2 juillet 2022

Le Coin des Tendances – crise alimentaire – transition énergétique – dettes publiques – résilience de la population française

La transition énergétique, victime collatérale du conflit ukrainien

Le prix du baril de pétrole n’a pas encore battu le record qu’il avait atteint avant la crise financière des subprimes. Toutefois, en s’en rapprochant, il a mis sous tension l’ensemble de l’économie mondiale. L’acuité de cette hausse est d’autant plus forte qu’elle s’accompagne d’une augmentation des prix des matières premières et des produits agricoles. Dans une économie où l’énergie rare et chère, les États sont incités à palier rapidement aux besoins avec, le cas échéant, un recours aux énergies fossiles les plus polluantes, comme le charbon. La France a ainsi dû remettre en fonctionnement une centrale au charbon pour faire face à la demande cet hiver.

En Europe comme aux États-Unis, les populations demandent à leur gouvernement de garantir leur pouvoir d’achat. Avec la réduction des exportations russes, le prix du gaz a augmenté au milieu du mois de juin de 50 %. La crainte d’une pénurie à l’automne est de plus en plus prise au sérieux comme en témoigne, en France, la tribune signée par les PDG de Total énergie et d’EDF et d’Engie qui réclament la réalisation d’importantes économies d’énergie. Les Américains demandent une intervention de l’État afin de peser sur le prix de l’essence qui a atteint 1,25 € le litre, ce qui est un niveau record Outre-Atlantique. En Australie, des coupures et des délestages d’électricité sont nécessaires pour éviter une rupture totale du réseau.

Après une succession de crise depuis le début du siècle, les populations sont de plus en plus réactives et portées à la contestation. Aux États-Unis, la décision de la Cour Suprême relative à l’avortement passe au second plan par rapport aux questions de pouvoir d’achat. Les sondages, donnant toujours le parti démocrate perdant aux élections de mi-mandat au mois de novembre prochain. La hausse des prix se traduit par l’abandon des mesures visant à accélérer la transition énergétique. Arrivé au pouvoir en promettant une révolution verte, Joe Biden prévoit désormais de suspendre les taxes sur l’essence et en appelle aux autorités saoudiennes pour augmenter leur production de pétrole. Les gouvernements européens ont pris des mesures d’allègement de la fiscalité pétrolière, mis en place des subventions ou ont imposé des plafonds de prix. Les entreprises minières chinoises et indiennes ont battu des records d’extraction ces deux derniers mois afin de satisfaire une demande nationale et internationale en forte hausse. Avec l’augmentation des dépenses publiques pour compenser les hausses de prix, les États diffèrent la réalisation d’infrastructures pour les énergies renouvelables voire ils privilégient des techniques censées disparaître en 2030 ou en 2050. L’Europe disposant de peu de capacité de traitement du gaz naturel liquéfié opte pour le charbon plus facile d’accès et d’utilisation. Une des voies possibles serait le développement rapide de la filière hydrogène vert mais cette dernière exige des capitaux abondants et un minimum de temps pour être opérationnelle. Selon l’Agence internationale de l’énergie, pour atteindre zéro émission nette d’ici 2050, l’investissement annuel doit doubler pour atteindre 5 milliards de dollars par an.

La crise énergétique de 2022 provoquée par la guerre en Ukraine peut aboutir à un relâchement de l’effort dans la lutte contre le réchauffement climatique ou au contraire à son accélération. Pour le moment, si les États occidentaux se sont entendus pour mettre en œuvre des sanctions envers la Russie, ils sont moins coopératifs sur le terrain de la lutte pour la décarbonation des énergies. Celle-ci s’impose non seulement pour les pays riches mais aussi pour les pays pauvres qui n’ont pas les moyens de passer aux énergies renouvelables ou vertes. La création d’outils de financement coopératifs apparaît nécessaire d’autant plus que le risque d’un protectionnisme environnemental n’est pas négligeable.

Le monde face à une nouvelle crise alimentaire ?

La dernière fois que l’économie mondiale a connu une hausse importante des prix alimentaires, une série de crises politiques a été constatée avec, comme épicentre, les soulèvements du printemps arabe en 2010/2011. En 2022, l’augmentation des cours des produits agricoles se double de celle de l’énergie. À compter de l’automne, plusieurs pays émergents ou en développement pourraient être confrontés à des tensions sociales importantes surtout au sein des grandes agglomérations. Cette crise intervient juste après celle du covid qui a conduit les États à s’endetter fortement. Les pays les plus pauvres doivent faire face à des dettes importantes avec des taux d’intérêt qui remontent rapidement. Ils ne disposent pas de marges de manœuvres pour compenser les effets de l’inflation. Selon le FMI, 41 États sont en « surendettement » ou à haut risque. Le Sri Lanka a déjà fait défaut et le Laos pourrait également être dans la même situation prochainement. Des émeutes se sont déjà produites dans plusieurs villes. Au Pérou, des manifestations violentes ont eu lieu avec comme thème la défense du pouvoir d’achat. En Inde, un plan visant à supprimer certains emplois à vie dans l’armée a provoqué des troubles. Au Pakistan, le gouvernement a provoqué une sourde hostilité en exhortant ses citoyens à boire moins de thé pour économiser des devises fortes. Selon The Economist, la montée des troubles et le risque de révolution seront au plus haut à la fin de l’année et en 2023. Parmi les pays les plus exposés figurent la Jordanie et l’Égypte qui dépendent des importations de produits agricoles et d’énergie, ces deux pays ayant, par ailleurs, des finances publiques délétères. En Turquie, le gouvernement a accentué les tensions inflationnistes avec la mise en œuvre d’une politique monétaire erratique. La possibilité de rebellions même si le pouvoir dirige le pays avec force n’est pas nulle. L’inflation crée de la pauvreté et nourrit la corruption. Quand les salaires ne suivent pas les prix, les pratiques douteuses se multiplient. Quand les prix sont gelés, le marché noir prospère. Le déclencheur du printemps arabe a été le suicide d’un colporteur tunisien, qui s’est immolé par le feu pour protester contre les demandes constantes de pots-de-vin de la police.

Face aux risques d’émeutes, de révolution, les investisseurs internationaux optent pour l’attentisme. Les pays concernés constatent déjà une baisse des investissements. L’instabilité politique et les manifestations ont pour conséquence de diminuer la croissance d’un point de PIB dans les dix-huit moins suivant les évènements.

Pour éviter la survenue d’une crise alimentaire de grande ampleur, des voies se font entendre pour réduire l’utilisation des céréales comme bio-carburants et pour inciter les agriculteurs à ensemencer leurs terres. Au sein des pays émergents et en développement, des agriculteurs ont préféré laisser en jachère leurs champs en espérant qu’ils puissent être achetés par les pouvoirs publics dans le cadre de projets immobiliers ou d’infrastructures.

Plusieurs États ont demandé un plan d’urgence du FMI et de la Banque mondiale. Au Sri Lanka et en Tunisie, des représentants du FMI sont arrivés en juin afin d’aider à la mise en place de réformes. Des négociations sont en cours pour d’éventuelles livraisons de céréales d’origine ukrainienne malgré le blocus en Mer noire. Pour le moment, aucune solution ne semble se dessiner pour cet été. Seule la voie ferrée et les camions sont pour le moment utilisables. Or, un wagon transporte 60 tonnes de céréales quand un bateau peut en contenir 75 000 à 90 000 tonnes. Cela signifie qu’il faut plus de 1 000 wagons pour remplacer un navire. Par ailleurs, il faut changer de train à la frontière ukrainienne du fait d’écartements de rail différents. Dans ce contexte d’une rare complexité, une importante coopération internationale apparait nécessaire pour la fin de l’année.

Comment éviter une nouvelle crise des dettes publiques au sein de la zone euro ?

Au milieu du mois de juin, l’Italie devait payer 1,9 point de pourcentage de plus que l’Allemagne pour emprunter à dix ans, soit près du double de l’écart constaté au début de 2021. Les coûts d’emprunt de l’Espagne, du Portugal et même de la France ont également fortement augmenté avant de diminuer légèrement après la prise de parole de la Présidente de la BCE, Christine Lagarde. Faisant écho à la promesse de Mario Draghi lors de la crise grecque, elle a affirmé, qu’elle fera tout pour sauver la zone euro et que quiconque doutait de la détermination de la banque centrale, commettrait une grave erreur.

Les États de la zone euro ont dépensé 2 000 milliards d’euros pour soutenir leur économie pendant la pandémie. L’endettement public de l’Italie dépasse 140 % de son PIB, contre 108 % au début de la précédente crise de l’euro en 2010. La France profite du paratonnerre de l’Italie. Sa dette atteint 114 du PIB en 2020, contre 98 % avant la crise sanitaire et 60 % en 1996. Si l’inflation diminue le poids de la dette par rapport au PIB, ce dernier l’intégrant, elle se traduit par une hausse des taux qui grève le budget des États. Les taux d’intérêt élevés mettent du temps à se faire en raison de la duration des obligations d’État. L’encours de la dette italienne a une durée résiduelle moyenne de près de huit ans. Ce décalage donne à la BCE le temps d’empêcher une crise dans laquelle les craintes de défaut deviennent auto-réalisatrices en augmentant les coûts d’emprunt. Comme dans les années 2010 lors de la crise grecque, la BCE s’engagera à contenir les spreads, mais son aide sera sans nul doute conditionnée. Les populations concernées devront accepter des réformes qui ne seront pas toutes, loin de là, populaires.

La BCE est ainsi confrontée à un dilemme : lutter contre l’inflation et soutenir les pays endettés. Après la crise des subprimes et pendant la pandémie, la banque centrale justifiait le rachat d’obligations italiennes ou portugaises par la nécessité de lutter contre la déflation. Aujourd’hui, le problème n’est plus la déflation mais l’inflation qui dépasse en moyenne 8 % et atteint même 20 % dans certains pays baltes.

Les investisseurs s’attendent à ce que la BCE relève progressivement ses taux d’intérêt à 2 % d’ici l’année prochaine. Or, des pays comme l’Italie ne peuvent pas a priori supporter des rendements sur ses obligations au-dessus de 4 %. Compte tenu des écarts de taux actuels, ce rendement pourrait être dépassé. Nul l’imagine un défaut de paiement italien. Cela aurait un effet systémique évident compte tenu de l’ampleur de la dette publique qui dépasse 2 000 milliards d’euros et de l’implication des grandes banques européennes et notamment françaises dans la péninsule. La BCE travaille à un plan visant à limiter les spreads. D’autres estiment que la solution est de nature budgétaire. Le fonds « Next Generation » de 750 milliards d’euros, né pendant la pandémie et financé par emprunt commun, constitue un outil pouvant diminuer la pression sur la dette s’il est maintenu et accru. Plus les dépenses seront centralisées, plus il sera facile pour les États endettés de dégager les excédents éventuellement nécessaires à la soutenabilité de leur dette en cas de hausse des taux d’intérêt. Si cette option est récusée par de nombreux responsables du Nord de l’Europe, elle est préférable à un défaut qui provoquerait une crise sans précédent avec un risque évident d’effets dominos.

La population française plus résiliente ?

Crise des gilets jaunes, réforme des retraites, pandémie de covid, guerre en Ukraine, les Français sont, depuis 2018, soumis à un rythme rapide d’évènements pouvant affecter leur moral. À ces évènements récents, il faut ajouter la crise des subprimes de 2008, celle des dettes publiques de 2011, les attentats en 2015/2016, le réchauffement climatique ou le Brexit qui ont plus ou moins pu peser, directement ou indirectement, sur le moral des ménages. Le développement des fake news, des informations et thèses complotistes a été important ces dix dernières années. La défiance à l’encontre des pouvoirs publics a augmenté. Malgré ce contexte, la dernière enquête du Crédoc sur les conditions de vie et aspirations du mois de juin souligne une baisse des inquiétudes de la part des Français. Les craintes sont en baisse de 4 points en matière de maladie grave, de 6 points pour les accidents de la route, de 7 points pour le terrorisme et de 8 points pour d’éventuels accidents de centrale nucléaire. Ces peurs sont en retrait par rapport aux niveaux d’avant crise sanitaire. Cette baisse des inquiétudes peut sembler étonnante du fait de l’état d’esprit négatif d’une partie non négligeable de la population. 64 % des Français évoquent ainsi que la pandémie a eu un impact négatif sur leur vie.

La succession des crises a rendu les Français plus résilients sur le plan individuel. Par ailleurs, malgré des récriminations constantes, les Français ont bénéficié du « quoi qu’il en coûte ». Ils n’ont été que marginalement touchés. Après les confinements, la vie a retrouvé rapidement son rythme d’avant. 48 % des Français invitent ou reçoivent des amis ou des relations au moins une fois par mois, et 76 % rencontrent régulièrement leur famille proche, soit des taux quasi équivalents à ceux mesurés en janvier 2020. Avec la crise sanitaire, le réseau social s’est resserré. La participation associative est en recul. Les adhérents ont diminué  de 2 points entre 2019 et 2022 pour les associations sportives et les associations culturelles ou de loisirs. La baisse est plus marquée pour les associations humanitaire, sanitaire ou sociale, -4 points. 40 % de la population indique participer aux activités d’un groupe ou d’une association parmi les onze proposés, contre 47 % en janvier 2020. Depuis la pandémie, les Français évitent la foule et privilégient les liens de proximité. Les sorties de loisirs sont moins fréquentes. 27 % de la population déclaraient, en avril 2022, éviter les regroupements et réunions en face à face (enquête Coviprev de Santé publique France). Les Français se rendent ainsi moins souvent au cinéma. 20 % des Français indiquent aller régulièrement des cinémas en 2022, contre 28 % en janvier 2020. Les Français plébiscitent le rôle du travail dans la vie sociale. Il n’y a pas de « grande dépression » comme aux États-Unis, pays où le taux d’emploi n’a pas retrouvé son niveau d’avant crise. L’enquête du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), menée auprès des salariés ayant effectué une visite auprès du médecin du travail, montre plutôt l’effet inverse : entre le 1er octobre 2020 et le 30 avril 2021, seulement 10 % des salariés déclarent que leur travail a perdu de son sens. 61 % rapportent que la crise sanitaire n’a eu aucun effet sur leur rapport au travail. 29 % déclarent avoir le sentiment que leur travail a gagné en intérêt du fait de la crise sanitaire. Au-delà d’une certaine littérature, la pandémie ne conduit pas à des migrations internes importantes. La population reste fidèle à son logement, à sa ville. Cette stabilité est aussi l’effet d’une diminution des revenus et de l’incertitude quant à leur pérennité. Les mobilités professionnelles sont également en recul. Selon une étude de l’Unedic, 24 % des actifs en emploi estiment que la crise a été un « frein » au changement d’employeur et 21 % jugent qu’elle a été un « frein » pour entamer une démarche de reconversion professionnelle.

De même, contrairement au bruit de fond médiatique, la confiance dans le gouvernement, les hommes et les femmes politiques, la police, les entreprises publiques, augmenterait, selon le Crédoc (respectivement +9 points, +2 points, +5 points et +7 points entre janvier 2020 et janvier 2022). En avril 2022, 52 % des Français déclarent être confrontés à des difficultés que les pouvoirs publics ou les médias ne voient pas, contre 60 % en 2017. Les Français sont moins nombreux à souhaiter un « grand soir ». Ils sont 38 % en avril 2022, contre 50 % en 2007.