14 octobre 2017

Le Coin des Tendances du 14 octobre 2017

La révolution permanente de la distribution

Des grands magasins à Internet en passant par les supermarchés et les hypermarchés, le paysage de la distribution est en permanente évolution. Depuis la révolution industrielle et l’avènement de la société de la consommation, le commerce s’adapte en permanence pour capter la clientèle.

La première grande surface est créée avant la Révolution Française, en 1784, par l’entrepreneur Jacques Calmane, le « Tapis rouge » au 67 de la rue du Faubourg-Saint-Martin à Paris, qui bien plus tard abrita le quartier général de campagne présidentielle de Jacques Chirac. Ce premier grand magasin comprend plusieurs immeubles de la rue et trois étages. Il offre la possibilité aux clients de déambuler au sein de galeries spacieuses et éclairées dans lesquelles figurent les nouveaux produits. En 1829, « Aux Trois-Quartiers » propose une surface commerciale de 27 000 m² sur le boulevard de la Madeleine, à Paris. La véritable naissance des grands magasins date de 1838. Les frères Paul et Justin Videau lancent en effet, cette année-là, un magasin dénommé « Au Bon Marché » doté de douze employés et quatre rayons. Ils s’associent en 1852 avec Aristide et Marguerite Boucicaut qui optent pour un changement de dimension. Ils décident de construire un grand magasin avec un vaste assortiment de produits, des prix fixés à faible marge et indiqués sur une étiquette. Ils permettent l’accès direct, le principe du satisfait ou remboursé et une mise en scène de la marchandise dans un espace de vente. « Au Bon Marché » ne vend plus simplement des marchandises mais le désir d’acheter lui-même. Cette nouvelle approche de la distribution est décrite par Emile Zola dans son roman « Au Bonheur des Dames ». Les Boucicaut se lancent également dans la vente à distance avec l’envoi par la poste de plus de 6 millions de catalogues de mode dans le monde entier. Ils mettent également au point un service de livraison à domicile. A Paris, « Au Bon Marché » fut concurrencé par le Printemps (1865) et par les Galeries Lafayette (1894) qui s’installèrent Rive Droite.

A partir de 1844, Félix Potin change, de son côté, la pratique de la vente de produits alimentaires. Cet épicier décide de réduire ses marges en jouant sur la quantité des produits vendus. Les prix sont, comme Au Bon Marché, affichés et fixes. La vente se fait au comptant. Il décide à partir de 1860 de devenir producteur de produits alimentaires et fabrique notamment du chocolat, des conserves, des confitures, etc. Au début du XXe siècle, Félix Potin est considéré comme la première maison d’alimentation au monde. Des grandes surfaces alimentaires sont inaugurées au début du siècle précédent à Paris et en province. Ainsi, rue de Rennes, dans un immeuble Art Déco (aujourd’hui en partie occupé par Zara), Félix Potin propose ses produits sur six niveaux. Ce système de prix fixes sera repris et amplifié par Uniprix (1928), Prisunic (1931) et Monoprix (1932). Ces magasins se développent avec la crise de 1929 en permettant aux Français d’accéder à des biens de consommation à tarifs réduits.

La vente par correspondance prend son essor après la Première Guerre mondiale. Du fait de l’absence de point de vente en raison des destructions, la famille Pollet de Roubaix propriétaire d’une filature dénommée La Redoute réalise un catalogue de ses productions qu’elle envoie à ses clients.

Aux États-Unis, avec le développement des classes moyennes, des banlieues et des voitures, se multiplient les magasins en libre-service. Ainsi en 1916, le premier magasin libre-service (cash and carry), voit le jour sous l’enseigne Piggly Wiggly à Memphis. L’objectif est de réduire les frais de commercialisation et de limiter les livraisons à domicile. En 1930, toujours aux États-Unis, à New-York est ouvert le premier supermarché doté d’une surface de vente de 560m² sous  l’enseigne King Kullen.

En France, en 1949, Edouard Leclerc décide d’organiser une centrale d’achats afin « d’acheter moins cher, pour revendre moins cher ». Il monte un réseau de commerçants à partir de la Bretagne, qui s’approvisionnent auprès de sa centrale d’achat. En 1960, à Annecy, Carrefour ouvre son premier supermarché. En 1961, Gérard Mulliez inaugure à Roubaix le premier supermarché Auchan. En 1963, le premier hypermarché français de la marque Carrefour ouvre à Sainte Geneviève des Bois.

L’avènement de la société de la voiture, le développement des banlieues entraînent l’importation d’un concept né aux États-Unis. En effet, dans ce pays, en 1915, apparaît le premier centre commercial qui prend en compte les voies de transports routiers et qui comprend de larges parkings. Il s’agit du Lake View Store dans la banlieue de Duluth (Minnesota). À partir des années 50, les centres commerciaux se multiplient outre-Atlantique avec l’émergence d’une importante classe moyenne.

Dans les années 60, acheter est un acte social, c’est encore un évènement en soi. Les périodes de restrictions, des tickets de rationnement sont encore proches. Avec le baby-boom et le développement des banlieues, un nouveau concept apparaît, le centre commercial. Situé en règle générale en périphérie des villes, il comprend une multitude d’enseignes avec en son cœur un hypermarché. Il mélange services, loisirs, culture, restauration et commerces de biens.

Le centre commercial reprend la philosophie des bazars connus de longue date en Turquie (grand bazar d’Ispahan) ou au Moyen-Orient (la médina de Marrakech). Dès le XVIIIe siècle, à Paris, il y a des « centres commerciaux » avec des galeries couvertes (le passage du Caire qui date de 1798).

En France, le premier centre commercial à Englos-les-Géants dans la banlieue lilloise ouvre le 27 mars 1969. Suivent le centre Cap 3000, proche de Nice, le 21 octobre 1969, puis Parly II le 4 novembre 1969. Ce centre qui est implanté au Chesnay, près de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye, comprend un hypermarché, des boutiques de luxe, des restaurants et des cinémas. Les espaces publics intègrent des œuvres d’art contemporaines. Autour du centre commercial est construite une ville nouvelle destinée à loger des cadres supérieurs travaillant à Paris ou dans les centres de recherche se situant à proximité. La présence d’un fort contingent de cadres expatriés en provenance des États-Unis explique les choix des promoteurs.

Dans les années 70, le concept des centres commerciaux gagne le cœur des agglomérations (Les Halles ou Beaugrenelle à Paris). Désormais, un hypermarché ne saurait exister sans sa galerie marchande même si l’esprit est bien souvent éloigné de l’esprit originel des centres commerciaux de la fin des années 60.

Les années 2000 se caractérisent par la montée en puissance d’un nouveau canal de distribution, Internet. En 2016, les achats réalisés par les Français sur Internet ont atteint 72 milliards, contre 65 milliards en 2015 et 57 milliards en 2014, selon la Fevad (la Fédération de l’e-commerce et de la vente à distance). Le taux de croissance d’Internet est de 10 % par an. Le commerce en ligne est à l’origine de 8 % des achats des ménages. Ce taux devrait rapidement atteindre 10 %. Si certains secteurs ont été fortement digitalisés comme la vente de billets de transport ou la musique, d’autres connaissent une cohabitation entre les différents canaux de distribution. Cette concurrence accentue le processus de concentration des enseignes (rachat de Darty par la FNAC). Par ailleurs, le processus d’achat des ménages est de plus en plus multicanal. L’acheteur commence à regarder sur Internet avant de rendre dans une boutique physique ou inversement. Il est fréquent qu’il passe par les réseaux afin de recueillir des informations. D’autre part, les plateformes collaboratives et notamment les sites de vente entre particuliers génèrent de nouvelles formes de concurrence. Les nouvelles gloires de la vente en ligne comme Amazon tentent de maîtriser les différents canaux en rachetant des chaînes de magasins en dur. La logistique et notamment la question de la livraison à domicile imposent d’avoir des points de distribution sur l’ensemble du territoire. Amazon gagne actuellement plus d’argent avec la fourniture de services informatiques qu’avec la vente de ses biens en ligne.

Le secteur de la distribution demeure très mouvant. Les entreprises naissent, croissent rapidement mais peuvent également péricliter en quelques années. Ainsi, Félix Potin, Manufrance, la Redoute, Continent ont disparu ou ont été rachetés après avoir atteint des sommets.

Si Internet rebat en partie les cartes, ces dernières le sont également par le vieillissement de la population et par les mesures prises pour limiter la circulation routière. La France compte moins de familles nombreuses et plus de célibataires. Les grandes courses hebdomadaires laissent la place à des achats effectués au fil de l’eau. Les gares ferroviaires qui autrefois n’étaient que des lieux de passage deviennent des centres commerciaux de premier plan (Gare Saint Lazare, Gare du Nord, Gare de l’Est).

En outre, la priorité donnée aux produits frais, voire aux produits bios, exige des achats plus fréquents et moins groupés. Les distributeurs comme Carrefour, Auchan ou Casino, ont décidé de réinvestir les centres villes. Il en est de même avec les enseignes franchisés. Aujourd’hui, une marque doit être présente en ligne, en centre-ville des agglomérations et dans les centres commerciaux. Les indépendants, surtout dans l’habillement, l’électroménager, les petits ustensiles, l’équipement ménager, souffrent fortement de cette réorganisation. Leur disparition entraîne la fermeture de nombreux pas de porte. Les banques qui durant plus de 30 ans ont étoffé leur réseau d’agences pourraient également contribuer à la fragilisation des centres villes.

Par ailleurs, le développement de friches commerciales est un risque avéré. Les centres commerciaux en banlieue, du moins pour ceux qui ne bénéficient pas d’une implantation de premier choix et qui n’ont pas su se réinventer, enregistrent des baisses de rentabilité.  En deux ans, la vacance commerciale, c’est à dire la part moyenne de locaux vides sur leur nombre total, a augmenté de 50 % dans les centres commerciaux français, selon une étude réalisée par Procos (la Fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé). Ce taux est passé de 4,3 à 7,6 % entre 2001 et 2014. Les centres les plus anciens résistent mieux avec un taux de 5 % de vacance, tandis que celui des sites construits dans les années 2000 atteint 10 %.

Pour résister, les centres commerciaux doivent donc se lancer dans d’importants travaux afin de monter en gamme et de proposer de nouveaux services. Comme dans le passé, il s’agit de réinventer l’acte de consommation et de s’adapter aux demandes clients. Ces derniers souhaitent plus de service. Sur le modèle américain des « malls », les centres deviennent des showrooms offrant une gamme large de services. Ainsi, le centre d’Aulnay-sous-Bois, construit en 1974, a été doté d’un complexe cinématographique UGC de 14 salles et d’un pôle de 10 restaurants. Le centre offre le wifi gratuit et un système de guidage à la place dans le parking. Aux États-Unis, les parcs de loisirs s’imbriquent de plus en plus aux espaces marchands.

Les Français changent leurs rapports avec leurs lieux de vente. Dans les années 60 ou 70, se rendre dans son centre commercial, le week-end, était un rite. Certains étaient Carrefour comme ils pouvaient être Renault en automobile quand d’autres étaient Auchan et Peugeot. Ces fidélités s’estompent. Il n’y a plus de magie à aller dans les hypermarchés qui se ressemblent tous.

Aujourd’hui, pour donner le goût aux ménages de consommer, les responsables du marketing usent de nouvelles armes. Ils jouent sur l’élitisme avec les ventes privées et les magasins éphémères. La consommation de masse est en soi vulgaire. Il est nécessaire de donner l’illusion que l’acte d’acheter est unique. Il faut créer de l’envie et du manque. C’est à ces motivations que répondent les boutiques éphémères qui sont des points de vente dont la durée d’existence est stratégiquement programmée dès son ouverture. Les grandes marques comme Microsoft, Nespresso ou Chanel ont développé ce type de distribution. Ce concept a été lancé dans les années 90 par le fondateur de Swatch, Nicolas Hayek.

État des lieux des points de vente en France

En intégrant tous les types de commerces, au début de l’année 2015, la France comptait 340 000 points de vente. Parmi eux, 295 000 ont été actifs toute l’année précédente et appartiennent à une entreprise du commerce de détail. La grande distribution alimentaire réalise 41 % du chiffre d’affaires total. À cela, il faut ajouter 200 000 sites Internet marchands ainsi que les places de marché comme « Le Bon Coin ». Le commerce sur Internet devrait générer, en 2016, un chiffre d’affaires de 80 milliards d’euros. Il progresse de 10 % par an et représente 8 % du commerce de détail.

En prenant en compte toutes les activités liées au commerce (commerce automobile, sous-traitants, distributeurs), le secteur du commerce rassemblait, en 2015, plus de 800 000 entreprises qui ont réalisé un chiffre d’affaires de 1 393 milliards d’euros. Elles employaient plus de 2,6 millions de salariés en équivalent temps plein (ETP). Le taux de marge commerciale est de 23 % pour l’ensemble du commerce ; il varie de 14 % dans le commerce automobile à 29 % dans le commerce de détail.

Les points de vente physique

En moyenne, en 2014, les points de vente physiques réalisent un chiffre d’affaires de 1,1 million d’euros, emploient cinq personnes et occupent une superficie de 250 m². Chaque mètre carré de surface de vente en génère 4 700 euros de chiffres d’affaires.

De 2009 à 2014, la surface de vente totale du commerce de détail a progressé de 9 % et le chiffre d’affaires en valeur s’est accru de 13 %. Mais, en prenant en compte l’inflation, le volume d’activité par mètre carré est en baisse.

Des écarts significatifs au sein du monde du commerce de détail

Pour 10 % des magasins, le chiffre d’affaires est inférieur à 60 000 euros quand, pour le dernier décile, il est supérieur à 1,9 million d’euros, soit 30 fois plus. Le dixième des points de vente réalisant les chiffres d’affaires les plus élevés dégage 69 % des recettes du commerce de détail en magasin. Le dixième de magasins les plus grands en surface représentent 66 % de la surface de vente totale. Le commerce de détail est de plus en plus contrôlé par les grandes surfaces et par les réseaux de magasins.

L’alimentaire n’a pas dit son dernier mot

Le chiffre d’affaires et l’emploi progressent le plus rapidement pour l’alimentaire spécialisé et l’artisanat commercial. Au sein de ces secteurs, la situation est néanmoins variée. Ainsi, les commerces de confiseries, les cavistes et les « autres commerces alimentaires spécialisés » (notamment les épiceries fines et bios) sont très dynamiques : chiffre d’affaires et emploi s’accroissent de plus d’un quart en cinq ans. Les pâtisseries, les boulangeries haut de gamme et les chocolatiers sont en forte croissance. La vente de primeurs est aussi en croissance sous réserve d’avoir une spécialisation dans le bio. En revanche, pour les poissonneries et les boucheries-charcuteries, le chiffre d’affaires augmente moins vite que dans l’ensemble du commerce de détail en magasin, leur nombre diminue tandis que l’emploi y stagne.

Le chiffre d’affaires des pharmacies croît moins rapidement que celui de l’ensemble du commerce de détail en magasin en raison de la baisse du prix des médicaments remboursables.

Dans les commerces de loisirs, culture et technologies de l’information et de la communication (TIC), le chiffre d’affaires et le nombre de personnes occupées progressent moins vite que pour l’ensemble du commerce de détail en magasin. La concurrence d’Internet est de plus en plus marquée pour ce secteur d’activité. Pour les commerces d’articles de sport ou de jouets, ils croissent à un rythme voisin de celui de l’ensemble. Les magasins de sport qui avaient une forte croissance sont également concurrencés par les sites Internet. Le développement des grandes surfaces spécialisées a également modifié la structure du marché.

Les commerces en relation avec l’équipement de la maison réduisent leurs effectifs en raison d’une concentration de l’activité autour de quelques enseignes (Ikea par exemple). Leur chiffre d’affaires stagne, voire diminue, à l’exception des grandes surfaces de bricolage qui connaissent toujours un essor important.

 Le poids des grandes surfaces et des réseaux

 Les entreprises (groupe ou entreprise indépendante) composées d’un seul magasin sont largement majoritaires en nombre de points de vente (75 %), mais pèsent nettement moins en surface (44 %), en chiffre d’affaires (46 %) et emploi (48 %). Les 11 % de magasins appartenant à une entreprise de deux à neuf points de vente génèrent 14 % du chiffre d’affaires, regroupent 13 % de la surface de vente et comptent 14 % des personnes occupées. Enfin, si seulement 14 % des magasins appartiennent à une entreprise de plus de dix points de vente, leur poids est nettement plus important, tant pour le chiffre d’affaires (40 %) et la surface de vente (43 %) que pour le nombre d’actifs (38 %)

 L’Europe des régions, le miroir aux alouettes

L’Écosse, la Catalogne mais aussi la Lombardie, la Vénétie, la Flandre, le Pays Basque, la Corse, la liste est longue des régions dont les responsables sont tentés de faire acte d’indépendance. Après la Catalogne, le 22 octobre prochain, un référendum aura lieu en Lombardie et en Vénétie afin d’obtenir certes non pas l’indépendance mais une autonomie poussée au sein de l’Italie. Ces deux régions du Nord de l’Italie ne veulent plus payer pour financer Rome, la Calabre, le Mezzogiorno, la Sicile ou la Sardaigne. Le régionalisme est un nationalisme qui couvre souvent une montée de l’individualisme et un refus du mutualisme.

Par conviction ou par manœuvre, les dirigeants indépendantistes mettent en avant la constitution d’une Europe des régions en lieu et place de l’Europe des nations. Afin de rassurer leurs éventuels électeurs et les responsables économiques, ils prônent un attachement à l’Union européenne et à l’instauration d’une relation directe entre Bruxelles et les régions. Cette appartenance à l’Europe offrirait la possibilité d’être membre de la zone euro. Ainsi, les relations commerciales et financières resteraient soumises aux mêmes règles qu’auparavant.

La Commission de Bruxelles ne peut que s’opposer à l’idée de l’adhésion automatique de nouveaux États provenant de la scission des actuels membres de l’Union européenne. En effet, l’acceptation de ces éventuels États risquerait de générer un effet domino qui remettrait en cause l’équilibre actuel.

Dans l’hypothèse  où une région d’un État membre serait reconnue comme un État indépendant, les responsables européens seraient confrontés à un dilemme surtout si cette région est économiquement riche comme la Catalogne. Il est vraisemblable que l’intégration prendrait un peu de temps. Certes, elle pourrait à terme faciliter les relations entre l’ancien État d’appartenance. Dans un premier temps, la sortie de l’euro serait une source de complication évidente pour un État nouvellement indépendant avec des risques élevés de fuite de capitaux. Certes, avec l’introduction d’une nouvelle monnaie qui serait dépréciée par rapport à l’euro, la région indépendante pourrait améliorer sa compétitivité sous réserve de pouvoir en jouer ce qui suppose un accord commercial. Toute région accédant à l’indépendance devrait gérer un Brexit mais de manière plus violente et sans, en outre, avoir la même masse critique que le Royaume-Uni.

Sur un point de vue institutionnel, l’Europe des régions serait une source évidente de complications. À 28, l’Europe éprouve les pires difficultés à adopter des mesures. Si demain, il y avait 40 États voire 200 régions représentés, la paralysie des instances serait permanente.

Avec la désintégration des États nations, comment les transferts sociaux s’organiseraient-ils ? Comment l’Europe déjà accusée d’être trop intrusive pourrait-elle suppléer les vieux États ?

Les souhaits d’indépendance de certaines régions reposent sur l’idée que ces dernières consacrent une part jugée trop importante de leur richesse à financer les dépenses publiques des régions pauvres. Les tenants de l’indépendance en Catalogne, en Flandre, en Lombardie, en Vénétie, voire en Bavière, mettent en avant cet argument. De ce fait, au sein d’une Europe des régions, les politiques d’aides en faveur des régions les plus pauvres seraient remises en cause. Il en résulterait une augmentation des inégalités entre les territoires. Aujourd’hui, ce sont les États qui concourent à la réduction des écarts de revenus à travers les prestations sociales, les concours aux collectivités locales, le financement d’infrastructures ou les subventions à certaines activités économiques. La question de la protection sociale est centrale en matière d’accession à l’indépendance. Si les régions riches pourraient y gagner, il en serait tout autre pour des régions pauvres ou connaissant des déséquilibres démographiques importants. Supposons une région ayant un nombre de plus de 60 ans élevé, elle serait alors confrontée au paiement des dépenses de retraite et à une progression rapide des dépenses d’assurance-maladie. Elle ne pourrait pas compter sur la solidarité de régions plus jeunes. Il est peu probable qu’en matière de sécurité sociale un consensus se dégage pour venir en aide aux régions les plus âgées. De toute façon, avant de pouvoir adhérer à l’Union, un long sas de transition serait institué. Évidemment, certains pourraient rêver d’une ligue des régions indépendantes mais il n’est pas assuré qu’une fois la souveraineté restaurée, les intérêts des unes et des autres seraient convergents. L’indépendance est un romantisme mais son modèle économique reste à inventer.

 

Quand les pierres entrent dans l’arène

Plus de 54 ans après leur premier concert à Paris, les 19, 22 et 25 octobre prochains, les Rolling Stones inaugureront un nouveau complexe, tout à la fois stade de Rugby et salle de spectacles, la U Arena de Nanterre. Ce nouvel équipement situé à quelques encablures de la Grande Arche de la Défense, a coûté plus de 350 millions d’euros. Sa capacité d’accueil est de 40 000 places, ce qui en fait la plus grande salle couverte d’Europe.

En obtenant la venue du plus vieux groupe de rock en activité, le propriétaire de la salle, le fonds Ovalto qui est la holding familial de Jacky Lorenzetti – également propriétaire du club de Rugby, le Racing 92 – réalise une très belle opération marketing. En effet, le nouveau stade ne pourra être rentabilisé que par l’accueil de spectacles. Les matchs de rugby, une vingtaine par an, ne peuvent pas offrir les recettes suffisantes pour équilibrer les charges d’un tel équipement et dégager des bénéfices. Mick Jagger et ses conseillers étant réputés pour leur exigence en matière d’équipements techniques, la venue des Stones constitue un label de reconnaissance. D’autres artistes de premier plan ont décidé de leur succéder à l’U Arena dont Roger Waters, l’ex leader des Pink Floyd. La nouvelle salle de Nanterre concurrence désormais deux équipements parisiens, le Stade de France qui est pénalisé par une mauvaise acoustique ainsi que  par des moyens de transport jugés insuffisants et Bercy dont la capacité est faible pour certains artistes de renom.

Les Stones ou le storytelling permanent au service de la musique et du business

Avec des membres dont l’âge moyen est supérieur à 70, Les Stones ans constituent un modèle économique. Ils ont participé à la révolution musicale amorcée dans les années 60 mais aussi contribué à la révolution économique du monde des spectacles. Mick Jagger et ses acolytes ont compris très rapidement l’intérêt de la mondialisation et la force des images. Au fil de leur carrière, ils n’ont eu de cesse de conquérir, de manière assez méthodique, de nouveaux territoires. Ils ont été parmi les premiers groupes de musiques internationaux à se produire en Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin. Avec le développement d’une classe moyenne dans les pays émergents, ils ont rapidement considéré qu’il y avait un public susceptible de se rendre à des concerts. La Chine, le Moyen-Orient, l’Amérique latine, l’Afrique du Sud et dernièrement Cuba ont reçu la visite des Stones. Si au sein des pays avancés, les membres du groupe jouent sur la fibre de la nostalgie et sur la volonté des baby-boomers de vouloir rester éternellement adolescents, pour les autres zones géographiques, leur musique symbolise toujours un peu la liberté et l’accession au mode de vie occidental.

Est-ce les quelques mois passés par Mick Jagger à la London Economics School ou sa capacité à s’entourer de conseillers financiers de qualité, il n’en demeure pas moins que celui-ci a réussi, à partir des années 70, à construire un empire qui repose évidemment sur leur succès musical mais aussi sur un savoir-faire commercial indéniable. Certes, comme les Beatles, les Stones ont été floués par leurs premiers producteurs qui avaient tendance à ne pas redistribuer les recettes mais, à la différence d’autres chanteurs et groupes de musique, les Stones ont réussi à imposer, dès le début des années 70, leurs règles aux compagnies de disque. En 1971, contraints de fuir le Royaume-Uni pour raisons fiscales (leur producteur avait encaissé les recettes mais n’avait pas payé les impôts) et de s’expatrier en France, considérée, alors, comme un havre fiscal, ils mettent en place une organisation indépendante des compagnies. Ils fondent leur label, « Promotone » et deviennent maîtres de leur catalogue musical (du moins pour les titres enregistrés après 1970). Ce sont les majors de la musique qui doivent leur proposer des contrats afin de pouvoir diffuser leurs disques. Tous les cinq ans à dix ans, un appel d’offre auprès des majors est organisé. Compte tenu de la renommée des Stones, les maisons de disque se battent pour les obtenir. Aussi étrange que cela puisse paraître, les Stones ne sont pas des gros vendeurs de disques. Ils arrivent loin derrière Mickael Jackson, les Beatles, les Pink Floyd ou AC/DC mais leur longévité supplée aisément cette situation. Ils continuent de réaliser des nouveaux albums et à se produire en concert, ce qui relance régulièrement les ventes et cela aux quatre coins de la planète. En règle générale, les Stones signent avec la major en pointe au moment de la discussion des contrats. Ils ont ainsi écumés, Atlantic, EMI, CBS, Sony, Virgin. Ils sont actuellement distribués par Universal qui est la première compagnie mondiale de disques.

Les Stones sont avant tout un groupe de scène. Or, de leur premier concert en 1962 à Londres, au Marquee, à l’actuelle tournée « No Filter », l’organisation et le modèle économique ont profondément évolué. Pendant plusieurs décennies, les concerts servaient à assurer la promotion des albums. Avec l’avènement du numérique, la donne change. Les disques se vendent moins. En revanche, avec la progression du niveau de vie et le vieillissement de la population, le nombre de personnes susceptibles d’aller à un concert à travers le monde augmente.

Sur le plan de l’organisation technique, du fait de leur position de leader et de la volonté de Mick Jagger de pouvoir s’adresser à un nombre de plus en plus élevé de fans, les Stones ont été à la pointe de la technique. Dès les années 70, ils utilisent des amplificateurs à forte puissance et des blocs d’enceintes multidirectionnels. Si auparavant, les groupes utilisaient les équipements disponibles sur place, les organisateurs de concert transportent leur propre matériel par avion et par camion. Par ailleurs, les shows s’éloignent du simple concert de musique pour intégrer une scénographie. Mick Jagger afin de capter l’attention du public recourt dès les années 70 au micro sans fil ce qui lui permet de se mouvoir en toute liberté sur scène. L’utilisation de grands écrans permet de relayer auprès du public les images de la scène.

À partir de1989, les Stones décident de changer le modèle financier des concerts. Conseillés par le Prince Rupert Ludwig Ferdinand zu Loewenstein (qui était leur financier depuis 1966) et par Michael Cohl, un ancien promoteur de salle de concert, ils imposent leur tarif aux tenanciers de salles et à tous les intermédiaires. Jusqu’alors, les ventes de billets étaient réalisées par chaque salle qui rémunérait ensuite les artistes. Depuis la tournée « Steel Wheels » en 1989, les ventes de billets sont centralisées. L’organisateur s’engage à verser dès le départ un certain montant fixe aux Stones à charge pour lui de rentabiliser l’opération. Le recours au sponsoring se multiplie. Les bières Budweiser, Volkswagen et bien d’autres participent au financement. Les Stones touchent par ailleurs des royalties sur toutes les ventes de produits dérivés. Ce système contribue à internationaliser l’organisation des concerts. Live Nation organise ainsi 25 500 concerts par an à travers le monde et a sous contrats 3 300 artistes. Parmi les autres acteurs de la scène, il faut citer AEG qui dispose du plus grand nombre de salles en monde et possède 30 % de l’AccorHotels Arena. En France, parmi les acteurs importants figurent le groupe Lagardère qui est propriétaire du Bataclan, Ladreit de Lacharrière qui a obtenu récemment la concession de la Salle Pleyel, et Bolloré dirigeant via Universal de l’Olympia.

Les Stones sont donc une multinationale avec un logo internationalement connu. Il a été dessiné, en 1970 par John Pasche, encore étudiant au Royal College of Art de Londres. À l’époque, ce logo inspiré des lèvres de Mick Jagger symbolisait l’anticonformisme et la révolte voire le mauvais goût. Il est devenu au fil des décennies le logo le plus célèbre du rock. La force en termes de marketing des Stones est leur capacité à créer des évènements, à créer une histoire. Ils ont fait du storytelling avant même que ce terme n’existe. Dès le départ, le positionnement marketing a été étudié. D’origine bourgeoise, les Stones, s’affichent, dès 1962, comme des mauvais garçons afin de se différencier des Beatles. La mise en scène de la compétition des deux groupes a été organisée afin évidemment de développer des communautés de fans qui sont autant d’acheteurs potentiels. Mais à la différence des autres groupes alors en vogue, les Stones fraient très rapidement avec l’intelligentsia politique et culturelle. Mick Jagger a toujours entretenu des relations avec les responsables politiques de droite ou de gauche. Il a même été tenté de poursuivre une carrière politique au début des années 70. De grands photographes comme Dominique Tarlé ou Annie Leibovitz, des artistes comme Andy Warhol ou des écrivains tel Truman Capote ainsi que des cinéastes comme Jean-Luc Godard et Martin Scorcese ont été amenés à travailler avec les Stones ou à les suivre.

Les déplacements des Stones sont toujours scénarisés. Dans les années 70, les extravagances des membres du groupe et des roadies sont plus ou moins mises en scène. La tournée de 1972, dénommée « Stones Touring Party » jugée la plus excessive, permit de replacer les Stones au cœur de l’actualité. Au sein du groupe, une répartition des rôles s’institue, Mick Jagger devient tout à la fois un mondain et un redoutable homme d’affaires quand le guitariste Keith Richards entend demeurer le représentant de l’esprit rock. Mick Jagger dandy, ouvert aux modes, a joué sur une certaine forme d’ambivalence sexuelle avant de se muer en « ’adulescent ». Aujourd’hui, il symbolise le sénior résistant au temps, pratiquant du sport et suivant les conseils d’un diététicien pour rester svelte et en pleine forme. Les querelles entre les deux hommes sont savamment distillées à la presse mais n’aboutissent pas à la scission définitive du groupe. Ce qui les unit, le goût du blues, du spectacle, l’ivresse de la foule, le goût pour la belle vie, est bien plus fort que leurs divergences plus ou moins réelles.

En 2017, les Stones est une entreprise employant plus de 400 personnes. En permanence, des juristes chassent les utilisations frauduleuses des titres, des images, du logo. Avec l’appui d’Universal, la firme gère les produits dérivés et propose avant les fêtes de Noël son lot de nouveautés. Pour réduire les charges fiscales, les Stones avant même Amazon, Google et autres GAFA, ont créé une structure aux Pays-Bas. Leur comptable Johannes Favie a été récemment entendu par la chambre des députés néerlandaise afin de justifier le paiement d’un montant réduit d’impôt. Le recours au système de sociétés holding a été vendu par les Stones à d’autres groupes comme U2 ou AC/DC. Le montant des recettes totales du groupe demeure inconnu. Seuls les résultats des concerts sont communiqués. Ils peuvent rapporter plus de 300 millions de dollars, les Stones figurant parmi ceux qui obtiennent les montants les plus élevés.

Capables d’attirer trois générations à leurs concerts, les rares groupes des sixties encore en activité ont révolutionné le monde musical. Après plus de 50 ans de scène, une époque s’achève d’autant plus que peu de groupes peuvent aspirer à remplacer les mastodontes des années 60 ou du début des années 70. L’économie de la musique telle qu’elle s’est forgée depuis 70 ans, est en voie d’être remise en cause. Le développement des chaines « YouTube », la segmentation de plus en plus poussée du marché, la disparation du rôle fédérateur pour la jeunesse de la musique traduisent le passage d’un modèle à un autre.