14 mai 2016

Le Coin des Tendances du 14 mai 2016

L’illusion du streaming

Depuis quelques mois, une petite musique se fait entendre. L’industrie musicale, une des premières touchée par la révolution digitale, serait en train de retrouver un business model grâce au streaming payant. Certes, le nombre d’abonnés payants aux plateformes de streaming progresse fortement mais il n’est pas dit que cela profite réellement aux artistes et surtout aux jeunes talents. Le nouveau modèle génère avant tout des flux au profit des plateformes.

L’émergence de la musique populaire dans les années 60 a reposé sur celle des baby-boomers devenus adolescents, sur la diffusion de nouveaux instruments (la guitare électrique, synthétiseurs) et sur la capacité de marqueter quelques idoles représentatives tout à la fois de la société et de la jeunesse. Par ailleurs, la musique pop/rock a été très vite investie par des hommes d’affaires voire par le milieu qui ont compris que ce secteur pouvait être lucratif.

La chaine hifi et la sonorisation de la société, la musique étant présente partout à tout moment de la journée ont été des faits marquants des années 60 à 80. La numérisation en permettant une dissociation de la musique de tout support conduit à casser l’équilibre d’un secteur d’activité juteux qui a fait la fortune des grandes compagnies (Universal, Sony, Pathé Marconi…), de nombreux producteurs mais aussi des distributeurs comme la FNAC ou Virgin.

Au mois de mars dernier, l’observatoire de l’industrie musicale en France soulignait que les plateformes de streaming comptaient en France plus de 3 millions d’abonnés. Ces plateformes auraient réalisé un chiffre d’affaires d’une centaine de million d’euros. Au niveau mondial, les ventes numériques dépassent désormais les ventes physiques pour la musique. Le chiffre d’affaire du numérique (streaming et vente en ligne de musique) se serait élevé en 2015 à près de 7 milliards de dollars ce qui représente 45 % des recettes musicales (55 % proviennent des ventes physiques, de la sonorisation des lieux et des droits versés par les radios ou les télévisions).

Le streaming représentait, en 2015, 19 % des revenus de la musique contre 14 % en 2014. Sa part dans le numérique est de plus de 43 %. Il pourrait supplanter le téléchargement légal dès cette année. La croissance du streaming est très forte, plus de 45 % en un an au niveau mondiale. Dans des pays où l’écoute de la musique ne se faisait que par le biais de téléchargements illégaux, il commence à s’implanter (Chine, Amérique latine par exemple).

Le succès du streaming  a contraint Apple à changer de cap. Cette dernière qui avait concentré son offre musicale sur son site de téléchargement a décidé de développer l’écoute de la musique en flux et par abonnement. Grâce à une campagne assez agressive, elle a annoncé avoir réussi en quelques mois à imposer sa plateforme à 10 millions de personnes. Le leader du marché est la plateforme suédoise Spotify qui compte 60 millions d’abonnés. De moins en moins d’artistes s’opposent à être accessibles en streaming. Ainsi, AC/DC et les Beatles qui ont figuré parmi les réfractaires sont désormais en ligne.

Cette mutation ne résout en rien les problèmes auxquels sont confrontés les majors de la musique et les artistes. En effet, les retombées du streaming sur les auteurs-compositeurs sont jugées faibles.

Le développement du streaming repose sur une bulle. Une partie des abonnements est temporaire et offerte par des intermédiaires dans le cadre de promotions. Les plateformes espèrent évidemment développer des offres liées aux abonnements à Internet. Deezer est ainsi associé à Orange.

Le marché de la musique a subi, depuis le début du siècle, une attrition sans précédent. Le chiffre d’affaires des grandes compagnies du disque s’établissait à 27 milliards de dollars en 2000. Il ne s’élevait plus qu’à 15 milliards de dollars en 2015.

La vente de la musique rapporte de moins en moins aux musiciens. Ainsi, en 2015, l’artiste qui a au niveau mondial gagné le plus d’argent est Taylor Swift avec 73,5 millions de revenus. 85 % de ses revenus sont issus des concerts. Le deuxième artiste est le chanteur de country Kenny Chesney qui a empoché 39,8 millions de dollars dont 96 % sont issus des concerts. Les Rolling Stones arrivent en troisième position avec un gain de 39,6 millions de dollars dont 96 % proviennent de la série de concerts effectuée aux États-Unis et en Asie.

Les revenus provenant des plateformes restent très faibles. Ainsi les revenus issus d’Apple Music pour Taylor Swift n’ont atteint que 564 000 dollars en 2015 et cela malgré des millions d’écoute. Madonna n’a gagné que 286 000 dollars avec le streaming et 778 000 dollars avec les ventes de disques. Ce n’est pas avec de telles ressources qu’elle aurait pu se constituer sa fortune estimée par Forbes à plus de 520 millions de dollars. Seule la chanteuse Adele gagne des sommes importantes à travers la vente de ses disques. Elle a gagné 20,5 millions d’euros grâce à la vente de 25 millions d’albums. En revanche, ne faisant pas de concert, elle est condamnée à vendre un très grand nombre d’albums.

Désormais, ce sont les concerts qui font vivre les artistes d’où leur retour sur scène. Les grands groupes historiques n’en finissent pas, de ce fait, de faire leurs adieux en revisitant leurs vieux classiques. Ce modèle est bancal car les festivals reposent sur des groupes ayant des moyenne d’âge de plus en plus élevés (plus de 70 ans pour les Stones) avec un renouvellement faible du fait que l’émergence de nouvelles étoiles au temps du gratuit est difficile. Les majors qui ont été bousculées par le numérique n’ont plus guère les moyens de promouvoir de nouveaux talents et s’en remettent aux émissions de téléréalités ou de télé-crochets (the Voice, Nouvelle Star) pour fabriquer des nouvelles vedettes.

 

L’économie du partage est-elle antiéconomique ?

Avec les plateformes collaboratives, il est possible de partager ou de vendre des heures de travail ou des biens d’occasion. Cette économie du partage est censée être profitable pour l’économie tout en utilisant mieux le capital immobilisé (une voiture ou une perceuse par exemple) ou en améliorant ses revenus.

L’économie du partage ne rime pourtant pas automatiquement avec croissance. En effet, la croissance repose sur l’amélioration de la productivité, produire plus avec une rentabilité accrue du travail et du capital. Or, travailler plus n’accroit pas sa productivité. Prendre une personne dans sa voiture ne crée pas en soi de la richesse. Cela en déplace mais il n’y pas en soi augmentation de la productivité. Réduire son temps de loisir pour devenir un chauffeur Uber peut augmenter la productivité globale des facteurs de production à la condition que le temps qui y est consacré n’ait pas pu être utilisé de manière plus productive.

Par ailleurs, les personnes recourant à des services de partage effectuent-ils un choix rationnel ? Pas obligatoirement. En recourant à Blablacar, elles peuvent réaliser des économies, économies qui serviront à financer d’autres achats. Elles peuvent trouver un ou plusieurs véhicules qui leur permettront d’atteindre leur destination en moins de temps que si elles avaient eu recours à un moyen de transport collectif. Néanmoins, en privilégiant les voitures particulières au détriment des transports collectifs, elles optent pour la solution la plus coûteuse et la plus polluante. Par leur choix, elles accentuent les difficultés économiques des opérateurs en charge des transports collectifs. En diminuant les recettes des services publics en charge des transports, elles conduisent ces derniers soit à demander plus aux contribuables, soit à réduire leur offre ce qui induira un nombre accru de véhicules sur les routes. L’économie de partage accroit ainsi les coûts collectifs et favorise marginalement la situation financière de quelques-uns.

Il est admis que de nombreux biens que nous achetons sont faiblement utilisés. C’est le cas des voitures et des outils de bricolage. En les prêtant, en les louant, nous améliorons leur productivité et nous contribuions à augmenter la croissance… Rien d’automatique en la matière. En se partageant des biens, nous ralentissons l’avancée du progrès technique. En effet, la diffusion du progrès s’effectue à travers l’achat de biens neuf. Ainsi, en automobile, ce sont les deux millions de véhicules neufs vendus chaque année en France qui permettent au parc de se rajeunir. L’augmentation de l’âge moyen des véhicules depuis la crise est plutôt une mauvaise nouvelle tant en matière de sécurité, de lutte contre la pollution et d’agrément. Il en est de même avec les perceuses, les ponceuses et autres outils… La société du partage est une forme de décroissance en soi.

Par ailleurs, en recourant aux plateformes de partage, nous sommes amenés soit à utiliser du matériel d’emprunt pour bricoler, soit à faire appel à un voisin pour réaliser  des réparations à domicile. En matière de productivité, de telles options sont mauvaises. Un bricoleur occasionnel – ou pas – est toujours moins productif qu’un professionnel sauf si ce dernier est vraiment mauvais, ce qui est rare mais pas impossible… L’artisan qui est logiquement un professionnel utilise de manière quotidienne ses outils. Il n’y a donc pas sous-utilisation du matériel. Ayant une connaissance du métier, il prendra moins de temps qu’un novice pour poser une étagère ou réparer une conduite d’eau. De ce fait, il n’y aura pas de gaspillage du temps qui est la valeur la plus rare qu’il soit. En choisissant un bricolage, nous contribuons à diminuer la productivité globale de l’économie…

Le développement de l’économie du partage pose également un problème fiscal et social. En effet, en recourant moins à des activités marchandes, le montant des impôts et cotisations collectés diminue ce qui génère des déficits croissants ou oblige les pouvoirs publics à augmenter le niveau des prélèvements obligatoires. Il y a donc un processus de rétrécissement de l’assiette fiscal avec des charges publics qui restent identiques voire augmentent.

Les règles économiques les plus simples demeurent toujours valables même au temps d’Internet. Ainsi, il ne faut pas oublier qu’il convient toujours de se spécialiser dans le domaine où l’on est le moins mauvais. De même, en poursuivant plusieurs objectifs, on en n’atteint aucun….