12 mai 2018

Le Coin des tendances du 12 mai 2018

Les robots, l’emploi, les revenus et la croissance

« Nous voyons des robots et des objets connectés partout sauf dans les statistiques économiques » pour paraphraser le Prix Nobel de l’Economie, Robert Solow. Ce dernier, à la fin des années 80, doutait de l’effet économique des microprocesseurs. Aujourd’hui, le doute concerne l’ensemble des techniques de l’information et de la communication.

Les Nouvelles Technologies et les robots sont accusés de contribuer à la bipolarisation des marchés du travail. Les emplois industriels sont détruits par les robots, mais ceux-ci génèrent un supplément d’efficacité économique et de revenus qui fait apparaître un supplément important d’emplois de services peu qualifiés. Le digital crée des emplois exigeant de fortes qualifications et en nombre limité. La bipolarisation est extrême, puisqu’à un emploi fortement qualifié peuvent être reliés jusqu’à 5 emplois peu qualifiés. Les plateformes Internet génèrent, en effet, de nombreux emplois tertiaires, logistiques, transports, etc.

Le digital provoque la déformation du partage des revenus au détriment des salaires. Les nouvelles technologies s’accompagnent de la constitution de situations de rente concentrées autour de quelques entreprises qui présentent des rendements croissants. Elles entraînent une dispersion croissante de la productivité entre les entreprises. Les géants d’Internet et les start-ups peuvent enregistrer de forts gains de productivité à la différence des entreprises de services traditionnelles. Une économie à deux vitesses cohabite. Les grandes entreprises dont les stars de l’Internet imposent aux autres des réductions de coûts. Ces dernières pèsent sur le montant des salaires et de l’investissement.

La faiblesse actuelle des gains de productivité serait liée à un problème de diffusion du progrès technique. Le secteur tertiaire ne tirerait pas encore tout le potentiel de la digitalisation. Par ailleurs, les politiques économiques mises en œuvre depuis la crise de 2008 auraient ralenti la logique schumpétérienne de destruction créatrice. Les entreprises les moins efficaces ont pu se maintenir en raison des taux d’intérêt qui ont été artificiellement abaissés.

Le déclin de la productivité serait imputable au fait que la robotisation a réduit les effectifs de l’industrie et a gonflé ceux du secteur tertiaire qui est moins avancé en matière de révolution digitale.

La déformation de la structure des emplois au détriment de l’industrie et en faveur des services domestiques peut donc être partiellement attribuée à la robotisation. Au sein de l’OCDE, les investissements technologiques ont été depuis 1996 essentiellement réalisés par l’industrie manufacturière. En 22 ans, le stock de robots industriel a doublé au sein de l’OCDE tout comme l’investissement dans les nouvelles technologies et de communication (problème de formulation) qui est passé de 1 à 2 % du PIB. De 1996 à 2018, l’emploi industriel s’est contracté de 20 % quand celui des services domestiques a progressé de 30 %.

Contrairement à certaines idées reçues, la robotisation ne s’est pas accompagnée d’une augmentation du chômage. Ce sont les pays qui ont investi fortement dans les robots qui ont les taux de chômage les plus faibles. Certes, le lien de corrélation doit être relativisé. En effet, les États ayant la plus importante proportion de robots sont tout à la fois ceux ayant conservé une spécialisation industrielle (Japon, Corée du Sud, Allemagne) et qui sont confrontés à une forte dénatalité (Japon, Allemagne).

Si elle ne se traduit pas par une progression des gains de productivité pour l’ensemble de l’économie, la robotisation a néanmoins contribué à son augmentation dans le secteur industriel. Les pays qui ont enregistré les plus faibles gains de productivité par tête manufacturière sont ceux qui ont les stocks de robots les plus faibles (Grèce, Australie, Italie). En revanche, la progression de cette productivité a été forte pour le Japon, l’Allemagne, la Suède et les États-Unis.

Les nouvelles technologies s’accompagnent d’un gonflement des marges bénéficiaires des entreprises. Les profits avant impôt atteignaient, en 2017, 17 % du PIB contre 13,5 % en 1996. Ils sont supérieurs à leur niveau de 2007 (15,5 %). Par ailleurs, les salaires augmentent moins vite que la productivité par tête (+15 % entre 1996 et 2017 contre 32 % sur la même période au sein de l’OCDE). Le rapport de force entre salariés et actionnaires favorable aux premiers durant les 30 Glorieuses s’est progressivement inversé à partir des années 80. La diminution des effectifs industriels, le recours à de nouvelles formes de travail, la montée du chômage dans les années 2000 avec la succession de crise, une perte de légitimité des syndicats et une financiarisation accrue du capitalisme peuvent expliquer cette évolution. Ce changement de paradigme est également un retour de balancier. Comme dans les années 20 avec l’émergence des compagnies pétrolières, des phénomènes de rente apparaissent autour des GAFA. Les profits réalisés par les grandes entreprises du digital excèdent leurs capacités d’investissement. Il en résulte une distribution accrue de dividendes et des rachats d’action pour favoriser l’appréciation du cours des actions. Les profits des GAFA peuvent être également affectés à des projets quasi utopistes (transhumanisme, voyage sur Mars). Selon les fondamentaux de l’économie classique, le profit surtout s’il est excessif est la manifestation d’un dérèglement, le signe d’une concurrence faussée, d’une rente de situation. Des bénéfices importants aboutissent à une mauvaise allocation des ressources. Trop de profit peut déboucher sur un gaspillage. La polarisation des emplois favorise la montée des inégalités. Comme au début du XXe siècle, des fortunes se bâtissent rapidement. Au sein de l’OCDE, la proportion du revenu national perçu par les 1 % les plus riches est passée de 13,5 à 15,8 % de 1996 à 2017. Pour reprendre l’analyse de l’économiste Robert Reich qui fut le Secrétaire d’État à l’emploi du Président Bill Clinton, le monde du travail est pour le moment dominé par les manipulateurs de symboles qu’ils soient chefs d’entreprise, artistes, sportifs de haut niveau, spécialistes de leur domaine, etc. La mondialisation des produits s’accompagne d’une mondialisation des experts. Tout le défi pour le digital est de pouvoir maintenir des ponts entre les différentes catégories de la population, faute de quoi l’instabilité politique et sociale risque de s’accroître. Si certains penchent sur la nécessité de développer le revenu universel, ce qui correspond à la négation de la valeur « travail » et à une démission collective face aux conséquences de la digitalisation, d’autres espèrent que la période actuelle n’est qu’une transition et qu’elle débouchera sur un nouveau cycle de croissance.

Le secteur des services à la personne dans un entre-deux

Les services à la personne sont appelés à se développer en raison du vieillissement de la population mais aussi en raison d’une forte demande de services de confort de la part de l’ensemble de la population. Or, depuis 2010, ce secteur est confronté à une forte remise en cause. Le nombre des employeurs particuliers recule et celui des heures de travail également. Cette évolution est imputable au changement de législation et à la situation économique. L’accroissement des charges sociales et la modification du régime des auto-entrepreneurs ont, certainement, conduit, à une progression du travail non déclaré.

 L’emploi à domicile révèle différentes formes

Le recours aux services à la personne peut s’effectuer selon deux modes, l’emploi direct d’un intervenant par un particulier ou le recours à un organisme prestataire. Dans le premier cas, soit le particulier est l’employeur direct de la personne, soit il passe par une structure mandataire qui se charge des formalités administratives d’embauche, en contrepartie d’une contribution représentative des frais de gestion. Dans ce cas, le particulier conserve une responsabilité pleine et entière d’employeur. En mode prestataire, l’organisme met à disposition du particulier ses intervenants. Le particulier est alors client de l’organisme qui lui facture la prestation.

1,22 millions d’employés à domicile

Au 2e trimestre 2016, plus de 800 000 personnes étaient employées par un particulier et un peu plus de 400 000 interviennent à domicile via des organismes prestataires. En 2016, l’emploi direct d’intervenants par des particuliers employeurs représente 56 % des heures rémunérées de services à la personne. Même s’il baisse depuis 2011, l’emploi direct reste le mode de recrutement prédominant.

Après avoir constamment baissé depuis 2011, le nombre d’heures rémunérées dans le secteur des services à la personne s’est tout juste stabilisé en 2016, avec 861 millions d’heures rémunérées. La baisse est imputable à la réforme du régime des auto-entrepreneurs et à l’augmentation des cotisations sociales pour les employeurs.

Si les heures rémunérées en emploi direct ou via un organisme mandataire ont diminué de 3,3 % en 2015 et de 2,1 % en 2016, l’activité des organismes prestataires a été en augmentation de respectivement 1 et 2 %.

2 millions d’employeurs particuliers

Au 2e trimestre 2016, la France comptait, selon la DARES, un peu moins de 2 millions d’employeurs particuliers, un chiffre en baisse de 9,6 % par rapport au 2e trimestre 2010. Ce recul est imputable tant aux difficultés économiques qu’à l’augmentation des charges sociales.

Près de 500 millions d’heures à domicile

Les particuliers ont payé 482 millions d’heures aux intervenants qu’ils emploient à leur domicile directement ou par l’intermédiaire d’un organisme mandataire au cours de l’année 2016, soit une baisse de 2,1 % par rapport à 2015. L’intermédiation par un organisme mandataire continue de diminuer sensiblement (-8 % par rapport à 2015). Le nombre moyen d’heures rémunérées par les particuliers employeurs est nettement plus élevé pour les gardes de jeunes enfants, avec 187 heures au 2e trimestre 2016 (14 heures par semaine), que pour les emplois de maison et les autres emplois familiaux avec 59 heures (5 heures par semaine). Pour ces derniers, la durée est quasiment stable, alors que le nombre moyen d’heures consacrées à la garde d’enfants a baissé de façon plus marquée : -23 heures en moyenne par employeur au deuxième trimestre depuis 2010.

Dans le prolongement des années précédentes, l’activité mandataire baisse de 7,6 % en 2016 (-9,4 % en 2015) et représente 50 millions d’heures de travail rémunérées. S’agissant de l’emploi d’intervenants par des particuliers, la part des heures rémunérées via des organismes mandataires passe de 11 % en 2015 à 10 % en 2016, après avoir atteint 17 % en 2009. Les entreprises privées y consacrent 27,8 % de leur activité mandataire (contre 0,7 % en mode prestataire).

La montée en puissance des entreprises privées chez les prestataires

En 2016, 380 millions d’heures d’intervention ont donc été rémunérées par les organismes prestataires. L’activité prestataire reste encore majoritairement assurée par les associations qui réalisent 54,3 % des heures rémunérées mais cette part baisse légèrement en 2016, tout comme celle des organismes publics qui passe de 10,0 % à 9,5 % sur cette même période. L’activité des entreprises privées prestataires augmente rapidement avec 138 millions d’heures rémunérées, soit une hausse de 8,5 % par rapport à 2015. Leur part de marché est passée de 34,0 % en 2015 à 35,2 % en 2016. L’activité des micro-entrepreneurs, ex autoentrepreneurs est en réel progrès mais si elle reste faible (1,0 % des heures rémunérées de l’activité prestataire en 2016).

Le nombre d’organismes actifs est passé de 26 700 en 2015 à 27 860 en 2016, soit une augmentation de 4,3 % mais cette hausse est liée à la progression du nombre d’entreprises privées (+6,0 %). En 2016, 21 060 entreprises privées exerçaient une activité de services à la personne (soit 76 % des organismes), alors qu’elles étaient 19 870 en 2015. Le développement des micro-entrepreneurs, dont le nombre continue de croître de 8,5 % entre 2015 et 2016, contribue pour plus de la moitié à cette hausse. Ces derniers, au nombre de 8 460 en 2016, représentent 40,2 % des entreprises privées du secteur et 30,4 % des organismes de services à la personne. À l’inverse, la part des associations et des organismes publics sur l’ensemble des organismes prestataires recule à nouveau, passant de 25,6 % en 2015 à 24,4 % en 2016.

 

Le poids déterminant des services aux personnes âgées

Les heures rémunérées en mode prestataire sont, pour 57 %, des heures d’aide aux personnes âgées et/ou handicapées, pour 38 % des heures consacrées à d‘autres activités domestiques et pour 5 % de la garde d’enfants.

Les associations et les organismes publics sont principalement tournés vers l’aide aux personnes âgées et aux personnes handicapées (près de 65 % de leurs activités respectives) et vers des activités d’entretien de la maison (environ 25 % en 2016).

L’activité des entreprises privées prestataires, hors micro-entrepreneurs, est plus diversifiée. Le petit jardinage et le bricolage (11,7 %) et la garde d’enfants (10,9 %) y occupent une place plus importante. Néanmoins, leur part de marché dans l’aide aux personnes âgées et handicapées, domaine traditionnel d’intervention des associations et des organismes publics, se développe progressivement (respectivement +6,5 points et +5,5 points entre 2010 et 2016). À l’inverse, les activités d’entretien de la maison se contractent (-8,4 points sur la même période).

Les micro-entrepreneurs prestataires se spécialisent essentiellement dans les activités d’entretien de la maison (42,7 %), le petit jardinage et le bricolage (25,6 %). Les cours à domicile et le soutien scolaire représentent 20,9 % de leur activité et se développent au cours des cinq dernières années (+8,5 points), tandis que le petit jardinage et le bricolage perdent de l’importance (-13,4 points entre 2010 et 2016).

Un nombre d’heures par emploi très variable

Au 2e trimestre 2016, un intervenant travaillant pour un organisme public effectue en moyenne 292 heures contre 231 heures dans une association de services à la personne et 198 heures dans le privé. Les micro-entrepreneurs réalisent deux fois moins d’heures que les intervenants d’un organisme public, cette durée ayant néanmoins augmenté pour les micro-entrepreneurs de près d’un quart entre 2010 et 2016.

Par rapport à l’année 2010, les durées d’intervention des organismes prestataires se sont allongées (+2,1 %, soit environ 5 heures de plus sur le trimestre), tirées notamment par les associations et les entreprises privées (respectivement +6,4 % et +3,6 %). Au contraire, les organismes publics ont rémunéré légèrement moins d’heures par intervenant, comparé à 2010 (-0,8 %, soit près de 2 heures de moins sur le trimestre).

Un secteur à la croisée des chemins

Les services à la personne sont promis à un bel avenir avec le vieillissement de la population mais pour le moment la croissance reste avant tout potentielle. L’évolution de l’activité est sujette à la réglementation et aux aléas de la conjoncture économique. La proportion du travail non déclaré demeure importante. La professionnalisation et la formation constituent deux freins non négligeables. La structuration de l’offre avec des labels de qualité est sans nul doute un préalable à l’expansion de l’activité. Par ailleurs, la solvabilisation de la demande se pose pour les retraités les moins aisés en particulier quand survient un problème de dépendance.