7 juin 2024

Le Coin des tendances – commémoration du 6 juin 44 – Etats-Unis – baby-boomers

Les 6 juin, l’histoire dans l’histoire

Le débarquement allié du 6 juin 1944 ayant pour nom de code « Neptune » demeure, 80 ans après, la plus grande opération militaire de l’histoire par les effectifs mobilisés et la logistique nécessaire à son succès. 156 177 hommes (cinq divisions d’infanterie et trois divisions aéroportées) sont débarqués le jour J, dont 10 470 sont tués, blessés ou portés disparus, selon les chiffres du Mémorial de Caen. Par mer, arrivent sur les côtes françaises133 000 hommes dont 58 000 Américains, 54 000 Britanniques, 21 000 Canadiens et 177 Français (le commando Kieffer). 23 000 hommes sont mobilisés : 13 000 parachutistes américains sont largués sur le Cotentin et 10 000 Britanniques entre l’Orne et la Dives. Pour la seule journée du 6 juin, 11 500 appareils sont mobilisés et 11 912 tonnes de bombes sont déversées sur les défenses côtières allemandes. 6 939 navires sont engagés dans la bataille de Normandie dont les fameuses barges de débarquement. Pour garantir l’approvisionnement des armées, la flotte logistique compte à elle seule 736 navires auxiliaires et 864 navires marchands. Deux ports artificiels sont construits en pleine mer. Plus de 20 000 véhicules et un millier de chars sont débarqués.

Le 80e anniversaire permet d’honorer les derniers survivants de cet évènement et constitue un rendez-vous international dont la portée dépasse le simple rappel des faits passés comme le prouve, la présence, aux côtés des Présidents Joe Biden et Emmanuel Macron, du Président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Ont également participé à cet anniversaire le Roi d’Angleterre, Charles III, le prince William, le Chancelier allemand Olaf Scholz, le Président de la République italienne Sergio Mattarella, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, ainsi que les Premiers ministres Mette Frederiksen pour le Danemark, Luc Frieden pour le Luxembourg, Kyriakos Mitsotakis pour la Grèce, Jonas Gahr Store pour la Norvège et Mark Rutte pour les Pays-Bas, Zuzana Caputova, pour la Slovaquie, Andrzej Duda pour la Pologne, Petr Pavel pour la République tchèque. Henri, le grand-duc du Luxembourg, Albert II de Monaco, Willem-Alexander, Roi des Pays-Bas, Philippe, le roi des Belges et Frederik X, Roi du Danemark, ont assisté à la cérémonie.

La commémoration du 6 juin a fortement évolué dans le temps pour prendre au fil des années une signification de plus en plus diplomatique. Dans les années 1950 et 1960, le 6 juin était avant tout une affaire de militaires. Pour le dixième anniversaire, en 1954, le Président René Coty est néanmoins présent. Le film « le jour le plus long » sorti en salle en 1962 en scénarisant le débarquement contribue à populariser ce dernier. Ce film valorise les Alliés et leurs valeurs, en pleine période de guerre froide, avec l’URSS. Pour éviter de heurter la République fédérale, le film n’aborde pas le nazisme et se borne aux faits militaires.

Dans la geste gaulliste, le 6 juin est loin d’être encensée. Le Général de Gaulle en a toujours voulu à Winston Churchill et à Franklin D. Roosevelt de ne pas l’avoir tenu informé de la date du débarquement et de ne pas avoir réellement associé les soldats de la France Libre à l’exception du Commando Kieffer qui avait été placé sous l’autorité des forces britanniques. Les gaullistes préféraient mettre en avant le 18 juin, jour de l’Appel, le 15 août, date du débarquement en Provence auquel ont participé des troupes françaises ou le 25 août, le jour de la libération de Paris. L’occultation du 6 juin est à mettre au compte des mauvaises relations qu’entretenaient le Général avec les autorités américaines. Malgré tout, en 1964, pour la première fois, en direct, la télévision française retransmet les cérémonies commémoratives. Vingt ans après le débarquement, pour la première fois transparaît son importance et le rôle des Américains. Ce vingtième anniversaire se fit sans la présence du Président, Charles de Gaulle. Le 6 juin 1974, le Président nouvellement élu, Valéry Giscard d’Estaing, ancien soldat de la 2e DB du général Leclerc ne participe pas aux cérémonies. Il préfère se rendre sur les plages de Normandie avec Jimmy Carter, le 5 janvier 1978, en dehors de tout calendrier commémoratif. Il faut attendre l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 pour que les commémorations du 6 juin deviennent des évènements diplomatiques. En décembre 1983, la présidence de la République française décide de faire des cérémonies du 40e anniversaire du débarquement en Normandie un « sommet commémoratif international ».

À compter de 1984, le 6 juin donne ainsi lieu à une mise en scène diplomatique visant à prouver au monde entier le rôle et le poids de la France. En 1984, Les Reines Beatrix des Pays-Bas et Elizabeth II d’Angleterre, les Rois Olav V de Norvège et Baudouin de Belgique, le Grand-duc Jean de Luxembourg et le Président américain Ronald Reagan sont présents aux côtés de François Mitterrand à Utah-Beach. Pour la première fois de l’histoire des commémorations, un Président des États-Unis participe ainsi aux cérémonies. À noter que le 6 juin 1988, François Mitterrand, entouré de nombreux chefs d’État inaugure le Mémorial de la paix de Caen consacré en grande partie au débarquement, preuve de la volonté des pouvoirs publics d’intégrer cette date dans la mémoire collective.

Pour le 50e anniversaire, en 1994, la France accueille une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement, le Président américain Bill Clinton, la Reine d’Angleterre Elisabeth II, le Roi Albert II de Belgique, le Grand-duc de Luxembourg, le Roi Harald de Norvège, la Reine Beatrix des Pays-Bas, le Président polonais Lech Walesa, le Président tchèque Vaclav Havel, le Gouverneur général du Canada, ainsi que les Premiers ministres australien, belge, canadien, britannique, néo-zélandais et néerlandais. Malgré l’absence du chancelier, Helmut Kohl, la mémoire de tous les soldats tombés en Normandie sont honorés, y compris les Allemands. Dans son discours de clôture, François Mitterrand a rappelé que le Débarquement est avant tout le point de départ de la victoire de la liberté contre la barbarie et le nazisme, invitant implicitement à ne plus assimiler l’Allemagne et les Allemands à l’ennemi. Par ailleurs, le Président des États-Unis, Bill Clinton, a rendu hommage aux résistants français qui ont rendu possible le succès de l’opération.

En 2004, le 60e anniversaire est marqué par la participation, pour la première fois, du Président russe en la personne de Vladimir Poutine et du chancelier allemand Gerhard Schröder qui fait l’accolade au Président Jacques Chirac, non pas sur une plage du débarquement, mais au Mémorial de la Paix de Caen.

En 2014, pour le 70e anniversaire, la question ukrainienne est déjà au cœur des préoccupations des chefs d’État et de gouvernement présents en raison de l’invasion russe de la Crimée effectuée au cours du printemps. Pour la seconde fois et la dernière, Vladimir Poutine assiste aux cérémonies mais les relations avec les autres responsables politique, et en particulier avec Barack Obama, sont glaciales. En coulisse, François Hollande et Angela Merkel réussissent à réunir le président russe et le président ukrainien. Ainsi est créé le « format Normandie » (Ukraine, Russie, France, Allemagne réunie), un format qui se répète à de nombreuses reprises jusqu’en 2022 et l’invasion de l’Ukraine.

Au-delà des commémorations, les plages du débarquement sont devenues des hauts lieux du tourisme mémoriel. En 2023, près de 22 millions de personnes les ont visitées. Les étrangers représentent 44 % des visiteurs. Environ 3,2 millions étaient américains ou britanniques. Le troisième plus grand contingent étranger est constitué d’Allemands. Il convient de souligner qu’il existe six cimetières de guerre allemands en Normandie, dont le plus grand se trouve juste à l’intérieur des terres d’Omaha Beach, à La Cambe, contenant les corps et restes de plus de 21 000 soldats allemands. Depuis l’ouverture du premier musée du Débarquement à Arromanches en 1954, le nombre de sites officiels consacrés à cet évènement atteint 123 selon l’Office du tourisme de Normandie. Avec le temps, les traces physiques du débarquement s’estompent en raison de l’érosion. En 2016, le sentier a été fermé entre Omaha Beach et le cimetière américain, un site époustouflant de croix blanches et de pins surplombant la mer. À l’ouest d’Omaha, à la Pointe du Hoc, où 200 Rangers américains ont escaladé les falaises, l’American Battle Monuments Commission a fermé et dévié des sentiers en raison de glissements de terrain et d’une forte fréquentation. Les caissons du port artificiel de la plage d’Arromanches disparaissent progressivement tout comme les bunkers. Malgré la disparition des vestiges, l’engouement pour le 6 juin ne diminue pas car cette date est perçue, malgré les 20 000 civils et les dizaine de milliers de militaires tués, comme un symbole de liberté. Cette date marque surtout le retour de l’espoir après quatre années de guerre et d’occupation nazie ainsi que le sacrifice de milliers de soldats alliés.

Heureux comme un baby-boomer !

Les baby-boomers, nés entre 1946 et 1964, constituent-ils la génération la plus chanceuse de l’histoire ? La plupart de cette cohorte, qui compte 270 millions de personnes au sein de l’OCDE n’a pas fait la guerre et a bénéficié de l’essor économique sans précédent intervenu des années 1960 aux années 2000. Cette période a été marquée par la réduction du temps de travail, le développement de la société des loisirs, l’accès à la propriété et la diffusion des voitures. Cette génération a grandi aux sons des Rolling Stones, d’AC/DC ou de Pink Floyd, a connu John Wayne, Clint Eastwood, Brigitte Bardot, Claudia Cardinale, Romy Schneider, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. Tous les baby-boomers ne sont pas devenus riches, mais dans l’ensemble, ils ont accumulé, au cours de leur vie, un patrimoine grâce à la combinaison d’une forte croissance des revenus d’une part et d’une appréciation des valeurs mobilières ainsi qu’immobilières d’autre part. Les baby-boomers américains, qui représentent 20 % de la population du pays, possèdent 52 % de sa richesse nette du pays. En France, plus de 70 % des plus de 60 ans sont propriétaires de leur résidence principale. Ces derniers ont, en moyenne, un patrimoine de plus de 300 000 euros quand pour l’ensemble des ménages, en France, il est de 240 000 euros (INSEE – 2018).

Cette richesse accumulée par les baby-boomers est un sujet d’interrogation. Sera-t-elle dépensée en raison de la diminution des pensions ou sera-t-elle conservée voire amplifiée comme c’est le cas actuellement ?

Traditionnellement, le niveau de consommation évolue en fonction de l’âge. Les jeunes actifs dépensent plus que le montant de leurs gains et sont donc contraints de s’endetter pour acquérir notamment leur logement. À l’âge mûr, les personnes accumulent des biens en vue de la retraite. Quand celle-ci est liquidée, les retraités sont amenés à puiser dans leur patrimoine pour maintenir leur niveau de vie et pour faire face aux dépenses de santé ou de dépendance. Avec le vieillissement démographique, le nombre d’actifs devant diminuer, le coût des services est censé augmenter, ce qui pèsera sur le budget des retraités. Par ailleurs, compte tenu du nombre croissant de retraités, les pensions seront peu ou mal indexées, conduisant à un érosion de leur pouvoir d’achat. Le taux d’épargne des baby-boomers qui dépasse 20 % en France devrait diminuer. Cette baisse provoquera une hausse des taux d’intérêt, compte tenu des besoins de financement des administrations publiques, en hausse en raison, justement, des dépenses de retraite, de santé et de dépendance.

Les hypothèses de cycle de vie communément admises ne sont pas, jusqu’à maintenant vérifiées. Les baby-boomers à la retraite continuent à épargner de manière importante et ne puisent pas, de ce fait, dans leur patrimoine. Le taux d’épargne des retraités dépasse en France 25 %. Au Japon, pays fortement engagé dans le processus de vieillissement démographique, les retraités retirent moins d’argent de leurs placement que ceux-ci en génèrent. En Italie, plus de 40 % des retraités continuent d’accumuler des richesses. Les ménages retraités peuvent épargner car le niveau des pensions reste élevé malgré les réformes adoptées ces trente dernières années. En France, le niveau de vie des retraités est de 2 % au-dessus de celui de l’ensemble de la population mais cet écart se réduit d’année en année et, devrait, selon le COR s’inverser d’ici la fin de la décennie. Les retraités épargnent car ils consomment peu. Les baby-boomers auraient tendance à être moins dépensiers que prévu. Ils achètent, ce qui est logique, moins de biens industriels car ils sont déjà équipés. La surprise provient, en revanche, d’une moindre consommation de services qu’escompté pour cette population. L’indice MSCI sur les entreprises qui fournissant des traitements pour les maladies liées à l’âge, les loisirs et le tourisme, ainsi que des produits de soins de la peau anti-âge, a, ces cinq dernières années, sous-performé malgré la forte augmentation de la population seniors. En matière de consommation, une rupture semble être intervenue dans les années 2000. En effet, au milieu des années 1990, les personnes âgées de 65 à 74 ans dépensaient, aux États-Unis, 10 % de plus que ce qu’elles gagnaient mais depuis 2015, les membres de cette cohorte sont redevenus épargnants net. Selon une enquête de la Réserve fédérale, en 1995, 46 % des ménages retraités américains affirmaient avoir épargné au cours de l’année écoulée. En 2022, ce taux était de 51 %. Au Canada, le taux d’épargne des personnes de plus de 65 ans a baissé des années 1990 jusqu’au début des années 2010 avant de progresser. Plus le nombre de baby-boomers à la retraite augmente, plus le taux d’épargne fait de même. En Corée du Sud, de 2019 à 2023, le taux d’épargne des plus de 65 ans est ainsi passé de 26 % à 29 %. En Australie, au début des années 2000, les personnes de plus de 65 ans n’épargnaient pratiquement pas. En 2022, ils en ont économisé 14 % de leurs revenus. En Allemagne, de 2017 à 2022, le taux d’épargne des retraités est passé de 17 % à 22 %. Au Japon, le poids des dépenses de consommation réalisées par les retraités a baissé ces dix dernières malgré leur poids démographique en hausse. En France, le taux d’épargne est en hausse depuis 2017, notamment grâce aux retraités.

En France, comme dans les autres pays occidentaux, à la retraite, les baby-boomers conservent leur logement même s’il est en grande partie inoccupé. Un nombre non négligeable le mettent en location sur les plateformes en ligne, totalement ou partiellement, ce qui leur assure des compléments de revenus. Les seniors, incités par les pouvoirs publics, retardent leur départ à la retraite ou cumulent cette dernière avec un emploi. Au sein de l’OCDE, le taux d’emploi des 55/64 ans est passé de 58 à 66 % de 2011 à 2022. Ce prolongement de la vie professionnelle conduit à une augmentation des revenus et des possibilités d’accumulation du patrimoine. Celui-ci augmente également par le jeu des succession. Avec l’allongement de l’espérance de vie, les baby-boomers héritent de leurs parents souvent après 55 ans voire 60 ans. Sont-ils enclins à transmettre eux-mêmes ce patrimoine à leurs enfants ? Sur ce sujet, les études divergent. Dans une étude HSBC « Future and retirement » de 2015, les baby-boomers indiquaient que les nouveaux seniors préféraient aider leurs enfants de leur vivant. A contrario, les recherches menées par les économistes Luigi Ventura et Charles Yuji Horioka, révèlent qu’en Europe, les motifs de transmission expliquent, dans une large mesure, le comportement patrimonial des retraités. Avec l’effet de valorisation, la valeur des succession a augmenté au sein de l’OCDE entre les années 1980 et celles de 2020.

En matière de consommation, la crise covid, la transition écologique et la vague inflationniste semblent influer sur le comportement des seniors. Ils sont de plus en plus nombreux à développer des habitudes d’ermite. En 2022, les baby-boomers américains ont dépensé 18 % de moins en restaurant qu’en 2019. En Italie, les retraités sont moins présents dans les lieux de loisirs qu’auparavant.

La frugalité des plus de 65 ans s’explique par leur crainte de manquer de ressources pour financer leurs dépenses de santé et, surtout, celles en lien avec la dépendance. Aux États-Unis, moins de 30 % des retraités pensent disposer assez d’argent pour faire face à leurs besoins. En France, 72 % de la population estiment que leurs pensions ne leur permettent ou permettront pas de vivre correctement à la retraite. Ce ratio est de 53 % pour les retraités (enquête 2023 – IFOP-CECOP).

Ces peurs modifient les comportements. Une étude de l’Institute for Fiscal Studies, un groupe de réflexion britannique, souligne que le niveau de consommation des seniors est fonction de leur appréciation du risque de tomber en dépendance. Pour les nombreuses personnes qui craignent de perdre leur mobilité ou de développer une démence, les risques de dépenser beaucoup d’argent aujourd’hui semblent trop grands. 13,5 % de la richesse américaine globale serait constituée afin de faire face aux dépenses médicales pendant la retraite. Au Japon, une enquête a prouvé que de nombreux retraités épargnent non seulement pour subvenir à leurs propres soins, mais aussi pour ceux de leurs parents, encore en vie. Dans un monde vieillissant, s’occuper de l’essentiel semble plus urgent que de prendre un verre sur les Champs Élysée ou sur la Ve avenue à New-York.

États-Unis : est-ce la fin de la fête ?

Depuis deux ans, les Américains ont retrouvé leurs habitudes de consommateurs. Ils ont puisé dans leur cagnotte covid pour s’acheter de nouveaux biens d’équipement pour la maison (ordinateurs, matériels pour faire de l’exercice, électroménager, etc.) et pour partir en vacances. Les prédictions faites par les établissements financiers l’été dernier, selon lesquelles les ménages réduiraient leurs achats en raison de l’inflation ont été démenties. Au lieu de cela, leurs dépenses ont permis à la croissance d’atteindre 2,5 %.

Malgré tout, plusieurs signaux de ralentissement de la consommation se font jour depuis le début de l’année. La croissance de cette dernière est passé de 0,7 % en mars à seulement 0,2 % en avril. Les dépenses globales ont diminué en termes réels. Les ventes au détail ont faibli. McDonald’s a enregistré une baisse des achats tout comme le fabriquant de ruban adhésif, 3M ruban utilisé dans le cadre des livraisons à domicile. La croissance après avoir atteint en rythme de croissance annuelle plus de 3 % en fin d’année dernière serait passée à moins de 2 % au deuxième trimestre de cette année selon la Réserve fédérale d’Atlanta.

Ce changement d’orientation de la consommation s’expliquerait par l’épuisement de la cagnotte covid. La Fed de San Francisco estime qu’en mars, les ménages ont terminé de dépenser les 2 100 milliards de dollars d’épargne accumulés durant la pandémie. Avec la hausse des taux d’intérêt, de plus en plus de ménages éprouvent des difficultés à rembourser leurs prêts. Selon Transunion, une agence d’évaluation du crédit, entre avril 2023 et avril 2024, 440 000 détenteurs de cartes de crédit ont été rétrogradés au statut de « subprime ». Le nombre de comptes enregistrant des impayés progresse à un rythme inconnu depuis 2011. Les personnes ayant emprunté pour acheter une voiture sont de plus en plus nombreuses à la vendre avant même le terme des remboursements. Selon Kelley Blue Book, une plateforme de vente de véhicules, les annonces de voitures d’occasion ont augmenté de 6 % en mai par rapport à l’année précédente. La Floride figure parmi les États les plus touchés par les défauts de paiement en raison de la présence de nombreux travailleurs à faibles revenus.

Si des tensions apparaissent, elles sont néanmoins sans commune mesure avec celles des années 2007/2009. Avec des taux d’intérêt qui ont doublé 2019 et 2024, les retards de remboursement des prêts restent supportables pour la grande majorité des banques. Celles-ci ont répondu positivement aux crash-test réalisés par le régulateur. La bonne tenue du marché de l’emploi (le chômage restant en-dessous de 4 %) et l’augmentation des salaires limitent les risques d’effet domino en matière de prêts. Malgré la hausse des taux d’intérêt pour les ménages, le coût des emprunts immobiliers reste faible car ceux-ci ont été souscrit, pour une majorité d’entre eux à taux fixes. Au total, un tiers de la dette hypothécaire a été refinancé en 2020-2021, les emprunteurs ayant profité des taux bas, ce qui signifie que les ménages consacrent une part plus faible de leurs revenus au remboursement de leurs dettes. Ceux qui possèdent des logements et des actions bénéficient également de la hausse des prix des actifs et des revenus de location et des dividendes qui y sont associés. L’indice S&P 500 des grandes entreprises américaines est, par exemple, en hausse de plus de 10 % cette année.

La consommation des Américains dépend, à la différence de la situation qui prévaut en Europe, de la bonne tenue des marchés financiers. Avec la baisse des taux directeurs de la FED prévue cet été, les indices « actions » devraient rester bien orientés. L’engouement persistant des investisseurs pour l’intelligence artificielle devrait également porter les cours à la hausse. Dans ce contexte, le ralentissement de la consommation pourrait n’être que temporaire.

Comment évaluer économiquement les dégâts climatiques ?

Les économistes, William Nordhaus et Paul Romer, ont reçu, en 2018, le Prix Nobel d’économie pour leur travaux sur l’intégration des effets du changement climatique dans les modèles économiques. Ils ont contribué à modéliser l’interaction entre l’économie et l’atmosphère, en établissant une équation permettant de mesurer l’effet du dommage occasionné par une unité supplémentaire de réchauffement sur le PIB. En 1991, ils avaient estimé qu’une augmentation de la température de 3°C de la planète provoquerait une contraction du PIB de 2 %. Depuis, de nombreux travaux ont affinés ce modèle. Les économistes, Diego Känzig de l’Université Northwestern et Adrien Bilal de l’Université Harvard utilisent les changements de températures passés, provoqués par les éruptions volcaniques ainsi que El Niño, pour modéliser les effets du réchauffement des températures. Ces économistes évaluent qu’une hausse supplémentaire de 1°C de la planète entraînerait une baisse de 12 % du PIB. Un scénario de changement climatique avec un réchauffement de plus de 3°C entraînerait des conséquences difficiles à apprécier au regard de leur ampleur. Ils considèrent qu’une telle augmentation aurait des effets comparables à une longue guerre mondiale.

L’appréciation des dommages provoqués par le réchauffement climatique est un élément important pour déterminer l’opportunité de réaliser ou non des investissements visant à lutter contre celui-ci. En 2022, l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) a proposé ainsi de réviser à la hausse son estimation du coût économique et social de la tonne de carbone de 51 dollars à 190 dollars. Les calculs des économistes Känzig et Bilal aboutissent à un montant plus de cinq fois supérieur, à 1 056 dollars la tonne d’équivalent dioxyde de carbone. Ils estiment que les États-Unis ont tout intérêt à se lancer dans la décarbonation au vu des coûts que l’inaction induirait à terme.

Malgré tous les progrès réalisés en matière de modélisation depuis 1991, l’évaluation des dégâts potentiels des émissions des gaz à effet de serre demeure un exercice délicat. Pour mesurer le coût de ces dégâts, les économistes ont longtemps établi leurs calculs en comparant la situation économique et social des pays en fonction des températures constatées. Or, cette option peut sembler critiquable. La comparaison entre le Tchad et la Norvège a, en effet, peu de sens compte tenu des différences de ces deux pays ; différences qui ne sont pas, loin de là, toutes imputables aux températures. Même si la Norvège connaissait des températures identiques à celles du Tchad, elle ne serait pas dans la même situation économique. Les économistes préfèrent aujourd’hui recourir à des modèles centrés sur l’évolution dans le temps de d’un échantillon de régions. Si température et croissance sont, sur le long terme, corrélées, ce n’est pas le cas à court terme. Une croissance plus forte est susceptible d’accélérer le réchauffement climatique mais également de faciliter la transition écologique. Celle-ci peut, tout à la fois, brider la croissance en renchérissant le coût de l’énergie et la favoriser en dopant les investissements.

Des économistes préfèrent examiner les « chocs de température », en observant comment ils sont corrélés aux chocs de revenus. Ils essaient de déterminer quels sont les effets des vagues de chaleur sur l’économie. Les variations de températures sont susceptibles de provoquer d’importants changements, en particulier au niveau agricole à l’échelle mondiale, dont les ajustements se font dans le temps. De fait, les agriculteurs n’arrêtent pas du jour au lendemain de cultiver du blé au profit des bananes. Les changements de production peuvent amener de nouveaux déséquilibres et influer sur la croissance. Si tous les agriculteurs se mettent à cultiver des bananiers, le prix de la banane risque de s’effondrer. Les interactions entre les régions sont nombreuses. La disparition de terres arables dans sur une partie de la planète entraînera des conséquences, par exemple, sur le prix des céréales. A contrario, prendre la planète comme panel gomme les problèmes économiques que certains territoires rencontreront. La concentration de la population à proximité des côtes accroît les coûts des dégâts liés au réchauffement. En prenant une moyenne mondiale, le risque de sous-évaluation des conséquences de ce dernier est important.

Pour pallier les défauts des modèles globaux, les économistes ont recours à des systèmes intégrant les variations de rendements agricoles ou celles de la mortalité. Ils prennent en compte pour leurs calculs l’élévation du niveau de la mer et la demande énergétique supplémentaire nécessaire pour la climatisation. Ces estimations sont ensuite agrégées. Compte tenu du nombre élevé de facteurs pouvant avoir des effets économiques, les modèles restent parcellaires. Pour le moment, ces modèles ne prennent pas en compte le ralentissement du commerce international provoqué par la montée du protectionnisme, sachant que celui-ci n’est pas sans lien avec la transition écologique.

Quoi qu’il en soit, les dégâts du réchauffement climatique sur longue période sont réévalués à la hausse d’autant plus que celui-ci tend à s’accélérer. Il s’accroît désormais à un rythme de 0,26°C par décennie selon une étude scientifique publiée dans Earth System Science Data, le mercredi 5 juin dernier, par un groupe international de 59 scientifiques de renom, issus de 44 institutions. Entre 1970 et 2010, la planète se réchauffait au rythme de +0,18 °C par décennie. Entre la dernière étude du GIEC prenant en compte les années 2010/2019, une nouvelle accélération est constatée. Celle-ci est conforme au modèle du GIEC et selon Pierre Friedlingstein, directeur de recherche (CNRS) à l’École normale supérieure et l’un des signataires de l’étude, il n’y a pas, en l’état, un emballement climatique. Un autre auteur de l’étude, Piers Forster, climatologue à l’université de Leeds (Royaume-Uni), indique qu’il n’y a « pas de preuve claire » que cette accélération se poursuive. Mais, malgré tout, entre 2014 et 2023, l’augmentation a été de +1,19 °C par rapport à l’ère préindustrielle, contre +1,07 °C entre 2010 et 2019. La hausse des températures est plus élevée sur les continents (1,74 °C) qu’à la surface des océans (1,19 °C). L’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée, avec un surcroît de température de 1,43°C. 90 % de cette augmentation serait la conséquence des activités humaines, les 10 % restants étant provoqués par la variabilité naturelle du climat et, en particulier, le phénomène climatique El Niño.

L’explication du niveau de température de 2023 demeure, en l’état actuel, encore à réaliser. Selon l’étude précitée, les rejets carbonés ont atteint des niveaux records sur la décennie 2013-2022, équivalant à 53 milliards de tonnes de CO2 par an. Une décélération est constatée mais le volume de CO2 continue à augmenter. Le taux de progression est actuellement de 1 % par an, contre 3 % dans les années 2000. La concentration de CO2 est désormais 50 % plus élevé que sur la moyenne des cinquante dernières années. « Cet excès de chaleur est stocké dans les océans et les continents, qu’il réchauffe. Il réchauffe également l’atmosphère et fait fondre les calottes glaciaires », prévient Karina von Schuckmann, océanographe au Mercator Ocean International, un centre d’analyses situé à Toulouse. Le réchauffement tend également à s’accentuer en raison de la diminution de la pollution. En effet, la diminution des aérosols issus des activités humaines (industrie, transports, chauffage) entraine un moindre réfléchissement des rayons du soleil vers l’espace. En 2023, la pollution engendrée par les vastes feux de forêt au Canada ont toutefois contrebalancé en partie cette diminution.

Compte tenu des dernières données, la probabilité d’un réchauffement de 2°C de la planète est de plus en plus élevée avec, à la clef, une réduction du PIB pouvant dépasser 15 %. Une telle attrition n’est pas sans risques géopolitiques et sociaux pour les prochaines années mais les prévisions sont réalisées pour être démenties.