16 novembre 2019

Le Coin des tendances du 16 novembre 2019

Faut-il mettre des cotisations sociales sur les robots ?

Les robots occupent une place de plus en plus importante dans le processus de production. Avec l’intelligence artificielle, ils peuvent désormais accomplir des tâches de plus en plus sophistiquées et remplacés un nombre croissant de travailleurs. La question de leur assujettissement aux cotisations sociales revient régulièrement au cœur du débat. En 2017, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon s’étaient prononcés en faveur d’une telle taxation.

Un nombre croissant de robots industriels

Selon la Fédération Internationale de Robotique (FIR), le nombre de robots industriels vendus dans le monde a été multiplié par 5 entre 2001 et 2017, et serait multiplié par 1,4 entre 2018 et 2022.

La Chine représente le plus grand marché en termes de ventes annuelles de robots industriels devant le Japon et les États-Unis. La densité de robots industriels installés est la plus forte à Singapour pour 10 000 salariés. Suivent la Corée avec un ratio de 774 et l’Allemagne avec un ratio de 338. La France se situe au dix-septième rang au sein de l’OCDE.

Les fondements de la taxe sur les robots

L’essor des robots aboutit à une réduction du nombre d’emplois au sein du secteur industriel. Il en résulte une diminution de l’assiette des cotisations sociales. Cette attrition n’est pas compensée par l’augmentation à due concurrence de l’assiette des cotisations du secteur tertiaire qui crée des emplois. Ces derniers donnent lieu, en effet, à des rémunérations inférieures à celles pratiquées par le secteur secondaire. L’autre objectif de la taxation des robots est, pour ces partisans, d’égaliser le coût d’usage des robots sur le coût de la main d’œuvre. La mesure est alors d’ordre protectionniste.

La taxation des robots pose le problème du rôle du progrès technique et de la libre concurrence. L’introduction de machines dans le processus productif a toujours donné lieu à des réactions plus ou moins violentes. Ce fut le cas avec les machines à tisser au XIXe siècle.

L’idée d’une taxe sur les robots peut être séduisante mais il convient de ne jamais oublier le principe suivant : ce n’est pas parce qu’une taxe sera appliquée sur les robots que ces derniers la paieront, déclinaison de la formule d’Alain Madelin, « ce n’est pas parce que l’on met une taxe sur une vache que celle-ci la paie ». Elle sera supportée soit par les salariés, soit par les actionnaires, soit par les clients.

Les différents modes de taxation des robots

Assimiler le robot à un travailleur

Certains économistes proposent de doter les robots d’une personnalité juridique. La taxation des robots pourrait prendre alors la forme d’une taxation des « salaires fictifs » qu’ils perçoivent, c’est-à-dire l’équivalent salarial que percevrait un humain accomplissant la même tâche. Cette notion de « salaire fictif » renvoie à celle du « loyer fictif » qui avait cours en France jusqu’en 1965. Le propriétaire-employeur de robots serait taxé. Pour éviter une double imposition, le salaire fictif devrait être déductible des charges. En contrepartie, la dépréciation du robot (sous forme d’amortissement comptable du capital) ne doit pas être déductible du profit (pour éviter une double déduction). Le salaire fictif pourrait dans ces conditions donner lieu au paiement de cotisations sociales.

La TVA sur le travail des robots

Une autre solution voie serait d’appliquer la TVA au travail du robot qui serait alors considéré comme un entrepreneur indépendant au service de l’entreprise. Les robots pourraient donner lieu à une simple taxation sur la valeur du capital.

Les robots, la portée de la menace pour l’emploi

L’assujettissement des robots à des prélèvements se justifient donc pour certains afin de protéger l’emploi des travailleurs les plus exposés au risque de substitution, pour d’autres il s’agit de trouver de nouvelles ressources pour la protection sociale. Selon des données statistiques américaines, un robot supplémentaire pour 1 000 travailleurs réduit le taux d’emploi de l’ordre de 0,18 à 0,34 point de pourcentage et les salaires de l’ordre de 0,25 à 0,50 point. Les effets économiques sont plus importants pour les pays émergents et les pays en voie de développement où la proportion d’emplois peu sophistiqués est importante.

Une étude de l’OCDE estime qu’environ 14 % des emplois des pays avancés (16 % des emplois en France) sont exposés à un risque élevé d’automatisation. Une proportion importante des emplois existants risque de changer de manière significative dans leur modalité d’exercice en raison de l’automatisation. Cette proportion est évaluée à 32 % en moyenne dans l’OCDE (33 % en France).

Les pays ayant le plus fort taux de robots par nombre de salariés sont bien souvent ceux qui ont les meilleurs taux d’emploi. C’est le cas au Japon, en Allemagne ou en Corée du Sud. A contrario, la France dispose peu de robots tout en ayant un fort taux de chômage.

Les entreprises qui emploient des robots paient des impôts

Les entreprises qui robotisent leur processus de production le font pour maintenir ou améliorer leur compétitivité. Elles cherchent des gains d’efficacité leur permettant d’accroître leur part de marché. La conséquence est un accroissement l’assiette de bénéfices imposables. Les gains de productivité peuvent être distribués aux actionnaires, aux salariés et aux clients.

Le problème pour les finances publiques est évidemment la possibilité de taxer les bénéfices à un niveau compensant le manque à gagner sur les cotisations sociales. Ces dernières années, la concurrence fiscale entre les États a abouti à une diminution du poids de l’impôt sur les sociétés.

La taxation des robots pose la question de la mobilité du capital. Une taxation trop lourde entraînerait des délocalisations qui seraient préjudiciables au financement de la protection sociale.

La taxation des robots en lieu et place des travailleurs apparaît en l’état très difficile à mettre en œuvre. Elle pourrait s’avérer contreproductive. En revanche, elle pose le problème du financement de la protection sociale. Le changement des modes de production, l’essor des micro-entreprises, la stagnation de la population active nécessitent une adaptation des prélèvements sociaux.

Gilets jaunes, un an après, le sentiment de défiance persiste

Le samedi 17 novembre 2018, après plusieurs semaines de mobilisation  et d’annonces sur les réseaux sociaux, les « gilets jaunes » bloquent les ronds-points et le périphérique parisien. L’après-midi, plusieurs dizaines de manifestants défilent sur l’avenue des Champs-Élysées, au niveau de la place Charles-de-Gaulle, puis se dirigent vers le palais de l’Élysée, avant de se retrouver bloqués sur la place de la Concorde. Pour le premier samedi des « gilets jaunes », 287 710 manifestants ont été recensés dans toute la France et 3 000 sites ont été occupés. La date du samedi 1er décembre reste emblématique avec la prise d’assaut et le saccage de l’arc de Triomphe. Depuis mai 1968, la France n’avait pas connu de mouvements de rue d’une telle ampleur.

L’opinion publique a soutenu le mouvement des « gilets jaunes » jusqu’à la fin de l’année 2018. Les dégradations infligées à l’Arc de Triomphe n’avaient fait baisser que faiblement le soutien populaire. La répétition des actes violents et les mesures annoncées en fin et début d’année par le Chef de l’Etat ainsi que le Grand Débat ont provoqué une décrue. À la différence des émeutes de 2005 qui étaient cantonnées à certaines villes de banlieue, la crise des « gilets jaunes » concernait l’ensemble du pays. Elle a révélé les lignes de fractures entre le cœur des agglomérations et leur périphérie, entre le milieu rural ou rurbain et les centres-villes, et, enfin, entre les différentes catégories sociales. Les deux facteurs déclencheurs de cette crise ont été la limitation de vitesse à 80 kilomètres heure et l’augmentation de la taxation des carburants. L’augmentation du coût du logement et la précarité accrue de l’emploi ont contribué à accroître le niveau d’insatisfaction. La crise est intervenue après une longue période de stagnation du pouvoir d’achat. De 2008 à 2018, celui-ci a même baissé pour les 20 % les plus modestes.

Une partie de la population se sent abandonnée et est sans illusion sur son avenir. Elle ne se sent plus embarquée dans l’Histoire du pays. Pire, elle considère que cette Histoire n’est plus la sienne. Le rejet des élites et des corps intermédiaires a été un catalyseur pour la mobilisation des « gilets jaunes ». Saccager Paris, Bordeaux, Nantes, etc. était un acte de provocation tant vis-à-vis des autorités que vis-à-vis des « bobos » qui occupent les centres-villes.

La société d’information et de communication a facilité la mise en place du mouvement. Elle est aussi un vecteur de colère. Il n’y a plus de filtre, d’intermédiaires pour accéder à l’information vraie ou fausse. Les réseaux sociaux sont des amplificateurs et des déformateurs d’informations. Cette absence de filtres vaut pour les « gilets jaunes » mais aussi pour les autorités et les élus qui commentent en direct tous les évènements. La crise des « gilets jaunes » a pris la forme d’une émission de téléréalité.

Un an après, la crise s’est estompée. Les « gilets jaunes » peinent à réunir quelques milliers de manifestants. En revanche, elle a marqué et marque encore la vie politique de manière prégnante. Les difficultés que rencontrent le gouvernement pour mener à bien sa réforme des retraites n’est pas sans lien. La France demeure « un archipel éclaté ». L’état d’esprit des Français face à la situation économique et sociale actuelle de la France le prouve comme le révèle un sondage de l’IFOP publié au mois de novembre 2019, qui montre que l’opinion est partagée entre la révolte (37 %) et la résignation (34 %). Ces proportions sont stables depuis juin 2019. Seuls 16 % des sondés s’estiment confiants et 3 % enthousiastes, tandis qu’un Français sur dix se dit indifférent. Par proximité politique, les sympathisants Rassemblement National et France Insoumise sont majoritairement révoltés (respectivement 57 % et 55 %), à l’inverse de ceux de La République En Marche, majoritairement confiants (52 %). Les facteurs de colère pour les Français sont la crise à l’hôpital et à l’école (90 %), l’incapacité de vivre décemment (86 %) et la précarité 85 %). Les Français jugent légitime de signer des pétitions (86 %), de participer à des manifestations dans la rue (81 %) et de faire grève (74 %). Le recours aux messages sur les réseaux sociaux pour dénoncer les agissements du pouvoir sont légitimes pour 54 % des Français. Les sondés sont, en revanche, hostiles au blocage des services publics (seulement 32 % y sont favorables). La violence comme moyen d’expression politique et sociale reçoit l’assentiment de seulement 11 % des sondés. Ce dernier taux est plus élevé parmi les sympathisants d’extrême droite et d’extrême gauche. Les enquêtes sur le niveau de satisfaction personnelle ne traduisent pas ce sentiment de mal-être. L’écart important traduit un rapport au collectif dégradé. Dans un État centralisé, les Français semblent concentrer tout leur mécontentement sur les représentants du pouvoir jugés responsables de tous les problèmes économiques et sociaux. Par rapport aux mouvements sociaux traditionnels, les revendications ne concernaient pas les entreprises. Tout remonte au sommet en France. Les nouvelles technologies de l’information ont accéléré le phénomène. Dans un système très socialisé où les dépenses publiques représentent 56 % du PIB, le plus simple pour des contestataires est de s’en prendre à l’État. Les réponses à la crise des gilets jaunes ont été de nature très étatique. Le Président de la République a décidé de revaloriser certaines prestations et d’exonérer des primes et les heures supplémentaires.

La France est régulièrement agitée par de larges mouvements sociaux ayant des implications d’ordre politique. Ce fut le cas en 1936, en 1947, en 1968 ou en 1995. Les évènements de 2018/2019 sont les premiers de l’ère numérique avec son lot de rumeurs. Le rôle des chaines d’information à la fois vilipendées et incontournables tout comme celui des vidéos amateurs et des sites d’information alternatifs ont joué un rôle important dans la montée en puissance de la crise. Sa particularité a été également de se développer en dehors des corps intermédiaires. Aucune personnalité, aucun groupe n’a réussi durablement, en un an, à s’imposer au sein des gilets jaunes rendant difficile l’engagement de négociations. Les pouvoirs publics ont été amenés à revoir tout à la fois les modalités d’exercice du maintien de l’ordre et de réponses face à une crise multiforme. Le mouvement des gilets jaunes en incitant les pouvoirs publics à la prudence peut provoquer un report ou une édulcoration des réformes. Celle concernant la retraite est évidemment un test majeur. Le mouvement incite les syndicats à surenchérir dans les revendications. Pour éviter d’être contournés, ils sont contraints d’extrêmiser leurs positions. Les lignes de fractures au sein du pays sont plus marquées au sein du pays. Pour retisser les liens, le pouvoir doit pouvoir vendre une histoire, une direction pour le pays. C’est tout le défi des prochains mois.