22 décembre 2018

Le Coin des tendances du 22 décembre 2018

La révolution énergétique ne sera pas de tout repos pour l’Europe

La transition énergétique dont l’objectif est de décarboner l’économie doit, selon ses partisans, s’accompagner de nombreuses créations d’emploi. Elle est censée être un nouveau moteur de croissance. Le défi pour l’Europe est important car les combustibles traditionnels (charbon, pétrole, gaz) assurent plus des deux tiers de la production d’énergie.

Les énergies renouvelables jouent encore un rôle marginal même si elles sont en nette progression. Elles représentent 13 % de l’ensemble de la production énergétique européenne. Les premières sources d’énergies renouvelables sont les biocarburants dont certains soulignent les effets négatifs sur l’environnement de l’exploitation de l’énergie hydraulique.

Au nom de la transition énergétique, une substitution des voitures électriques aux voitures à moteur à explosion est amenée à être réalisée. En l’état actuel, cette mutation demeure un pieu objectif car près de la moitié de la production électrique est réalisée à partir du charbon, du gaz ou du pétrole. La principale source d’énergie utilisée pour produire de l’électricité reste en Europe le nucléaire (27 %). En France, ce ratio est de plus de 60 %. 

L’Europe est en situation de vulnérabilité face aux défis que pose la transition énergétique. En effet, le vieux continent se caractérise par le poids important de son secteur automobile et par sa faible présence dans les secteurs technologiques liées aux nouvelles énergies renouvelables.

 

L’industrie automobile en mutation 

Dans les vingt prochaines années, le secteur de l’automobile devra faire face à un double choc, celui de la motorisation et celui de l’automatisation. Dans les deux cas, les entreprises européennes sont pour le moment dépendantes de groupes américains, chinois, japonais ou sud-coréens.

La proportion des voitures électriques et hybrides est encore marginale au sein du parc automobile au sein de la zone euro. Elle atteint 1,5 %. L’objectif, sans nul doute ambitieux, est d’atteindre 40 % d’ici 2030. Plusieurs grandes villes dont Paris ont annoncé leur volonté d’interdire la circulation de véhicules diesel d’ici là. Cette révolution suppose une transformation rapide du parc. Or, son renouvellement s’est ralenti du fait de la meilleure qualité des véhicules, de leur moindre usage en milieu urbain et de la baisse au sein du budget des ménages de la part qui leur est consacrée. En France, l’âge moyen des voitures particulières est de plus de 9 ans. 70 % d’entre elles sont équipées d’un moteur diesel.

Le passage du moteur thermique au moteur électrique n’est pas sans conséquences sur la chaine de valeur de la production de voitures. En effet, le moteur thermique constitue le cœur de la voiture actuelle. Le moteur électrique est moins coûteux à produire. Sa valeur ajoutée est plus faible. En revanche, la batterie est l’élément clef des véhicules électriques et représente au moins 40 % de leur valeur. Or, ces dernières ne sont pas fabriquées pour le moment en Europe. Les dix premiers fabricants mondiaux de batterie sont japonais, sud-coréens ou chinois. La Chine place cinq entreprises parmi les dix premières. Par ailleurs, ce pays est incontournable du fait d’une position de force dans la production de terres rares (groupe de métaux aux qualités exceptionnelles en particulier électromagnétique) qui sont indispensables pour la réalisation des batteries.

Le changement de mode de motorisation pourrait peser sur le niveau de vie des ménages. En effet, le coût des véhicules électriques, batteries comprises et sans subvention, est plus élevé que les véhicules à moteur thermique. Certes, leur généralisation pourrait amener des gains d’échelle mais en contrepartie les pouvoirs publics seront contraints de revoir à la baisse les subventions. Le prix des batteries pourrait augmenter fortement du fait de l’utilisation de terres rares dont la production est contrôlée par quelques pays dont la Chine et la Russie. Aujourd’hui, le secteur de l’automobile dépend des pays exportateurs de pétrole dont une dizaine dominent le marché. Demain, il pourrait être dépendant de deux ou trois pays seulement. Par ailleurs, cette mutation suppose que la production d’énergie électrique suive. Si elle aboutit à une progression de la production électrique par charbon, le problème de la réduction des émissions de CO2 et de particules n’aura été que déplacé. Mais, en l’état actuel de la technologie, le recours aux énergies renouvelables pour produire de l’électricité entraînera un surcoût non négligeable pour les consommateurs. Du fait du caractère aléatoire des énergies renouvelables (éoliennes ou solaire), le principe est de disposer d’une capacité de production trois fois supérieure à la consommation. Cette contrainte aboutit à majorer le prix du kilowatt. Pour le moment, en prenant en compte cette obligation, l’énergie renouvelable est, selon l’économiste de Natixis, Patrick Artus, vingt à trente fois plus chère en réalité que le pétrole (en intégrant les coûts de production et le capital nécessaire). À cela, il faut ajouter la question du recyclage des batteries qui n’est pas résolue. Pour le moment, quand leurs performances sont insuffisantes pour les véhicules, elles sont utilisées, par exemple comme source d’alimentation de secours pour des installations informatiques.

La mise en place de véhicules sans conducteur constitue un autre défi pour l’industrie automobile européenne. En effet, cette transformation repose sur l’intelligence artificielle et sur la gestion d’un très grand nombre de données en temps réel. Dans ces domaines, les entreprises américaines comme Google, Microsoft ou Apple sont en pointe pour fournir des solutions aux constructeurs. Mais, comme pour l’énergie, cette mutation entraîne un déplacement de la création de valeur au profit des GAFA. Le secteur de l’automobile au sens large, avec les sous-traitants, représente 6 % du PIB et plus de 5 % de l’emploi en Europe. La mutation énergétique et technologique pourrait provoquer d’importantes suppressions d’emploi.

 

Les métaux rares, l’or noir de demain des Chinois ?

Au départ, l’homme a eu recours au bois pour se chauffer puis au charbon, dont le pouvoir énergétique est plus important, avant de se tourner vers le pétrole pour répondre à ses différents besoins. En parallèle, la machine à vapeur a cédé la place au moteur à explosion. À la fin du XIXe siècle, la révolution électrique prend forme. Elle permet d’éclairer les villes, de développer un moyen de transport souterrain, le métro, de miniaturiser des machines qui peuvent envahir notre vie courante (machine à laver, réfrigérateur, etc.). Elle offre, en outre, l’avantage de l’instantanéité quand pour la machine à vapeur il fallait attendre que l’eau soit en ébullition. L’énergie électrique s’est imposée mais elle repose sur des énergies primaires (charbon, pétrole, gaz, nucléaire, hydraulique, etc.). Afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre, les États se sont engagés tant bien que mal à opérer une transition énergétique reposant sur un moindre recours aux énergies carbonées. L’essor du solaire, de l’éolien et le remplacement du moteur à explosion par le moteur électrique exigent l’utilisation de métaux rares. Ces derniers sont indispensables pour la conception des batteries, des éoliennes ou des panneaux solaires. Ces métaux sont le vanadium, le germanium, le tungstène, l’antimoine, le béryllium, etc. Plus de trente métaux rares sont couramment utilisés par l’industrie. Ils sont, en règle générale, associés, dans la nature, à des métaux plus abondants. Ils doivent être séparés du fer, du cuivre, de l’argent, de la roche par des procédés mécaniques et chimiques qui sont, par ailleurs, assez polluants. La purification d’une tonne de terres rares nécessite, en moyenne, deux cents mètres cubes qui seront souillées. Plus de huit tonnes de roches sont ainsi nécessaires pour produire un kilo de vanadium. Pour récupérer un kilo de cérium, seize tonnes de roches sont indispensables. Pour le lutécium, le ratio est de « un pour mille », d’où l’appellation de terres ou de métaux rares. Du fait de leur caractéristique, ces métaux peuvent avoir une efficacité énergétique ou technique sans commune mesure avec les autres métaux. Ils sont aujourd’hui incontournables tant pour la production d’énergie que pour le digital.

20 % des terres rares produites chaque année sont consommées pour la seule fabrication des ordinateurs (notamment palladium et cobalt). Un smartphone peut contenir quarante terres rares. Les process de production génèrent d’importants gaspillages. Les rejets de matières non utilisées sont colossaux :  pour un gramme de terre rare dans un téléphone, près d’un kilo peut être rejeté. Le recyclage de ces terres rares est, pour le moment, très faible. Dix-huit des soixante métaux les plus utilisés sont recyclés à 60 % mais pour trente-six d’entre eux, le taux est inférieur à 10 %. Le recyclage devrait rester marginal par rapport à la production d’autant plus que la demande augmente très rapidement. Le retraitement des batteries des anciens smartphones n’est pas réglé. Même si des conventions internationales l’interdisent, les déchets sont souvent exportés par les pays consommateurs. Le recyclage des déchets est tout à la fois coûteux et dangereux pour la santé des salariés et de la population vivant à proximité des usines qui en ont la charge. C’est ainsi que 80 % des déchets électroniques américains sont expédiés en Asie. L’Europe enverrait chaque année plus de 1,3 million de tonnes de déchets électroniques en Afrique et en Asie.

La concentration de la production dans un nombre limité de pays constitue un risque pris au sérieux notamment par les pays occidentaux. La Chine a la capacité d’imposer ses conditions du fait de sa position dominante pour de nombreux métaux rares. Ainsi, elle produit 44 % de l’iridium, 55 % du vanadium, 65 % du spath fluor, 71 % du germanium et 77 % de l’antimoine. La Chine produit également 61 % du silicium, 67 % du germanium et 84 % pour le tungstène. La Commission de Bruxelles soulignait en 2017 dans sa communication au Parlement que la Chine est « le pays le plus influent de la planète en ce qui concerne l’approvisionnement mondial en matières premières critiques ». Les autres États ayant des positions de force pour les métaux et terres rares sont la République Démocratique du Congo, l’Afrique du Sud, la Russie, la Turquie, le Brésil et à titre plus marginal les États-Unis.

La Chine est à la fois le premier producteur et le premier consommateur de terres rares. 45 % de la production mondiale sont absorbées par des usines implantées dans ce pays. Le Gouvernement chinois entend de plus en plus sécuriser son approvisionnement et tend à réduire les exportations pour ne pas entamer ses réserves. Entre 2006 et 2008, pour le titane, la Chine a ainsi décidé de multiplier par trois les prix de vente à l’exportation pénalisant le secteur aéronautique mondial. Pour de nombreux métaux, la priorité est donnée à l’industrie nationale, les quotas d’exportation étant réduits d’année en année. Pour les terres rares, les volumes exportés sont passés, en dix ans, de soixante-cinq mille tonnes à trente mille tonnes. Depuis Deng Xiaoping, les autorités chinoises considèrent que les terres rares leur fournissent un avantage stratégique majeur dans le cadre de l’actuelle révolution industrielle. En augmentant les prix à l’exportation des terres rares, elles ont incité les entreprises étrangères à créer des filiales implantées sur le sol chinois. L’objectif était de favoriser l’émergence de filières aval et de maîtriser la production de biens stratégiquement incontournables. C’est ainsi que la Chine est devenue le premier producteur de panneaux solaires. Depuis une dizaine d’années, cette politique inquiète, les Etats-Unis. Le Président Barack Obama avait saisi à plusieurs reprises l’Organisation Mondiale du Commerce au sujet des pratiques anticoncurrentielles des autorités chinoises. L’Europe reste assez discrète et divisée sur le sujet de l’accès aux terres rares.