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L’automobile et la déferlante chinoise
Lors du salon automobile de Munich, qui s’est achevé le 14 septembre, les firmes allemandes ont voulu faire honneur à leur gloire passé mais le cœur n’y était pas. Si BMW et Mercedes ont présenté quelques nouveaux modèles, les constructeurs chinois affichaient clairement leurs ambitions. BYD, Xpeng, Changan et Dongfeng dévoilaient des véhicules électriques (VE) à la pointe de la technologie et à des prix inférieurs à ceux des modèles occidentaux. Leur design concurrence celui de Porsche ou d’Audi. Sur le terrain de la technologie, ces constructeurs dépassent leurs homologues européens. Les Chinois entendent prendre des parts de marché en Europe rapidement afin de compenser leurs difficultés sur leur marché domestique, miné depuis plus de deux ans par une guerre des prix alimentée par une surcapacité chronique.
Il y a quinze ans, Pékin avait compris que ses constructeurs ne pourraient rivaliser avec les motorisations thermiques étrangères. En revanche, une industrie du véhicule électrique pouvait prospérer sur un marché intérieur en pleine expansion, à condition de bénéficier de subventions massives et de soutiens publics multiples. Ce choix de la motorisation électrique pouvait s’appuyer sur l’essor de la production de batteries en Chine. Ce pari a fonctionné. Les investissements importants, la création de dizaines de sociétés et l’explosion de la demande a permis à l’industrie automobile chinoise de se développer à grande vitesse. En 2025, les VE devraient représenter près de 60 % des ventes des constructeurs chinois. Le contraste est frappant avec les constructeurs européens qui peinent à se positionner sur le marché de l’électrique. Ces derniers demandes aux autorités européennes le report de l’interdiction à la vente des véhicules à moteur thermique initialement prévue pour 2035. Dans le même temps, ces constructeurs continuent de dépendre des batteries chinoises, batteries qui sont devenus le cœur de la valeur ajoutée des voitures. Même des constructeurs qui ont résolument se positionner sur le marché des véhicules électriques comme Renault éprouvent des difficultés. Confrontés à des problèmes de recrutement de main d’œuvre, ils sont contraints d’allonger les délais de livraison, plus de quatre mois, par exemple pour une R5 quand les constructeurs chinois sont capables de livrer quasiment en temps réel.
En Chine, plus de 130 constructeurs se disputent les parts de marché. En théorie, leurs usines pourraient fabriquer deux fois plus de véhicules que la demande réelle. Cette surcapacité a entraîné une guerre des prix. Selon la banque japonaise Nomura, le prix moyen d’une voiture a baissé de 19 % en deux ans, pour atteindre environ 165 000 yuans (23 000 dollars). Certains modèles ont subi des baisses ponctuelles allant jusqu’à 35 %. Les ventes continuent pourtant de croître, +7 % attendus cette année, soit environ 24 millions de véhicules, mais les marges s’étiolent et les pertes s’accumulent. D’après le Bureau national des statistiques, les bénéfices nets de l’ensemble du secteur (y compris les constructeurs étrangers) ont reculé de 12 % sur les cinq premiers mois de 2025, à 178 milliards de yuans. Geely, acteur privé qui détient près de 10 % du marché, a enregistré une baisse de ses profits nets de 14 % au premier semestre. Le 1er septembre, BYD — premier constructeur chinois — a annoncé une diminution de 30 % de ses bénéfices nets au deuxième trimestre, malgré une hausse de 14 % de son chiffre d’affaires. Les fournisseurs sont également fragilisés : certains auraient cessé leur activité, étranglés par des délais de paiement atteignant parfois six mois.
Sur le marché chinois, les constructeurs étrangers ont lors de ces cinq dernières années, perdu la moitié des parts de marché. Ils ont été dans l’incapacité de suivre les constructeurs locaux dans la baisse des prix. Les grands perdants sont les constructeurs allemands. Cette spirale concurrentielle dans un secteur vitrine inquiète les autorités chinoises. En mai dernier, la baisse des tarifs décidée par BYD a provoqué une réaction de la part des médias d’État dénonçant une « involution », terme désignant une compétition destructrice sur fond de déflation. En juin, le gouvernement a convoqué les responsables des constructeurs à Pékin, leur demandant de mettre un terme aux baisses de prix et de réduire les délais de paiement pour les fournisseurs. Plusieurs grands groupes se sont engagés à régler leurs factures sous 60 jours. Malgré tout, la pratique des rabais se poursuit certes de manière discrète via des incitations comme l’assurance gratuite, le financement à taux zéro ou la recharge offerte. Pour Stella Li, une cadre dirigeante de BYD, une restructuration du secteur est indispensable avec à la clef la disparition d’une centaine de constructeurs. Pékin tente depuis longtemps de favoriser des fusions entre grands groupes publics, mais les projets échouent face aux résistances locales. Les provinces, soucieuses de préserver emplois, recettes fiscales et prestige, refusent de céder. Parallèlement, une myriade de petites entreprises déficitaires, attirées par l’essor des années 2010, le crédit bon marché et les aides généreuses, persiste malgré quelques faillites. Les possibilités de rachats sont limités, aucune marque nationale ou étrangère n’est disposé à acheter des acteurs régionaux peu connus, ni à hériter de capacités excédentaires.
La guerre des prix pourrait renforcer les plus solides. BYD, Chery, Geely, mais aussi des start-up comme Xpeng ou Li Auto, qui sont bénéficiaires ou proches de l’équilibre. Des groupes technologiques comme Huawei ou Xiaomi se sont lancés avec succès dans l’automobile et ont les capacités financières pour faire face aux prix bas. Les plus performants ajustent leurs coûts à ce nouvel environnement et misent sur les exportations pour dégager des marges plus confortables. Entre 2021 et 2024, les exportations de voitures ont quadruplé, faisant de la Chine le premier exportateur mondial devant le Japon. Au premier semestre 2025, 3,5 millions d’unités ont été exportés, soit +18 % en un an.
L’Europe demeure le premier débouché des véhicules chinois malgré l’augmentation des droits de douane en 2024, décidée par la Commission de Bruxelles pour contrer une concurrence jugée déloyale. Selon Schmidt Automotive Research, les marques chinoises représentaient 5,2 % des ventes en Europe de l’Ouest au premier semestre 2025, contre 3,1 % un an plus tôt.
La marché de l’automobile mondial est soumis à des tensions sans précédent, chaque zone économique se barricadant derrière des droits de douane tout en espérant pouvoir exporter davantage. Les constructeurs doivent faire face aux surcapacités et à l’évolution de la réglementation en lien avec la transition écologique. Une rationalisation à l’échelle mondiale est indispensable avec une réduction du nombre de constructeurs. En Europe, des regroupements devraient intervenir en particulier autour des marques allemandes comme Mercedes ou BMW.
L’Europe et la bataille de la productivité
L’Europe prend du retard face aux États-Unis et à la Chine sur le plan de la productivité. Mario Draghi avait, l’année dernière, dressé un programme ambitieux, exhortant les responsables européens à approfondir le marché unique en abaissant les barrières aux échanges internes et en unifiant les marchés de capitaux. Or, selon le European Policy Innovation Council, un cercle de réflexion, à peine 10 % de ses recommandations ont été mises en œuvre. « Les gouvernements n’ont pas pris la mesure de la gravité de la situation », a averti, le 16 septembre dernier, l’ancien président de la BCE.
Mais Mario Draghi et les dirigeants européens, paralysés, ne négligent-ils pas une piste ? De nouvelles recherches menées par des économistes du continent suggèrent que des réformes méconnues du marché du travail pourraient apporter une réponse. Jusqu’ici, elles ont été largement ignorées — un oubli compréhensible. Pendant des décennies, l’Europe a été confrontée à un chômage de masse, qui a atteint près de 12 % en 2013. Il s’élève désormais à 6 %, grâce à des politiques assouplissant les conditions d’embauche et de licenciement, mais aussi au vieillissement démographique.
Les marchés du travail fonctionnent d’autant mieux qu’ils rapprochent les compétences des besoins réels, ce qui suppose des mobilités entre entreprises. Quand ils changent d’employeur, les salariés acquièrent et transmettent de nouvelles compétences, accélérant la diffusion des idées. Ils permettent aussi aux entreprises les plus productives de croître plus vite et donc d’augmenter les salaires. Le problème est qu’en Europe, les travailleurs restent trop souvent « sédentaires ». Un quart d’entre eux demeure plus de vingt ans dans la même entreprise, contre seulement un Américain sur dix. Des travaux de Niklas Engbom (Université de New York), fondés sur des données suédoises, montrent que les salariés âgés changent encore moins volontiers d’employeur, ce qui laisse présager un affaiblissement des gains de productivité.
Les longues carrières au sein d’une même entreprise avaient jadis leur logique. Dans un environnement relativement stable, les entreprises tiraient parti de travailleurs qualifiés et spécialisés, et investissaient volontiers dans leur formation. Les pratiques du marché du travail adaptées à ce contexte — coûts élevés de licenciement, avantages liés à l’ancienneté, négociations collectives structurées — restent fréquentes en Europe. Mais elles apparaissent de plus en plus négatives et peu propices à l’innovation. Selon certains, l’attachement durable entre employeurs et salariés pourrait être un atout, notamment en période de pénurie de main-d’œuvre. Mais les risques ne sont pas négligeables : dans ce contexte, les entreprises hésitent à changer de technologie et privilégient des améliorations incrémentales.
Comment, dès lors, favoriser une plus grande fluidité ? Une première option consisterait à rendre portables les avantages sociaux en les attachant à la personne et non à l’emploi. Une deuxième serait de détacher les grilles salariales des conventions collectives de la durée passée dans l’entreprise. Une troisième serait d’ouvrir les droits au chômage à ceux qui démissionnent, et non seulement à ceux qui sont licenciés. En France, les ruptures conventionnelles jouent en partie ce rôle, mais elles sont coûteuses pour les entreprises comme pour le régime d’assurance-chômage. Enfin, pour encourager la mobilité, il conviendrait de limiter les subventions incitant à conserver artificiellement l’emploi, telles que les dispositifs de chômage partiel, aux seules périodes de crise.
Des travaux de Simon Jäger (Université de Princeton) montrent, à partir d’une enquête allemande, que des salariés pouvant obtenir 10 % de salaire supplémentaire en changeant d’emploi n’anticipent en moyenne qu’une hausse de 1 % dans leur poste actuel. Une meilleure information des salariés pourrait les inciter à changer d’entreprise. La mobilité ne se réduit toutefois pas à une simple question de marché du travail. Les politiques du logement, qui renchérissent les mobilités résidentielles, enferment des travailleurs dans des régions moins productives. De même, les jeunes entreprises ont autant besoin de financements que de talents.
Le retard de productivité de l’Europe ne résulte pas seulement de son inachèvement institutionnel ou de ses hésitations industrielles : il s’enracine aussi dans la rigidité de ses marchés du travail et dans des structures sociales peu propices à la mobilité. L’Europe doit repenser son modèle, non pour copier servilement les États-Unis mais pour concilier sécurité et dynamisme. La portabilité des droits sociaux, la révision des conventions collectives, l’adaptation des politiques de logement et un meilleur accès aux financements constituent autant de leviers pour relancer l’innovation et la croissance. Sans une telle évolution, le Vieux Continent risque de rester à la traîne, prisonnier de ses inerties, au moment où les grandes puissances mondiales accélèrent.
Le solaire aux Etats-Unis : plus fort que Donald Trump !
À la tribune de l’ONU, Donald Trump a répété qu’à ses yeux le réchauffement climatique était « la plus grande arnaque jamais menée ». Au-delà de ces propos iconoclastes, il a engagé une offensive tous azimuts contre les énergies renouvelables. Dans son One Big Beautiful Bill Act (BBB), il a décidé de saper les incitations fiscales à l’éolien et au solaire. Déjà, plusieurs projets majeurs d’éolien offshore ont été annulés. Pourtant, les 37 000 participants au salon RE+ (Renewable Energy Plus), le plus grand rassemblement professionnel nord-américain consacré aux énergies renouvelables et aux technologies associées, ont affiché, cette année à Las Vegas, un enthousiasme combatif. Dans son discours d’ouverture, Abigail Hopper, présidente de la Solar Energy Industries Association, organisatrice de l’événement, a reconnu que « les responsables politiques en place nous sont ouvertement hostiles », mais elle a assuré que si « le marché et les politiques publiques semblent en contradiction », « notre industrie ne reculera pas ».
La bataille entre le marché et la politique est engagée. À long terme, les gains spectaculaires d’efficacité du solaire et la chute continue de ses coûts pourraient assurer le succès de cette énergie indépendamment du contexte politique. Le court terme s’annonce également plus favorable qu’attendu. Les analystes prévoient en effet une forte hausse des investissements solaires aux États-Unis. Le cabinet Wood MacKenzie anticipe même un « Trump bump », une relance paradoxale. Brian Nelson, cadre du groupe européen ABB, qui investit 120 millions de dollars dans l’extension de deux usines américaines, affirme : « Nous anticipons une croissance continue du solaire. »
L’Agence internationale de l’énergie (EIA) a estimé qu’au premier semestre 2025, 12 gigawatts (GW) de capacités solaires ont été mis en service aux États-Unis ; 21 GW supplémentaires devraient l’être d’ici la fin de l’année. Dans son dernier rapport publié le 9 septembre, l’EIA prévoit une croissance de 2,3 % de la production électrique américaine en 2025, et de 3 % en 2026, le solaire représentant la majeure partie de cette progression. Deux facteurs expliquent ce regain d’investissements. D’abord, une course contre la montre : les producteurs d’énergie s’empressent d’installer les infrastructures avant l’expiration des crédits d’impôt. Ensuite, la demande reste soutenue. Chris Seiple, de Wood MacKenzie, estime que les compagnies américaines d’électricité ont 17 GW de projets en construction et se sont engagées pour 99 GW supplémentaires, soit l’équivalent de 16 % de la demande actuelle. La montée en puissance de l’intelligence artificielle et des centres de données accentue encore les besoins en électricité. Dans ce contexte, le solaire, couplé à d’imposantes batteries de stockage, apparaît comme la solution privilégiée. La construction de centrales nucléaires demeure lente et coûteuse, tandis que les centrales à gaz à cycle combiné nécessitent de longues années de développement. Quant au charbon, il reste cher et polluant.
L’innovation accompagne par ailleurs l’essor des énergies renouvelables. Lors du salon RE+, le groupe AES a présenté Maximo, un robot dopé à l’intelligence artificielle, capable d’assister les équipes dans l’installation de panneaux solaires à grande échelle. Le 3 septembre, une flotte de Maximos a été déployée pour la création d’un parc solaire en Californie destiné à fournir plus de 1 GW d’électricité propre à Amazon.
Malgré un climat politique défavorable, l’industrie solaire américaine démontre une capacité de résilience remarquable. Les avancées technologiques, la dynamique des investissements et l’appétit insatiable de l’économie numérique pour l’électricité nourrissent une croissance que les décisions politiques, si hostiles soient-elles, semblent impuissantes à enrayer. La confrontation entre Washington et le marché pourrait, paradoxalement, accélérer encore la transition énergétique.