12 décembre 2020

Le Coin des Tendances

La santé, une digitalisation à marche forcée

La crise sanitaire occasionnée par le coronavirus a souligné dans de très nombreux pays le retard technologique des systèmes de santé. Ces derniers, par leur complexité, par la présence d’un grand nombre d’acteurs, par conservatisme aussi parfois, sont restés en retrait de révolution digitale. Les relations difficiles entre professionnels de la santé et les administratifs de ce secteur ont également contribué à retarder l’arrivée des nouvelles technologies, du moins dans les domaines de la prévention et de la gestion. La priorité a été longtemps donné aux matériels lourds comme les scanners ou les IRM. La médecine du quotidien a peu évolué au cours de ces trente dernières années.

Dans une étude récente, le McKinsey Global Institute indique que la santé n’entre que difficilement dans la révolution digitale. Elle est à la traîne par rapport aux autres secteurs d’activité. Les banques, l’assurance, les voyages, la vente au détail, la construction automobile ont mis en œuvre des plans de digitalisation depuis une vingtaine d’années. L’assurance est en train de combler son retard. En revanche, 70% des hôpitaux américains envoient toujours des fax et des dossiers de patients. L’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris gère également des dossiers « papier ». En France, le dossier médical numérique n’est pas réellement exploité même si huit millions de Français l’ont ouvert. En Espagne, aucun partage électronique de documents de santé entre les différentes régions n’existe.

La pandémie a permis la réalisation de nombreuses avancées. Les médecins ont accepté la réservation en ligne et la téléconsultation. Les patients ont modifié leurs habitudes. Le recours à des ordonnances envoyées par mail s’est imposé. McKinsey estime que les revenus mondiaux de la santé numérique – provenant de la télémédecine, des pharmacies en ligne, des appareils portables – passeront de 350 milliards de dollars en 2019 à 600 milliards de dollars en 2024. Doctolib, une entreprise française, affirme que ses consultations vidéo en Europe sont passées cette année de 1 000 à 100 000 par jour. Ping An Good Doctor, un portail de santé en ligne chinois qui dépend d’un assureur, se développe en Asie du Sud-Est. Depuis le début de l’année, sa capitalisation boursière a progressé de 50 %. Cette société a passé des accords avec plus de 28 opérateurs de téléphonie mobile. Elle a noué des partenariats avec des hôpitaux, des laboratoires et dispose de son propre réseau de médecins. Elle intervient comme un système organisé de santé, du diagnostic jusqu’à la livraison des médicaments à domicile. Le service est disponible 24 heures sur 24. Elle s’appuie également sur des médecins internationaux pouvant être consultés à la demande des patients. Ping An Good Doctor propose désormais ses services aux entreprises afin de couvrir leurs collaborateurs. Dans les premières semaines de la pandémie, en Chine, cette société a géré plus d’un milliard de visites. De son côté, la plateforme WeDoctor, reliée à WeChat (propriété de Tencent) associé plus de 7 200 hôpitaux à sa plateforme de téléconsultations. L’entreprise chinoise, JD Health, filiale du site JD.com, est passée de la vente de médicaments en ligne à des consultations de télémédecine. La firme a notamment lancé un service numérique de médecine de famille. Sa capitalisation boursière a progressé depuis le début de l’année de 75 %.

Avec la crise sanitaire, le nombre de services de télémédecine est passé, à l’échelle mondiale de 150 à près de 1000. Une décantation aura certainement lieu, mais cet essor prouve que le secteur de la santé bascule du côté numérique de la force.

Le secteur de la santé attire de plus en plus de start-up qui proposent des solutions numériques pour épauler le personnel médical. Sur le seul troisième trimestre, aux Etats-Unis, ces entreprises ont bénéficié d’un apport de 9 milliards de dollars de la part des investisseurs. Google comme Apple multiplient les prises de participation dans le secteur de la santé numérique considérant que le potentiel de croissance est élevé.

Avec le déploiement de la 5G, le secteur des capteurs permettant de suivre en temps réel l’état de santé se développe rapidement. Ainsi, des entreprises spécialisées comme Livongo et Onduo fabriquent des appareils pour surveiller en permanence le diabète et d’autres maladies. Aux Etats-Unis, la moitié des patients atteints par de diabète sont déjà équipés. Des hôpitaux s’associent, outre-Atlantique, avec des entreprises digitales pour améliorer la délivrance des soins aux malades. Ces systèmes permettent de doser plus finement les médicaments et réduisent les besoins en personnel soignant.

Les pouvoirs publics font pression sur les prestataires de soins de santé pour qu’ils ouvrent leurs systèmes cloisonnés, condition préalable au développement de la santé numérique. La France est en retard en la matière en raison de la tradition jacobine de la Sécurité sociale. L’Union européenne défend l’idée d’une norme électronique commune applicable à tous les dossiers médicaux afin de faciliter la transmission au sein de tous les pays membres. Cette volonté d’ouverture n’a pas que des opposants qu’en France. Ainsi, le gouvernement chinois est contraint de se battre contre les hôpitaux qui n’entendent pas opter pour des dossiers médicaux ouverts de peur de perdre leurs patients au profit de la concurrence. Malgré tout, l’harmonisation est en voie d’être réalisée permettant à Yidu Cloud, une plate-forme big data pour les hôpitaux, de disposer du plus grand nombre de données médicales au monde. Les données médicales constituent un nouvel eldorado que ce soit pour les entreprises digitales chinoises ou américaines. L’entreprise américaine Epic, l’un des principaux fabricants de logiciels de gestion des dossiers de santé électroniques, a accepté le principe de l’ouverture en partageant 40 % des données gérées par son entreprise, avec des non-clients. Outre-Atlantique, une interconnexion entre les dossiers médicaux est les assureurs a été opérée. Change Heathcare gère plus de 1,5 milliard de dollars de réclamations d’assurance médicale américaine par an. Cette entreprise fait le pari d’une interopérabilité accrue entre les entreprises dans les prochaines années. La médecine devient de plus en plus une science de données associant des médecins et des informaticiens. La filiale santé de Siemens, Healthineers, travaille avec Geisinger, une chaîne hospitalière américaine, pour étendre la surveillance à distance des patients afin de faciliter leur suivi à domicile. L’assistant numérique d’Amazon, Alexa, peut désormais à partir de l’écoute de la toux déterminer si la personne est susceptible d’avoir la covid-19 ou non. Dans le contexte actuel, il n’est pas surprenant qu’Amazon entre sur le marché de la santé. Elle a, à ce titre, décidé de vendre, aux Etats-Unis, en ligne des médicaments. En Chine, AliHealth, une division d’Alibaba, le champion chinois du commerce électronique, fait de même. Ses revenus ont augmenté de 74 % de mars à septembre 2020.

Apple et Alphabet, la maison mère de Google, sont un peu en retrait sur le plan de l’e-santé tout en disposant de sommes considérables soit pour investir sur des projets en direct, soit pour racheter des start-ups. Néanmoins, la montre d’Apple compte près de 50 000 applications de santé iPhone. La division sciences de la vie de Google Verily, vient d’annoncer qu’elle interviendrait dans le domaine de l’assurance à travers une filiale dénommée « Coefficient Insurance Company » qui s’appuiera sur le big data et des algorithmes pour proposer des assurances de santé personnalisées aux entreprises. Google s’est associée avec l’assureur Swiss Re pour proposer ses solutions. Verily étant également positionnée sur les objets médicaux connectés, certains craignent la mise en place d’un système intégré avec une exploitation des données individuelles des assurés. Vérily est en train, par ailleurs, de passer de la rémunération à l’acte à des contrats fondés sur les risques. L’assuré se voit récompenser s’il adopte des comportements dits vertueux. Ainsi, les diabétiques qui contrôlent leur glycémie régulièrement bénéficieront de rabais sur leur forfait tout comme les personnes qui accepteront d’aller deux fois par an chez leur dentiste.

La bataille des prochaines années en matière de santé est celle des coûts. Avec le vieillissement de la population, les dépenses de la santé augmentent de manière exponentielle. Les traitements sont de plus en plus onéreux. Les pouvoirs publics recherchent des solutions pour économiser en gestion et en soins. Jusqu’à maintenant, les plans mis en œuvre ont été avant tout centrés sur la régulation et sur le transfert des charges sur les complémentaires santé. Les gains de productivité du secteur de la santé ont été relativement faibles au regard des sommes consacrées. Le poids du personnel dans les dépenses explique en grande partie cette situation. Les associations des structures de soins avec des start-ups ainsi qu’avec des assureurs se multiplient en Asie et aux Etats-Unis. Les experts en capital risque du secteur de la santé estiment que seule la coopération entre les différents acteurs permettra une mutation en profondeur des systèmes de santé et débouchera sur une meilleure efficience.

La fin du charbon a-t-elle sonné ?

Le charbon qui est la première source d’énergie mondiale est-il voué à un déclin irrémédiable au nom de la réduction des émissions des gaz à effet de serre ? Les pays émergents et les pays en développement sont-ils capables de se passer de cette énergie abondante et à bas prix ?

Le combat contre le charbon n’est pas totalement gagné même au sein des pays dits avancés. Ainsi, aux Etats-Unis, l’administration Trump a favorisé l’industrie charbonnière américaine avec une déréglementation et un soutien politique. L’Allemagne continue de disposer d’un des parcs de centrale au charbon le plus important d’Europe qui est à l’origine de 30 % de son électricité. Une nouvelle centrale au charbon a été mise en service dans l’ouest du pays le 30 mai 2020 d’une puissance de 1 100 MW. Angela Merkel a pourtant annoncé, cette année, sa volonté que le pays abandonne cette énergie d’ici 2038.

Le charbon est, en tant qu’énergie, de plus en plus contesté. Un mouvement de fond se dessine en faveur d’une transition énergétique. Les deux plus grands émetteurs de CO2 ont décidé de s’engager dans la transition énergétique. Le Président chinois, Xi Jinping a présenté un plan de réduction des émissions nettes de carbone de la Chine à zéro d’ici 2060. Aux Etats-Unis, de nombreux Etats et villes ont adopté des législations coercitives pour limiter les émissions de CO2. Avec Joe Biden, l’Amérique devrait revenir dans l’accord de Paris qu’elle avait adopté il y a cinq ans avant d’y renoncer sous l’administration Trump. 

En Amérique et en Europe, la consommation de charbon, principale source de gaz à effet de serre, a diminué de 34 % depuis 2009. Pourtant, le charbon représente encore 27 % de l’énergie brute utilisée au niveau mondial pour et représente 39 % des émissions annuelles de CO². Au sein des pays avancés, l’utilisation du charbon a culminé dans les années 1930 avant de décliner remplacé par le pétrole, le gaz et le nucléaire. Depuis une décennie, sa consommation est en fort recul dans les Etats membres de l’OCDE. En Grande-Bretagne, les dernières centrales électriques au charbon pourraient fermer dès 2022 tout comme en France qui en dispose de quatre. Si la consommation est en baisse en Europe, elle a augmenté de 25 % en dix ans en Asie. Le continent représente désormais 77 % de toute l’utilisation du charbon. La Chine à elle seule en brûle plus des deux tiers, suivie de l’Inde. Le charbon domine dans certaines économies de taille moyenne à croissance rapide, notamment l’Indonésie et le Vietnam. En Asie, certains pays commencent à prendre des mesures pour limiter la consommation du charbon. Les Philippines ont ainsi déclaré un moratoire sur les nouvelles centrales. Le Japon et le Bangladesh se sont engagés à diminuer le nombre des nouvelles installations. Le nouveau plan quinquennal de la Chine, qui sera publié en 2021, pourrait limiter l’utilisation du charbon. Il devrait retenir un plafond aux niveaux actuels. Malgré tout, la Chine continue à construire dans des pays en développement des centrales au charbon dans le cadre de son initiative « Belt and Road ». En Inde, les pressions internationales pour diminuer la production d’électricité à partir du charbon ne sont pas très populaires, les autorités mettant en avant qu’en 2019, la consommation de charbon par personne en Inde était inférieure à la moitié de celle des États-Unis. Le recul du charbon sera donc difficile à mener dans les pays en développement en raison des surcoûts en infrastructures que génèrent le déploiement d’énergies renouvelables. En raison de leur production intermittente, ces sources d’énergie nécessitent la réalisation d’infrastructures complémentaires et la mise en œuvre de capacités de stockage coûteuses. La mise en place de réseaux intelligents nationaux peut atténuer ce problème en connectant différentes régions. La fixation d’un prix mondial de la tonne carbone suffisamment dissuasif constitue également un des moyens pour accélérer la substitution. 

L’autre étape consiste à indemniser les perdants comme les pays occidentaux l’ont fait dans les années soixante pour les régions concernées par la fermeture des mines (Pays de Galles, Lorraine, le Nord, etc.). De la province du Shanxi en Chine au Jharkhand en Inde, les gouvernements locaux auront besoin de transferts fiscaux pour aider à rééquilibrer leurs économies. Les pays d’Asie qui ont bénéficié d’une forte croissance, ces dernières années, ont des marges de manœuvre plus importantes que ceux d’Afrique. Ils sont en outre les premiers concernés par les effets du réchauffement. ire. Leurs habitants, leurs infrastructures et leur agriculture sont exposés aux sécheresses, aux inondations, aux tempêtes et à l’élévation du niveau de la mer causées par le changement climatique. Une classe moyenne grandissante aspire, en outre, à ce que leur gouvernement mette en œuvre des politiques visant à améliorer les conditions de vie.

La densification du territoire, un mirage ou une nécessité ?

Les pouvoirs publics promeuvent depuis une dizaine d’année la densification afin de lutter contre l’artificialisation des sols, de protéger la biodiversité et de lutter contre le réchauffement climatique. La priorité donnée aux immeubles collectifs au cœur des aires urbaines permettrait de réduire l’usage de la voiture et économiserait en énergie. Elle n’a pas toujours eu cours. A la fin du XIXe siècle et jusque dans les années 1970, l’idée était au contraire de réduire la densité des villes au nom de l’hygiène et de la sécurité. Des travaux d’Haussmann à ceux de Delouvrier, l’objectif était d’aérer Paris, de créer de larges avenues ou de créer des villes nouvelles à sa périphérie. Les Français ont toujours privilégié le pavillon, la maison individuelle au logement collectif. La possession d’un jardin, d’un espace vert constitue un idéal qui a retrouvé une nouvelle saveur avec les confinements occasionnés par la crise sanitaire. L’essor des banlieues durant les Trente Glorieuses recouvre des phénomènes de nature différente. Les professions libérales, les cadres supérieurs voire les cadres moyens se sont installés au sein de zones pavillonnaires facilement accessible par la voiture ou par les transports publics. Les Hauts-de-Seine et les Yvelines ont enregistré une forte augmentation de leur population. Les ouvriers et les employés ont, en nombre, quitté le cœur des agglomérations, pour se concentrer dans des villes s’étant dotés d’un nombre important de logements collectifs. La France et l’Europe ont suivi dans ce sens les Etats-Unis à la nuance près que dès les années 1980, le cœur des grandes agglomérations a connu un processus de valorisation aboutissant au maintien d’une population à très haut niveau de pouvoir d’achat. 

La remise en cause du développement des zones pavillonnaires est née aux Pays-Bas à la fin des années 1970. La rurbanisation menaçait les espaces agricoles conduisant les autorités à limiter les surfaces constructibles. La multiplication des embouteillages, et la création des centres commerciaux, symbole de la société de la consommation ont fait l’objet de critiques croissantes. Le développement horizontal des agglomérations a été accusé de renforcer les inégalités. Les maisons individuelles seraient une source de surcoûts publics en raison de l’allongement des réseaux publics (assainissement, eaux, électricité, Internet, routes, etc.). Elles entraîneraient des déplacements plus nombreux de la part de leurs propriétaires ou locataires. Si, sans nul doute, les ménages périurbains possèdent plus de voitures que les urbains en cœur d’agglomération (1,7 pour 1, voire 0,5 à Paris), leur bilan carbone n’est pas tellement différent. Le résident urbain a tendance à se déplacer plus souvent que le périurbain. Dans les agglomérations, 50 % des déplacements en voiture sont réalisés par 20 % des habitants qui se partage entre les deux catégories.

L’Europe se caractérise par la forte densité de sa population. Paris constitue en la matière un record. De nombreux maires refusent la construction de nouveaux logements sur pression de leurs électeurs. En France, la construction de tours est devenue quasi-impossible en raison de leur rejet par l’opinion publique comme en témoigne les difficultés que la maire de Paris, Anne Hidalgo a rencontrées avec son projet de Tour Triangle à la Porte de Versailles. Or, pour résoudre le problème du logement, la France devrait construire chaque année entre 500 000 et 600 000 et non 400 000.

Dans des études menées par le Crédoc, quatre Français sur cinq préfèrent le logement individuel. Leur souhait est à l’obtention d’un logement à proximité de ville centre à taille humaine comme Angers, Le Mans ou Tours. La réalisation de zones pavillonnaires de masse semble dépassée. Celle-ci a été responsable de près de la moitié de l’artificialisation des sols entre 2006 et 2014 (près de 500 000 hectares).

Le choix du logement individuel n’est pas sans avantage au niveau de l’aménagement du territoire. Il permet de maintenir des activités et des services au sein de villes ou villages qui étaient vouées à la désertification avec le recul de la population agricole. Les lotissements ne sont pas toujours l’ennemi de la nature et de la biodiversité ; au contraire, ils peuvent être des espaces protégés.

Le pavillon est porteur de valeurs positives, il est symbole de réussite sociale, associé à l’accession à la propriété. Il est plus que l’appartement, un élément constitutif d’un patrimoine notamment en vue de la retraite. Il combine sécurité, indépendance et loisirs (bricolage dans le garage, jardinage). Il permet de recevoir la famille et des amis en toute tranquillité. La crise sanitaire devrait donner encore plus de valeurs aux logements individuels. En réduisant le foncier qui leur est dévolue, les pouvoirs publics mènent une politique qui conduit à l’augmentation de leur prix. Ils seront, de ce fait, de moins en moins accessibles aux ménages à revenus modestes et moyens. Il n’est donc pas certain que la mixité recherchée à travers la densification du territoire soit ainsi atteinte.

Par voie réglementaire, les pouvoirs publics tentent d’imposer un mode d’habitat, essentiellement collectif, au sein des aires urbaines. Il n’est pas certain que cela soit le souhait des ménages. Ce choix suppose, par ailleurs, l’adaptation de la ville à des densités croissantes de population en matière de transports publics et de loisirs. Par ailleurs, il peut rentrer en contradiction avec les impératifs de santé publique. Les canicules sont plus fortes en milieu urbain, les épidémies y circulent également plus rapidement.

La maîtrise de l’étalement des villes ne doit pas aboutir à un gel absolu du foncier. Elle doit s’intégrer dans une réflexion plus large sur l’aménagement du territoire, sur le poids des grandes métropoles, sur la répartition des emplois. Compte tenu des besoins en logements et la nécessité de freiner la croissance des grandes villes françaises, la création de villes nouvelles ou de nouveaux pôles associant logements et emploi mériterait d’être étudiée.

La musique, une révolution permanente

La musique a toujours eu deux versants, le premier qui repose sur le plaisir et le second axé autour de la communication. Un morceau de musique a vocation à distraire, à être agréable, à stimuler les sens. Il est aussi un moyen de communication, de propagande. Pour ces deux raisons, au départ, la musique a été utilisée par les seigneurs et par la religion. Pour les seigneurs, la musique est une source de plaisirs, de distraction. Elle permet aussi de mobiliser les combattants ou de créer du liant entre les sujets. La musique militaire est censée donner du courage aux valeureux soldats et favoriser l’émergence d’un esprit de corps autour des chansons. Les chants religieux avaient comme vocation l’apprentissage de la liturgie, et l’enseignement des préceptes religieux aux fidèles. Plaisir et communication s’entremêlent évidemment mais l’un et l’autre sont les clefs de voûte de l’essor pendant des siècles de la musique. Les Quatre Saisons de Vivaldi racontent une histoire sur le passage du temps, des saisons qui imposent leur rythme à la vie.

La musique jusqu’à la découverte de l’imprimerie avec Gutenberg circule peu. Les seigneurs paient des ménestrels qui ne sont que des serviteurs, des fonctionnaires au sens étymologique du terme. La musique religieuse est composée par les prêtes ou par des fidèles entretenus par ces derniers. Les chants retranscrits sur des manuscrits se diffusent de paroisse en paroisse. Les églises font appels également à des musiciens professionnels. Ainsi, Hildegarde au XIIIe siècle ou Vivaldi au XVIIe sont des employés de l’église. Les Bach sont ménestrels de génération en génération. En-dehors des employés des seigneurs et des ordres religieux, la musique est également jouée par des mendiants qui se déplacent de ville en ville.

La musique sort des églises et des châteaux à partir du XVIIe siècle. En 1672, à Londres sont organisés les premiers concerts payants. Ainsi, les bourgeois accèdent à l’art musicale. Le développement des concerts entraîne un début de la marchandisation de la musique. Les compositeurs doivent alors chercher leurs financements. Haendel est un des premiers à ne plus être dépendant d’un seul seigneur ou roi, non pas par volonté mais par obligation. Bach n’imaginait pas un seul instant que des personnes puissent payer pour écouter ses œuvres. A compter du XVIIIe siècle, les compositeurs et les éditeurs gagnent de l’argent sur la vente de leurs partitions. Il faudra attendre le XXe siècle pour qu’un droit économique de la musique soit réellement constitué. Le fait de jouer l’œuvre d’un compositeur ne donnait pas lieu aux versements de droits d’auteur.

Avec les concerts, l’orchestre devient un spectacle. Le nombre de musiciens augmente. Une spécialisation s’impose sur un modèle tayloriste, les violons, les cuivres, les percussions. Au début du XIXe siècle, la figure du chef d’orchestre apparaît. Louis Spohr (1784-1859) décide afin faciliter les répétitions d’orchestre, d’utiliser une baguette à partir de 1820. Avant l’apparition du chef d’orchestre, cette mission revenait au premier violon, qui donnait les tempos et qui, de temps à autre, quand l’orchestre commençait à fléchir, indiquait la mesure avec l’archet. Le recours à un véritable chef d’orchestre est lié au nombre croissant de musiciens qui compose ce dernier et au besoin de personnalisation de musique. Après Louis Spohr, Carl Maria von Weber (1786-1826) et Felix Mendelssohn (1809-1847) sont les premiers chefs à diriger les musiciens avec une baguette ou un archet face à l’orchestre et non plus aux spectateurs. Hector Berlioz (1803-1869) et Richard Wagner (1813-1883) sont les premiers compositeurs à prendre conscience de la spécificité de la tâche du chef et à se consacrer à la direction, sans être instrumentistes. Le chef devient ainsi un interprète à part entière et non plus un simple coordinateur.

L’invention du disque puis de la radio permet un changement de dimension pour la musique qui devient accessible à tout moment pour un plus grand nombre de personnes. De rare, elle devient omniprésente, des ascenseurs aux restaurants en passant par les halls d’accueil. La musique devient tout à la fois un art et un bruit de fond. La musique se segmente de plus en plus. La musique dite classique s’écoute désormais de manière silencieuse quand au XIXe siècle les concerts étaient des moments de réunion où les participants pouvaient négocier leurs affaires ou échanger.

La musique populaire a toujours existé avec une dimension plus ou moins politique. Sous Louis XV, des chanteurs de rue alimentés par la cour se répandaient en propos peu amènes sur les maîtresses du Roi (cf. le livre de Camille Pascal « la chambre des dupes »). Plus proche de nous, la peine de mort, la guerre d’Algérie ont donné lieu à des chansons dites engagées.

A partir des années 1950, la musique populaire entre dans le champ de la marchandisation. Le baby-boom et l’essor du transistor provoquent une véritable rupture. Des émissions comme « salut les copains » mettent en avant de nouvelles vedettes de la chanson. Le rock’n roll s’impose comme des hymnes pour les générations d’après-guerre. Les disques se vendent par millions faisant la fortune des majors, des producteurs et parfois des musiciens. Les Beatles et les Rolling Stones sont les têtes de proue de cette révolution musicale qui annonce la mondialisation. La sortie des morceaux s’effectue désormais pour les grands groupes essentiellement anglo-saxons à l’échelle internationale. Le triomphe de la langue anglaise au niveau musical relaie la puissance économique des Etats-Unis même si, dans les faits, de nombreux musiciens sont britanniques. Néanmoins, leurs influences sont avant tout américaines. La musique populaire contemporaine promeut un idéal de vie en phase avec l’émergence de la société de consommation et des loisirs, une société de liberté. Les valeurs bourgeoises s’imposent à toutes les catégories sociales. Si au départ, les anciennes générations ont été effrayées par les comportements libertaires des groupes et par le caractère atonal de leur musique, par effet noria, un consensus musical s’est construit. Il a atteint son paroxysme dans les années 2000 durant lesquelles trois générations pouvaient assister à un concert des Rolling Stones. La musique traduit, en règle générale, l’état d’esprit des sociétés. Ainsi, depuis une dizaine d’années, la montée en puissance du rap marque la fin du monde post 1968. Cette musique issue des banlieues, des minorités ethniques, tend à s’opposer à la musique blanche, des bourgeois. Une segmentation musicale se reforme non pas autour de la musique classique et musique populaire mais au sein de cette dernière. Le rap s’oppose à la techno, à la Soul au RnB, à l’afro, etc. Le communautarisme qui touche les sociétés modernes se manifeste clairement sur le plan musical. Le fait que le rap arrive en tête chez les moins de 25 ans marque aussi le retour du conflit des générations.

La musique depuis quarante ans vit une autre révolution, celle de sa digitalisation. Cette activité a été une des premières concernées avec la photo par le processus de numérisation, à travers l’apparition du CD (1982) et des fichiers MP3 (1992). La possibilité de s’échanger par Internet des fichiers musicaux de manière instantanée et gratuite a modifié l’ensemble de l’industrie musicale. Les cassettes électromagnétiques permettaient la réalisation de copies mais le processus était long et la qualité médiocre. Avec le transfert de fichiers, ces défauts disparaissent. En vingt ans, la vente de disques est divisée par deux. Avec la multiplication des transferts, les droits d’auteur fondent. La réalisation de disques n’est plus une source de revenus. Les concerts, ravalés en simples évènements de promotion des disques redeviennent des sources de rémunération majeures. Une industrie des concerts se met en place représentée notamment par Live Nation. Les tournées des grands groupes de rock ou de RnB génèrent des recettes de plusieurs centaines de millions de dollars en s’appuyant sur les ventes de place, le merchandising, les sponsors et les subventions des collectivités locales qui accueillent les concerts.

La numérisation de la musique va de pair avec une consommation de plus en plus individuelle. Le premier walkman est commercialisé par Sony en 1979 permettant à tous d’écouter de la musique où il veut et sans déranger ses voisins ou presque. L’invention du smartphone dans les années 1990 et surtout du IPhone d’Apple en 2007 permet d’associer téléphonie et musique. La large diffusion des smartphones débouche sur le streaming, permettant aux abonnés d’écouter en ligne un nombre très important de morceaux sans avoir à les télécharger. Le streaming assure de nouvelles ressources à l’industrie de la musique. Plus de 85 % des 13-15 ans écoutent, en France, de la musique en streaming. Le chiffre d’affaires reste néanmoins encore modeste par rapport aux recettes qui étaient autre fois retirées de la vente des disques, 300 millions d’euros en 2019 contre 1,5 milliards d’euros en 2007. Néanmoins, le streaming pèse autant que la vente de CD en 2019.

La crise sanitaire empêche a priori provisoirement la tenue des concerts et favorise l’essor du streaming. Une évolution en cours pourrait modifier en profondeur l’écoute de la musique dans les prochaines années. Les jeunes générations la consomment de plus en plus dans le cadre des jeux vidéo. Les réseaux sociaux sont devenus incontournables pour la diffusion de la musique. Ils ont remplacé les revues, les disquaires, les radios et la télévisions. De plus en plus de musiciens se passent des labels officiels en diffusant leurs œuvres via YouTube ou Tik Tok. L’abaissement des coûts de production et de diffusion provoque une démocratisation. La musique pop ou rock des années 1960/1980 émanait essentiellement des enfants issus des classes moyennes. Depuis une dizaine d’années, elle est de plus en plus l’expression de minorités et de personnes issues des classes populaires. En France, la segmentation sociale a toujours été moins forte qu’au Royaume-Uni. La musique a toujours été un vecteur d’ascension sociale dans l’hexagone.

La musique depuis ses origines jusqu’à maintenant épouse les modes, les tendances de fonds. Elle est un révélateur des problèmes économiques, sociaux et sociétaux. Elle a toujours été à la pointe des techniques, de la fabrication des instruments jusqu’à sa diffusion. Cette activité qui associe loisirs, plaisirs mais aussi politique demeure un parfait miroir de nos sociétés.