5 janvier 2024

Le Coin des tendances – cryptoactifs – luxe – sanctions internationales

Les cryptoactifs sont-ils indestructibles ?

L’origine exacte du bitcoin demeure inconnue. Son bilan énergétique est déplorable, ses fluctuations enrichissent quelques investisseurs tout mais en appauvrissent un grand nombre. Les cryptoactifs sentent de plus en plus le souffre servant de monnaies aux cartels de la drogue et à des groupes terroristes.  Des pirates informatiques y sont recourent pour se faire des payer des rançons en Bitcoin. Des cryptoactifs sont créés pour leurs créateurs puissent faire fortune ou puissent blanchir des sommes obscures.

Avec la hausse des taux d’intérêt, la valeur des cryptoactifs a chuté à 2022 donnant l’impression que leur règne avait pris fin. Le cours du bitcoin est ainsi passé de 50 000 dollars en novembre 2021 à 16 000 un an plus tard. Les autorités de plusieurs Etats dont les Etats-Unis ont pris des mesures pour poursuivre ceux facilitant la diffusion des cryptomonnaies auprès du milieu. Changpeng Zhao et Sam Bankman-Fried, les fondateurs du deuxième plus grand site d’échange de cryptomonnaies au monde, ont été arrêtés et attendent d’être condamnés pour crimes financiers en ayant contrevenu aux lois visant à lutter contre  le blanchiment d’argent et la fraude. Les régulateurs aux Etats-Unis comme en zone euro attirent l’attention des investisseurs sur les dangers des cryptoactifs. Depuis un an, malgré leurs déboires, les cryptoactifs ont résisté et ont relevé la tête. Le 1er janvier 2024, le bitcoin s’échangeait à près de 40 000 dollars. Les cryptoactifs reposent sur des blockchains maintenant une base de données de transactions. Il faudrait que la valeur soit nulle pour que l’édifice tombe. Or, pour le moment, de nombreux acteurs croient encore en l’avenir des cryptoactifs. Ils estiment que les progrès de la technologie aboutira à la généralisation de ce type d’actifs. Les habitants de pays à forte inflation ou dotés de gouvernement despotique utilisent les cryptoactifs comme le bitcoin ou des jetons liés à une monnaie forte. Ils se prémunissent ainsi de la dépréciation de leur monnaie et des éventuelles mesures coercitives de leur gouvernement. Les NFTS, des jetons non fongibles, sont créés ou collectionnés par des artistes et des musées. Donald Trump, candidat à la prochaine élection présidentielle américaine, a émis sa photo sous forme de NFTS à 99 dollars pièce afin de financer sa campagne.

Les cryptoactifs peuvent compter sur l’implication de nombreux développeurs informatiques qui sont venus au moment de leur forte croissance. Souvent talentueux, ils travaillent sur de nouvelles applications et de nouveaux usages. Il y a désormais un réel écosystème des cryptoactifs. Ces dernières continuent à attirer les investisseurs les plus jeunes. Selon l’enquête AG2R LA MONDIALE/AMPHITEA/CERCLE DE L’ÉPARGNE, 31 % des 18/34 ans, en France, considèrent que les cryptoactifs sont des placements intéressants. Selon l’OCDE, près des deux tiers des 25/34 ans qui en 2020 et 2021 ont, en France, investi sur les marchés une partie de leur épargne l’ont fait notamment en achetant des cryptoactifs. Leur volatilité n’effraie pas les investisseurs car les fortes chutes sont suivies de rebonds. Les thuriféraires des bitcoins estiment que ces derniers n’aliment pas une bulle spéculative comme les tulipes aux Pays-Bas en 1630. L’évolution du cours des cryptoactifs dépend, depuis plusieurs années, de celle des valeurs technologiques. La forte progression de ces dernières avec l’engouement pour l’intelligence artificielle entraîne la hausse du bitcoin et de ses confères. Les gains réalisés sur les valeurs technologiques sont en partie réinvestis sur le marché des cryptoactifs. Quand les premières ont chuté en 2022, les investisseurs ont vendu leurs bitcoins pour solder leurs positions.

Après des années de doute, les autorités américaines semblent prendre au sérieux le bitcoin. Une cour d’appel fédérale a ainsi statué le mardi 29 août dernier que la Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur des marchés financiers américains, devait réexaminer la demande du gestionnaire d’actifs de cryptomonnaies Grayscale Investments de lancer le premier ETF en bitcoins. Le refus de la proposition de cette société a été jugé arbitraire. Les juges américains a ouvert la voie au lancement de véritables ETF bitcoins. Depuis cette décision, la SEC a retardé à plusieurs reprises sa décision d’agréer l’ETF de Grayscale. Elle devrait intervenir d’ici la mi-janvier. En cas d’agrément, le bitcoin pourrait accroître son rôle d’actifs de diversification. Les gestionnaires de fonds comme BlackRock et Fidelity, ont également postulé pour lancer des ETF bitcoins.

Depuis leur apparition lors de la crise financière de 2008, les cryptoactifs font preuves d’une résilience certaine. Les banques centrales ont dû se résoudre à travailler sur des monnaies digitales après avoir pris le soin de bloquer le projet de cryptoactif de Facebook, le Libra. Malgré leurs défauts, leur manque de transparence pour certains d’entre eux, ils s’installent dans le paysage des placements.

Le luxe, une exclusivité européenne

Le secteur du luxe avait après la crise sanitaire connu un rebond de l’activité à el point que LVMH était devenue la première capitalisation boursière européenne. En 2022, le chiffre d’affaires du secteur du luxe avait augmenté de 20 %. En 2023, le ralentissement de l’économie chinoise et les achats en berne de la Russie ont freiné la croissance du luxe qui n’a été que de 4 %. Novo Nordisk, la société danoise spécialisée dans les produits pharmaceutiques, a ravi la première place à LVMH en matière de capitalisation boursière.  L’indice S&P Global Luxury, qui suit les performances du secteur, a baissé de près de 10 % durant le second semestre 2023.Le secteur du luxe a connu une remarquable croissance des vingt dernières années. Son chiffre d’affaires a triplé de 2002 à 2022 pour atteindre 400 milliards de dollars grâce, en grande partie, à l’essor des ventes en Asie. Dans toutes les grandes métropoles, les enseignes des grandes marques de luxe se sont multipliés. A Paris, ces enseignes sont devenus les principaux moteurs de l’immobilier commercial. L’avenue Montaigne, la place Vendôme ou la rue de Rivoli sont devenus des hauts lieux touristiques. Le luxe reste une spécialité européenne. Deux tiers des ventes de produits de luxe sont selon Deloitte, réalisées par des entreprises dont le siège social est en Europe. Neuf des dix marques de luxe les plus valorisées au monde, selon Kantar, sont européennes. Quelles sont les raisons qui peuvent expliquer cette spécificité européenne ?

Les entreprises du luxe ont su depuis vingt ans concilier tradition et modernité. Elles exploitent au mieux la fascination des touristes pour le vieux continent. Sept des dix pays les plus visités au monde sont européens. La France occupe la première place e pour le nombre de touriste internationaux et pour le poids de son secteur du luxe. Les touristes affluent vers les villes historiques d’Europe pour admirer l’architecture, les œuvres d’art, la gastronomie et les créations des entreprises du luxe. Le mode de vie idéalisé des Européens associant élégance, tradition et hédonisme fait toujours rêver. Les fashion week à Paris, à Londres ou Milan sont des évènements attirant des milliers de personnes. Les entreprises américaines peinent à pénétrer le secteur du luxe. Ralph Lauren, se concentrent sur le secteur du « luxe accessible ». En Asie, les entreprises revendiquant appartenir au secteur du luxe sont présentes dans les domaines de la bijouterie (Chow Tai Fook en Chine ou Titan en Inde) ou des cosmétiques (Shiseido au Japon). Elles se développent en jouant sur les demandes spécifiques des clients asiatiques.

New York a tenté de s’imposer comme une capitale du luxe en organisant également une fashion week et en se dotant de centres de formation notamment dans le design afin de rivaliser avec Milan ou Paris. Mais, les meilleurs designers américains privilégient les entreprises du luxe européennes tout comme les chercheurs européens émigrent dans la Silicon Valley.

L’industrie du luxe européenne repose sur un savoir-faire artisanal qui se transmet de génération en génération. Les sacs à main Hermès dont le prix de vente peuvent atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros nécessitent plusieurs dizaines d’heures pour être fabriqués. Les centres de production sont des petites unités disséminées au sein de l’ensemble de l’Europe. La fabrication de montres de luxe s’effectue ainsi dans  l’Arc du Jura en Suisse, celle de chaussures dans la région de Vénétie en Italie. Les entreprises du luxe tendent à maitriser l’ensemble de leur chaine de production en pratiquant une intégration verticale. Elles acquièrent ainsi des exploitations agricoles pour l’élevage de moutons ou d’alligators. En 2023, Chanel et Brunello Cucinelli ont pris  une participation commune de 49 % dans Cariaggi Lanificio, un fournisseur italien de cachemire. Cette volonté de contrôler l’ensemble de la chaine de valeurs s’étend à la distribution, les entreprises de luxe choisissant de plus en plus de vendre directement aux acheteurs à travers un réseau de boutiques réelles ou en ligne qu’elles contrôlent directement.

L’intégration verticale est complétée par une forte intégration horizontale. Le luxe exige d’importants de capitaux tant pour la fabrication que pour la commercialisation. Le luxe est avant tout une affaire de marques qu’il faut faire vivre au niveau mondial. Les dépenses de marketing et de communication sont importantes. Le secteur a, de ce fait, connu depuis quarante ans une importante concentration. LVMH rassemble 75 marques de luxe. Ce regroupement permet des économies d’échelle dans des domaines tels que les fonctions de marketing et de back-office. Cela donne également au groupe la puissance financière nécessaire pour investir dans l’immobilier et disposer des meilleurs points de vente. Le groupe Kering a acheté, début 2023, le bâtiment à Paris les 12 et 14 rue Castiglione (1er arrondissement) pour plus de 640 millions d’euros afin d’y installer Gucci, sa principale marque de luxe. Ce groupe a également dépensé 860 millions d’euros pour implanter Yves Saint Laurent toujours à Paris au 35 avenue Montaigne dans le 8e, à la place de l’ancienne ambassade du Canada. Après en avoir été locataire, le groupe LVMH est devenu propriétaire de l’immeuble Louis Vuitton, situé au 101, avenue des Champs-Élysées (8e). La transaction aurait porté sur 750 millions d’euros. Ce même groupe devrait acquérir pour un milliard d’euros le 150 avenue des Champs-Élysées. En 2023, Kering et LVMH ont investi dans l’immobilier à Paris pour deux milliards d’euros.

Certaines  marques  de luxe ont résisté à la concentration. Au début des années 2010, Hermès a repoussé une tentative de rachat par LVMH. Jusqu’à maintenant, ses actionnaires ne peuvent que se féliciter de cette résistance, l’action ayant tendance à progresser plus vite que celle de LVMH. Chanel a également réussi à préserver son indépendance et est resté un groupe familial. Il a fallu attendre 2018 pour que ses comptes soient rendus publics. En Italie, les entreprises familiales de luxe ont de plus en plus de mal à faire jeu égal avec les grandes multinationales du secteur. Si elles 23 % des 100 plus grandes entreprises du luxe, elles réalisent seulement 8 % du chiffre d’affaires. Beaucoup sont susceptibles de rejoindre les deux grands groupes que sont Kering ou LVMH. 

Le luxe est un secteur connexe du luxe. Il y a indéniablement un effet de rente. Les grandes marques vendent une image, un passé, très chères. Ce secteur peut certes faire preuve d’innovation à travers la création de nouveaux modèles (modes, montres, etc.). Les marques de luxe jouent la carte de la séduction, du rêve auprès d’un public qui dépasse de loin celles et ceux qui peuvent acheter des produits de luxe. Pour entretenir le mythe, elles n’hésitent pas à proposer des produits plus accessibles comme des t-shirts ou des lunettes de soleil.

Les sanctions économiques, la continuité de la guerre par d’autres moyens ?

Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, le recours aux sanctions commerciales et financières à l’encontre de certains Etats afin de les sanctionner et de les contraindre à changer de politique n’a été aussi important. Cette pratique tend à être un substitut au conflit armé. Son efficacité est source de débats, certains considérant qu’elle est faible quand pour d’autres il faut faire preuve de patience.

Les sanctions économiques sont la continuation de la politique par d’autres moyens, plus pacifiques que la guerre. Face à un différent, elles permettent des réponses graduées quand la guerre porte en elle un risque de « monter aux extrêmes ».

L’histoire des sanctions économiques est ancienne. Selon Philippe Trainar, le directeur de la Revue Commentaire, en 434 avant notre ère, Athènes décida de bloquer l’accès aux ports et marchés de plusieurs cités grecques appartenant à la ligue de Délos aux Mégariens. Ce blocus déboucha sur la guerre du Péloponnèse racontée par Thucydide et qui provoqua le déclin de Sparte et d’Athènes. Longtemps, les sanctions économiques, les blocus ou les embargos étaient des mesures d’accompagnement des guerres. Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, qu’une disjonction s’opère. Que ce soit ou pas associées à un conflit armé, les sanctions économiques ont eu dans le temps des résultats mitigés.

Le blocus napoléonien, un bilan globalement négatif pour la France

Une des plus grandes guerres commerciales fut menée par Napoléon à l’encontre du Royaume-Uni qui était alors la première puissance économique mondiale. Dans les faits, les sanctions commerciales ont commencé dès 1793 dès la déclaration de guerre de la France au Royaume-Uni. Ce dernier était accusé d’aider les contrerévolutionnaires et les pays de la coalition constituée contre la France révolutionnaire (Autriche, Prusse, Espagne, etc.). Entre 1793 et 1805, huit lois, arrêtés ou décrets ont été publiés pour interdire toute importation anglaise sur le territoire français et condamner les éventuels fraudeurs. Mais, la guerre économique devient totale avec Napoléon qui par le décret du 21 novembre 1806 entend isoler du vieux continent le Royaume-Uni. De nationale, la guerre commerciale devient internationale L’article 1er de ce décret stipule que « Les Îles Britanniques sont déclarées en état de blocus ». En réaction, le Royaume-Uni entendit couper l’Europe continentale du reste en empêchant la livraison du coton, de sucre ou de l’indigo. Un double embargo fut institué. En 1807, Napoléon durcit encore le blocus en édictant le décret de Milan du 17 décembre en vertu duquel tout bateau ayant souffert la visite d’un bateau britannique ou ayant touché un port britannique était considéré comme un bateau anglais et donc susceptible d’être confisqué par les Douanes. En 1808, cette mesure concerna également les bateaux se réclamant des États-Unis. De la sorte, le commerce réalisé par des pays dits neutres était rendu impossible. Napoléon espérait également que son blocus fit chuter la monnaie et le crédit au Royaume-Uni. Il rêvait que Paris puisse devenir le carrefour financier de l’Europe.

Le blocus suscita de fortes oppositions au sein des pays conquis ou alliés de la France et au sein même de la population française. De nombreuses entreprises se trouvèrent dans l’impossibilité de produire faute de matières premières ou du subir une forte augmentation de leurs coûts. Contrairement aux espoirs de Napoléon, le Royaume-Uni ne succomba pas au blocus. Pour certains historiens, ce dernier aurait accéléré le décollage industriel du pays et aurait favorisé les échanges avec l’Orient, les États d’Europe du Nord, la Russie, les Etats-Unis et l’Afrique. Sur le vieux continent, le blocus ne fut jamais réellement respecté. Le Portugal, l’Espagne, les Etats d’Europe du Nord et la Russie s’y sont plus ou moins soustraits. En France, Napoléon fut même accepta même certaines dérogations au profit de plusieurs secteurs d’activité. Au niveau de l’économie, pour la France, le blocus permit l’élimination des concurrents britanniques, en particulier dans le secteur textile. Durant la période napoléonienne, les entreprises de coton « Richard Lenoir » et « Oberkampf » connurent une expansion de l’ordre de 50 à 100 %. Cet essor n’était pas imputable au seul blocus. Le développement des voies de communications, la stabilité politique retrouvée, l’instauration d’une monnaie solide, l’essor du crédit commercial grâce à la fondation de la Banque de France, l’adoption de mesures fiscales incitatives et les besoins des armées y contribuèrent tout autant. En revanche, les ports et les services associés souffrirent du blocus. Le trafic maritime fut divisé par cinq. Le blocus permit la création de nouvelles filière dont celle du sucre de betterave. Napoléon encouragea les recherches dans ce domaine afin de remplacer le sucre de canne devenu très rare dès 1803 à cause de la perte progressive des colonies. Le savant Chaptal lança ainsi des études et des plantations de betteraves dans la plaine Saint-Denis. Au fil du temps, le blocus pesa fortement sur l’activité et contribua  l’impopularité du régime. En 1811, à Paris, 1 400 entreprises textiles sur 1 700 cessèrent le travail et près de 40 % des ouvriers furent au chômage.

La guerre avec la Russie, en 1812, qui fut fatale à l’Empire, est intimement lié au refus de ce pays de respecter les engagements pris par l’Empereur Alexandre lors des Traités de Tilsit afin de ne plus commercer avec le Royaume-Uni. L’intervention de Napoléon en Espagne à partir de 1808 était, au-delà du problème de succession au sein de la famille royale de ce pays, visait à empêcher l’arrivée d’importations en provenance du Royaume-Uni. Cette intervention monopolisa jusqu’à 200 000 hommes. La guerre de guérilla mit à dure épreuve les armées napoléoniennes qui perdirent leur infaillibilité. La France mit plusieurs années pour se remettre tant des guerres et du blocus. Elle ne réussit pas au XIXe siècle à rattraper le retard accumulé sur les Britanniques.

La Première guerre mondiale, la première sous-marine contre le commerce

La Première Guerre mondiale a donné lieu à un blocus économique réciproque de la part des belligérants. Le Royaume-Uni, en tant que première puissance navale avec le concours de la France dominait la mer du Nord, l’océan Atlantique, la mer Méditerranéen, l’entrée et la sortie de l’océan Indien. Les alliés décidèrent de contrôler les navires des pays neutres. Ces derniers ne pouvaient plus acheminer, au profit des puissances centrales, de la nourriture, des armes, de l’or et de l’argent, du lin, du papier, des minéraux, etc. L’Allemagne a mené un contre-blocus dans le cadre sa guerre contre le commerce des Alliés (Handelskrieg). Ses sous-marins coulaient les navires marchands alliés au point de mettre en difficulté en 1917 le Royaume-Uni et la France. La guerre sous-marine pratiquée par les Allemands conduisit, en 1917, les États-Unis à déclarer la guerre à l’Allemagne.

La Seconde Guerre mondiale, une guerre éminemment économique

Hitler estimait que l’Allemagne devait s’agrandir afin de pouvoir nourrir sa population (Lebensraum). Il était également convaincu de la nécessité de contrôler les gisements de pétrole et de matières premières. Au-delà de sa haine des communistes, l’accès à l’énergie fut une des raisons du lancement de l’Opération Barbarossa le 22 juin 1941 contre la Russie.

Hitler a, par ailleurs, tenté d’imposer un blocus visant à priver le Royaume-Uni de nourriture. Pour cela, il fallait mettre un terme à sa suprématie maritime et empêcher le débarquement des produits en provenance de l’Empire. En attaquant les convois de ravitaillement, l’Allemagne obligea les autorités britanniques à renforcer le rationnement. L’Europe continentale souffrit davantage de malnutrition et de pénuries que le Royaume-Uni, l’Allemagne préemptant une grande partie des ressources disponibles pour son armée. Les Britanniques par le contrôle de la Méditerranée privèrent l’Allemagne et ses alliés d’énergie et de produits agricoles. L’Italie fut ainsi privée de 80 % de ses importations. Dans la péninsule, des articles essentiels tels que les pâtes, la farine ou le riz furent sévèrement rationnés, ce qui conduisit à des émeutes. Jusqu’en 1942, les États-Unis livrèrent des vivres à l’Allemagne au nom de l’aide humanitaire au grand dam du Royaume-Uni. Avec l’entrée en guerre des Etats-Unis aux côtés du Royaume-Uni, l’Allemagne fut dans l’incapacité d’imposer un blocus, les deux premiers pays disposant d’une flotte importante et surtout des moyens nécessaires pour remplacer les navires coulés.

Les premières tentatives contemporaines de sanctions dissociées d’un conflit militaire

La charte de la Société des Nations instituée après la Première Guerre mondiale prévoyait dans son article 16 la possibilité d’appliquer des sanctions économiques aux membres qui recouraient de manière illégale à la guerre. Quand l’Italie agressa l’Abyssinie en 1935, la SDN mis en œuvre cet article 16 sans succès. En 1937, l’Italie quitta la SDN et intégra progressivement le bloc germanique. L’article 16 de la SDN a été repris par la charte des Nations Unies du 26 juin 1945. Le premier paragraphe de l’article 41 stipule que « le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armées doivent être prises pour donner effet à ses décisions ». La Charte accorde la priorité à de telles mesures ; l’article 42 ne prévoit le recours à la force que si ces dernières ont échoué.

Les sanctions, une arme de plus en plus utilisée

Depuis 1950, le champ des sanctions s’est constamment élargi passant du commerce international et de la vente d’armes aux flux financiers et aux réseaux de communication. Il a été tendu aux personnes, aux entreprises et aux organisations des pays visés. Plus de la moitié des sanctions concernent désormais la circulation des personnes contre moins de 40 % dans les années 1980. Le nombre de sanctions a connu ces dernières années une croissance exponentielles. Il est passé de moins de 200 dans les années 1970 à plus de 800 en 2022.

La défense des droits de l’homme est le premier objectif des sanctions. 57 % d’entre elles prises entre 2000 et 2020 obéissent à cet objectif, contre 50 % durant la période 2000 – 2020. Ces sanctions visent à punir un Etat non démocratique et à tenter d’imposer pacifiquement un changement de régime. Elles sont considérées par les Etats opposés à de telles sanctions comme de l’ingérence dans les affaires intérieures. Le terrorisme ne serait à l’origine que de moins de 10 % des sanctions. L’Afghanistan, l’Iran, l’Irak ou la Lybie sont ou ont été concernées par de telles sanctions. L’Iran subit également un embargo non seulement du fait de la nature de son régime mais aussi de sa volonté de se doter de l’arme nucléaire.

Les Etats-Unis sont le pays qui édicte le plus de sanctions économiques (40 % des cas). Ils sont suivis par l’Union européenne qui intervient à l’unisson des premiers. Cette dernière est à l’initiative des sanctions dans 15 à 20 % des cas. Les Nations Unies sont à l’origine des sanctions dans 10 % des cas. Elles interviennent souvent pour condamner des pays marginaux à l’exception de l’Iran.

L’Afrique du Sud, un cas d’école ?

Les sanctions commerciales et financières imposées à l’Afrique du Sud au nom de la condamnation de la politique d’apartheid sont souvent montrées en exemple. Elles mirent longtemps à être réellement appliquées. Si elles ont contribué à la fin de l’apartheid, celle-ci doit beaucoup à la rencontre entre Nelson Mandela et Frederik de Klerk.

En 1962, l’assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution 1761 établissant le Comité spécial des Nations unies sur l’Apartheid (UN Special Committee on Apartheid) et ouvrant la possibilité de mettre en œuvre des sanctions économiques à l’encontre de l’Afrique du Sud. En 1963, les Nations Unies adopte une résolution demandant aux États de s’abstenir de livrer des armes et du pétrole à l’Afrique du Sud. En 1968, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte une nouvelle  résolution où la politique d’apartheid est considérée comme un crime contre l’humanité. Elle  demande la suspension des échanges culturels et sportifs avec ce pays. En 1972, le Conseil de sécurité des Nations Unies réitère sa demande d’embargo sur tout matériel militaire à destination de l’Afrique du Sud. En 1977, le Conseil de sécurité interdit toute livraison d’armes et de matériel militaire. En 1989, l’Assemblée des Nations Unies adopte une déclaration dans laquelle il est demandé aux États d’intensifier les sanctions économiques et financières contre le régime de Pretoria. Les pays occidentaux limitèrent leurs échanges progressivement avec l’Afrique du Sud. En 1977, la France, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, cesse officiellement ses livraisons d’armes, mais les pièces détachées pour réparer hélicoptères Puma et avions Mirage empruntent des canaux détournés. Jusqu’en 1985, la France aida militairement Prétoria. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 sus la pression notamment des ONG, que les pays occidentaux arrêtent de commercer avec l’Afrique du Sud. En 1987, ce pays n’est plus en mesure d’obtenir de nouveaux prêts internationaux, ni de rembourser ses dettes. L’accumulation des difficultés économiques amènent les entreprises à faire pression sur le pouvoir à Prétoria pour mettre fin à l’apartheid. Celui disparaît en 1991, trois ans après la chute du Mur de Berlin et la même année que la fin de l’URSS.

La difficile appréciation de l’efficacité des sanctions

L’efficacité des sanctions ou des embargos est aussi difficile à mesurer aujourd’hui qu’elle ne l’était au temps du blocus continental. Les effets des sanctions ne se font ressentir que sur la durée. Si elles n’aboutissent pas à provoquer un changement de régime ou à infléchir la politique des Etats incriminés, elles peuvent les gêner, les freiner ou les dissuader de poursuivre leurs mauvaises actions.

Selon Philippe Trainar, entre 1949 et 1956, le taux d’efficacité était de 100 %. Ce taux était de 65 % en 2010 avant de décliner, les mesures contre la Russie ou l’Iran ayant peu ou pas d’effets, sachant que celles prises contre la première datant de 2022 ne porteront leurs effets que dans quelques années. Selon une étude américaine dirigée par Clifton Morgan, le taux d’efficacité des sanctions arrivées à échéance avoisinerait 40 %. La baisse du taux d’efficacité peut s’expliquer par le nombre croissant de sanctions et de pays visés. En 2023, près de 60 % des pays membres de l’ONU a fait l’objet de sanctions dont la Chine, la Russie et l’Iran. Les pays sanctionnés entendent de plus en plus mettre en place un système parallèle pour échapper aux sanctions qui émanent essentiellement des Etats-Unis, de l’Union européenne et de leurs alliés. L’efficacité des sanctions est remise en cause par la caractère mondialisé de l’économie.

La Russie, les sanctions au temps de la mondialisation

Jamais, en autant peu de temps, les Etats-Unis, l’Union européenne et leurs alliés avaient appliqué à l’encontre d’un Etat autant de trains de sanction pour condamner l’invasion d’un autre pays. L’objectif était de priver de capitaux et de moyens technologiques de la Russie ainsi que de de porter atteinte à la liberté de déplacement de ses responsables politiques et économiques. Près de deux ans après leur mise en œuvre, le bilan est mitigé ; l’économie russe ne s’est pas effondrée tout en devant faire face à une inflation importante et à plusieurs pénuries.

Face au coup de force de la Russie en Crimée, l’Union européenne adopte des sanctions à partir de 2014 à l’encontre de cette dernière. Ces sanctions initiales ciblent trente-trois personnalités russes, en leur interdisant de voyager dans l’Union et en gelant leurs actifs financiers. En  décembre 2021, le nombre de personnalités visés par ces interdiction dépasse 200. Le 12 septembre 2014, l’Union interdit l’accès aux crédits européens à plusieurs banques russes et compagnies pétrolières russes, interdit l’exportation de biens pouvant être détournés militairement et l’exportation d’équipements pétroliers. En rétorsion, la Russie décide un embargo alimentaire à l’encontre de l’Union européenne.

En 2022, en réaction à son invasion de l’Ukraine, le gouvernement russe estime que les Occidentaux s’en tiendront aux mesures prises lors de la guerre de Crimée. Or, ces derniers adoptent en lien avec les Etats-Unis une série de mesures avec un objectif d’isoler la Russie et de punir ses responsables. Avec la Corée du Nord, l’Iran, la Russie est le pays qui actuellement fait l’objet des sanctions les plus importantes, sachant que ce pays est membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ces dernières concernent un grand nombre de secteurs : la technologie, l’armement, les transferts financiers, les transports, etc. De nombreux responsables privés et publics ne peuvent plus se rendre aux Etats-Unis, au sein de l’Union européenne et dans les pays alliés des premiers (Nouvelle Zélande, Australie, etc.), ni réaliser des opérations commerciales ou financières impliquant des entités de ces différents Etats.  Dix établissements de crédit russes dont les deux plus importants en termes d’actifs, ne peuvent plus recourir à Swift, le système d’informations bancaires utilisé par 11 000 banques pour les paiements transfrontaliers. Vingt-six banques russes ne peuvent plus effectuer de virements internationaux en dollars. Les actifs des oligarques russes sanctionnés et les réserves de la Banque centrale de Russie (300 milliards de dollars) placées en Occident, ont été gelés. En-dehors des matériels interdits de commerce, les entreprises occidentales doivent, en effet, demander des licences pour exporter des produits en Russie. Or, elles sont de moins en moins accordées. Les restrictions vont bien au-delà des produits « à double usage » – ceux qui ont des applications à la fois militaires et commerciales – comme les drones et les lasers. Si les microprocesseurs, les ordinateurs, les logiciels et les équipements énergétiques ne sont plus exportables, c’est également le cas de biens de faible technologie, tels que les produits chimiques et les matières premières. Les règles qui étaient appliquées à l’Iran ou à la Corée du Nord le sont désormais à la Russie. Les États-Unis ont recours au dispositif d’extraterritorialité. En vertu de la « Foreign Direct Product Rule », les contrôles sont étendus non seulement aux produits fabriqués aux États-Unis, mais aussi aux produits étrangers fabriqués à l’aide de logiciels et d’outils américains ou contenant des intrants américains. Les États-Unis ont ainsi réduit de 90 % des exportations mondiales de microprocesseurs vers la Russie en moins d’un an. Jusqu’en 2020, les fabricants d’armes en Russie recouraient à plus de 70 fournisseurs américains ou européens. Les secteurs des transports et des mines sont également dépendants d’entreprises occidentales. La Russie peut continuer à exporter son pétrole mais ce dernier est logiquement soumis à un prix plafond. Entré en vigueur le 5 décembre 2022, le mécanisme de plafonnement du prix impose à la Russie de vendre son pétrole à 60 dollars le baril maximum aux pays membres de la coalition – Australie, Canada, Union européenne, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et Etats-Unis, sachant que ce plafond s’applique au pétrole transporté par un navire battant pavillon ou assuré dans un de ces pays

L’économie de la Russie ne s’est pas effondré comme certains l’espéraient. Après un recul de 2,2 % du PIB en 2022, celui a augmenté de plus de 3 % en 2023. La Russie a bénéficié des prix élevé du gaz et du pétrole. Elle a réorienté une grande partie de ses échanges. Les exportations ont été divisées par plus de cinq avec l’OCDE de mars 2022 à juillet 2023 mais dans le même temps, elles ont été multipliées par deux avec la Chine, l’Inde, la Turquie, le Brésil et le Kazakhstan. La part des exportations libellées en renminbi est passée de février 2022 à mi 2023 de 4,5 à 44 %. Cette réorientation n’a pas empêché la survenue de pénuries pour certains biens et une hausse des prix pour de nombreux autres. La Russie est confrontée à la désorganisation de nombreux secteurs d’activité qui ne peuvent plus accéder, par exemple, à des biens intermédiaires de haute technologie. Par ailleurs, la mobilisation de centaines de milliers de réservistes pour combattre en Ukraine et le départ précipité de nombreux employés qualifiés à l’étranger pour éviter d’être enrôlé à l’armée génèrent un sous-effectif handicapant. Les salaires sont, par voie de conséquence en forte hausse, +8 % sur en 2023. En novembre dernier, l’inflation en Russie était de 7,5 % sur un an en novembre 2023. La banque centrale n’a pas d’autre solution que de relever ses taux directeurs pour empêcher l’enclenchement d’une spirale inflationniste. Ils ont été ainsi portés à 16 % vendredi 15 décembre. C’est la cinquième hausse consécutive depuis le mois de juillet. L’inflation est alimentée par la dépréciation du rouble (-15 %)° et par la forte progression des dépenses de défense (+70 % en 2024). L’économie de guerre est de plus en plus marquée avec un effort budgétaire conséquent qui explique une partie de la croissance constatée en 2023.

Les embargos avec la Russie ont touché plus durement l’Europe qui était dépendante de ce pays pour le gaz et en partie pour le pétrole. Par ailleurs, de nombreuses entreprises européennes commerçaient avec la Russie ou y étaient implantées. Dans ce contexte, le dollar n’a guère souffert de la diminution des échanges des Etats-Unis avec la Russie en étant toujours considéré comme une valeur refuge. L’euro a été plus touché du fait de l’importance des échanges de l’Union européenne avec la Russie avant la guerre en Ukraine.

**

* Les blocus commerciaux sont vieux comme le monde et leurs résultats à travers les siècles sont ambigus. Ils nécessitent du temps or, en politique, le temps est une valeur rare. Les gouvernements, les populations s’attendent à voire rapidement les effets des politiques mises en œuvre. Depuis 1979, l’Iran est confronté à des sanctions plus ou moins dures qui n’ont pas empêché le régime de perdurer. Pour la Corée du Nord, les premières sanctions datent de 1950. Les campagnes d’essais nucléaires engagées par ce pays donnent lieu à l’adoption de nouveaux trains de sanctions (à partir de 2005). Le bureau des experts de l’ONU a reconnu en 2015 que ces sanctions étaient inefficaces, la Corée du Nord disposant de réseaux lui permettant de s’y soustraire. Ce pays recourt à des techniques comme la falsification de documents ou les transferts secrets de cargaisons en mer de navire à navire. Pour Sung-Yoon Lee, professeur d’études coréennes à la Fletcher School, ces sanctions freineraient les ambitions du régime de la Corée du Nord et doivent être maintenues. Que ce soit pour l’Iran ou la Corée du Nord, les mesures coercitives prises par l’ONU et les pays occidentaux touchent en premier lieu les populations ce qui est soumis mis à leur passif. Dans une économie mondialisée et également fragmentée en plusieurs blocs, l’efficacité des blocus commerciaux et financiers a tendance à baisser. L’ONU est de moins en moins en capacité à adopter des plans de sanctions et de les faire respecter. Ce n’est pas totalement une nouveauté car les résolutions prises à l’encontre par exemple de l’Afrique du Sud mirent du temps à être réellement appliquées.