25 avril 2020

Le Coin des Tendances

Les Français, leur logement et le confinement

Le confinement a donné lieu à « l’émigration » de près de 500 000 Franciliens de leur logement vers leur résidence secondaire ou vers des lieux de villégiature familiaux. Ces départs ont été, dans certain nombre de cas mal ressentis par les populations locales qui craignaient que les Parisiens ne les contaminent. Cette émigration de l’intérieur a ainsi souligné que les Français n’étaient pas tous égaux face au confinement. Entre les habitants des grandes villes et des banlieues occupant des appartements plus ou moins exigus et ceux demeurant dans une maison pouvant bénéficier d’un jardin, les conditions de vie ne sont pas exactement les mêmes.

En temps normal, selon l’INSEE, près des deux tiers de la population vivent dans une maison, laquelle possède un jardin dans 95 % des cas. Plus d’un tiers vit en appartement où l’accès à l’extérieur est plus restreint. En 2013, seules 6,2 % des résidences principales en immeuble collectif disposent d’un espace privatif comme un jardin, un terrain ou une cour.

La suroccupation des logements, un phénomène urbain

Pour l’INSEE, le concept de suroccupation repose sur la composition du ménage et le nombre de pièces du logement. Un logement est suroccupé quand il lui manque au moins une pièce par rapport à la norme d’« occupation normale », fondée sur :

  • une pièce de séjour pour le ménage ;
  • une pièce pour chaque personne de référence de chaque famille occupant le logement ;
  • une pièce pour les personnes hors famille non célibataires ou les célibataires de 19 ans ou plus ;
  • pour les célibataires de moins de 19 ans, une pièce pour deux enfants s’ils sont de même sexe ou ont moins de 7 ans, sinon, une pièce par enfant.

En 2016, selon l’INSEE, plus de 5 millions de personnes, soit 8,2 % de la population hors Mayotte, vivent dans un logement suroccupé. Cette situation touche 3,2 % de la population vivant en maison et 16,5 % de celle vivant en appartement. La suroccupation est concentrée dans les grandes agglomérations. 74 % des ménages vivant dans un logement suroccupé habitent dans une agglomération de plus de 100 000 habitants, dont 40 % dans l’agglomération parisienne. Elle ne concerne que 2,3 % des ménages dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants. Elle s’élève à 5,3 % dans celles de plus de 100 000 habitants. En région parisienne, près de 14 % des ménages sont dans cette situation. La Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) suit la région parisienne avec un taux de 7,5 %. Au niveau des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), la proportion de familles concernées par la suroccupation atteint 25,4 % en Île-de-France et 18,0 % en PACA. Pour certains quartiers, ce taux dépasse 35 %. D’autres régions moins urbanisées se caractérisent par une forte proportion de logements suroccupés. Ainsi, en Corse où 50 % de la population vit en appartement, 6,1 % des ménages sont concernés. La concentration de la population au sein des deux grandes agglomérations, Ajaccio et Bastia, avec un prix du foncier élevé explique cette situation. La modicité des revenus des ménages corses les empêche de disposer en ville d’appartements adaptés au nombre de personnes. Les Départements d’Outre-Mer sont confrontés à ce problème de suroccupation. 34,5 % des ménages en Guyane, 10,4 % à La Réunion, 9,0 % en Martinique et 8,7 % en Guadeloupe sont dans cette situation.

La suroccupation, un problème fréquent pour les familles monoparentales

La composition du ménage influe fortement sur les situations de suroccupation. Seulement 1,7 % des couples sans enfant vivent dans un logement suroccupé. Ce taux s’élève à 8,1 % pour les couples avec enfants et à 18,1 % pour les familles monoparentales. Parmi les couples ayant un ou plusieurs enfants de moins de 10 ans, 9,9 % vivent dans un logement suroccupé. Ce taux de suroccupation atteint même à 25,0 % chez les familles monoparentales ayant un ou plusieurs enfants de cette tranche d’âge.

Les familles monoparentales avec des enfants jeunes sont surreprésentées dans les DOM, à Marseille, à Belfort à Lille, à Brest et à Évreux. Certains territoires abritent une forte proportion de personnes (plus de 10 %) vivant en famille monoparentale et en appartement, notamment dans les DOM, à Marseille ou Belfort.

La solitude et le confinement

Les personnes vivant seules sont plus touchées par le confinement que les familles. Cette solitude est encore plus difficile à vivre pour les personnes âgées qui doivent au maximum limiter leurs sorties.

Selon l’INSEE, en France, 10,5 millions de personnes vivent seules, soit 16 % de la population. Parmi elles, 2,4 millions sont âgées de 75 ans ou plus. Elles résident principalement dans les grandes agglomérations. Plus de 40 % vivent ainsi dans une agglomération d’au moins 100 000 habitants. A la mi-mars, de nombreuses personnes vivant seules ont rejoint des proches ou des membres de la famille. Les regroupements ont concerné les étudiants, les jeunes actifs et une partie des seniors.

Les personnes âgées vivant seules représentent une part importante de la population dans les territoires ruraux, en particulier ceux du centre de la France. Elles représentent 6,2 % des habitants de la Creuse et plus de 5,5 % des habitants de la Nièvre, de l’Indre, de l’Allier ou encore de la Corrèze. L’isolement peut entraîner des difficultés pratiques pour le ravitaillement. 13,3 % des personnes de 75 ans ou plus vivant seules résidant en France dans une commune sans aucun commerce alimentaire généraliste. Ce taux s’élève à 45 % dans la Meuse ou la Haute-Saône. De nombreuses communes ont, avec le confinement, mis en place des services de plateaux repas pour les personnes âgées.

Lecture : dans certaines communes du centre de la France, la population âgée de 75 ans ou plus vivant seule à domicile représente plus de 6 % de la population vivant en logement ordinaire.Champ : France hors Mayotte, population des logements ordinaires.Source : Insee, recensement de la population 2016, exploitation complémentaire.

Isolement et pauvreté

1,7 million de personnes seules vivent sous le seuil de pauvreté en France métropolitaine représentant 16,7 % de la population vivant seule, soit un taux de pauvreté supérieur à celui de l’ensemble de la population (14,1 %).

Les personnes handicapées qui sont, 1,2 million de personnes à recevoir l’allocation adulte handicapé en 2018, cumulent souvent isolement et pauvreté. Parmi elles, sept sur dix vivent, en effet, seules. Ces adultes handicapés vivant seuls sont plus souvent des hommes (58 %) et 45 % d’entre eux ont plus de 50 ans.

L’absence d’accès à Internet, un vecteur de marginalisation

La crise du covid-19 s’est traduite par une nouvelle montée en puissance d’Internet. Que ce soit pour le téléchargement des autorisations de déplacement que pour les consultations médicales ou pour le suivi pédagogique des enfants devant rester à domicile, le recours à Internet est incontournable. En France, en 2019, 12,0 % des personnes n’ont pas accès à Internet à leur domicile, quel que soit le type d’appareil (ordinateur, tablette ou téléphone portable). Cette part varie peu selon les territoires, de 14,1 % dans les plus petites agglomérations jusqu’à 8,2 % dans celle de Paris.

La proportion de personnes n’ayant pas accès à Internet est plus élevée pour les personnes plus âgées (53 % des 75 ans ou plus) et les peu diplômés (34 % des personnes sans diplôme ou titulaires d’un certificat d’études primaires). Parmi les enfants de moins de 17 ans, 2 % ne disposent pas de l’abonnement ou du matériel nécessaire à leur domicile habituel pour se connecter à Internet. Cette part s’élève à 3,5 %, presque le double, pour les enfants des familles monoparentales.

Selon l’INSEE, 38 % des utilisateurs manquent ainsi au moins d’une compétence parmi la recherche d’information, l’utilisation de logiciels, la résolution de problèmes ou la communication, et 7,5 % des utilisateurs ont des difficultés à communiquer à l’aide d’Internet, par messagerie ou par les réseaux sociaux.

La suroccupation des logements comme les inégalités d’accès à Internet ont incité les pouvoirs publics à proposer la reprise des cours dès la mi-mai, avec comme priorité les élèves des écoles primaires et des collèges. Dans le cadre de la relance de l’économie, un effort en faveur de la construction devrait être entrepris afin de régler un des problèmes anciens en France, l’accès au logement. Depuis plusieurs années, en raison d’un foncier trop rare et trop cher, le nombre de logements construits tend à diminuer. Les faibles taux d’intérêt et les records du Livret A n’y font rien, tout comme les aides publiques qui sont, en France, parmi les plus élevées d’Europe. La libération d’espaces fonciers et l’élaboration de schémas d’aménagement du territoire plus volontaristes seront nécessaires.

Le Covid-19 au temps de la guerre médiatique

Dans sa déclaration du 16 mars 2020, le Président de la République a martelé que la France était en guerre contre le coronavirus, ce dernier étant désigné comme un ennemi invisible. Cette guerre a conduit à la mobilisation générale de l’ensemble du système de santé. Elle a ses premières lignes avec le personnel soignant, ses deuxièmes lignes en charge de la logistique d’un pays confiné et ses lignes « arrières » avec notamment des millions de télétravailleurs. Cette guerre d’un nouveau type ne s’est pas accompagnée comme pour les précédentes de la mise en place d’une censure au niveau de l’information. Les médias n’ayant plus qu’un seul sujet à traiter ont multiplié les émissions spéciales, les reportages, les interviews avec comme thème unique le covid-19. Les soldats, les médecins, les professeurs, les chefs de service, les infirmiers, les aides-soignants ont été appelés à témoigner sur les très nombreuses chaînes d’information. Les anciens ministres de la santé, de multiples experts ont été sollicités afin de donner, en direct, leur point de vue. La guerre du coronavirus est un phénomène médiatique. Plus de 94 % des téléspectateurs ont suivi l’allocution du Président de la République le 13 avril dernier (36,7 millions de Français, soit un million de plus que lors de l’allocution du 16 mars dernier). Chaque soir, le Directeur Général de la Santé, Jérôme Salomon, ou le Ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, communiquent les dernières données du front comme des généraux du Commandement général feraient le point sur l’état des troupes et le champ de bataille.

Compte tenu de l’état évolutif des connaissances sur ce virus, les informations délivrées par les différents médias sont bien souvent contradictoires, voire incohérentes, pouvant contribuer au scepticisme de la population. La sévère concurrence entre les différents moyens de communication, presse traditionnelle, chaînes et radios d’information, réseaux sociaux, favorise la diffusion d’informations brutes, sans filtre. La multiplication des experts aux positions tranchées, une nécessité pour devenir un bon client des médias, ne leur permet pas de remplir une fonction d’intermédiaire. Bon gré, mal gré, les média deviennent ainsi bien souvent des catalyseurs des oppositions. En visioconférence ou sur plateaux, des grands professeurs exposent leurs positions et leurs divergences et prennent en témoin l’opinion publique. La surenchère informative brouille et embrouille la communication. Elle est également un élément intégré par les politiques d’information des pouvoirs publics.

La relative transparence des pouvoirs publics qui n’ont pas masqué leur ignorance et leur errance sur le sujet est à mettre au crédit des démocraties. En 2003, lors de la crise de la canicule, le Gouvernement avait été, à tort, accusé de ne pas communiquer le nombre réel de décès. À l’époque, la remontée des données en la matière était assez archaïque et lente. Nul avait imaginé la nécessité d’avoir un décompte en temps quasi réel des décès. En 2020, cette remontée au niveau des Agences régionales de santé a été effectuée de manière assez précise. Elle s’est révélée plus délicate pour les EHPAD dont le nombre est élevé et qui peuvent être de nature diverse (publique, privée, associative). La crise de la canicule qui était intervenue après l’affaire du sang contaminé a créé en matière de santé publique une rupture. L’exigence de transparence, d’immédiateté s’est imposée, aidée en cela par la puissance des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu. La forte sensibilité de la population aux questions de santé en lien avec son vieillissement accentue la pression sur les pouvoirs publics. Le succès des séries télévisées françaises et américaines ayant pour thème la santé traduit bien l’importance de ce thème pour l’opinion. Cette sensibilité est à mettre en relation avec le changement du rapport à la mort au sein des sociétés occidentales. À l’exception des décès des personnalités, la mort est devenue une affaire privée. Intervenant plus souvent que dans le passé à l’hôpital ou en maison de retraite, elle est moins visible. 

Durant les derniers conflits militaires auxquels la France a été confrontée, le contrôle de l’information a été plus ou moins bien réalisé.

Lors de la Première Guerre mondiale, le contrôle de la presse s’est très rapidement imposé. Le 2 aout 1914, le décret sur l’état de siège permet aux autorités militaires d’interdire toute publication jugée dangereuse. Le 3 août 1914, le bureau de la presse du ministère de la guerre est créé afin d’organiser la censure. Les journaux sont alors soumis à un régime de contrôle préalable afin de supprimer toute critique et empêcher la diffusion de renseignements à l’ennemi. Les journalistes doivent soumettre leur travail à l’administration et éventuellement procéder aux modifications exigées. L’État-major publie quotidiennement trois communiqués donnant la version officielle des opérations en cours. Ces restrictions ne prendront fin qu’avec la levée de l’état de siège le 12 octobre 1919. Le contrôle des médias en 1914 était la conséquence des indiscrétions de la presse en 1870 qui avaient contribué à la défaite de Sedan et à la démobilisation rapide des troupes et du pays. Le quotidien « Le Temps » avait relayé les orientations stratégiques de Mac-Mahon et modifié les plans de l’état-major prussien.

En 1939, le contrôle des communications et de la presse fut moins poussé qu’en 1914. Le contrôle postal, télégraphique et téléphonique est néanmoins activé dès la fin août 1939 avant même la déclaration de la guerre (3 septembre 1939). Le 26 août, les journaux d’obédience communiste sont interdits, le 28, la censure de la presse est instituée. À la différence d’août 1914, peu de journaux disparurent et la presse s’installa, sans enthousiasme, dans la drôle de guerre : ses rapports avec la censure furent beaucoup moins difficiles qu’en 1914. Le 24 mai 1940 furent instituées l’autorisation préalable et une réglementation des conditions matérielles de la publication.

Durant la guerre d’Algérie, les gouvernements de la IVe République s’appuyèrent sur la loi du 3 avril 1955 instituant l’état d’urgence pour réduire la liberté de la presse. Cette loi permettait aux autorités de « prendre toutes les mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Les écrits imprimés visés par le décret étaient passibles de saisies administratives et judiciaires, de mesures de police et de peines complémentaires. Jusqu’à la fin de la guerre en 1962, les saisies de journaux et de livres furent nombreuses.

La communication en temps de conflits a profondément évolué avec la guerre du Golfe en 1990/1991. Les autorités militaires américaines ont organisé très précisément la communication en fournissant les images aux chaînes d’information et en embarquant des journalistes au sein de leurs équipes. Elles ont souhaité ne pas rééditer les pratiques de la Guerre du Vietnam qui avaient donné lieu à des reportages à charge contre l’armée américaine, contribuant à l’hostilité croissante de l’opinion vis-à-vis de ce conflit. La systématisation des pratiques de contrôle de l’information lors de la guerre en Irak en 2003 s’est, en revanche, retournée contre l’exécutif américain.

La gestion de la communication en temps de crise est pour tout pouvoir une épreuve, surtout quand le théâtre des opérations est mouvant. Au niveau sanitaire, le nombre important d’acteurs qui ne sont pas des militaires soumis à une obligation de réserve, est une source évidente de complications pour tout gouvernement en place.