investissement ou par une progression de la consommation. La croissance est plus faible de 2011 à 2022 que de 2002 à 2007. Entre les deux périodes, la croissance est passée de 2,8 à 2,1 % aux États-Unis et de 2,0 à 1,2 % pour la zone euro.

Cette absence d’effets de l’endettement sur la croissance est à relier avec la succession de crises que les pays occidentaux ont connues depuis une quinzaine d’années (crise des subprimes, crise des dettes souveraines en Europe, crise covid, crise liée à la guerre en Ukraine). Par une augmentation des dépenses, les pouvoirs publics ont atténué les conséquences de ces crises qui auraient, sans cela, provoqué des baisses plus marquées du PIB.

L’endettement des entreprises n’a pas provoqué une hausse du taux d’investissement. Ce dernier est inférieur d’un à deux points de PIB depuis une quinzaine d’années à son niveau d’avant la crise des subprimes, que ce soit aux États-Unis ou en zone euro. L’endettement des entreprises a servi à financer des rachats d’actions aux États-Unis, à financer l’accumulation de réserves de cash dans la zone euro. L’encours d’actifs liquides détenus par les entreprises s’élevait à 30 % du PIB en 2022 en zone euro, contre 15 % en 2002. Ce doublement s’explique par les crises répétées qui ont conduit les dirigeants d’entreprise à conserver des volumes de liquidités de plus en plus élevés. Ce comportement est moins marqué aux États-Unis. L’encours de liquidités des entreprises s’élevait à 9 % du PIB en 2022, contre 5 % en 2002. En revanche, dans ce dernier pays, les rachats d’actions ont représenté, sur la période 2008/2022, 2 points de PIB, contre 0,7 point en zone euro.

La progression de l’endettement des ménages s’explique essentiellement par la hausse des prix de l’immobilier. Cet endettement a servi avant tout à financer des achats de logements anciens et non des dépenses de construction de logements neufs. De 2002 à 2022, le prix des logements a doublé aux États-Unis comme en zone euro sans effet réel d’entraînement sur la croissance. Par ailleurs, depuis une dizaine d’années au sein de la zone euro, les ménages augmentent leur effort d’épargne au détriment de la consommation. Comme les entreprises, ils souhaitent conserver d’importants volants d’épargne liquide. Ce comportement serait dicté par la répétition des crises et par le vieillissement de la population.  

L’endettement des agents économiques est avant tout la conséquence des crises. Les États ont augmenté les dépenses de transferts sociaux tout en réduisant le montant des investissements publics. Par aversion aux risques ou par manque d’opportunités, les entreprises ont, durant des années, faiblement investi. Une part croissante de l’épargne des ménages et de leurs revenus est mobilisée par le remboursement des emprunts immobiliers en raison de l’augmentation du prix des logements. Cette hausse est tout à la fois spéculative et liée à une attrition de construction de logements neufs. L’endettement a un effet positif sur la croissance à la condition de générer des dépenses d’investissement susceptibles d’accroître les gains de productivité. Depuis une quinzaine d’années, ce n’est plus le cas. Avec la transition énergétique, les administrations publiques comme les entreprises ou les ménages sont amenés à augmenter leurs investissements. Malgré tout, ces investissements ne devraient pas améliorer la croissance car ils ne sont pas porteurs de gains de productivité, du moins dans un premier temps.

Le pouvoir d’achat des ménages est-il durablement menacé ?

Compte tenu de l’évolution de la productivité et de la population active, la croissance potentielle au sein des pays de l’OCDE tend vers zéro. En raison des besoins d’investissement, cette situation risque de peser lourdement sur les revenus avec un recul possible du pouvoir d’achat des ménages. Or, la sensibilité de l’opinion sur la question des revenus est de plus en plus exacerbée, ce qui ne peut conduire qu’à des tensions sociales de plus en plus marquées.

La croissance potentielle d’un pays correspond à la croissance que ce dernier peut atteindre en dehors des aléas conjoncturelles en se fondant sur les gains de productivité et l’évolution de la population active. Au sein de l’OCDE, les gains de productivité lissés sur quatre ans sont évalués à 0,6 % par an. Ils tendent à diminuer ces dernières années. Un recul de la productivité est même constaté dans plusieurs États membres comme la France, l’Espagne ou les États-Unis. Dans les prochaines années, la croissance de la population en âge de travailler corrigée à la hausse en raison de la hausse tendancielle du taux d’emploi, devrait être de 0,15 % par an. Les gains au niveau du taux d’emploi seront de plus en plus réduits au fur et à mesure de son augmentation. Ce taux atteint, en moyenne, au sein de l’OCDE, 75 %. Il dépasse dans certains pays 78 % comme en Allemagne ou dans l’Europe du Nord. Les gains potentiels se situent avant tout au sein des pays d’Europe du Sud, France comprise.

Sans apport d’immigration, la population active diminuera au sein de nombreux pays de l’OCDE. La population des 20-64 ans, diminuera entre 2024 et 2030 de 0,2 % par an au sein de l’OCDE. Compte tenu de ces éléments, la croissance potentielle des pays de l’OCDE est estimée à 0,75 % par an pour les quelques prochaines années. selon Patrick Artus, chef économiste de Natixis.

Depuis une dizaine d’années, dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le partage des revenus est défavorable aux salariés, le salaire réel (calculé avec le prix du PIB) augmentant moins vite que les gains de productivité. Ces derniers ont progressé de 9 % de 2010 à 2022 quand en termes réels, les salaires n’ont augmenté que de 4 %. Depuis 2021, la productivité baisse risquant de provoquer une décrue du salaire réel. Selon les calculs de Patrick Artus, potentiellement, la masse salariale sera étale dans les prochaines années. Compte tenu de l’augmentation des personnes en emploi, cela devrait signifier une baisse du salaire réel, cependant, plusieurs facteurs pourraient freiner cette évolution naturelle des salaires. Les difficultés de recrutement des entreprises pourraient entraîner une hausse des salaires. Celle-ci pourrait certes provoquer une augmentation de l’inflation et réduire la progression des salaires réels. Néanmoins, elle pourrait inciter les entreprises à rechercher des gains de productivité en investissant dans le digital ou dans la robotisation.

Le désenchantement des populations face à la situation économique est en grande partie liée à une faible progression des salaires réels et au ralentissement de l’ascenseur social. La polarisation de l’emploi avec le développement des services domestiques faiblement rémunérés y concourt également. Sans gains de productivité et une augmentation de la population active, le pouvoir d’achat des ménages risque, de stagner dans les prochaines années, voire de reculer. Dans certains pays de l’OCDE dont la France, les gouvernements ont accru les dépenses de transferts sociaux pour pallier la stagnation ou au recul du pouvoir d’achat. Ces politiques atteignent leurs limites au vu des niveaux atteint par l’endettement public et compte tenu des besoins d’investissement que nécessitent la transition énergétique.

Transition énergétique et productivité ne sont pas les meilleures amies du monde !

La transition énergétique implique des investissements importants de production et de stockage d’énergies renouvelables, de décarbonation de l’industrie et des transports, de rénovation thermique des bâtiments et logements. Ces investissements nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique ne sont pas, en tant que tels, des sources de gains de productivité. Ils peuvent même entraîner le recul de cette dernière. Or, sans gains de productivité, la croissance tend à disparaître, ce qui rendra complexe le financement des investissements et des dépenses publiques.

En Europe comme aux États-Unis, la productivité par tête est en recul depuis 2021 de respectivement 3 et 5 points. Depuis la crise financière, la baisse avait été faible, surtout en Europe. La productivité par tête n’avait augmenté que de 5 % de 2010 à 2019 en zone euro, contre 10 % aux États-Unis. Cette baisse de la productivité s’explique par des changements de comportements des actifs face au travail et par une moindre diffusion du progrès technique en lien avec le sous-investissement constaté depuis 2008.

La transition énergétique nécessitera des investissements importants à hauteur de 3 à 4 points de PIB par an jusqu’en 2050. La production ou le stockage des énergies renouvelables, la décarbonation des process industriels et des transports, tout comme la rénovation thermique des bâtiments et logements exigent la réalisation d’équipements coûteux.

Tout investissement a comme contrepartie l’épargne. Or, le niveau de celle-ci ne se décrète pas. Le taux d’épargne de la nation a eu tendance, ces dernières années, à augmenter en passant, de 2010 à 2022, de 22 à 26 % du PIB pour la zone euro et de 16 à 19 % du PIB pour les États-Unis. Il n’est pas certain que la hausse des besoins d’investissement se traduise par celle du taux d’épargne. L’augmentation des taux d’intérêt devrait, en théorie, s’accompagner d’une hausse du taux d’épargne mais dans le passé, la corrélation entre les taux d’intérêt réels à long terme et le taux d’épargne est faible. Preuve étant, ce dernier a augmenté quand les taux d’intérêt étaient au plus bas. Les comportements d’épargne obéissent à de multiples facteurs. Le vieillissement de la population et la montée des incertitudes contribuent ainsi à l’augmentation du taux d’épargne.

Si le taux d’épargne n’augmente pas à due concurrence de la hausse des investissements en faveur de la transition énergétique, ces derniers se substitueront à d’autres. Les agents économiques effectueront des arbitrages au détriment des investissements de capacité ou de productivité n’ayant pas de lien avec la transition énergétique. Le risque de cette substitution est une baisse de la productivité. Les investissements destinés à la transition énergétique en l’état actuel des techniques ne dégagent pas de réels gains de productivité. L’efficience des énergies renouvelables est, pour le moment, inférieure à celle des énergies carbonées. La réalisation d’infrastructures de stockage de l’énergie ou de production d’électricité visant à pallier le déficit de vent ou de soleil, pèse sur la productivité. La transition énergétique provoque également l’obsolescence d’équipements qui n’ont pas été obligatoirement amortis, ce qui induit également des surcoûts.

La lutte contre le réchauffement climatique est une nécessité mais elle risque de peser lourdement sur la productivité des économies. Elle freinera les investissements de productivité et de capacité traditionnels. Tout le pari est de pouvoir dégager des gains de productivité grâce aux nouvelles technologies mises en œuvre dans le cadre de la transition énergétique. Les changements de process de production peuvent déboucher sur une productivité accrue. Cette exigence de productivité est incontournable tant pour financer les dépenses générées par la transition énergétique que pour financer celles liées au vieillissement (santé, retraite, dépendance) et celles liées aux besoins en matière d’éducation ou de défense.