20 mai 2016

Le Coin des Tendances du 21 mai

L’ère des plateformes ou l’art de faire travailler les autres

 

Le monde digital se traduit par la montée ne puissance de plateformes, voie de passage obligée. Le principe de base est d’arriver à devenir incontournable, d’être « LA » plateforme  de référence qui permet de prendre une position dominante. Le succès qui permet à des plateformes, à Facebook ou Airbnb, d’être royalement capitalisées sur les marchés financiers repose sur un processus de fertilisation par des tiers. En effet, ces plateformes sont des arbres qui du fait de l’arrivée de nuées de millions voire de milliards d’insectes créent de la valeur. Ces insectes, c’est-à-dire nous, participent, à tous les niveaux, à l’enrichissement du système. Par notre présence, nous générons des données qui seront récupérées et exploitées. Certains d’entre nous créeront des applications qui enrichiront la plateforme et inciteront de nouveaux insectes à venir butiner. D’autres consommeront et enfin beaucoup en parleront permettant d’accroitre, toujours plus, le nombre des insectes qui côtoieront cet arbre. Pour reprendre le titre d’un ouvrage de Nicolas Colin et Henry Verdier, les plateformes nous font rentrer dans l’âge de la multitude.

 

Le succès des plateformes repose en grande partie sur leur simplicité. La page d’accueil de Google est d’une rare simplicité. De même, la prise en main de Facebook demande peu de temps.

 

Capter des données et itérer

 

Un des fondamentaux des plateformes est d’utiliser en permanence les ressources des Internautes pour en améliorer le fonctionnement ou le design. Le processus d’itération permanente ringardise la notion de modèle. Apple publie ainsi des mises à jour régulièrement. Tesla fait de même pour actualiser les logiciels gérant ses voitures. Microsoft abandonne la vente de logiciels au profit d’abonnements qui permettent tout à la fois de capter dans le temps les consommateurs mais aussi de modifier en permanence les produits.

 

À travers des analyses fines comportementales et une capacité rapide de réaction, les responsables des plateformes peuvent s’adapter en temps quasi-réel aux besoins et aux attentes de leurs clients.

 

Facebook s’enrichit du travail de ses adhérents qui, chaque jour, publient des textes, des photos ou des vidéos ou qui laissent des traces sous formes d’émotions (les « like »). Tout passage d’un Internaute sur Facebook est profitable.

 

Ouvrir les plateformes pour s’enrichir

Amazon qui aurait pu n’être qu’un site de vente en ligne a compris que l’avenir passait par les plateformes. En disposant de millions de clients répartis au quatre coins de la planète, ce site générait des données d’une richesse évidente. Par ailleurs, le PDG, Jeff Bezos, a compris que son entreprise avait tout intérêt à mettre à disposition les ressources logicielles sur le marché. Il a opté pour la co-création. Ne pouvant seul exploiter les données, Amazon a mis à disposition des développeurs et créateurs les données qu’il avait. Il a également décidé de vendre les capacités disponibles de ses serveurs. En changeant de modèle, Amazon qui perdait depuis des années est devenu rentable. Amazon est devenu un acteur important non seulement pour l’hébergement de données et d’applications mais aussi pour la gestion de messages et de données à grande échelle. Il a compris le potentiel du cloud computing du fait de la puissance de calcul et de la capacité de ses serveurs.

Apple est également une plateforme, même si son degré d’ouverture est moindre qu’un certain nombre de ses concurrents et que la société tire une part encore importante de ses bénéfices de la vente de biens physiques (Iphone, Ipad ou Macbook…). Mais c’est surtout l’App Store qui est une devenu un espace de création et de vente pour des milliers de développeurs.

Google est évidemment une plateforme avec des applications comme Gmail, Google Maps, Google Play… Il est également possible, via Androïd, aux développeurs de développer des applications tierces. Malgré ou à cause ses positions monopolistiques, Google a moins joué l’ouverture et l’interopérabilité. Les plateformes Google ont tendance à avoir des vies parallèles et moins intégrées.

Cette alimentation par des tiers en innovation a abouti au développement de l’open innovation. Les entreprises intègrent en leur sein des innovations lancées ou expérimentées par d’autres. Veolia utilisent les données des collectivités locales pour modifier ces process avec, à la clef, des expérimentations ciblées.

Une plateforme n’est riche que de sa multitude et de ses applications. Ces dernières, par leur succès, nourrissent la plateforme.

Les institutions qui recueillent des données et qui peuvent générer des services sont, par nature, propices à être des plateformes. Les administrations publiques ont vocation à être des plateformes. Les données en matière de déplacements en fonction de l’heure sont cruciales tant pour la gestion des flottes de voitures (taxis, VTC…) que pour l’entretien de la voirie. Les données en matière de santé peuvent générer un grand nombre d’applications de prévention et de traitements des maladies.

Les ressources fiscales permettent d’orienter plus finement que maintenant les politiques publiques. Elles peuvent aussi déterminer une série d’analyses en matière de consommation, d’éducation ou de formation… Le problème, pour les administrations, c’est de cesser de penser de manière verticale et de passer à un mode de fonctionnement horizontal.

À l’échelle mondiale, les plateformes collaboratives pourraient passer d’un chiffre d’affaires de 15 milliards de dollars en 2013 à plus de 230 milliards en 2025. En France, 276 plateformes actives sont dénombrées dont 75 % sont françaises.  80 % ont été créées depuis 2008. Seules les premières, dans chacun des secteurs concernés, sont rentables. 17 activités sont actuellement recensées : ventes de biens et services, locations, échanges, financement, dons, covoiturage, auto-partage, partage de biens et de services, emplois, achats groupés… Le chiffre d’affaire de ces plateformes est évalué, en France, à 2,5 milliards d’euros. 13 000 emplois dépendraient de ce marché.

 

Le big data ou le communisme de marché

L’URSS a implosé en 1991 par incapacité à gérer de manière centralisée une économie de plus en plus complexe et à suivre la course technologique imposée par les Américains avec la Guerre des Etoiles. La guerre en Afghanistan et le vieillissement des équipes dirigeantes malgré, la nomination de Michael Gorbatchev, ont accéléré la déliquescence du système soviétique.

Les services du Gosplan qui disposaient pourtant de moyens importants étaient incapables d’organiser l’offre de tous les biens et services, leur répartition sur le territoire et d’en fixer les prix. La planification pure et parfaite est une utopie qui s’est traduite dans la réalité par des pénuries, du marché noir et des passe-droits.

Par un savant raccourci de l’histoire, le big data offre peut être une revanche à feu Gosplan. En effet, avec toutes les traces numériques que nous laissons quotidiennement par l’intermédiaire de nos smartphones, de nos tablettes ou de nos ordinateurs voire via le GPS de notre voiture, Google, Apple et les autres peuvent tout connaître de nous. Amazon se fait fort de pouvoir prévoir nos achats avant même que nous ayons décidé de les faire. En étudiant nos requêtes sur Internet, nos recherches, il est possible de déterminer la probabilité que nous passions, à un moment donné, à l’acte pour acheter tel ou tel objet ou service. Par ailleurs, en ciblant les publicités en fonction de nos consultations antérieures, il est possible d’organiser un teasing qui se révèle, à force, payant. Ce n’est pas un hasard si le chiffre d’affaires de la publicité digitale équivaut à celui de la publication audiovisuelle. De même, au niveau médical, il est possible de déterminer le début d’une épidémie en fonction des consultations réalisées sur les sites de recherche.

Les plateformes de partage sont tout à la fois ultra-individualistes et ultra-communautaristes. Elles permettent à tout à chacun de devenir à tour de rôle producteur et consommateur. Chacun devient son propre patron en louant de l’espace ou du trajet de transport. Ainsi, nous devenons notre propre exploiteur. Le système dit collaboratif repose sur un effet de masse. Il faut un nombre important d’acteurs afin que s’exprime concrètement l’offre et la demande. Si vous n’avez que quelques trajets de transports disponibles sur un site, vous l’abandonnez rapidement. Il faut donc un mouvement de masse qui mutualise ses intérêts. Néanmoins, il serait hasardeux de parler de communisme car les plateformes sont des formes très avancées du capitalisme en reposant sur un système de rente de situation et en faisant porter le risque par les maillons situés en bout de chaine (le loueur voire le locataire qui ne sait pas trop sur qui il va tomber).

Avec des modèles prédictifs, des cartographies des risques peuvent être réalisées de façon très fine. La gamme des risques pris en compte est très large. Cela concerne les évènements météorologiques (tempêtes, inondations…), géologiques (éboulement, glissement de terrain) mais aussi sanitaires (épidémie). Des cartographies sur les problèmes de sécurité (délinquance, criminalité, trafic) sont également établies. En outre, avec des modèles socio-morphologiques, la vidéo devient intelligente au point de pouvoir alerter les forces de l’ordre en cas de personnes ayant des comportements déviants (gestes inconsidérés voire chaleur du corps témoignant d’un stress). La police de l’URSS aurait rêvé d’avoir de tels outils il y a un quart de siècle.