17 août 2019

Le Coin des Tendances

Tu manges comme tu es à moins que cela soit l’inverse

Jusqu’à la première révolution industrielle, la principale activité humaine a été d’assurer sa survie en ayant accès à une alimentation suffisante. Pour de nombreux terriens, cela demeure toujours, en 2019, la première des priorités et notamment pour les 800 millions de personnes souffrant de sous-alimentation.

Au cours des siècles, l’alimentation a connu de profondes évolutions qui ont elles-mêmes interférées sur l’organisation de la société et sur le comportement des êtres humains. En ce début du XXIe siècle, le défi alimentaire est pluriel. En effet, l’agriculture doit tout à la fois satisfaire une population qui atteindra 11 milliards d’habitants d’ici 2100 et réduire son empreinte sur l’environnement. Par ailleurs, si une partie de la population n’arrive pas à se nourrir en quantité suffisante, une autre partie est victime d’une suralimentation. De plus l’industrialisation de l’alimentation et les goûts de la population aboutissent à une perte de qualité et de diversité dans la nourriture. En outre, le repas collégial, en famille, moment de partage et d’échange tend à disparaître pour laisser la place à un grignotage en solitaire.

L’Homme, pour se nourrir, a longtemps eu recours, en étant nomade, à la cueillette et à la chasse. Il se déplaçait afin de trouver sa nourriture, suivant les troupeaux sauvages ou en fonction de l’évolution du climat. Ce mode précaire d’alimentation s’accompagnait d’une très faible croissance démographique. Vers -12 000 avant notre ère, la population humaine s’élevait, selon certaines estimations à environ 3 millions de personnes. C’est à ce moment-là qu’ils commencent à cultiver des plantes. Deux mille ans plus tard, ils se mettent à l’élevage. Les premiers produits alimentaires fabriqués apparaissent alors sous la forme notamment de bières et de pains. Le vin commencera à se diffuser vers 5400 ans avant Jésus Christ. La culture des céréales, de la vigne, l’élevage de certains animaux aboutissent progressivement à la fin du nomadisme. Ce changement de mode d’alimentation conduit à celui de l’organisation des sociétés qui deviennent plus inégalitaires. Les tâches se spécialisent au sein des tribus. La chasse, la culture, l’élevage et la sécurité peuvent être assurés par des personnes distinctes en fonction de leurs capacités et de leur âge. Par ailleurs, la transmission des savoirs de plus en plus indispensable avec la complexification du mode d’alimentation est réalisée par les prêtres, les religieux. Le repas devient un lieu clef de la vie des familles. Il est le lieu et le moment des échanges et du partage. Le recours à une langue de plus en plus riche s’impose du fait du recours à des techniques de plus en plus pointues. Le repas est aussi un symbole de puissance. Le banquet devient une expression du pouvoir. 3000 ans avant Jésus Christ, en Mésopotamie, à Babylone, des traces écrites existent faisant mention de banquets. Les Dieux et donc les ordres religieux en sont les premiers bénéficiaires. Il s’agit d’une forme d’impôt. En Irak, 900 ans avant notre ère, le roi Assurnasirpal est connu pour avoir tenu table ouverte durant onze jours. Pour les Grecs, les peuples qui ne cultivent pas et qui ne banquettent pas, sont des barbares. Le mot banquet apparaîtra en France bien plus tard vers 1300. Il est importé d’Italie (banchetto). Il signifie festin. Il fait également référence au banc et à la banque. Faire ripaille suppose être assis mais aussi avoir de l’argent, d’avoir fait des réserves.

Les religions, organisatrices des repas

Ainsi, La Cène qui correspond au « repas du soir » est le nom donné dans la religion chrétienne au dernier repas que Jésus-Christ prit avec les douze apôtres le soir du Jeudi saint, avant la Pâque juive, peu de temps avant son arrestation. Dans la religion juive, il est fait mention de banquets communautaires pour célébrer l’arrivée dans le Royaume de Dieu des défunts. Cette pratique a perduré jusqu’à nos jours.

Les interdits ou les restrictions alimentaires existent dans toutes les religions. Ils visent à préserver les réserves alimentaires en limitant certains jours la consommation par exemple de viande. La crainte de transmission de certaines maladies entraîne que certains animaux sont jugés inaptes à la consommation. Ces interdictions sont aussi dictées par le fait que les animaux en question peuvent être plus utiles vivants que morts. L’interdiction de la consommation, en particulier dans les pays chauds, d’alcool vise à éviter des comportements collectivement nuisibles.

La table, le lieu et le temps de la solidarité ainsi que de la politique

Manger est synonyme de convivialité, de communion et de solidarité. À partir du XIIe siècle, le mot « hostellerie » apparaît en lien avec le terme d’hospitalité. Ce sont les institutions religieuses qui se chargent de sustenter les nécessiteux, les voyageurs, les pèlerins. Les autorités surveillent très tôt ces établissements qui sont des lieux d’échanges de biens mais aussi d’idées. Des registres sont établis afin de connaître les personnes qui y sont hébergées. Durant la Révolution française, les cafés, les restaurants seront au cœur de la vie politique. Le café, le Procope, ouvert en 1686, deviendra ainsi célèbre.

Le banquet, une arme diplomatique plus efficace que la guerre

Les repas ont été de tout temps au centre des relations diplomatiques. Le 13 juillet 2017, ainsi, Emmanuel Macron avait convié Donald Trump à dîner au restaurant gastronomique de la Tour Eiffel, le Jules Vernes. Ce repas s’inscrit dans une longue tradition. Ainsi, du 7 au 24 juin 1520, pendant la rencontre du Drap d’Or, François 1er, roi de France, et Henri VIII, roi d’Angleterre, enchaînent les festins. 2 000 moutons, 700 anguilles de mer, 50 hérons furent ainsi consommés. Lors du mariage d’Henri IV avec Marie de Médicis, le 17 décembre 1600, quatre services durèrent toute la journée. Même si Napoléon 1er n’aime guère perdre du temps dans de longs repas, il laisse à Talleyrand le soin de s’occuper de la cuisine diplomatique dans tous les sens du terme. Après l’abdication de l’Empereur, en 1815, Talleyrand, lors du Congrès de Vienne, tint table ouverte en déclarant à Louis XVIII « Sire, j’ai plus besoin de casseroles que d’instructions ». La France vaincue prend sa revanche par la force de sa gastronomie. Les Britanniques, les Russes et les Autrichiens se ruent chez le négociateur français.

Les repas au cœur de la gouvernance des États

Les repas des monarques et des empereurs permettent non seulement la magnificence du pouvoir mais ils sont aussi des moments de la gouvernance du royaume ou de l’empire. Louis XIV déjeune en public. Il mile ? la cène du Christ mais à son profit exclusif. Être admis à la table du Roi, ne signifie pas y manger mais constitue tout à la fois une promotion et une subordination. En ayant les princes, les ministres autour de lui, le Roi peut distiller ses ordres et ses consignes. Napoléon 1er fera de même. Les Conseils des ministres se tiennent aujourd’hui, encore à l’Élysée autour d’une table qui pourrait servir à un banquet. En effet, la réunion a lieu chaque semaine dans le salon Murat sur une grande table montée sur tréteaux spécialement à cet effet.

Quand l’industrie s’occupe de votre assiette

Avec le XIXe siècle, l’alimentation s’industrialise. De nombreuses découvertes autorisent d’accroître les rendements agricoles et d’augmenter le nombre de produits alimentaires. Cette évolution s’accompagne d’une forte progression de la population qui dépasse un milliard d’habitants en 1800. En 1810, Nicolas Appert invente le procédé de conservation des aliments en le chauffant et en rendant hermétique les bocaux dans lesquels ils sont placés. Napoléon 1er décide d’utiliser les conserves pour améliorer le quotidien des armées mais il n’aura pas l’occasion d’en vérifier l’intérêt faute de moyens et de temps. Le recours à la betterave pour produire du sucre initié toujours par Napoléon 1er afin de compenser les effets de l’embargo britannique sur le sucre de canne donnera naissance à une puissante industrie sucrière en France. En 1836, les premières tablettes de chocolat sont produites grâce à Antoine Menier. En 1847, Jean Romain Lefèbvre, à Nancy, avec son épouse Pauline-Isabelle Utile crée l’entreprise LU qui fabrique des biscuits secs. En 1863, à l’initiative de Napoléon III, Louis Pasteur invente un nouveau processus de conservation des aliments, la pasteurisation, permettant de tuer des gènes indésirables. Les aliments sont chauffés entre 65 et 100 degrés avant d’être refroidis très rapidement. En 1886, à Atlanta, un pharmacien invente le Coca Cola qui contient alors de la cocaïne qui sera retiré de la recette tenue jusqu’à maintenant secrète, en 1904. Au tournant du siècle, les cornflakes, les sauces tomates en boite ou en tube, se développent. Les ménages achètent de plus en plus de biens alimentaires transformés. Avec l’urbanisation, avec l’essor de l’industrie ainsi que celui des grandes entreprises, les hommes et les femmes sont contraints, faute de temps, faute de terrains, d’acheter la quasi-totalité de leur nourriture. Des jardins ouvriers apparaissent mais cela est de plus en plus marginal. L’invention du réfrigérateur personnel, en 1913, permettra à tout un chacun de conserver dans de bonnes conditions, la nourriture achetée.

La révolution agricole est avant tout une révolution chimique. Le recours aux engrais, aux produits phytosanitaires permet des gains de productivité inimaginable au XVIIe siècle. Les engrais azotés et potassiques commencent à être fabriqués à Valenciennes en 1838. La généralisation de leur utilisation n’intervient en France qu’après 1870. Ainsi, en 1871, la Société Saint-Gobain monte deux usines de fabrication des superphosphates : à Chauny et à Montluçon. Au niveau mondial, la consommation de phosphate comme engrais est passée de 5 millions de tonnes à 43,8 millions de tonnes en 2013. Seulement 30 % de ce phosphate atteindrait les plantes, le solde serait gaspillé. 

L’industrialisation de la nourriture est accélérée par les deux conflits mondiaux. Mac Donald naît, en 1937, sur la route 66. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les soldats américains popularisent les tablettes de chocolat, les chewing-gums et le Coca Cola.

En travaillant sur les gènes, les chercheurs arrivent à modifier les plantes afin de les rendre résistantes à toute sorte de nuisibles. Ainsi, en 1996, Monsanto met au point une variété de soja résistant aux glyphosates. 3 % des terres sont aujourd’hui occupées par des plants OGM. Aux États-Unis, ce taux est de 17 %.

Gloire et déboire de l’agriculture moderne

Le XXe siècle sera celui de l’industrialisation de la nourriture mais aussi des famines.  Ainsi, en 1958, en Chine, la réforme agricole lancée par Mao entraîne la mort de 30 à 45 millions de personnes. Au Nigeria, en 1967 (au Biafra), de 500 000 à un million d’habitants meurent de faim. Au Cambodge, en affirmant que toute denrée alimentaire appartient au parti communiste, les pouvoirs publics provoquent, par manque de nourriture mais aussi par maladie et travail forcé, la mort de 1,5 à 3 millions de personnes. Malgré tout, l’agriculture arrive à faire face à l’augmentation rapide de la population mondiale. Cette dernière passe de 1,6 à 2 milliards d’habitants de 1900 à 1930. La planète compte 4 milliards de personnes en 1974 et 7,4 milliards en 2019. D’ici la fin du siècle, la population mondiale pourrait atteindre entre 10 et 11 milliards d’habitants. La proportion de personnes sous-alimentées est en baisse permanente. Elle est passée de 25 % en 1974 à 18,6 % en 1990 puis à 12,5 % en 2018. La diminution du nombre d’agriculteurs témoigne de l’importance des gains de productivité. Au sein des pays développés, la proportion d’agriculteurs au sein de la population active est passée de 35 à 4 % de 1950 à 2010. De 1945 à 2019, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 79 % quand, sur la même période, la population a augmenté de 20 millions de personnes. Si en 1900, en Europe, un agriculteur nourrissait 4 personnes, aujourd’hui, c’est plus de 135. L’industrie agroalimentaire générait, en 2017, un chiffre d’affaires de 4 900 milliards de d’euros, plus de deux fois le PIB français ou le double du chiffre d’affaires de l’industrie automobile mondiale. Malgré ces progrès, 9,1 millions de personnes sont mortes de faim en 2017 et 815 millions étaient sous-alimentées. 2 milliards soufrent de carences.

L’agriculture serait-elle devenue sa pire ennemie ? Ainsi, en un siècle, selon Jacques Attali, un milliard d’hectares de terres fertiles serait devenu incultivable en raison de la disparition de la matière organique ou de l’érosion. Selon le généticien José Esquinas Alcazar, 75 % de la diversité agricole aurait été perdu du fait de la sélection des espèces pour accroître le rendement.  Aux États-Unis, seulement 5 % des 8 000 variétés de pommes de terre présentes en 1900 sont encore aujourd’hui consommées. Certains produits alimentaires n’ont plus rien de naturel. Ainsi, certains fromages ne comportent aucune goutte de lait comme la mozzarella utilisée pour les pizzas. La mozzarella est de l’amidon mélangé avec des gélifiants, des épaississants et des édulcorants.

L’alimentation, source de vie, du fait de nos comportements, provoque des maladies comme le diabète ou l’obésité. À l’échelle mondiale, le nombre d’obèses a plus que triplé depuis 1975 et dépasse le nombre de sous-alimentés. 2 milliards de personnes sont en surpoids et 650 millions sont obèses. L’obésité trouve son origine dans l’usage excessif de sucre. Cette obésité a provoqué une explosion du nombre de diabétiques. De 1980 à 2017, la proportion de diabétiques est passée de 4,5 à 8,5 %. Le sucre serait responsable de l’essor de certains cancers et de certaines pathologies dégénératives.

Quand la table ne rime plus avec conversation

De plus en plus, les hommes et les femmes mangent seuls, dans leur bureau, sur le chemin du travail ou dans leur salon voire dans leur chambre. Le repas, lieu de partage et de conversation est en voie de disparition. La tendance est à l’individualisation des repas. De plus en plus, à l’exception des fêtes religieuses ou nationales ainsi que lors d’évènements familiaux (mariage, enterrement, etc.), chacun se compose son menu. Aux États-Unis, le temps consacré au déjeuner ne dépasse pas, en 2018, 30 minutes. Ce temps est en baisse constante. En France, il est de 50 minutes mais il dépassait une heure trente il y a vingt ans.

La France fait encore exception. Même si les repas d’affaires sont en net recul, même si le midi, les cantines ont laissé place à la restauration rapide qu’elle soit d’inspiration américaine, asiatique ou française, les familles se retrouvent encore le soir et le week-end autour d’une table. Les Français passent à table 2h11 par jour contre 1h31 pour l’ensemble des habitants de l’OCDE. Les horaires des repas sont encore respectés. La moitié des Français déjeune ainsi entre 12h30 et 13h30. La majorité des américains ne respecte pas les horaires traditionnels des repas, ce qui amène au développement du grignotage.

Mais, cette résistance française qui se traduit également par le succès des émissions de télévision consacrées à la gastronomie est peut-être un chant du cygne. Les nouvelles générations n’échappent pas à la dictature des écrans. 61 % des jeunes de moins de 25 ans déclarent manger au moins un repas sur deux devant un écran. 80 % considèrent que cela est plus agréable que de passer à table.  54 % jugent inutile de manger à heure fixe. 48 % ne mangent plus au petit déjeuner et préfèrent grignoter tout le long de la journée. 35 % des jeunes déclarent qu’ils préfèrent ne pas effectuer de repas en optant pour le grignotage. Parmi les activités essentielles à la vie, l’alimentation passe pour les jeunes après l’habillement, le smartphone ou les loisirs.

La société est de plus en plus mobile. La transmission des règles traditionnelles de la cuisine dite bourgeoise s’effectue avec plus de difficulté. La montée en puissance du travail féminin, l’exiguïté des cuisines et la multiplication des sollicitations tant de la part de l’industrie agroalimentaire que de la société des loisirs réduit le temps utile pour cuisiner.

La soutenabilité de notre mode d’alimentation en question

Le changement de nos modes alimentaires est-il incontournable tant du fait de l’augmentation de la population qu’en raison de la contrainte environnementale ? Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) approuvé mercredi 7 août par les 195 délégations des pays membres traite notamment de la gestion durable des terres et de la sécurité alimentaire ainsi que des flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres

Le système alimentaire actuel est responsable de 23 % des émissions de gaz à effet de serre à travers l’agriculture, la sylviculture, l’élevage et l’ensemble des activités liées à la terre. En y ajoutant les transports et la transformation des produits alimentaires, le taux est bien plus important. La production de viande est en grande partie responsable des émissions de gaz à effet de serre. L’approvisionnement en viande par habitant a plus que doublé en moyenne depuis 1961.

Le GIEC souligne que si 820 millions de personnes souffrent de la faim, deux milliards d’adultes sont en surpoids ou obèses et 25 à 30 % de la production totale de nourriture est gaspillée. La surconsommation de viande est responsable de nombreux problèmes de santé. De ce fait, le GIEC propose la généralisation de régimes équilibrés reposant sur des aliments à base de plantes, tels que ceux basés sur les céréales secondaires, les légumineuses, les fruits et légumes, les fruits à coque (amandes, noix de cajou, noisettes, etc.), les graines, ainsi que les aliments d’origine animale produits dans des systèmes résilients, durables et à faibles émissions de gaz à effet de serre. Le GIEC préconise de limiter la consommation de viande et de poisson à une fois par semaine. Un américain moyen consomme vingt fois trop de viande rouge et dix fois trop de volaille mais moins que nécessaire de légumes et de fruits. Plusieurs études ont prouvé que la surconsommation de viande favorisait l’apparition de maladies cardiovasculaires (étude de l’université de Washington) et l’absorption régulière de nourriture transformée augmenterait le risque de cancer (étude publiée dans le Britrish Medical Journal en 2018). Aux États-Unis, 34 000 cancers seraient, chaque année, occasionnés par la consommation de viande transformée.

L’élevage représente 40 % de la production agricole mondiale. Chaque année, nous tuons 60 milliards d’animaux pour manger. 1,2 milliard de porcs sont consommés chaque année, 123 millions de tonnes de volaille.

Dans les pays occidentaux, la consommation de viande est en déclin, et tout particulièrement en France mais cela ne signifie pas que les ménages se nourrissent mieux. En effet, ils privilégient de plus en plus les céréales sucrés ou les biscuits salés.

Face à l’industrialisation de la nourriture, le courant bio connait un essor sans précédent. En France, 6 % des terres cultivées le sont en produits bio. En Autriche, ce ratio est de 24 %. En 2018, la valeur des achats des produits alimentaires issus de l’agriculture biologique a progressé de 1,4 milliard d’euros soit une croissance de 15,7 % par rapport à 2017 (données agence du Bio France). Près de 5 % de la consommation alimentaire des ménages est consacrée aux produits bios. Malgré tout, l’usage de produits phytosanitaires continue à augmenter. La France se situait, en 2014, au deuxième rang (66 659 tonnes), après l’Espagne (69 587 tonnes) et devant l’Italie (49 011 tonnes). L’idée de consommer des produits cultivés ou des animaux élevés à proximité est partagée par une part croissante de la population occidentale. 61 % des Français déclarent préférer les produits locaux afin de soutenir les agriculteurs de leur pays. 32 % pensent que les produits locaux et français sont meilleurs que les autres. Ce souhait n’est pas toujours le plus efficient sur le plan économique comme sur le plan écologique. En effet, les produits cultivés dans des pays lointains peuvent remplir en fret des bateaux et des avions venus livrer des exportations. Par ailleurs, ces produits vendus sur nos marchés peuvent générer des revenus qui peuvent financer le développement d’autres activités. Au niveau écologique, l’agriculture extensive des pays d’Amérique latine et des États-Unis est moins consommatrice d’engrais et de produits phytosanitaires que celle des pays européens.

Le rapport à l’alimentation évolue dans des sens très opposés. Nous sommes abreuvés de consignes pour bien manger (cinq fruits et légumes par exemple). Les magasins de produits bios se multiplient. Les émissions de télévision avec des grands chefs cuisiniers connaissent un succès grandissant. Mais dans le même temps, l’industrialisation de l’alimentation se poursuit et le temps dévolu à cette activité diminue. Par ailleurs, si nous sommes conscients que la soutenabilité de notre mode d’alimentation est impossible à moyen terme, sa remise en cause est délicate. Par ailleurs, comment interdire aux populations accédant à la société de consommation de nous imiter avec à la clef, un gaspillage de produits alimentaires croissant ?

La spéculation immobilière est-elle une réalité ?

Face à la montée des prix de l’immobilier, certains estiment que la France est menacée d’une bulle spéculative. D’autres mettent en avant qu’il devient impossible pour des jeunes actifs, pour des personnes à revenus modestes voire moyens de trouver un logement. Dans des régions comme la Corse, des élus souhaitent que des mesures soient prises afin de lutter contre la spéculation ou contre une spoliation de la terre.

Une opération immobilière peut être considérée comme spéculative si elle est motivée par l’augmentation attendue de la valeur du bien. La spéculation suppose une augmentation rapide des prix combinée à des transactions immobilières importantes avec une durée de détention des biens faibles. La spéculation suppose une rotation rapide des biens. Elle est souvent associée à un financement par crédit, avec un effet de levier important. Elle aboutit à une déconnexion de la valeur des biens des revenus. Dans le passé, la France a connu des périodes d’intense spéculation immobilière, en particulier lors du réaménagement par le Baron Haussmann à Paris.

Avec les taux d’intérêt faibles, avec l’essor du crédit, avec l’augmentation continue des prix, pouvons-nous considérer que nous sommes confrontés à une bulle immobilière spéculative ?

En France, les prix immobiliers sont avant tout portés par la rareté de l’offre et par une demande qui reste dynamique du fait de l’évolution démographique. La population française continue à progresser. Elle se concentre de plus en plus au sein des grandes agglomérations et sur le littoral qu’il soit atlantique ou méditerranéen. Cela induit des goulets au niveau de l’offre d’autant plus que les politiques de protection de l’environnement raréfient le foncier (exemple en Corse après l’adoption du PADDUC).

En vingt ans, les prix de l’immobilier ont plus que doublé en France mais de manière très différenciée selon les régions, les agglomérations. Le marché immobilier est en effet segmenté en multiples sous-marchés qui ont leurs caractéristiques propres, en matière d’élasticité de l’offre (c’est-à-dire du nombre d’agents prêts à vendre leur bien immobilier en cas de hausse des prix) et d’élasticité de la demande. Que ce soit dans les grandes agglomérations et dans certaines communes du littoral, l’appréciation des biens est bien supérieure à l’augmentation des prix. Au sein des grandes agglomérations, les ménages ont des difficultés pour se loger. Au niveau du littoral, la question est plus complexe. En effet, les résidences secondaires et les investissements immobiliers pour le tourisme entrent en concurrence avec les résidences principales. En Corse, 37 % des logements sont des résidences secondaires contre une moyenne nationale de 11 %. Cette proportion n’a pas empêché la croissance du nombre de résidences principales. Depuis 2010, leur nombre progresse à un rythme annuel moyen de 1,7 %, plus rapide que la moyenne métropolitaine (+ 0,9 %). Entre 2010 et 2015, le parc de résidences secondaires croît à un rythme annuel moyen de 3,3 %, soit trois fois plus rapidement que pendant la période 1990-1999. Comme au niveau national, le rythme de croissance du parc de résidences secondaires est supérieur à celui des résidences principales. Il est deux fois plus élevé dans la région.

Étant donné des spécificités locales de l’immobilier, les moyennes nationales voire régionales n’ont guère de signification. Ainsi, en Corse, les prix augmentent fortement dans le Golfe d’Ajaccio, en Balagne, à Bastia comme à Porto-Vecchio quand leur hausse est plus que modérée à vingt kilomètres des côtes. Les tensions sont les plus fortes quand la croissance démographique s’accompagne d’une forte demande pour les résidences secondaires. Cette situation est constatée à l’Île de Ré, à Arcachon et dans certaines communes de la Cote d’Azur. Les îles en étant des espaces clos à forte identité sont naturellement plus sensibles à la problématique d’accès au logement.

Quels sont les moyens pour lutter contre la spéculation immobilière ?

La taxation des plus-values immobilières constitue un des outils de lutte contre la spéculation. En effet, les opérations de ventes concernant les résidences secondaires peuvent être taxées jusqu’à 36,2 %. Cette taxation est de deux natures, fiscale et sociale. Le taux de l’impôt est de 19 %. Un abattement est prévu en fonction de la durée de détention. Il est de 6 % par année à compter de la 6ème année jusqu’à la 21ème année et de 4 % la 22ème année. Ainsi, au terme de 22 ans, le taux est ramené à 0 %.

Les plus-values sont également assujetties aux prélèvements sociaux. Leur exonération n’intervient qu’après 30 ans. L’abattement est de 1,65 % à compter de la 6ème année de détention, de 1,60 % la 22ème année et de 9 % à partir de la 23ème année.

Cette taxation pourrait être accrue dans les premières années afin d’éviter les opérations spéculatives et atténuée au-delà de 10 ans. Par ailleurs, les pouvoirs publics pourraient contrôler les montages permettant d’échapper à cette taxation. Certaines résidences secondaires sont enregistrées comme principales pour échapper à l’impôt. Une obligation de résidence réelle de deux à trois ans pourrait être instaurée. L’application de la taxation des plus-values aux résidences principales pourrait également éviter certains dérapages spéculatifs. Cette mesure serait, en revanche, très impopulaire. L’État pourrait confier la taxe sur les plus-values aux collectivités locales avec une possibilité d’en fixer le taux.

La multiplication des locations saisonnières est souvent pointée du doigt. En effet, dans les zones touristiques, les propriétaires de biens immobiliers ont avantage à louer en saisonnier qu’à le faire à l’année. Cette situation restreint le nombre de logements disponibles. En la matière, la législation en vigueur à Paris et dans les grandes villes pourrait s’appliquer dans les villes touristiques. Ainsi, une distinction entre les différents types de loueurs et de location serait instaurée.

Les résidents conservent la possibilité de louer moins de 4 mois dans l’année leur logement (soient 120 jours) sans démarche administrative particulière. Ils peuvent ainsi profiter de revenus complémentaires, sans demander d’autorisation. En revanche, au-delà, il faut demander l’autorisation et effectuer une compensation. À Paris, le bailleur doit transformer en habitation, un local commercial, une boutique ou encore un bureau, d’une surface équivalente et dans le même arrondissement pour ensuite le mettre en location. Cette acquisition/transformation compense donc le retrait d’un bien du parc privé d’habitation principale. Une lourde sanction est prévue en cas de transgression. Cette mesure pourrait s’appliquer à tous les détenteurs de résidence secondaire et qui ne sont pas inscrits en tant que loueur professionnel ou qui n’ont pas le statut de résidence hôtelière. La compensation aurait l’avantage de préserver le parc de logements destinés à la résidence principale. 

L’autre moyen pour éviter la hausse des prix et les pratiques excluant les résidents locaux du marché serait de mieux contrôler les transactions en surveillant l’existence de commissions ou de paiement en nature. Les pouvoirs publics pourraient aussi avoir la possibilité d’interdire des ventes dont le prix de vente pourrait être considéré comme excessif. Cet encadrement des prix de vente en zone tendue serait le corollaire de l’encadrement des loyers.

Au-delà de ces mesures, il faut bien prendre conscience que le prix de l’immobilier obéit à la règle de la rareté. Le concept de mixité sociale avec la création de quelques logements sociaux au sein de quartiers huppés sert souvent de béquilles pour masquer le problème d’accès à la résidence principale. Les pouvoirs publics sont confrontés à des objectifs contradictoires, accession à la propriété, protection de l’environnement, dynamisme économique. La France s’est dotée d’une réglementation urbanistique parmi les plus sévères d’Europe. La population est, en outre, très réfractaire à la construction de tours, d’immeubles de haute taille ou de nouveaux ensembles. Les actuels détenteurs de résidence principale bénéficiant d’importantes plus-values ne souhaitent en aucun une baisse des prix de l’immobilier. Le marché est détenu par les propriétaires ce qui rend difficile son accès aux primo-accédants.