27 février 2021

Le coin des tendances : développement durable USA, pays émergents

Quand la première économie mondiale passe au vert !

Dans ses premières décisions, Le nouveau Président des Etats-Unis, Joe Biden, a acté la réintégration des États-Unis dans les Accords de Paris. Si Donald Trump estimait que le changement climatique était un faux problème, la nouvelle administration entend utiliser la transition énergétique comme un moteur de croissance à l’image de la politique en œuvre en Europe. En janvier dernier, le Président Joe Biden a ainsi signé un décret appelant le pays à réduire ses émissions nettes de gaz à effet de serre à zéro d’ici 2050, A cette fin, il souhaite que le secteur de l’électricité soit exempt d’émissions d’ici 2035.

Même si de nombreux États fédérés et agglomérations ont adopté, ces dernières années, des plans en faveur de la décarbonisation de l’économie, les États-Unis ont néanmoins accumulé un retard important par rapport à l’Union européenne, voire par rapport à la Chine. Selon The Economist, les États-Unis devront consacrer 750 milliards de dollars par an d’ici 2035 et plus de 900 milliards de dollars par an au début des années 2040 pour respecter les Accords de Paris. Les États-Unis entendent rattraper leur retard sur la Chine qui est le principal producteur mondial de panneaux solaires et de batteries. Les autorités américaines sont conscientes que sur ces deux terrains la bataille est perdue. Elles souhaitent avant tout se positionner sur des technologies encore naissantes et complexes telles que les piles à hydrogène ou la capture du carbone.

Les États-Unis, une économie carbonée

En 2019, les États-Unis ont émis l’équivalant de 5,3 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO2), contre plus de 10 milliards pour la Chine et 3 milliards pour l’Europe. En 2020, les émissions américaines ont diminué en 2020 de 9 %. Un rebond est attendu avec la reprise de l’économie en 2021. 16 % des émissions de CO2 proviennent aux États-Unis des véhicules légers, 7 % des poids lourds et 2 % des avions. La production électrique est responsable de 28 %, l’industrie de 22 %, les activités commerciales ainsi que les logements de 12 % et l’agriculture de 10 %.

Même si les États-Unis sont en retard, des efforts ont été engagés pour rendre la production d’énergie électrique moins polluante. Au cours de la dernière décennie, son intensité d’émission en CO2 s’est améliorée en raison du remplacement des centrales charbons par des centrales au gaz. Les premières ne produisent plus que 19 % de l’électricité américaine en 2020, contre 45 % en 2010. Les États-Unis se sont également engagés dans la production d’énergies renouvelables. En 2010, selon l’Amérique disposait de 42,6 Gigawatts. En 2020, ce montant a atteint 213,2 Gw, environ cinq fois plus. En 2020, la production d’énergie renouvelable s’est accrue de plus de 33 GW. L’éolien a assuré 8,8 % de la production d’électricité américaine, le solaire 2,3 %, contre 39,2 % pour le gaz naturel et 20 % pour le charbon.

Pour marquer le changement de cap de la politique américaine, Joe Biden a décidé d’annuler le permis de construire pour l’oléoduc Keystone XL qui doit permettre d’acheminer du pétrole bitumineux du Canada vers les États-Unis. La nouvelle administration devrait intervenir pour l’obtention des permis pour la réalisation de fermes d’éoliennes en mer au large de New York. Les autorités devraient également prendre des dispositions pour l’interdiction progressive des véhicules à moteur thermique. General Motors s’est déjà engagé à ne plus vendre de voitures émettrices de carbone d’ici 2035. La Securities and Exchange Commission, l’organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers, souhaite contraindre les entreprises à rendre publics les risques climatiques auxquels elles sont confrontées ou qu’elles peuvent occasionner. Cette obligation vise à rendre les gestionnaires d’actifs plus sélectifs dans le cadre de leur politique d’investissement. L’administration fédérale américaine souhaite également que ses achats annuels, près de 600 milliards de dollars, obéissent à des critères environnementaux stricts. En décembre, le Congrès a adopté un projet de loi qui prévoyait une extension des crédits d’impôts pour les énergies propres et 35 milliards de dollars pour soutenir la recherche énergétique au cours de la prochaine décennie. Dans le cadre du plan de relance, il devrait examiner, au cours de l’année, un projet de loi prévoyant le déploiement de bornes de recharge pour voitures électriques, la réalisation d’infrastructures pour les réseaux électriques ainsi que celle d’équipement afin de lutter contre la montée du niveau des océans. Joe Biden souhaiterait créer une norme nationale d’électricité propre qui pourrait fournir une énergie zéro émission d’ici 2035, imitant la préférence des États pour de tels objectifs par rapport à des approches plus larges de tarification du carbone. Une telle norme d’électricité propre obligerait les services publics à décarboner plus rapidement. La mise en œuvre de la transition énergétique sera sans nul doute freinée par la situation au Sénat où les Démocrates et les Républicains ont le même nombre de sièges, la majorité étant obtenue pour les premiers qu’avec la voix de la Vice-Présidente. Les démocrates devront négocier avec l’opposition, notamment en ce qui concerne les problèmes budgétaires. La nouvelle administration devra composer avec une majorité au Congrès qui n’est pas unanime sur ce sujet. Les élus issus des régions productrices de pétrole et de charbon sont peu enclins à soutenir des mesures visant à décarboner l’économie.

La mobilisation de la recherche

Les démocrates souhaitent au plus vite renforcer l’effort de recherche en faveur de la décarbonisation. La mobilisation des agences, des laboratoires nationaux, des universités, des fondations et des entreprises américaines, comme actuellement en matière de santé, devrait permettre des avancées majeures sur le terrain technologique dont profiteront de nombreux pays. En décembre, des chercheurs de l’Université de Princeton ont publié un rapport détaillé pour montrer comment les émissions américaines pourraient être réduites à « zéro net » d’ici 2050 en usant de toute une série de possibilités qu’offre la haute technologie.

Les effets sur l’emploi

Pour le Nouveau Mexique, le pétrole de schiste emploie 40 000 personnes réparties au sein de 61 plates-formes et finance un tiers du budget de l’État. Il est responsable de 1 % des émissions des gaz à effet de serre de l’ensemble du pays. Le président Joe Biden a annoncé en janvier un moratoire temporaire sur les baux autorisant les forages sur les terres fédérales. Au total, des dizaines de milliers d’emplois pourraient être à terme remis en cause dans cet État.

Des destructions d’emploi sont attendues dans le secteur pétrolier qui en a été un grand pourvoyeur dans les années 2000/2010. En contrepartie, de nombreuses créations d’emploi sont attendues dans l’éolien et le solaire. Leur nombre devrait être cinq à dix fois plus élevés en 2030 par rapport à aujourd’hui. Par le jeu des compensations, la part de l’emploi dans l’énergie en 2050 resterait stable ou augmenterait dans la plupart des États, à l’exception notable de la Louisiane, du Dakota du Nord et du Wyoming. Au Nouveau-Mexique, il passerait de 6 à 10 % et de 5 à 6 % en Virginie-Occidentale.

La modernisation des infrastructures

Les centrales éoliennes ou solaires qui sont essentiellement installées dans des zones désertiques nécessitent la réalisation d’un large réseau de lignes à haute tension. Plusieurs milliards de dollars d’investissement devront être consacrés à ce réseau dans les prochaines années. La vétusté du réseau est en soi un problème aux États-Unis comme l’ont prouvé les coupures au Texas. La vague de froid a souligné la fragilité des infrastructures hors d’âge. L’Amérique a besoin d’interconnexions capables de transmettre de grandes quantités d’électricité sur de longues distances en provenance d’un grand nombre de centrales qu’elles soient au fioul, au gaz, nucléaires, alimentées par la biomasse, à l’hydrogène, éoliennes ou solaires.

Même les États pétroliers optent pour la croissance verte

De plus en plus de gouverneurs d’États s’engagent dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au Nouveau Mexique, l’objectif fixé par la gouverneure démocrate, Michelle Lujan Grisham, est de ramener en 2030 les émission à 45 % en-dessous de leur niveau de 2005, soit 60 % de moins que leur niveau de 2018. Dans l’ensemble de l’État, des fermes solaires sont construites, le réseau routier comporte de plus en plus de points de recharges pour les voitures électriques. Au Texas, un État pétrolier, par excellence, l’éolien fournit un quart de l’électricité. La récente vague de froid en bloquant les pâles des éoliennes a entraîné des coupures d’électricité touchant quatre millions de personnes. En 2022, 36 % de la production de l’électricité texane, selon le service d’information sur l’énergie américain (EIA) sera issue de sources renouvelables, soit autant que la production provenant du gaz naturel.

Le respect par les États-Unis de leurs engagements aura un effet qui dépassera les frontières et qui s’imposera aux autres pays. Il est peu probable que les pays pauvres et à revenu intermédiaire, désireux de sortir leurs citoyens de la pauvreté, s’efforceront de réduire leurs émissions si la nation la plus riche du monde refuse de limiter les siens, qui sont parmi les plus importantes du monde par personne. Grâce à la puissance de la recherche, la réactivité des entreprises et le sens de l’organisation, l’économie américaine devrait rapidement rattraper son retard au niveau de la transition énergétique malgré la puissance des groupes de pression pétroliers et charbonniers. Dans le passé, l’économie américaine a prouvé sa forte capacité à se transformer et à tirer profit du changement. 

Taxer la consommation d’énergie au service du développement durable

Le respect des Accords de Paris suppose une réduction d’ici le milieu du siècle de la production d’énergie carbonée. Les pays à faible revenus rechignent à respecter les engagements pris en 2015 car ils ne sont responsables que de 4 % des émissions de CO2. Leur Gouvernement estime que la responsabilité du réchauffement climatique est imputable aux pays développés à travers les émissions réalisées depuis deux cents ans. L’opposition des pays en développement est également motivée par le fait que les économies les plus avancées appliquent des tarifs insuffisants pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris. Plus de 70 % des émissions produites par les pays de l’OCDE et du G20 échappent à tout impôt. Plus de la moitié des émissions ne sont soumises à aucune limitation même en tenant compte des systèmes d’échange de droits d’émission.

Dans les pays en développement, 83 % des émissions sont réalisées en dehors de toute taxation ou compensation. Des experts de l’OCDE ainsi que des économistes estiment qu’une tarification du carbone bien conçue pourrait servir les intérêts des pays en développement et émergents. Elle permettrait de réduire la pollution locale et faciliter la mobilisation des recettes intérieures nécessaires pour financer les services publics essentiels. Par ailleurs, cette tarification orienterait le développement de ces pays en privilégiant des sources d’énergie moins carbonées. Cela contribuerait non seulement à la réduction des émissions de CO2, mais aussi à la viabilité à long terme des investissements. L’OCDE réclame ainsi un engagement durable en faveur de la tarification du carbone et la suppression des subventions aux combustibles fossiles. À la différence des pays occidentaux, les pays émergents et en développement comptent moins d’équipements à forte intensité carbone. Il est plus facile de créer des installations propres que de réhabiliter des anciennes fortement émettrices. Des pays comme la Côte d’Ivoire, l’Équateur, le Ghana et l’Ouganda n’utilisent pas actuellement le charbon. Avec leurs besoins croissants en électricité, la tentation sera forte de construire des centrales au charbon, peu coûteuses. Il est donc nécessaire de s’en prémunir en instituant dès le départ un prix du carbone. Ce choix économisera des coûts de transition auxquels les économies développées sont aujourd’hui confrontées, comme la dévalorisation d’actifs et les emplois non reconduits dans les régions productrices de charbon. Le passage direct à des énergies propres serait donc une source d’économies pour les pays pauvres.

L’instauration d’une taxe carbone entre 30 et 50 dollars la tonne pourrait accroître les ressources des pays en développement d’un point de PIB. Sachant que les ratios impôts/PIB avoisinent 19 % dans ces pays (contre 34 % dans la zone OCDE), la tarification du carbone pourrait accroître les recettes fiscales d’environ 5 % en moyenne. Les recettes tirées de la tarification du carbone pourraient servir à financer des aides plus ciblées afin d’améliorer l’accès à l’énergie et de la rendre plus abordable, renforcer les filets de protection sociale et promouvoir d’autres priorités économiques et sociales. La diminution des subventions aux énergies fossiles permet également une réorientation des dépenses publiques. Selon l’OCDE, les taxes sur le carbone pourraient aussi aider à réduire le poids de l’économie informelle dans des pays en développement, qui représente jusqu’à 70 % de l’activité, car elles sont plus faciles à appliquer que les impôt directs sur les personnes physiques ou sur les sociétés. Une taxe sur le carbone de 30 euros la tonne entraîne une majoration du prix d’un litre d’essence de 7 centimes d’euro. Afin d’éviter des réactions négatives au sein des opinions publiques, des mesures d’accompagnement doivent être prises. Cela vaut pour les pays avancés comme pour les pays en développement.