17 mars 2018

Le Coin des Tendances du 17 mars 2018

L’immobilier digital à portée de truelle

L’immobilier donne lieu à de nombreuses critiques. Il lui est reproché de capter une trop grande partie de l’épargne des ménages au détriment de l’économie réelle. Ce secteur est jugé comme générant peu de gains de productivité et n’étant, de ce fait, une source de croissance. Pour autant, dans bien des pays, ce secteur d’activité figure parmi les plus importants et connaît une forte augmentation de son chiffre d’affaires. Selon les cabinets Global Construction Perspectives et Oxford Economics, la valeur ajoutée de la construction atteindra 15 % de la valeur ajoutée en 2030 contre 12 % en 2015. L’immobilier résidentiel et tertiaire pèse plus de 200 000 milliards de dollars à l’échelle internationale.

En France, l’ensemble des activités immobilières, de la construction à la vente représente près de 18 % de la valeur ajoutée. Ce secteur compte plus de 2,1 millions d’emploi (8,2 % de la population active), soit bien plus que les 1,3 million d’emplois dans le tourisme ou les 800 000 dans l’agro-alimentaire. Les besoins en termes de logement restent importants. Ainsi, en France, 500 000 à 800 000 logements manqueraient dans les zones tendues. Par ailleurs, la propension des Français à devenir propriétaires est forte. Aujourd’hui, 58 % des ménages le sont ou sont en cours d’accession (emprunts à rembourser). En la matière, la France se situe en retrait par rapport à la moyenne de ses principaux partenaires économiques (autour de 70 %).

Avec la montée en puissance des pays émergents, avec la croissance démographique de l’Afrique, les besoins en logements, en bureaux, en centres de logistiques et en infrastructures de transports sont impressionnants pour les prochaines années. Déjà, entre 2011 et 2014, la Chine a produit 6,6 gigatonnes de ciment contre moins de 4,5 gigatonnes pour les États-Unis de 1900 à 2000. Selon l’ONU, plus de 100 000 logements seront construit quotidiennement durant les 15 prochaines années. Le Kenya se doit de construire 200 000 à 300 000 logements contre 50 000 actuellement. Selon CFAO Retail, plus d’une centaine de centres commerciaux seront construits en Afrique d’ici 2030. Certes, cette croissance n’est pas sans connaître quelques problèmes. Ainsi, en Chine, à Ordos, ville de plus d’un million d’habitants, un quartier destiné à 300 000 personnes est vide depuis plusieurs années. À Shanghai, de nombreux centres commerciaux tournent au ralenti faute de consommateurs. À Dubaï, de nombreuses tours et immeubles peinent à trouver leurs propriétaires ou leurs locataires.

Si aujourd’hui, le secteur de la pierre a mauvaise presse, ce ne fut pas toujours le cas. Il a été longtemps été un secteur de pointe et il le reste par certains aspects et dans certains domaines. Les entrepreneurs et chercheurs français ont toujours un rôle important. Ainsi, en 1818, un polytechnicien, dénommé Louis Vicat, a inventé le premier ciment artificiel. En 1845, Pierre Joseph Fontaine invente l’ascenseur moderne. Cette innovation dont les fondements dataient d’Archimède (236 ans avant Jésus Christ) fut industrialisée par Elisho Otis. En 1848, à Grenoble est construit le premier pont en béton du monde. Joseph Monier et François Hennebique développent le béton armé permettant de construire des édifices de grande taille. Gustave Eiffel révolutionne le secteur du bâtiment et des travaux publics en ayant recours à des structures métalliques préfabriquées. De sa première réalisation, la passerelle Eiffel à Bordeaux réalisée en 1858 en collaboration avec Paul Régnauld à la Tour Eiffel (1887/1889), en passant par l’édification de nombreux ponts et viaducs, la construction des canaux de Suez et de Panama, Gustave Eiffel et sa société ont marqué la construction en France à la fin du XIXe et au début XXe. Durant l’entre-deux guerres, Eugène Freyssinet dépose le brevet du béton précontraint indispensable pour les bâtiments de grande hauteur.

De tout temps, le secteur immobilier, au sens large du terme, a été contraint de mobiliser des capitaux importants. Sans financement ou plan de financement préalable, il ne peut y avoir de constructions. Les travaux du baron Hausmann n’ont été possibles qu’avec l’appui des banquiers Emile et Isaac Pereire. Ces derniers ont également joué un rôle majeur dans le développement d’Arcachon. Il en est de même pour Deauville. Les aménagements de la station balnéaire avec son hippodrome doivent beaucoup au financier Desle-François Breney. En France, après la Seconde Guerre mondiale, les pouvoirs publics ont pris la succession des banquiers et des financiers avec plus ou moins de succès. L’aménagement de la côte languedocienne, le développement des stations de ski, l’aménagement touristique de la Corse mené notamment par l’inventeur de la TVA, Maurice Lauré, et les villes nouvelles des années 60 traduisent l’implication directe de l’État. A ce titre, il faut également, citer le financement du logement social grâce aux ressources du Livret A.

La promotion immobilière est une activité éminemment financière. Dans une opération de construction de logements, les promoteurs peuvent compter sur plusieurs sources de financement, leurs fonds propres, la dette et les apports des acheteurs. Pour multiplier les opérations et donc la construction, les fonds propres doivent être réduits au profit des apports extérieurs. Avec l’augmentation du coût du foncier et de celui des constructions, en raison de normes de plus en plus importantes (en vingt ans, le coût d’un logement a augmenté de plus de 60 %), le secteur est confronté à un problème de fonds propres, ce qui amène à sa concentration. Avec le développement des plateformes de financement, la promotion immobilière espère l’obtention de nouvelles ressources. En effet, en quelques années, l’immobilier est devenu un des premiers acteurs du crowdfunding. Aux États-Unis, le World Trade Center III à New-York a été financé, en partie, en faisant un appel direct à l’épargne des Internautes. Toujours aux États-Unis, plus de 100 plateformes proposent aux particuliers de lever de l’argent pour construire leur maison. La France est le premier marché pour le crowdfunding immobilier avec des sites comme Anaxago, Homunity ou Wiseed. A Lormont, près de Bordeaux, la construction d’un immeuble a été rendu possible grâce à la collecte de plus d’un million d’euros sur une plateforme collaborative, le ticket d’entrée était de 100 euros par personne. En Seine et Marne, un office d’HLM a également eu recours à ce type de financement pour la construction de 51 logements sociaux. En Afrique, le crowdfunding a permis de collecter, ces deux dernières années, plus d’un milliard d’euros par an. Evidemment, pour les épargnants, ce type de placements n’est pas sans risque comme cela a été constaté avec les difficultés récentes d’un groupe hôtelier français. Ce qui vaut pour la construction s’applique également pour la gestion. Avec les plateformes collaboratives, un investisseur (individuel ou pas) peut acheter des parts de logements, de bureaux, de commerces et d’entrepôts et se constituer ainsi sa SCPI sans passer par des intermédiaires.

Les durées de vie des constructions, surtout en Europe, sont longues, au minimum de 40 à 50 ans. Elles tendent à se raccourcir du fait des normes et des contraintes techniques. Les coûts d’amortissement freinent le raccourcissement des durées de vie. En France, la destruction d’immeubles entre difficilement dans les mœurs. Elle se pratique pour des cités en banlieue mais de manière marginale. Ainsi, depuis 2004, l’Agence pour la Rénovation Urbaine (ANRU) a financé la démolition de 150 000 logements quand le parc français dépasse 35 millions. Pourtant, le coût des démolitions-reconstructions est bien souvent plus faible que celui des réhabilitations. Au XIXe siècle, le baron Haussmann a réussi à modifier en profondeur la capitale en abattant de nombreux ilots. Victor Hugo n’hésitait pas alors à publier un article au titre révélateur de l’état d’esprit de l’époque « guerre aux démolisseurs » (Revue des deux mondes – 1852).

Le temps long de l’immobilier est également lié à la durée de possession des biens. Cette dernière s’est réduite jusqu’à la crise de 2008. Elle était ainsi passée de 8,5 ans à 6,5 ans de 1999 à 2008 pour les logements et de 10 à 8 ans pour les maisons. Mais, avec la crise et l’augmentation des prix, cette durée s’est allongée. En moyenne, les Français déménagent entre 4 et 5 fois durant leur vie. En Australie, elle n’est que de 5 ans.

Le problème majeur de l’immobilier provient de la faiblesse des gains de productivité. Le secteur est réputé intégrer avec lenteur les innovations. Cette situation s’explique tant par le coût de ces dernières, par le poids des PME dans le secteur de la construction, par le conservatisme des acteurs et par le poids du stock. Les innovations ne concernent que les nouvelles constructions, leur intégration dans le parc ancien est toujours difficile et onéreuse. Une étude Mc Kinsey estime que, de 1996 à 2016, la productivité horaire aurait baissé de 6 % dans le secteur de la construction, en France, quand elle aurait augmenté de 87 % au sein de l’industrie manufacturière. En Suède, de 1993 à 2003, les gains de productivité du secteur du bâtiment auraient été d’un dixième de ceux mesurés pour l’industrie.

À titre de comparaison, la construction de l’Empire State Building de 381 mètres à New-York qui débuta au mois de janvier 1930 et dura 14 mois nécessita l’emploi de 3 400 ouvriers. Celle de Burj Khalifa, 830 mètres de hauteur ramené à 585 mètres au plafond du dernier étage, à Dubaï commença au mois de septembre 2004. Les travaux s’échelonnèrent durant 60 mois et exigèrent le travail de 7500 ouvriers. Même si cela n’a pas de valeur scientifique, cet exemple souligne la faiblesse des gains de productivité pour la construction de tours de grande hauteur durant ces 75 dernières années.

Les entreprises du secteur de l’immobilier malgré l’importance des investissements en jeu réalisent un faible effort en matière d’innovations. Les dépenses d’investissements informatiques du secteur demeurent faibles, 1 % du chiffre d’affaires contre 3,3 % en moyenne pour l’ensemble de l’économie américaine (études JBKnowledge et Gartner). Le secteur des travaux publics se distingue de celui de la construction. En effet, devant répondre à des équations géographiques complexes, il est contraint de réaliser des ouvrages d’art poussant dans leurs retranchements certaines limites physiques. Le Viaduc de Millau, de plus de 2 400 mètres de long, cumule ainsi plusieurs prouesses. Il est un des plus hauts plus haut du monde du monde, composé d’un tablier mince pouvant résister à des vents dépassant 200 kilomètres heure.

Les normes, en majorant les coûts, expliquent également la stagnation des gains de productivité. Les normes RT 2012 sont accusées d’avoir générer un surcoût de plus de 10 %. Par ailleurs, par manque de formation et par crainte de disparition de certains métiers, la diffusion de nouvelles techniques de construction est lente. L’utilisation du Placoplatre a ainsi été relativement lente en Europe. La faiblesse de la formation se fait ressentir pour le recours de la construction assistée par ordinateur.

Les progrès sont souvent venus, ces dernières années, des sous-traitants et en particulier des fournisseurs de matériaux. Ce secteur est plus concentré que la construction facilitant ainsi l’effort de recherche. De nombreuses avancées sont en cours avec la mise au point de nanomatériaux, de matériaux hybrides associant les qualités du métal ou de la céramique. Des matériaux hydrophobes ou à mémoire de formes sont en développement. De nouveaux matériaux permettant la conduction des ondes sont en voie d’industrialisation en vue de construire des immeubles pouvant mieux résister aux tremblements de terre. De nombreuses recherches sont en cours au niveau du vitrage pour permettre tout à la fois la récupération de la chaleur, la production d’électricité, pour filtrer la lumière et mieux isoler les constructions. Des progrès sont en cours pour rendre le béton et le ciment plus solide, plus léger, plus souple. Le béton pourrait également s’autoréparer en ayant recours tout à la fois à des objets connectés et à des bactéries comblant d’éventuelles fissures ou empêchant certaines oxydations des structures métalliques. Un béton translucide a été inventé dans lequel des fibres optiques ont été intégrées. La profession s’évertue, par ailleurs, à réduire les émissions de CO2 en recourant à de nouveaux matériaux notamment d’origine végétale. La redécouverte du bois s’inscrit dans ce processus. Il faut également citer le lin, le chanvre et la cellulose qui peuvent servir d’éléments de construction. L’entreprise de bâtiment CMEG avec l’appui du laboratoire de recherche l’ESITIC, a créé un béton à partir de fibres de lin, le « Btonlin ». La résistance et l’isolation thermique de ce produit est supérieur au béton classique.

La construction n’échappe pas à la digitalisation même si cette évolution est lente. Sur le modèle de la conception des avions, l’industrie du bâtiment recourt à des systèmes numériques de gestion des chantiers. Le « Building Information Modeling » (BMI) permet avec le recours de maquettes 3D de gérer tous les intervenants afin de mieux coordonner les actions et de limiter les pertes de temps. Selon une étude réalisée par le National Institute of Standards and Technology, les dysfonctionnements liés à un manque de coordination généreraient des surcoûts de 25 à 50 %.

L’industrialisation constitue l’autre moyen pour gagner en productivité. Grâce à la capture d’images en 3D et à des logiciels de conception, il est possible de réaliser des pièces de plus en plus sophistiquées en usine. C’est ainsi que la Cité des Civilisations des Vins à Bordeaux a été en partie conçue. L’industrialisation permet de véritables gains de temps comme en témoignent les réalisations immobilières en Chine. A Shanghai, la Sky Tower de 57 étages a été construite en 19 jours. 90 % de sa structure a été élaborée en usine. L’industrialisation limite la production de déchets. Ces derniers représentent 30 % des matériaux consommés sur un chantier. Avec l’industrialisation, ce ratio est inférieur à 5 %. Au Japon comme aux États-Unis, la préfabrication est d’autant plus nécessaire que le secteur du bâtiment souffre d’un manque de main d’œuvre. Dans cet esprit, les imprimantes 3D et les robots sont amenés à se développer. L’entreprise italienne, WASP, a créé une imprimante 3D, de 12 mètres de haut, capable de produire des maisons à partir de ressources locales comme de l’argile. En Chine, la société de production de fibres, Yingchuang Building, a créé une activité dédiée à la construction additive, Winsun. Cette dernière a, en 2014, imprimé 10 maison de 200 m² en 24 heures avec une seule imprimante 3D. En 2015, un immeuble de 4 étages a été ainsi bâti. En France, la start-up XtreeE avec l’appui de Dassault Systèmes a mis au point au robot capable d’imprimer un bâtiment de 20 m² en déposant 700 couches d’un ciment expérimental. Des robots peuvent également remplacer des ouvriers pour poser des briques ou des parpaings. Les Japonais utilisent ce type de machines pour mener à bien les constructions nécessaires aux Jeux Olympiques de 2020.

Le big data devrait également révolutionner le secteur de l’immobilier. Les données seront utiles pour la construction afin de prendre en compte les risques météorologiques, sismiques et d’inondations. Le retour sur information des logements connectés offrira la possibilité de procéder en temps réel à des ajustements et améliorer la conception des futurs bâtiments. Les compagnies d’ascenseurs suivent en direct l’usure des pièces afin de pouvoir les changer avant leur rupture.

Le big data devrait rendre les ventes beaucoup plus transparentes. L’acquéreur pourra connaître les caractéristiques précises du logement, l’ensoleillement, les problèmes de voisinage, la pollution, etc. Pour les locaux commerciaux, les données sur l’affluence, le passage, le taux de concrétisation des affaires, etc., seront aisément vérifiables. L’utilisation de blockchain qui permet de retracer tous les historiques concernant un local, un logement, sera fort utile.

Les notions de propriété et de location sont également amenées à évoluer. L’habitation comme les bureaux, les commerces, les centres de logistiques intègrent et intégreront de plus en plus de services. Du nettoyage au gardiennage en passant par la fourniture de repas, l’immobilier sera de plus en plus une activité de services. L’informatisation des immeubles avec une nécessaire mise à jour des logiciels favorise cette tertiarisation de ce secteur. Par ailleurs, l’appartement et la maison individuelle vivent peut-être leurs derniers jours. Au sein des immeubles, il est possible que des espaces collectifs fassent leur apparition permettant de se restaurer ou de se rencontrer. La présence de salles de sport, de lieux de loisirs, de salles de projection sont imaginables sous réserve de leur entretien et de leur surveillance. Dans les bureaux, les espaces ouverts de création se développent au détriment des bureaux fermés et des premiers open-space qui correspondaient à une phase de taylorisation des activités tertiaires. Le digital tend à isoler les salariés et les membres des familles. La création d’espaces de rencontres conviviaux s’impose tant au niveau professionnel qu’au niveau privé.

L’immobilier est certainement face à une importante mutation avec un changement de modèle. Si se loger est et demeure une priorité pour tous les humains, la façon de penser, de construire et d’utiliser une habitation peut être révolutionnée par le digital. Les premières habitations humaines datent de 6 000 à 7 000 ans avant Jésus-Christ. Le site de Jéricho en Cisjordanie prouve la construction d’ouvrages visant à protéger les hommes du temps et des animaux. Plus de 9 000 ans plus tard, l’immobilier constitue toujours le cœur de la vie humaine. En effet, à l’exception de l’agriculture et des transports, la quasi-totalité du PIB est issu d’activités réalisées à l’intérieur de bâtiments, des usines, des bureaux, des commerces, des centres logistiques, etc. Lors de ces deux cents dernières années, des progrès importants ont été réalisés dans les domaines du chauffage, de la climatisation, des réseaux mais l’éventail des améliorations potentielles est très important. À la différence d’autres secteurs, la lenteur des progrès ces dernières décennies ouvre la porte à d’importants gains de productivité.

 

Vieillissement « par le haut » de la population active française

Avec le départ des baby-boomers à la retraite qui a débuté à partir de 2005, la population française s’est engagée dans un processus de vieillissement. Ce phénomène s’accentuera dans les prochaines tant du fait de l’accumulation des générations concernées que par le fait que ces dernières sont de plus en plus nombreuses. En effet, le baby-boom a atteint son point haut avec des cohortes de plus de 800 000 bébés au milieu des années 60.

L’arrivée à l’âge de la retraite des générations d’après-guerre a de fortes conséquences sur la structure du marché du travail. Les générations qui partent actuellement à la retraite sont 1,5 fois plus nombreuses que celles sorties du marché du travail à la fin des années 1990. Ce choc démographique est amené à durer jusqu’en 2030. Cette évolution s’accompagne de changements de comportement en matière de consommation. Le baby-boomer qui a été porteur de valeurs hédonistes durant sa vie active est de plus en plus porté à consommer des services liés au bien être (santé, sport, tourisme) et à acheter des biens bios. Il se détourne, de manière relative, des biens industriels.

À partir de 2007-2008, les départs en fin de carrière deviennent quasiment aussi nombreux que les entrées dans la vie active. La hausse de ces départs est accentuée par la progression régulière du travail féminin au cours des dernières décennies. Au total, sur la période 2012-2022, le nombre de départs en fin de carrière devrait atteindre 620 000 par an en moyenne contre un peu plus de 400 000 sur la période 1993-2001.

La réforme des retraites de 2010 reculant de deux ans l’âge de la retraite a eu un effet réel sur le nombre de personnes cessant leur activité professionnelle. De même, la proportion plus importante de diplômés de l’enseignement supérieur et l’allongement des études pèsent sur les effectifs partant à la retraite. En effet, une arrivée plus tardive sur le marché du travail conduit à un recul de l’âge de départ pour atteindre un nombre de trimestres suffisant. L’âge moyen de cessation d’emploi pourrait encore augmenter d’un an entre 2012 et 2022. La moitié de cette évolution étant due à la réforme des retraites de 2010. La réforme de 2010 réduit de 40 000 le nombre de départs par an. Pour certains, l’impact de ce report devrait s’atténuer en raison de l’augmentation des départs à la retraite pour raison de santé. Dans les métiers d’ouvriers industriels, du BTP ou de la manutention, pour lesquels l’âge de départ est presque toujours inférieur à la moyenne générale, les raisons de santé représentent en effet en moyenne près de 20 % des motifs de départ en fin de carrière sur la période 2003-2011. Certes d’autres estiment que l’effet d’horizon entraînera une modification des comportements tant chez les employeurs que chez les salariés. Le recul de l’âge légal peut en effet pousser les entreprises à maintenir plus longtemps les seniors en emploi. Cela passe par une adaptation des conditions de travail pour les seniors et par des actions de formation spécifiques.

Pour plusieurs catégories socio-professionnelles, la réforme de 2010 a peu de conséquences car leurs membres partaient, en moyenne, au-delà de 60 ans. Il s’agit des agriculteurs, des artisans, des commerçants, des professions libérales et des chefs d’entreprise. Les âges de départ en fin de carrière sont très variables d’un métier à l’autre. Le facteur « santé » joue un rôle important dans les départs à la retraite. Ainsi, les ouvriers peu qualifiés partent plus tôt que la moyenne de la population. Bien souvent, ils cessent de travailler avant la liquidation de leurs droits à la retraite. Les départs en fin de carrière liés à la liquidation de la retraite sont en effet minoritaires pour cette catégorie de métiers (40 % des départs contre 67 % en moyenne). Les départs pour raisons de santé s’élèvent à (22 % contre 12 % pour l’ensemble des actifs). 17 % partent, par ailleurs en pré-retraite. Les employés peu qualifiés se singularisent par un âge de départ proche de la moyenne mais avec des départs pour raisons de santé plus fréquents que dans l’ensemble des métiers.

Malgré tout, la population active française devrait poursuivre son accroissement jusqu’en 2022 avant d’être sur un plateau jusqu’en 2030. Elle progresserait à nouveau jusqu’en 2060. D’ici 2022, la population active devrait augmenter de 1,2 million pour atteindre 29,5 millions de personnes. Avec une croissance annuelle moyenne de 120 000 personnes, la population active serait, à l’échelle européenne, assez dynamique dans les dix prochaines années, contrairement à ce qui était attendu dans les précédents exercices de prospective des métiers et qualifications de l’INSEE. Sans l’apport de l’immigration, l’Allemagne aurait dû connaître une forte baisse de sa population active, en raison de la baisse de sa population totale, engagée depuis l’an 2000, et d’une stagnation des taux d’activité depuis 2007. L’arrivée de plus d’un million de travailleurs immigrés a atténué un temps le choc démographique. Néanmoins, sur longue période, la population active allemande devrait décliner et suivre ainsi celle du Japon. Par ailleurs, plus de 10 pays en Europe, essentiellement en Europe de l’Est, sont concernés par la contraction de leur population active.

En France, au-delà de l’arrivée des nouvelles générations, la population active devrait s’accroître en raison de l’amélioration du taux d’activité des seniors, domaine où la France est en retard par rapport à ses partenaires européens. Ainsi, sur l’ensemble des personnes de 15 ans à 69 ans, le taux d’activité devrait passer de 66,4 % en 2012 à 68,2 % en 2022. Il est également attendu une amélioration de l’emploi pour les jeunes de moins de 30 ans et des femmes.

La population active française devrait continuer à vieillir dans les dix prochaines années « par le haut » pour reprendre la formule de François Héran (2010). En effet, le nombre d’actifs âgés de 15 à 25 ans devrait rester quasiment stable entre 2012 et 2022 (+0,7 % soit +22 000 personnes) quand celui des 25-54 ans diminuera légèrement (-1 %, soit – 280 000 personnes). En revanche, le nombre d’actifs âgés de plus de 55 ans progressera de 40 % soit près de 1,5 million d’individus supplémentaires. La part des 55 ans ou plus devrait passer de 14 % à près de 18 % de la population active entre 2012 et 2022.

 

Plus de 15 millions de salariés français sous la loi des conventions collectives de branche

L’accord de branche ou la convention de branche est un texte contractuel conclu par les représentants des salariés et des employeurs pour des entreprises d’un même secteur d’activité. Une convention peut être nationale, régionale ou départementale, catégorielle (par exemple pour les cadres) ou sectorielle. L’accord traite l’ensemble des éléments relatifs aux conditions d’emploi et de travail, de la formation professionnelle et des garanties sociales.

La convention de branche régit notamment :

  • l’exercice du droit syndical et la liberté d’opinion des salariés ;
  • les conditions d’embauche et la vie du contrat de travail ;
  • les éléments essentiels des classifications et des niveaux de qualification
  • les éléments du salaire applicable pour chaque catégorie professionnelle ;
  • les congés ;
  • la formation professionnelle ;
  • les modalités d’accès à un régime de prévoyance et/ou de frais de soins de santé ainsi que les couvertures à minima pour les salariés.

Le rôle de la branche professionnelle a été précisé par la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (article 24).

Selon les déclarations annuelles de données sociales (DADS) du Ministère du Travail, au 31 décembre 2015, 717 conventions collectives de branche – hors branches agricoles – couvrent 15,5 millions de salariés sur les 16,9 millions employés dans le secteur privé et dans le secteur public. Le ministère les a regroupées à des fins d’analyse en 464 conventions collectives agrégées, pour tenir compte notamment de l’existence concomitante de conventions collectives d’échelon national et territorial pour la même activité. Les pouvoirs publics ont fixé un objectif de réduire de 500 le nombre de branches professionnelles d’ici 3 ans.

En 2015, 20 % des conventions collectives de branches agrégées, soit près d’une centaine de conventions, couvrent moins de 1 000 salariés et ne totalisent que 0,2 % de l’effectif salarié de l’ensemble des branches. À l’inverse, 65 conventions collectives agrégées concernent chacune plus de 50 000 salariés et totalisent 74 % de l’emploi salarié. Le Ministère du Travail a centré son analyse sur les 57 conventions collectives de branches agrégées comptant chacune plus de 50 000 salariés. Ces conventions collectives couvrent 10 millions de salariés, soit 65 % de l’ensemble des salariés couverts par une convention collective de branche.

Des conventions qui doivent tenir compte des compositions socio-professionnelles et de l’importance du travail féminin

Certaines branches professionnelles se caractérisent par une nette surreprésentation de cadres, d’employés ou d’ouvriers. Hormis les conventions catégorielles, il s’agit, d’une part, des télécommunications et bureaux d’études techniques où près de 60 % des salariés sont des cadres. D’autre part, la branche des gardiens-concierges-employés d’immeubles, la prévention et sécurité, la coiffure, le commerce de détail-habillement-textiles, le commerce de détail-fruits légumes-épicerie et la restauration rapide sont des branches où au moins 80 % des salariés sont des employés. Enfin, dans les transports routiers, transports publics urbains de voyageurs, entreprises de propreté et services associés et les activités du déchet, plus des deux tiers des salariés sont des ouvriers.

La part des femmes parmi les salariés couverts (44 % en moyenne sur l’ensemble) varie très fortement selon les branches. Elle est inférieure à 10 % dans les conventions collectives couvrant les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, tandis que les pharmacies d’officine, les succursales de vente au détail d’habillement, les cabinets médicaux, l’hospitalisation privée, les services à la personne et la coiffure emploient plus de 80 % de femmes.

La question de l’âge et du vieillissement de certains métiers

La convention collective des gardiens et concierges d’immeubles couvre des salariés nettement plus âgés que les autres conventions : 62 % des salariés ont 50 ans ou plus, contre 26 % en moyenne pour l’ensemble. Dans 12 autres conventions collectives de branche, plus de 30 % des salariés sont âgés de 50 ans ou plus. À l’inverse, la part des salariés de moins de 30 ans atteint 64 % dans la restauration rapide. La proportion de jeunes parmi les salariés couverts est également élevée dans les branches qui recourent largement à l’apprentissage : les boulangeries-pâtisseries artisanales (19 % d’apprentis ; 48 % de jeunes) ; la coiffure (18 % d’apprentis ; 51 % de jeunes). Pour autant, la part de jeunes est également importante dans certaines branches recourant très peu à l’apprentissage : la restauration rapide (1 % d’apprentis, 64 % de jeunes), le commerce d’articles de sports-équipements de loisirs (2 % d’apprentis ; 48 % de jeunes), les hôtels-cafés-restaurants (5 % d’apprentis ; 37 % de jeunes).

Des secteurs à dominante PME

Dans huit conventions collectives, la proportion de salariés travaillant dans une TPE est supérieure ou égale à 61 %. Elle atteint même 81 % dans le « bâtiment, 84 % dans la coiffure et 91 % chez les gardiens, concierges et employés d’immeubles. Au contraire, la quasi-totalité des salariés couverts par les conventions collectives des banques, des sociétés d’assurances, des transports aériens personnels au sol, des transports publics urbains de voyageurs, des succursales de vente au détail d’habillement et de l’hospitalisation privée travaillent dans une entreprise de 10 salariés ou plus.

 Des secteurs à CDD et à CDI

Les taux de CDD et de temps partiels s’échelonnent respectivement de 1 % à 17 % et de 4 % à 81 % selon les branches. Les conventions collectives de branche où le temps partiel est très fréquent sont celles où la proportion de femmes et de jeunes est la plus élevée : restauration rapide ou entreprises de propreté et services associés, par exemple. Le temps partiel est peu présent dans de nombreuses branches industrielles et dans la plupart de celles du bâtiment et des travaux publics. Dans ces dernières, la proportion de salariés en CDD est également peu élevée. Elle est, en revanche, d’au moins 15 % dans les conventions collectives du sport, du commerce d’articles de sports-équipements-loisirs et des prestataires de services du secteur tertiaire.

Les différences de composition amènent des différences de rémunération

Les écarts de salaire sont importants entre les branches. Le salaire mensuel net moyen d’un équivalent temps plein (EQTP) hors apprentis est de 2 270 euros en 2015 dans l’ensemble des conventions collectives de branche. Dans celles couvrant plus de 50 000 salariés, il s’échelonne de 1 270 euros (services à la personne) à 4 450 euros (métallurgie cadres).  Une forte présence de cadres tire vers le haut le salaire moyen de la branche. Les branches où le salaire est supérieur à 2 700 euros ont au moins 20 % de leurs effectifs composés de cadres. Le salaire moyen des cadres s’établit à 2 060 euros dans la coiffure, entre 2 900 et 3 000 euros dans le commerce de détail-fruits légumes-épicerie, la restauration rapide et les pharmacies d’officine et culmine à plus de 5 100 euros dans les transports aériens personnels au sol, les industries chimiques et pharmaceutiques et les banques.  Pour les professions intermédiaires, le salaire mensuel net moyen par EQTP est le plus élevé dans l’industrie pharmaceutique (2 960 euros) et le plus faible dans les services à la personne (1 670 euros, soit un rapport de 1 à 1,77). Pour les employés, il varie de 1 230 euros dans les services à la personne à un peu plus de 2 500 euros dans les transports aériens personnels au sol et près de 2 600 euros dans l’industrie pharmaceutique. Huit branches, dont l’industrie pharmaceutique (2 300 euros), offrent un salaire mensuel net moyen pour les ouvriers de plus de 2 000 euros, alors qu’il s’établit à 1 300 euros dans la propreté et les services associé.  En 2015, un peu plus de 6 % des salariés couverts par une convention collective de branche perçoivent une rémunération proche du SMIC, soit entre 1 et 1,05 SMIC. La proportion de salaires au voisinage du SMIC varie fortement entre les branches, en lien avec le profil des salariés couverts. Elle est ainsi inférieure à 1 % dans quatre branches non catégorielles, les transports aériens personnels au sol, les banques et sociétés d’assurance ainsi que l’industrie pharmaceutique, alors qu’elle dépasse 25 % dans les services à la personne, la coiffure, le commerce de détail-fruits légumes-épicerie et les entreprises de propreté. Ces quatre dernières branches, ainsi que les prestataires de service du secteur tertiaire et le commerce de détail-habillement-textiles sont les branches où les salaires moyens des ouvriers et des employés sont les plus faibles et où la proportion de salariés rémunérés au voisinage du SMIC est la plus élevée (entre 20 % et 52 %).

En 2015, un peu plus de 12 % des salariés couverts par une convention collective de branche perçoivent une rémunération mensuelle en EQTP supérieure à trois fois le SMIC. Les cadres représentent 76 % de ces salariés aux rémunérations les plus élevées. Les branches qui emploient le plus de cadres (les branches catégorielles cadres, les bureaux d’études, les sociétés d’assurance, les banques, l’industrie pharmaceutique, etc.) sont donc aussi logiquement celles où la proportion de salaires supérieurs à trois SMIC est aussi la plus élevée.

Un écart salarial femmes-hommes de 19 % en faveur des hommes

En 2015, toutes branches confondues, le salaire net moyen des femmes est inférieur de 19 % à celui des hommes. Cet écart varie, selon la CSP, entre 20 % (cadres) et 7 % (employés). Dans la quasi-totalité des branches qui couvrent 50 000 salariés ou plus, le salaire des hommes est supérieur à celui des femmes. Il l’est d’au moins 31 % dans les cabinets médicaux, les banques, la mutualité, l’immobilier, les cabinets d’experts comptables. Dans ces branches, le taux de féminisation est supérieur à 56 %.

A l’inverse, les femmes sont très minoritaires dans les branches où l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est en faveur des femmes : le bâtiment (+1 %), la prévention et sécurité (+8 %) et les activités de déchet (+6 %) comportent moins de 16 % de femmes. Dans la branche prévention et sécurité, 93 % des salariés présents fin 2015 sont des employés ; dans cette catégorie, les femmes gagnent en moyenne 6 % de plus que les hommes. L’écart salarial en faveur des femmes est plus marqué au niveau global de la branche (+8 %). Cela s’explique par un effet de structure : les femmes sont plus fréquemment cadres que les hommes.

L’écart salarial entre les femmes et les hommes cadres varie entre 4 % et 40 % en faveur des hommes selon les branches. Le salaire des femmes cadres est inférieur de plus de 30 % à celui des hommes cadres dans les banques, l’hospitalisation privée et les transports aériens personnels au sol. En dehors de ces trois branches, l’écart varie entre 4 % (pharmacie d’officine) et 28 % (cabinets d’experts comptables). L’écart salarial femmes-hommes afférent aux professions intermédiaires est quasi nul dans le commerce audiovisuel électronique équipement ménager. Pour les ouvriers, l’écart salarial femmes-hommes est en faveur des femmes dans le bâtiment-ouvriers de plus de 10 salariés (+1,5 %) et les télécommunications (+11 %). Il est quasi nul dans la restauration rapide. Le salaire des femmes ouvrières est, en revanche, inférieur de 14,5 % à celui des hommes ouvriers pour les prestataires de services du secteur tertiaire et de 19 % pour les industries chimiques. À catégorie socioprofessionnelle donnée, l’écart salarial femmes-hommes s’accentue avec l’âge, tout particulièrement pour les cadres.

1,6 million d’entreprises appliquent de façon majoritaire une convention collective de branche, c’est-à-dire une convention collective qui concerne la majorité de leurs salariés.

Pour un renouveau des accords de branche

Les accords de branche professionnelle modèlent la vie sociale du pays. Leur rôle a été confirmé par les ordonnances réformant le code du travail de 2017. Entre étatisation de la vie sociale et développement des accords d’entreprise, la branche joue un rôle utile de mutualisation des risques. Elle permet de créer des solidarités entre les entreprises de taille différente mais ayant des objets assez proches. La recherche d’une plus grande équité de traitement des salariés devrait amener à un élargissement des missions dévolues aux branches. Ainsi, certaines fonctions sociales et culturelles actuellement exercées par les comités d’entreprise pourraient relever de la branche, ce qui permettrait aux salariés des PME d’y accéder. De même, la gestion de la mobilité, l’accès au logement pourraient être mieux assurés au niveau de la branche. A terme, ne faudrait-il pas prévoir des accords particuliers permettant d’intégrer les nouvelles formes de travail (micro-entreprises, travail via les plateformes) ?