10 février 2018

Le Coin des tendances du 10 février 2018

Les nouvelles dimensions du capitalisme

Le 6 février 2018, la société Space X d’Elon Musk, le fondateur de l’entreprise de voitures électriques a réussi à satelliser un de ses cabriolets grâce à son lanceur Falcon Heavy, l’un des plus puissants jamais construits. L’objectif d’Elon Musk est la conquête de la planète Mars d’ici 2030. Issu du nouveau monde des entreprises, de ces start-ups dont les dirigeants deviennent milliardaires en quelques années, Space X réussit, dans le secteur ultrasophistiqué de l’aérospatiale, à voler la vedette aux structures étatiques que sont la NASA ou Arianespace. Le succès de Falcon Heavy traduit-il l’hégémonie croissante des entreprises et des plus technologiques d’entre-elles et le déclin des vieilles structures publiques ? Par ailleurs, n’existe-il pas deux modes de développement, l’un axé sur des entreprises à tendance monopolistique et l’autre avec des entreprises contrôlées plus ou moins fortement par l’État ?

Le monde économique contemporain se structure autour des entreprises qui sont des agrégateurs de capitaux, d’hommes, de femmes et de compétences. Elles ont été les moteurs de la croissance de ces trois cents dernières années. Les multinationales qui exercent leurs activités dans plusieurs pays, sur plusieurs continents sont devenues les symboles de l’économie mondialisée. Leur développement est ancien. Les Phéniciens sous l’Antiquité ont créé des entreprises commerciales présentes dans de nombreux ports méditerranéens. Plus tard, au XIVe siècle, l’entreprise Peruzzi effectuait du commerce dans toute l’Europe, important du tissu des Flandres et fabriquant des vêtements à Florence pour les exporter dans toute l’Europe. Entre le XVIe et le XVIIIe, les grandes compagnies commerciales s’appuyant sur les empires coloniaux ont été créées pour commercer mais aussi pour produire. En France, ont été notamment constituées en 1614 la Compagnie de Rouen (Nouvelle-France) par Samuel de Champlain et en1664, la Compagnie française des Indes orientales et la Compagnie française des Indes occidentales par Jean-Baptiste Colbert.

 

Avec la première révolution industrielle, à partir du XIXe siècle, les entreprises multinationales jouent un rôle croissant qui prendra tout son relief durant la seconde moitié du XXe siècle. La première grande vague de mondialisation est intervenue entre 1850 et 1880. Elle a donné lieu à la création de grandes entreprises commerciales et de transports. Au début du vingtième siècle, les firmes pétrolières s’internationalisent rapidement. Après la Seconde Guerre Mondiale, les multinationales sont avant tout américaines et critiquées en tant que telles. Ce n’est qu’à partir des années 70, qu’un nombre croissant d’entreprises européennes puis japonaises intègrent le club. Au début du XXIe siècle, des entreprises chinoises et coréennes deviennent également des multinationales. Selon le classement des 500 premières entreprises mondiales de Forbes, les pays émergents en comptent plus de 50 en 2016 contre 19 en 1990.

La deuxième vague de la mondialisation s’est traduite par l’arrivée de nouveaux groupes de taille mondiale aux modes de production différents de celui qui avait cours au XXe siècle. Apple, Google, Amazon, Facebook ou Microsoft n’obéissent pas aux mêmes règles qu’Exxon, ATT, General Electric, General Motors ou Schlumberger. Les nouveaux géants exploitent l’éclatement des chaines de production. Ils sont tout à la fois des acteurs mondiaux et hors sol. Un groupe comme Total est contraint d’avoir des puits de pétrole dans de nombreux pays, des sites de stockage, des moyens de transports, de réseaux de distribution, des points de vente. La mondialisation permet des rendements d’échelle et une diversification des risques. Elle suppose d’importants investissements et la création d’emplois en nombre dans les lieux d’implantation. Pour les nouveaux secteurs d’activité, la production est mondiale par nature. Apple pour ses Smartphone fait appel à des sous-traitants aux quatre coins de la planète. Facebook, Twitter, Uber, Airbnb réalisent des bénéfices grâce au travail bénévoles ou rémunérés de leurs adhérents qui habitent dans un grand nombre de pays. L’important pour ces firmes est de disposer d’un effet masse le plus rapidement possible.

La mondialisation est financière, économique et culturelle mais aussi juridique et fiscale. Les nouveaux géants du Net, par la nature même de leur activité et du fait de leur puissance économique, ont optimisé à l’échelle mondiale leur situation fiscale et juridique. Les GAFA ont des capitalisations boursières qui dépassent le PIB de nombreux pays. Ainsi, la valeur d’Apple équivaut à 50 % du PIB français. Les réserves financières de cette entreprise sont proches du montant du budget de l’État.

Les grandes multinationales américaines se sont imposées dans la quasi-totalité des pays dans un temps beaucoup plus court que celui qui fut nécessaire aux entreprises de la vieille économie pour obtenir un résultat inférieur. Google réussit le tour de force d’avoir un taux de pénétration des marchés supérieur en Europe à celui constaté sur le marché américain. Seuls quelques pays résistent pour des raisons idéologiques ou culturelles. Figurent dans cette catégorie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran et, dans une moindre mesure, la Russie.

La Chine qui compte plus de 700 millions d’Internautes censure régulièrement les sites américains comme Facebook, Twitter ou YouTube. Les autorités favorisent ainsi les sites chinois qui conquièrent de parts de marché en Asie. Aliexpress et Alibaba sont les plus grandes places de marché chinois. Ils jouent le rôle d’Amazon. Créée en 1999 par Tencent, QQ est une messagerie instantanée avec une fonction vidéo sur le modèle de Skype. C’est le 2ème réseau social le plus fréquenté au monde juste derrière Facebook. WeChat développé par le groupe Tencent compte 600 millions de membres. Il s’agit avant tout d’une application de messagerie instantanée pour téléphone portable. Pour pénétrer le marché chinois, les marques occidentales, se doivent être présentes  sur cette application. De même, Sina Weibo créé en 2009 (qui correspond à Twitter et à Facebook) rencontre un succès grandissant. Il en est de même pour le site Tencent Weibo. Youku Tudou s’apparente au site YouTube. Il s’agit d’un site d’hébergement de vidéos en ligne. Cette plateforme est la première en Chine pour le partage des vidéos.

La Chine, deuxième puissance démographique et économique mondiale, premier exportateur mondial, a comme caractéristique de ne pas être une démocratie. Jusque dans les années 80, il était communément admis qu’économie de marché, croissance économique rimaient avec démocratie, libre entreprise, libre échange et droits de propriété. Certains pays émergents et, en premier lieu la Chine, ont prouvé l’inverse ces quarante dernières années.

La Chine n’a pas totalement la même conception de l’entreprise que les pays occidentaux. Le concept de capitalisme d’État renvoie non pas au sens de la propriété mais au rapport que les entreprises entretiennent vis-à-vis du pays dont elles sont issues. Ce concept s’oppose à celui du capitalisme d’entreprise où le financement, les modes d’organisation et de gouvernance s’affranchissent des structures étatiques. En Chine, si les entreprises étrangères peuvent y investir, c’est dans le cadre de co-entreprise associant des intérêts chinois. Les dirigeants de ce pays sont des organisateurs puissants du capitalisme. La libre circulation des capitaux, des hommes et des femmes est loin d’y être totale. En Occident, les entreprises ont conquis d’importants espaces de liberté au point de remettre en cause la prééminence des pouvoirs publics. Au sein des pays avancés, de nombreux pans de l’économie ont été soustraits à la décision politique pour être confiés à des instances administratives indépendantes, à des régulateurs. La politique monétaire a été en grande partie indépendante car les pressions émanant des élus étaient jugées contraire à l’intérêt de la monnaie.

 

Par le jeu des alternances, de plus en plus fréquentes, les responsables politiques disposent de marges de manœuvre plus faibles qu’auparavant. Face à des dirigeants d’entreprises dont la durée des mandats est supérieure aux leurs, les politiques peuvent être en situation de faiblesse d’autant plus qu’en une trentaine d’années, le poids des multinationales s’est renforcé. Aux États-Unis, en vertu des lois antitrust (Sherman Act et Clayton Act), la Standard Oil, Alcoa, ATT furent éclater en plusieurs structures. En revanche, depuis les années 70, les géants de l’informatique ont réussi à passer entre les mailles du filet que ce soit IBM, Microsoft ou Alphabet (Google).

La puissance des nouvelles entreprises est telle que les États acceptent l’idée d’accord ou de partenariat avec elles. L’idée n’est plus de condamner ou d’empêcher certaines de leurs pratiques jugées amorales mais de trouver des compromis. Ainsi, Alphabet peut concéder l’idée de financer un fonds pour la presse écrite afin d’indemniser en partie les dégâts qu’il occasionne dans ce secteur. De même, les GAFA sont prêts à négocier afin d’éviter des sanctions fiscales susceptibles d’être appliquées pour dissimulation d’une partie des bénéfices. Les États, en position de faiblesse, essaient tout à la fois de plaire aux nouveaux géants des NTIC afin de les attirer sur leur territoire tout en essayant de maîtriser autant que possible les fuites fiscales.

L’hyper-entreprise qui remplace l’hégémonie étatique entend organiser son secteur d’activité, ses solidarités. Au niveau des valeurs, les entreprises issues de la mondialisation se veulent pragmatiques. Elles s’adaptent aux pays dans lesquelles elles évoluent, ce qui peut créer des tensions avec les autorités de leur pays d’origine.

Entre capitalisme d’État et capitalisme d’entreprise, les frontières ne sont pas étanches ni figées. Les grandes entreprises demeurent bien souvent attachées à leur État d’origine. Ni Microsoft, ni Alphabet, ni Apple n’ont quitté leur région d’origine. Bien souvent, elles sont associées aux programmes de recherche publique. Le marché domestique reste toujours la clef de la réussite. Si l’Europe est à la peine en matière de NTIC, cela est la conséquence d’une unification inachevée de son marché intérieur. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont abouti à la montée en puissance de multinationales qui, du fait de leur activité, sont moins dépendantes de leur base nationale d’origine que leurs devancières. Cet affranchissement de toute sujétion nationale qui concerne essentiellement les firmes occidentales est-il réel ou relatif ? Par ailleurs, le renouveau du nationalisme politique et économique n’est-il pas sans incidence sur le rapport de force qui peut exister entre les États et les firmes multinationales ?

Une bataille est engagée au sein même des pays occidentaux entre les autorités et les entreprises. Donald Trump dont la fortune provient de la vieille économie entend imposer aux géants du Net une vision plus nationale du monde. Sa réforme fiscale vise à ainsi à rapatrier aux États-Unis près de 2 000 milliards de dollars de profits réalisés à l’étranger par des firmes américaines. Le Président américain a déjà mis sur le compte de sa réforme la décision d’Apple, la première capitalisation boursière mondiale, d’investir 350 milliards de dollars en cinq ans aux États-Unis. L’Europe entend également réagir. Ainsi, Pierre Moscovici, le Commissaire aux Affaires économiques et financières de l’UE, a annoncé qu’il présenterait, à la fin du mois de mars, une réforme ambitieuse et globale de la fiscalité du Net pour que les géants du net qui réalisent plus de 750 millions de chiffre d’affaires, puissent payer des impôts là où ils créent de la valeur. Le commissaire entend parvenir à un mécanisme qui permettra d’« identifier l’activité des entreprises numériques, il faut qu’on trouve un faisceau d’indicateurs, le nombre de clics, le nombre d’adresses IP, la publicité qu’elle paie, le chiffre d’affaires éventuellement… et ensuite on va trouver des mécanismes pour les taxer ». Le commissaire européen vise les GAFA, mais aussi des entreprises du secteur du tourisme comme Airbnb ou encore Booking.com.

 

Tout ne tourne pas si mal sur Terre

La croissance économique de ces trente dernières années a changé en profondeur les rapports de force entre les grandes régions de la planète. Elle a conduit à l’apparition dans de nombreux pays d’une classe moyenne qui, à l’échelle mondiale, avoisine les 2 milliards d’habitants. En Chine, la classe moyenne compte plus de 250 millions de personnes et un tiers de la population pourrait y appartenir d’ici 2030. Dans le même temps, en particulier, aux États-Unis, les inégalités augmentent avec à la clef une fragilisation de ces fameuses classes moyennes.

Si de nombreux articles soulignent la détérioration de la situation d’un nombre croissant de personnes, de nombreuses données semblent prouver l’inverse. Les travaux de la Banque Mondiale, de l’OCDE ou de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture prouvent, en effet, une réelle amélioration des conditions de vie, au sens large du terme, de la population mondiale et notamment de celle ayant les plus faibles revenus.

Dans la troisième édition de son rapport sur l’évaluation de la richesse mondiale, la Banque mondiale a étudié l’évolution de la richesse de 141 pays entre 1995 et 2014, en prenant en compte le PIB, les ressources naturelles, la durabilité de la croissance, le capital humain, le capital produit (bâtiments, infrastructures, etc.) et les actifs étrangers nets. La richesse mondiale a augmenté, malgré la Grande récession de 2008. Les pays à revenu intermédiaire continuent de rattraper les pays à revenu élevé et détiennent ainsi une part supérieure de la richesse. Plus d’une vingtaine de pays à faible revenu, dont la richesse provient essentiellement de leur capital naturel, sont devenus des pays à revenu intermédiaire — en partie parce qu’ils ont prudemment investi leurs gains dans les infrastructures et dans l’éducation. Depuis 2012, les pays émergents et en développement pèsent plus lourds en termes de PIB que les pays dits avancés.

La proportion de pays à revenus faibles ou intermédiaires souffrant de pauvreté extrême (moins de 2 dollars par jour par habitant) est passée de 54 à 12 % de 1981 à 2015. Les deux zones où la pauvreté a fortement reculé sont l’Asie et le Pacifique. Si en 2015, moins de 2 % de la population se situent en dessous du seuil de la pauvreté extrême en Europe, ce taux est, de 4 % à l’Est de l’Asie, de 5,6 % en Amérique Latine, de 13,5 % dans le Sud de l’Asie et de 35 % en Afrique subsaharienne. Trois cinquième des 700 millions des habitants les plus pauvres de la planète, vivent dans 5 pays : la Chine, l’Inde, la République Démocratique du Congo, le Bangladesh et Haïti. La réduction de la pauvreté est, dans les pays émergents, bien plus rapide que ce que les pays occidentaux ont connu depuis le début de la révolution industrielle. Avec dix fois plus d’habitants que les pays de l’OCDE, la Chine et l’Inde obtiennent le même résultat cinq fois plus vite.

Avec un quasi-doublement de leur niveau de richesse, les pays à faible revenu affichent une hausse supérieure à la moyenne mondiale de 66 %. Mais la croissance de leur population demeure rapide empêchant ainsi une réelle progression de la richesse par habitant. Celle-ci augmente même moins vite que la moyenne mondiale. C’est particulièrement vrai en Afrique subsaharienne.

La force d’une économie repose essentiellement sur le niveau de qualification de ses actifs. Ainsi, pour la Banque Mondiale, le  capital humain représente les deux tiers de la richesse mondiale, plus que toutes les autres formes de capital. Il s’établit autour de 70 % de la richesse dans les pays à revenu élevé, contre seulement 40 % dans les pays à faible revenu. Les estimations sont calculées à partir de la valeur actualisée des revenus futurs de la main-d’œuvre, en prenant en compte le niveau d’instruction et les compétences, mais également l’expérience et la probabilité à différents âges de faire partie de la population active.

Dans les pays à faible revenu, les ressources naturelles représentent toujours l’essentiel de la richesse. Dans dix des 24 pays de ce groupe, le capital naturel représente plus de 50 % de la richesse, en raison essentiellement de l’importance des terres agricoles et des forêts ou des matières premières.

La sous-alimentation régresse d’année en année. Ainsi, selon le FAO, 50 % de la population mondiale  étaient en état de sous-alimentation en 1945. Ce taux n’est plus que de 10 % en 2015. Il a été divisé par deux depuis 1980. Durant les années 90, 1,4 million de personnes seraient mortes de faim. Depuis le début du XXIe siècle, 600 000 morts de faim auraient été dénombrés. Les famines sont désormais cantonnées aux pays en proie à des conflits armés comme la Somalie, le Soudan ou la République Démocratique du Congo.

Des progrès très importants ont été réalisés lors de ces cinquante dernières années. Ils ont permis de mieux nourrir une population qui est passée de 4,5 à plus de 7 milliards de personnes. L’Inde et le Pakistan, confrontés dans les années 70 à des famines de grande ampleur, ont réussi à multiplier par sept leurs productions de céréales et de devenir autosuffisants. Aujourd’hui, la sous-alimentation concerne essentiellement l’Afrique (20 % de la population n’aurait pas accès quotidiennement à une alimentation suffisante). Néanmoins, de 1990 à 2015, si la population du Nigéria s’est accrue de 80 millions, le nombre de mal-nourris a baissé de 8 millions. L’Angola, le Cameroun et le Mozambique ont, sur cette même période, réussi à diminuer leur taux de malnutrition de 50 %. Même dans le Sud du Sahara qui est confronté à des conflits ethniques, religieux et politiques, la sous-alimentation régresse. Elle touchait, en 2015, 23 % de la population contre 33 % en 1990. L’amélioration des conditions d’alimentation a été réalisée essentiellement par l’augmentation des rendements. En effet, la surface cultivée a augmenté de 12 % entre 1961 à 2009 à l’échelle mondiale quand la production a cru de 300 %. Certes, le choix de l’agriculture intensive génère des pollutions mais dont les effets doivent être à relativiser au regard des dégâts qu’aurait occasionnés la transformation des forêts en champs.

L’accès à l’eau et à l’assainissement s’est démocratisé depuis trente-cinq ans. La proportion de la population ayant accès à l’eau potable est passée sur la même période de 50 à plus de 80 % (source OMS 1995 – 2015). Ce taux ne serait inférieur à 50 % que dans trois pays (Namibie, la Guinée équatoriale et la Papouasie Nouvelle Guinée). En 1990, plus de 23 pays étaient dans cette situation. Si, en 1980, 24 % de la population mondiale avait accès à un réseau d’assainissement, ce taux est monté à plus de 55 % en 2014. L’équipement au sein des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire est très rapide. Un tiers de la population mondiale a été raccordée ces vingt dernières années. Néanmoins, près de 700 millions de personnes n’ont accès qu’à de l’eau de mauvaise qualité et 2,5 milliards ne bénéficient d’accès à un réseau d’assainissement. La situation demeure préoccupante en Afrique subsaharienne. L’amélioration de la qualité de l’eau et la possibilité de gérer les eaux usées constituent les éléments clefs de l’allongement de l’espérance de vie. Au Kenya, le développement d’aqueducs et la lutte contre la pollution urbaine ont contribué à accroître la durée de vie de 10 ans.

Sur l’environnement, la tendance est au catastrophisme et à l’émotionnel. Tout phénomène climatique est interprété à l’ombre du réchauffement climatique en cours. Or, force est constater que la planète a toujours été confrontée aux aléas de la nature, à des tremblements de terre, des inondations, des tempêtes et des canicules. Si le changement climatique peut en modifier le rythme et la violence, il n’en demeure pas moins qu’il n’en est pas, loin s’en faut, la seule cause. L’Homme de tout temps à interagi avec son écosystème avec la capacité de le détruire. Ainsi, le Cap Vert souffrit de sécheresses et de famines provoquées par la déforestation au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Elles provoquèrent plus de 100 000 morts. En 1952, le Smog à Londres, généré par le chauffage à bois et les usines, entraîna la mort de plus de 12 000 personnes. De nombreux progrès, surtout dans les pays occidentaux, ont été réalisés pour améliorer la qualité de l’air. Ainsi, à Londres, les émissions des principaux polluants ont été divisées par 5 de 1970 à 2015 (source département for Environment et Food Rural Affairs 2014). De même, le nombre de marées noires a été divisé par huit en quarante-cinq ans. La quantité de pétrole relâchée en mer aurait été réduite de plus de 95 %.

Certes depuis l’an 2000, selon l’OMS, le nombre de personnes respirant un air de mauvaise qualité a augmenté de 600 millions essentiellement en Chine, en Inde, au Pakistan et au Bengladesh. La proportion de particules est, en Chine, six fois supérieurs à celle constatée au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Le chauffage au bois ou au charbon ainsi que la multiplication de centrales électriques recourant à ce dernier type de combustible expliquent la dégradation de la situation environnementale au sein des pays émergents. Toujours selon l’OMS, la pollution de l’air serait responsable de la mort de 3,5 millions de personnes par an. Néanmoins, celle-ci est avant tout provoquées par le charbon. Les pays émergents mettent en place des mesures pour améliorer la qualité de l’air de manière plus rapide que les pays occidentaux l’ont fait dans le passé. Ainsi, les États-Unis ont commercialisé l’essence sans plomb dès 1975. En Europe, il a fallu attendre les années 80. La Chine l’a imposé en 1997.

Fréquemment, l’artificialisation des terres est mise en avant pour expliquer la multiplication des inondations. Si ce phénomène s’avère exact en milieu urbain, c’est plus discutable en revanche à l’échelle des pays. Ainsi, en Europe, la zone forestière a progressé de 0,3 % par an de 1990 à 2015 (source Eurostat). En un siècle, la forêt française a gagné plus de 6 millions d’hectares. Sa superficie serait celle qu’elle avait au Moyen Âge.

Contrairement à une idée reçue, la mortalité liée aux catastrophes naturelles diminue. L’amélioration de la qualité des logements, le développement des systèmes de prévention et de secours réduisent le nombre de décès. Selon les données internationales EM-DAT, entre 1900 -1989 et 1990 -2010, le taux de mortalité lié à des phénomènes naturels violents est en baisse de plus de 90 %. Selon l’ONU, 95 % des décès sont concentrés dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire.

L’alphabétisation constitue un des grands progrès de ces soixante-dix dernières années. Si le niveau éducatif tend à baisser au sein de plusieurs grands États occidentaux, à l’échelle mondiale, c’est le phénomène inverse qui est constaté. En 1820, 12 % de la population mondiale savait lire et écrire. Ce taux était de 50 % en 1960. En 2016, il est tombé à 14 %. Aux États-Unis, en Europe occidentale, le taux d’alphabétisation a atteint 90 % à la fin du XIXe siècle. Mais en 1900, moins de 10 % de  la population du Sud, d’Asie ou d’Amérique latine avait reçu une éducation de base. En 2010, 90 % de la population de l’est de l’Asie savait lire et écrire, 94 % en Amérique latine et 65 % en Afrique subsaharienne. Le nombre d’enfants non scolarisés est passé, au niveau mondial, de 100 à 57 millions de 1990 à 2015. Plus de la moitié d’entre eux vivent en Afrique subsaharienne. Les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire rattrapent les pays avancés et mettent quatre fois moins de temps pour alphabétiser 90 % de leur population.

Le rattrapage des pays qualifiés de « sous-développés » il y a encore trente ans est réel et rapide. Il intervient au moment où les pays avancés sont confrontés aux limites de leur modèle économique et social, modèle qui a réussi et qui s’est exporté à l’échelle mondiale. Cette relative stagnation occidentale est une source évidente de crispation. Longtemps souhaité l’émergence du Sud génère la crainte d’un déclassement occidental. Le basculement dans l’économie de marché de plusieurs milliards d’habitants, en une ou deux générations, constitue un fait sans précédent, par nature déstabilisant. La rapidité de l’harmonisation a l’avantage de réduire l’impact de la transition. Certes, l’Afrique constitue pour le capitalisme de marché la dernière terre d’expansion même en Asie, en Chine et en Inde, tout particulièrement, le développement économique des zones rurales reste à réaliser.

 

Pour vivre vieux, mieux vaut être riche et en bonne santé !

Assez logiquement, l’espérance de vie varie en fonction des revenus, de la catégorie sociale d’appartenance. Les conditions de vie, la pénibilité et l’accès aux professionnels de santé interfèrent sur l’espérance de vie. En revanche, le diplôme n’est pas un gage d’espérance de vie plus longue. Le facteur revenu est moins important pour les femmes que pour les hommes. Selon l’INSEE, l’espérance de vie à la naissance des hommes figurant parmi les 5 % les plus aisés dont le niveau de vie moyen est, en moyenne, de 5 800 euros par mois, est de 84,4 ans. À l’opposé, parmi les 5 % de personnes les plus modestes, dont le niveau de vie moyen est de 470 euros par mois, les hommes ont une espérance de vie de 71,7 ans. Les hommes les plus aisés vivent donc en moyenne 13 ans de plus que les plus modestes. Chez les femmes, cet écart est plus faible : l’espérance de vie à la naissance des femmes parmi les 5 % de personnes les plus aisées atteint 88,3 ans, contre 80,0 ans parmi les 5 % les plus modestes, soit 8 ans d’écart. Ce dernier tend à se contracter avec l’âge. Ainsi, à 60 ans il est de 8 ans chez les hommes et 5 ans chez les femmes.

L’espérance de vie augmente avec le niveau de vie pour les hommes comme pour les femmes. Mais le gain d’espérance de vie associé à une légère augmentation de niveau de vie n’est pas le même pour les personnes les moins aisées et celles qui le sont le plus. Plus on est aisé, moins ce gain est élevé. Ainsi, aux alentours d’un niveau de vie de 1 000 euros par mois, 100 euros supplémentaires sont associés à 0,9 an en plus d’espérance de vie chez les hommes et 0,7 an chez les femmes. Autour de 2 000 euros par mois, le gain d’espérance de vie n’est plus que de 0,3 an chez les hommes et 0,2 an chez les femmes. Il atteint seulement 0,2 an et 0,1 an pour 2 500 euros par mois. L’espérance de vie à la naissance des femmes dépasse en moyenne de 6 ans celle des hommes pour la période 2012-2016. Les femmes vivent plus longtemps que les hommes et souvent même plus longtemps que les hommes les plus aisés. À partir de 1 300 euros de niveau de vie par mois, l’espérance de vie des femmes dépasse en effet celle des hommes parmi les 5 % les plus aisés. Ainsi, seules les femmes dont le niveau de vie se situe parmi les 30 % les plus modestes vivent en moyenne moins longtemps que les hommes appartenant aux 5 % les plus aisés.

La vie souvent plus longue des femmes s’explique notamment par certains de leurs comportements plus favorables à une bonne santé. Par exemple, d’après le Baromètre Santé 2014, seulement 5 % des femmes âgées de 18 à 75 ans consomment quotidiennement de l’alcool, contre 15 % des hommes du même âge. De plus, les femmes bénéficient d’un meilleur suivi médical, en particulier pendant la vie féconde. Par ailleurs, leur durée de travail (hebdomadaire ou tout au long de la vie) est plus faible que celle des hommes, ce qui réduit ainsi leur exposition à des risques professionnels. Enfin, selon certaines études, les femmes disposeraient d’avantages génétiques expliquant en partie leur espérance de vie plus longue.

À niveau de diplôme donné, l’espérance de vie augmente aussi avec le niveau de vie, pour les hommes comme pour les femmes. L’augmentation de l’espérance de vie avec l’aisance financière ne s’explique donc pas seulement par le niveau d’éducation. Par exemple, chez les non-diplômés, l’espérance de vie à 35 ans des hommes parmi les 25 % les plus aisés est de 46 ans, contre 39 ans pour ceux appartenant aux 25 % les plus modestes, soit 7 ans d’écart. Chez les diplômés du supérieur, l’écart est de 8 ans entre les hommes faisant partie des 25 % les plus aisés et ceux parmi les 25 % les plus modestes. Par ailleurs, les hommes les plus aisés sans diplôme vivent plus longtemps au-delà de 35 ans que les diplômés du supérieur les plus modestes (46 ans contre 42 ans).

Entre 2012 et 2016, la probabilité de décéder diminue avec le niveau de vie non seulement à diplôme identique, mais aussi « toutes choses égales par ailleurs » (c’est-à-dire à sexe, âge, diplôme, catégorie sociale et région de résidence donnés). Ce n’est donc pas seulement parce que les personnes les plus aisées sont plus diplômées ou plus souvent cadres que leur espérance de vie est plus élevée. Le niveau de vie en lui-même, en facilitant la prévention et l’accès aux soins peut être la cause directe d’une bonne santé. Toutefois, ce n’est pas la seule explication. Un faible niveau de vie malgré un niveau de diplôme élevé reflète parfois des difficultés de santé. Par ailleurs, le niveau de vie dépend des caractéristiques de la personne mais aussi de celles de son conjoint éventuel, qui peut avoir une hygiène de vie plus ou moins bonne pour sa santé et celle des autres membres de sa famille (par exemple alimentation commune, tabagisme).

Entre 2012 et 2016, la probabilité de décéder à sexe et âge donnés varie selon la région de résidence. L’Île-de-France est la région où cette probabilité est la plus faible, dans les Hauts-de-France elle est la plus forte. Les écarts de niveau de vie, en plus des caractéristiques sociales habituelles (catégorie sociale, diplôme) expliquent en partie ces différences régionales. Les Hauts-de-France, une des régions les plus pauvres, se caractérisant par un niveau de revenus par habitant inférieur à la moyenne, enregistrent une espérance de vie plus faible. A l’opposé, l’Occitanie et les Pays de la Loire se situent en tête du classement.

Les gains d’espérance de vie dépendent de plus en plus de facteurs sociaux comme l’avait prouvé la canicule de 2003. Si en raison de cet évènement climatique, 15 000 personnes étaient décédées, l’attention apportée aux personnes les plus âgées a permis, durant les années qui ont suivi, une augmentation sensible de l’espérance de vie.