2 mai 2020

Le Coin des Tendances

Quand le pétrole devient gratuit

Le 20 avril dernier, un baril de pétrole West Texas Intermediate (WTI) à livrer en mai avait un prix négatif, -37 dollars, ce qui signifiait que les vendeurs devaient payer les acheteurs. Le 27 avril, les prix de juin ont également chuté de plus d’un quart, mais sont restés positifs, à un peu plus de 12 dollars le baril. Dans une proportion moindre, le prix de pétrole échangé à Londres a également baissé et a perdu près des deux tiers de sa valeur depuis le 31 décembre 2019. Cette chute est la conséquence d’une réduction sans précédent de la consommation, -30 % en quelques semaines, et d’une guerre des prix entre les deux premiers exportateurs, la Russie et l’Arabie Saoudite. Cette baisse des cours est-elle temporaire et donc amenée à disparaître avec le reflux espéré du covid-19 ou est-elle durable en raison de changements profonds au sein de l’économie mondiale ?

À la fin des années 40, deux économistes du développement, Raúl Prebisch et Sir Hans Singer, estimaient que sur le long terme le prix des matières premières chuterait en phase avec celui des produits manufacturés. Leur thèse était fondée sur le fait qu’avec le temps, les ménages consommeraient plus de services et moins de biens manufacturés lourds. Le taux de renouvellement de ces produits aurait tendance à diminuer. Les produits industriels sont de plus en plus légers et incorporent moins d’énergie et de matières premières. L’intensité énergétique qui correspond à la quantité d’énergie finale utilisée dans l’économie une année donnée pour produire une unité de PIB s’améliore d’année en année. Elle a ainsi baissé de plus de 30 % en France entre 1980 et 2018. Le prix de l’énergie est également orienté à la baisse avec la multiplication des sources dites renouvelables et par le développement du pétrole ainsi que du gaz de schiste.

Les années 1990/2010 ont été marqués par la montée en puissance des pays émergents d’Asie et en premier lieu de la Chine qui est devenue le principal acteur du marché de l’énergie et des matières premières. Elle est le premier importateur mondial de pétrole et le deuxième consommateur (14 % du total) derrière les États-Unis (19 %) qui sont autosuffisants.

Corrigés de l’inflation, le prix du pétrole a retrouvé le niveau qui était le sien entre 1870 et 1970. Lors de ces 160 dernières années, le cours du baril a connu de fortes hausses temporaires liées à des évènements particuliers. La guerre civile américaine au XIXe siècle, les deux chocs pétroliers, l’essor des pays émergents durant les années 2000 ont entraîné des augmentations vives mais assez courtes. Cette évolution vaut également pour les produits de base. L’indice des prix de ces produits est élaboré depuis 1800. Avec la crise sanitaire en cours, il a retrouvé son niveau de 1860. 

La reprise de l’économie devrait provoquer un rebond du prix du pétrole d’autant plus que les pays producteurs ont mis en place un accord de régulation de la production. Ce dernier prévoit une diminution historique de 20 % du pétrole mis sur le marché. Même avec une amélioration du contenu en énergie de la croissance, les besoins au sein des pays émergents et des pays en voie de développement, africains en particulier, restent importants. Le retour à la normale sur les marchés des matières premières et de l’énergie devrait intervenir en 2021 avec néanmoins un ralentissement de la croissance de longue période de la demande.

l’esprit créatif plus fort que le confinement

La crise économique actuelle, une crise volontaire pour réduire les pertes liées à l’épidémie du Covid-19, exige la résilience des acteurs économiques. Elle ne sera surmontée que par leur capacité à s’adapter et à réagir face à un choc extérieur violent. Au-delà des aides publiques, la vigueur du rebond dépendra de cette capacité.

Les précédentes crises ont donné lieu à d’importantes remises en question, à des innovations majeures. L’histoire de Peugeot témoigne de la nécessité de s’adapter au contexte économique. Sous le 1er Empire, la famille Peugeot installée Hérimoncourt dans le Pays de Montbéliard en Franche-Comté, décide de passer de la meunerie au textile pour répondre aux besoins en vêtements de la Grande Armée. En 1810, Jean-Frédéric et Jean-Pierre II Peugeot s’engagent dans la sidérurgie, dans un climat de crise économique liée à la succession des conflits, en transformant leur moulin en fonderie d’acier puis en se lancent dans le laminage à froid pour fournir l’industrie horlogère en ressorts. Durant la restauration, la famille Peugeot se met à produire des lames de scie et des moulins à café. En 1851, en pleine crise économique, les Établissements Peugeot Frères décident de se lancer dans des montures d’acier pour les crinolines, accessoires de mode popularisés par Eugénie, l’épouse de Napoléon III. La famille se lancera dans les années 1890 dans le cycle et dans l’automobile. Le groupe PSA, héritier des entreprises Peugeot, a en 2020 décidé de s’unir avec Air Liquide, Valeo et Schneider Electric pour produire des respirateurs au profit des établissements de santé. L’usine PSA de Poissy met à disposition une chaîne d’assemblage pour la réalisation des respirateurs. L’Alliance Renault/Nissan fait de même.  Seb s’est également engagé dans la fabrication de respirateurs artificiels.

Lors de la dernière crise financière, le producteur allemand de machines-outils, Trumpf, face à l’arrêt complet des commandes, décida de reconvertir une partie de son outil de production dans la fabrication de plateaux techniques pour les hôpitaux en utilisant ses compétences dans la découpe laser. Cette unité de production a permis à cette entreprise de conquérir de nouvelles parts de marchés et d’améliorer ses résultats. En France, toujours lors de la crise des subprimes, le groupe Bénéteau, armateur français implanté en Vendée, orienta une partie de sa production vers la construction de maisons mobiles à armature bois. L’entreprise française Withings spécialisée dans les montres connectées met à disposition des hôpitaux sa technologie pour suivre à distance les malades du convid-19. Des entreprises comme Yves Rocher ou LVMH ont décidé de produire du gel hydro alcoolique. L’entreprise de prêt-à-porter bretonne Armor Lux s’est reconvertie dans la production de masques. Armor Lux parvient à confectionner environ 2 000 pièces par jour en faisant appel à une soixantaine de couturières. La marque, Thuasne, spécialisée dans la fabrication d’orthèses, a commencé à commercialiser des masques barrières lavables une trentaine de fois. Ces masques sont conformes à la norme et destinés à l’usage de personnes saines. System électronique spécialisée dans la maintenance industrielle, a adapté un humidificateur qu’elle commercialise dans l’alimentaire et la viticulture, en matériel de désinfection des chambres d’hôpital et ses salles d’attente contaminées par le Covid-19. L’entreprise France signalétique, située près de Toulouse a décidé de produire des vitres en polycarbonates visant à protéger les commerçants et les personnels de santé. Decathlon, le distributeur de produits de sports, a rencontré un succès inattendu grâce à un masque de plongée utilisé tant par les patients en respiration artificielle que par le personnel soignant pour se protéger du covid-19. Decathlon a abandonné son brevet contre une décharge concernant l’utilisation du produit et a décidé de donner 30 000 masques en France et 10 000 en Italie. Les États-Unis ont également passé de nombreuses commandes de ce masque. La firme informatique HP qui dispose d’un savoir-faire reconnu dans les imprimantes 3D a enregistré une augmentation de la demande des hôpitaux qui se sont lancés dans la fabrication de pièces sur mesures, pièces concernant la protection du personnel ou le matériel de respiration pour les patients.

Le confinement donne lieu à une multitude d’initiatives nationales ou locales. Les artistes, chanteurs, musiciens, utilisent les réseaux sociaux, les applications comme teams ou zoom, pour concevoir des morceaux de musique ou pour réaliser des concerts. La livraison à domicile de repas s’est accrue tant pour venir en aide aux personnes isolées que pour permettre à des restaurants de poursuivre leurs activités. Au niveau musical, de nombreux artistes ont été amenés à proposer des concerts en ligne comme Jean-Louis Aubert. Les Rolling Stones ont joué lors du concert caritatif du 18 avril dernier et ont proposé en streaming une nouvelle chanson, la première depuis huit ans. Le guitariste des Pink Floyd, David Gilmour, a diffusé gratuitement plusieurs de ses anciens concerts.