18 mars 2023

Le Coin des Tendances – démographie du Royaume-Uni – Démocratie – main d’oeuvre

Les démocraties face aux vents contraires

Au cours de la seconde partie du XXe siècle, la démocratie s’est imposée grâce à son étroite association avec l’économie sociale de marché. La liberté et le respect de l’état de droit alliés à l’accès à la consommation de masse par les classes moyennes ont été le principal ambassadeur des démocraties face aux régimes totalitaires. Cette suprématie a été remise en cause avec la montée en puissance de pays émergents dotés de régimes autoritaires. Les gouvernements des pays occidentaux éprouvent des difficultés à valoriser les principes démocratiques. Pire, ces principes sont perçus par les régimes autoritaires comme les relents d’un colonialisme d’une autre époque et comme les preuves d’un déclin. Les gouvernements des pays démocratiques sont confrontés à des opinions de plus en plus segmentées qui refusent l’idée même de consensus. Celui-ci est d’autant plus difficile à façonner que les contraintes qui pèsent sur les gouvernements sont de plus en plus nombreux. Ces derniers disposent de marges de manœuvres, par ailleurs réduites, par la globalisation et la digitalisation.

Les gouvernements et le changement de dimension de l’économie

En trente ans, l’économie mondiale s’est transformée à grande vitesse. En 1978, les échanges de la Chine représentaient 2 % du commerce mondial. Ce taux était de 13 % en 2022. Aucun pays n’a connu une progression aussi rapide de son PIB en moins d’une génération. En 2001, la valeur ajoutée produite par l’économie chinoise n’était que de 1 300 milliards de dollars. En 2021, elle a atteint 14 300 milliards. En parallèle, les technologies de l’information et de la communication ont donné lieu à l’essor d’entreprises dont la capitalisation, en quelques années, a atteint plus de 2 000 milliards de dollars. Tous les secteurs d’activité dépendent désormais du numérique, de la création à la commercialisation en passant par la production. Les deux tiers de la population mondiale seraient équipés d’un smartphone. Les flux financiers internationaux ont fortement augmenté au début du siècle pour s’élever, en moyenne, à plus de 1500 milliards de dollars par (flux d’investissement directs).

À l’exception de l’Allemagne, des États d’Europe du Nord et de l’Italie du nord, les pays occidentaux sont confrontés depuis les années 1980 à un large mouvement de désindustrialisation. La valeur ajoutée de la production manufacturière est ainsi passée de 12,5 à 9 % de 1990 à 2022. Le développement des pays émergents n’explique pas à lui seul cette désindustrialisation qui est également la conséquence d’une spécialisation au sein des pays dits avancés.

Des marges de manœuvre financières limitées

Face à une compétition économique accrue, les gouvernements ont été contraints de diminuer le poids des impôts pesant sur les bénéfices et la production. Si des années 1960 aux années 1980, le système d’État providence a réussi à prospérer au sein des démocraties occidentales grâce à la croissance et à l’augmentation des cotisations sociales, l’affadissement de la croissance et l’augmentation des dépenses mettent sous pression les régimes de protection sociales qui peuvent plus comme dans le passé relever les cotisations sociales. Depuis vingt ans, ces dernières sont en baisse au sein du PIB. Elles sont ainsi passées, en France, de 14 à 13 % du PIB de 2000 à 2022.

Faute de pouvoir jouer sur les prélèvements obligatoires, les gouvernements occidentaux ont été contraints de s’endetter pour compenser l’absence de croissance. La succession rapide de crises a amplifié ce phénomène au point que la dette publique des pays de l’OCDE est passée de 60 à 120 % du PIB de 1995 à 2022. La crise de covid 19 s’est soldée par une augmentation de près de 20 points de PIB d’endettement supplémentaire. La guerre en Ukraine occasionne le maintien de déficits publics élevés en particulier au sein de l’Europe. Nul ne sait déterminer le niveau et surtout le moment où l’accumulation de la dette deviendra un problème systémique, la confiance en la matière jouant un rôle important. Ce qui est certain c’est qu’un niveau élevé d’endettement accroît la vulnérabilité des États et l’instabilité globale des économies. La hausse des taux d’intérêt pourrait réduire une peu les marges de manœuvre budgétaire des États. Cette contrainte intervient au moment où la demande en dépenses publiques tend à augmenter (transition énergétique, retraite, santé, dépendance, éducation, défense, etc.).

La transition énergétique impose aux pays occidentaux la réalisation de nombreux investissements. Le surcoût annuel est évalué à 4 points de PIB afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Une réorientation de l’épargne vers les investissements de transition apparaît indispensable. Cette transition devrait occasionner une hausse du coût de l’énergie qui touchera plus particulièrement les ménages à revenus modestes. Elle pourrait accroître les inégalités sociales et territoriales. Cette situation pourrait inciter les États à augmenter les politiques redistributives. En France, celles-ci ont atteint déjà un niveau record, plus du tiers du PIB.

La décarbonation des activités pourrait aboutir à une remise en cause du modèle de croissance économique en vigueur depuis plus de deux siècles, croissance qui repose essentiellement sur la consommation. Le développement du recyclage, de l’économie circulaire et l’instauration d’une certaine frugalité devraient s’imposer à moyen terme comme un des moyens pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette politique sera socialement difficile à faire admettre. La lutte contre les gaspillages sera renforcée d’autant plus que des pénuries pourraient apparaître sur certaines matières premières (lithium, cobalt, nickel, etc.).

Le vieillissement démographique, un choc de grande amplitude pour les démocraties

Croissance et dynamisme démographique sont intimement liés. Ce sont les États ayant la proportion de 25/40 ans la plus élevée qui enregistrent les taux de croissance les plus importants. Or, les démocraties occidentales doivent faire face à un vieillissement qui pèsera sur leur croissance potentielle durant de nombreuses décennies. La population de plus de 65 ans devrait représenter au sein de l’Union européenne 30 % de la population en 2040, contre 16 % en 1998. Sur la même période, la population active devrait passer toujours au sein de l’Union de 320 à 300 millions de personnes.

Sans recours à l’immigration et en raison de gains de productivité qui s’étiolent, la croissance européenne sera de plus en plus faible. Le poids de l’Europe au sein du PIB mondial devrait poursuivre son recul. Il s’élevait à 16 % en 2022, contre 24 % en 1998.

Dans un contexte de faible croissance, le partage de la valeur ajoutée entre actifs et inactifs sera source tensions sociales. L’augmentation du nombre de retraités induira des charges publiques en forte augmentation qui entreront en concurrence avec les dépenses nécessaires pour les armées, l’éducation ou la Recherche-Développement. Les dépenses publiques ont depuis le début du siècle déjà fortement augmenté au sein de la zone euro, +45 % (1998/2022).

Les démocraties face aux problèmes de la montée des inégalités

Depuis une vingtaine d’années, les inégalités de revenus et surtout de patrimoine sont de plus en plus importantes. Ce phénomène concerne avant tout les États-Unis. Il est moins prononcé en France qu’ailleurs surtout en ce qui concerne les revenus. Les 1 % de ménages les mieux dotés en patrimoine détiennent 24 % du patrimoine total en zone euro en 2022, contre 20 % en 1998. L’appréciation du cours des actions et surtout des biens immobiliers explique cette évolution. Le poids des dépenses de logements au sein du budget des ménages les plus modestes a fortement augmenté, atteignant 30 % contre 20 % il y a une vingtaine d’années. Cette situation génère des frustrations et des tensions sociales de plus en plus marquées.

Les démocraties sont traversées par des courants contraires. La demande de solidarité et d’égalité demeure forte, en s’accompagnant d’une montée des communautarismes. Le besoin d’un accès à la consommation a pour limite la volonté d’un autre type de développement qui serait en phase avec la préservation de l’environnement. La tentation du repli, du protectionnisme et du refus de l’immigration s’oppose aux souhaits de bénéficier de services de qualité en particulier dans le domaine de la santé. Les régimes démocratiques, au nom de la liberté, se doivent de concilier les intérêts contraires voire divergents. Cette conciliation n’est possible que si les citoyens continuent de partager des valeurs communes, et en priorité, celles qui sont consubstantiels aux démocraties, à savoir le pluralisme, l’état de droit, le respect d’autrui, la séparation des pouvoirs, l’organisation d’élections libres, etc.

Le salarié, une ressource de plus en plus rare !

Le taux de chômage au sein des pays de l’OCDE est désormais inférieur à 5 % quand il était de 6 % en 2015. Les économies des pays avancés continuent à créer des emplois malgré une croissance évanescente. Le 7 mars dernier, Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale, a observé qu’aux États-Unis, « malgré le ralentissement de la croissance, le marché du travail reste extrêmement tendu ». Dans la moitié des pays de l’OCDE, dont le Canada, la France et l’Allemagne, la proportion de personnes en âge de travailler occupant un emploi n’a jamais été aussi élevée. Rares sont les pays où le chômage augmente. Figurent dans cette courte liste, l’Autriche, Israël et la Finlande. Ce dernier pays est touché de plein fouet par la guerre en Ukraine. Ses échanges avec la Russie ont chuté en quelques semaines et il doit faire face à une forte augmentation des prix de l’énergie. La Finlande est en récession. Malgré un taux de chômage en hausse (à 7,1 % en janvier), ce dernier demeure inférieur à sa moyenne à long terme. Les traditionnelles mauvaises élèves de la classe européenne – la Grèce, l’Italie, l’Espagne, la France – enregistrent une belle décrue de leur taux de chômage.

Dans les années 1990 et 2000, les entreprises avaient tendance à réduire leurs effectifs dès que la conjoncture se dégradait. Aujourd’hui, par crainte de ne pas retrouver de salariés au moment de la reprise, elles préfèrent les garder durant les périodes de basses activités. Elles essaient même d’anticiper les embauches pour attirer les meilleurs profils. Le résultat est un taux de chômage qui augmente à peine, même en période de récession. Le Japon qui est en avance en matière de vieillissement démographique se caractérise depuis une trentaine d’années par un taux de chômage extrêmement faible, autour de 3,5 %, insensible aux aléas de la conjoncture. L’emploi à vie dans les grandes entreprises qui est la règle dans ce pays se généralise dans toute l’économie.

Les entreprises acceptent plus facilement que dans le passé de maintenir en emploi leurs salariés grâce à leurs bons résultats de ces dernières années. Avec l’appui des États, elles ont réussi, à traverser la crise sanitaire. Leur taux de marge s’est redressé avec les plans de relance leur permettant de conserver des trésoreries abondantes. Les pénuries de main-d’œuvre incitent également à la prudence en matière de réduction des effectifs. Au sein de l’OCDE, les besoins non pourvus dépasseraient 10 millions d’emplois, soit environ 1,5 % de la population active. Au Royaume-Uni, et en Italie, cette dernière décroît en raison des départs anticipés à la retraite. Aux États-Unis, de nombreux Américains ont également décidé de liquider plus tôt que prévu leurs droits à pensions. La crise sanitaire a conduit des salariés à revoir leurs priorités. Les emplois à horaires décalés ou pénibles attirent de moins en moins. Dans un marché de l’emploi dynamique, le nombre des démissions atteint des records. Des salariés n’hésitent pas à changer de secteur d’activité ou de régions afin de bénéficier de conditions de vie plus agréables.

Un marché du travail à la japonaise n’est pas obligatoirement une bonne nouvelle pour la croissance. La productivité ne peut que pâtir de l’évolution actuelle du marché du travail. Les salariés sont maintenus en emploi même en cas de baisse de l’activité, ce qui ne les conduit pas à chercher les entreprises les plus productives. A contrario, les plus faibles variations du chômage atténuent les chocs récessionnistes. Les dépenses de consommation sont moins touchées par les crises si le taux d’emploi reste élevé.

Si le ralentissement économique s’accentue, les entreprises seront contraintes de recourir à des licenciements, leur réserve de trésorerie n’étant pas infinie. Plusieurs entreprises de la haute technologie qui avaient embauché durant la crise sanitaire réduisent leurs effectifs depuis quelques mois, du fait d’une moindre croissance de leurs activités. Les entreprises pourraient également augmenter leurs dépenses d’investissement afin de gagner en productivité et être moins dépendantes du facteur « travail ».

Le Royaume-Uni, un inquiétant excès de mortalité

L’épidémie de Covid s’est traduite par une forte augmentation de la mortalité. Des pays, comme la Russie, les États-Unis, le Brésil ou le Royaume-Uni, ont été plus touchés que d’autres. Le Royaume-Uni se distingue de ses partenaires par une progression du nombre décès qui avait commencé avant la crise sanitaire et qui tend à se poursuivre depuis. À la différence des autres européens, l’espérance de vie des Britanniques a stagné dès le début des années 2010. À la naissance, elle s’élève à 81 ans en 2022, contre 80,1 ans en 2011. Si cette espérance de vie avait continué à croître comme dans les années 1980/2010, elle aurait dû dépasser 83 ans en 2022. Selon les calculs de « The Economist », entre 2012 et 2022, 700 000 Britanniques seraient morts de manière anticipée.

La disparition des gains d’espérance de vie est avant tout de nature sociale. Entre le quartier le plus riche de Londres (Kensington) et le plus pauvre (Newham – Stratford) l’écart d’espérance de vie a augmenté pour atteindre plus de 18 ans pour les hommes. L’écart d’espérance de vie entre une femme dont les revenus sont parmi les 10 % les plus faibles et une femme dont les revenus figurent parmi les 10 % le plus élevés est passé de 6,8 à 7,7 années de 2011 à 2017. Pour les hommes, les écarts respectifs sont 9 et 9,5 ans sur la même période. La stagnation de l’espérance de vie touche toutes les tranches d’âge. Les taux de mortalité ont stagné chez les nourrissons et augmenté chez les jeunes adultes et les personnes âgées entre 35 et 50 ans à la différence des évolutions constatées dans les autres pays européens.

En neutralisant les effets du covid sur la mortalité (650 000 décès), l’excès de mortalité est évalué à 250 000. Comme aux États-Unis, la mortalité liée à la consommation de stupéfiants est en progression. L’alcool et le suicide sont également pointés du doigt. Les morts violentes chez les jeunes (accidents de voiture et criminalité) sont également en hausse. L’Écosse est en première ligne pour les décès liés à la drogue. Le taux de mortalité lié à ce facteur y est quatre fois plus élevé qu’en Angleterre ou au Pays de Galles.

Le Royaume-Uni est confronté à un déficit de prévention, de diagnostics et de soins. L’accès aux médecins et aux traitements est de plus en plus difficile sur certaines parties du territoire. Les hôpitaux sont saturés et sont contraints de reporter des opérations. Si ce phénomène s’est accentué avec la pandémie, il était déjà notable auparavant. Les Britanniques les plus pauvres sont diagnostiqués bien plus tard que ceux qui figurent parmi les 20 % les plus aisés. Pour le cancer, les premiers sont 20 % plus nombreux que les seconds à être diagnostiqués d’un cancer à un stade élevé. La prévention dispose au Royaume-Uni de moyens financiers faibles, moins de 2 % du budget total de la santé. Or, des actions de sensibilisation et le recours à des diagnostics préventifs permettraient une augmentation de l’espérance de vie d’au moins un an.

Au Royaume-Uni, la question de la présence des médecins dans les quartiers les plus pauvres se pose tout comme en France. Un médecin avec un cabinet dans une ville où les habitants ont des faibles revenus a 10 % de patients de plus et 7 % de revenus de moins que celui qui est installé dans une ville cossue. Le système de santé britannique diffère de celui de la France, en étant fonctionnarisé. Il n’en connaît pas moins les mêmes problèmes. L’acuité de ces derniers apparaît même plus élevée au vu des données sur l’espérance de vie. Le vieillissement de la population et les changements de mode de vie génèrent un surcroît de mortalité. La médecine, construite pour une population jeune et en augmentation dans un contexte de forte croissance, doit se transformer pour gérer un nombre croissant de personnes âgées. Le maintien d’un lien direct entre des équipes de santé et les patients constitue une priorité mais bute sur les effectifs disponibles et les capacité d’organisation des systèmes de santé de part et d’autre de la Manche.