24 août 2019

Le Coin des Tendances du 24 août 2019

Des villes et des hommes, une histoire en permanente construction

La ville est un catalyseur d’activités économiques, sociales et culturelles. Sur un espace limité, elle permet les échanges que ce soit de marchandises, d’argent ou d’idées. Son rôle est incontournable dans l’émergence et dans l’essor de notre civilisation. Comme l’écrivait l’historien Fernand Braudel, « les villes sont autant de transformateurs électriques : elles augmentent les tensions, elles précipitent les échanges, elles brassent sans fin la vie des hommes » (Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 1967). Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans une ville. Cela n’a pas toujours été le cas. Longtemps, l’Homme fut nomade puis rural, attaché à sa terre, à son champ. L’urbanisation est devenue dominante avec la révolution industrielle et la révolution des transports. Avec Internet, certains ont cru que l’Homme pourrait à nouveau retrouver les charmes du monde rural ; or au contraire, il accélère la concentration de la population. Les agglomérations sont confrontées à une série de défis, transports, sécurité, réchauffement climatique, maîtrise des différents réseaux (énergie, Internet, etc.).

Les prémisses de l’urbanisation sont recensées en Mésopotamie au IVe millénaire avant notre ère. Dans le sud de l’Irak, des communautés villageoises se regroupent et inventent de nouveaux modes de vie, de nouveaux systèmes d’échanges. La ville sumérienne d’Uruk était ainsi au cœur d’un vaste réseau de relations et d’échanges. En se regroupant, les hommes et les femmes construisent des immeubles, des monuments, des temples. Uruk, entre -2600 et -500 avant Jésus Christ s’étendait sur plus de 250 hectares et disposaient de quartiers officiels dotés de lieux de réception. Des espaces étaient réservés aux activités politiques et religieuses. Les habitants des villes ont très tôt conservé la mémoire de leur travail. Des recueils statistiques ou administratifs ont été ainsi retrouvés. Vers 1200 ans avant Jésus Christ, dans le croissant fertile du Moyen Orient, plusieurs dizaines de villes importantes se sont constituées rassemblant jusqu’à plus de 50 000 habitants. Ces villes regroupent une population nombreuse, sur un territoire limité, avec une division du travail poussée entre agriculture et activités urbaines, et une organisation sociale et politique plus élaborée.

Les villes se sont constituées afin de protéger les populations des envahisseurs, des brigands. Mais, elles sont aussi des proies pour ces derniers. Leur sécurisation avec l’édification de murs de protection, de tours de guets est indispensable. Ainsi, toujours à Uruk, un mur large de 3,30 mètres ceinture la ville et est renforcé tous les 13,50 mètres de tours en saillie de 2 mètres environ. La ville impose à ses habitants de réaliser des opérations d’urbanisme dessinées selon un projet préconçu. La question des réseaux, de l’alimentation en eau, de l’assainissement s’est posée rapidement. Le regroupement de la population en un même lieu suppose que la sécurisation de la fourniture de l’alimentation soit assurée. A cette fin, il faut pouvoir constituer des réserves afin de pouvoir tenir un siège. L’édification des villes a été rendue possible par l’essor de la production agricole et par l’amélioration des techniques de conservation.

En Grèce, les cités naissent autour des fortifications. La ville haute – l’Acropolis – où se trouvent les temples, reste le lieu refuge quand la ville basse est dédiée aux activités commerciales et à la vie civile sur l’agora. Au sein de ces cités, les quartiers se créent autour des spécialisations professionnelles. Cette notion de spécialisation a perduré permettant un échange rapide des connaissances et une vive stimulation concurrentielle.

Les villes romaines intègrent la notion de loisirs avec les arènes et les bains. Elles deviennent des symboles de puissance, de magnificence. Une grande cité se doit de posséder ses monuments, ses symboles : la Tour Eiffel, l’arc de Triomphe, et Notre Dame à Paris ; Big Ben et le Tower Bridge à Londres ; la Statue de la Liberté et l’Empire State Building à New York ; la tour Burj Khalifa à Dubaï, etc.

A la fin du Moyen-Âge, le phénomène urbain recule en raison de la montée de l’insécurité et de la rupture des routes commerciales reliant l’Occident à l’Orient. La croissance des villes dépend du commerce, de leur ouverture sur l’extérieur. Les villes hanséatiques connurent un important succès car elles avaient des ports faciles d’accès et leur régime politique était plus libéral que celui en vigueur au sein des Etats avoisinants. Ses villes dont les plus célèbres sont Hambourg, Brême et Lübeck ont constitué une ligue très informelle afin de défendre leurs intérêts. Aujourd’hui, les grandes métropoles tentent de s’inspirer de ce système en créant des associations.

Une ville ne peut pas exister seule. Elle est obligatoirement reliée à l’extérieur pour son alimentation en biens agricoles ou en eau. A cette fin, des voies de transports sont indispensables qu’elles soient terrestres ou maritimes. C’est bien connu « toutes voies mènent à Rome ». La ville suppose un minimum d’organisation administrative pour régler les problèmes inhérents à la vie en collectivité. Il est également nécessaire de tisser des liens structurés avec les autres villes pour régler par exemple certains problèmes comme la gestion de l’eau.

Les villes en tant qu’écosystème ont de tout temps eu des impacts environnementaux importants. Le choix d’implantation des villes étaient bien souvent dictées par des considérations de sécurité, de voies d’accès et d’alimentation en eau. De ce fait, les villes se retrouvent au bord d’un cours d’eau ou au croisement de plusieurs vallées. Les catastrophes naturelles comme le Vésuve pour Pompéi ou le non-entretien des réseaux à Angkor peuvent provoquer la disparition de villes. Angkor au XIVe siècle comptait plus d’un million de personnes. Elle couvrait 1 000 km², soit dix fois la taille de Paris. Elle disposait d’un réseau d’eau potable permettant d’alimenter toute sa population et cela en toute saison. En raison de changements climatiques et du fait d’un moindre entretien, au cours du XIVe siècle, le réseau se brisa ce qui entraîna le départ de la population et le déclin de la cité.

Avec l’émergence au 19e siècle des grandes agglomérations en lien avec le développement de l’industrie, la gestion des réseaux devint une priorité. A Paris, le Baron Haussmann décida une rationalisation de la ville tant pour faciliter les transports que pour assurer la sécurité publique. Avec la concentration accrue de la population, les risques d’émeutes, de révolution ont augmenté. Paris fut le cœur de l’histoire révolutionnaire tumultueuse de la France. La Commune du 18 mars au 28 mai 1871 qui se solda par la destruction de nombreux monuments et par la mise en place d’un statut d’exception qui perdura jusqu’en 1977. Les villes ont remplacé les campagnes comme centres des jacqueries. La crise des gilets jaunes s’est déroulée tout à la fois à la périphérie des agglomérations avec le blocage des ronds-points mais aussi au cœur des villes. A Paris, les gilets jaunes voulaient avant tout manifester sur les Champs Elysée qui est tout à la fois l’avenue au cœur de la cité et le symbole de l’opulence. S’attaquer à une ville revient à s’en prendre aux humains. Il y a un lien charnel entre les habitants et les monuments. Ainsi, l’incendie de Notre Dame de Paris a ému bien au-delà des frontières françaises. La ville est un lieu de vie doté d’un esprit, c’est aussi un lieu d’histoire, de mémoire. Le saccage de l’Arc de Triomphe au mois de décembre 2018 a été ressenti comme une agression contre le pays par une grande partie de la population. L’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles de New York a durablement marqué l’opinion mondiale. L’incendie puis la chute des tours avec la mort en direct des occupants ont révélé que même la principale ville de la première puissance mondiale n’était pas à l’abri du terrorisme.

L’urbanisation croissante conduit à la saturation des grandes villes qui sont devenues en outre des centres touristiques majeurs. Elles se mettent de plus en plus en scène autour de musées, d’expositions, d’évènements. Paris accueille chaque année plus de 30 millions de touristes, Venise, 20 millions, tout comme Amsterdam. New York en accueille de son côté plus de 65 millions. L’afflux de population génère des nuisances de plus en plus importantes conduisant les élus à les réguler. Les villes sont victimes de leur succès. Elles constituent des plateformes d’échanges exigeant la création d’un nombre croissant de liaisons aériennes, routières et ferroviaires. Les villes sont contraintes de mettre en place des avec des plans de déplacements urbains innovants associant les différents modes de transports comme dans le Grand Annecy ou dans le Grand Paris. Il est à souligner que désormais les gares comme les aéroports se transforment en centres commerciaux. Les boutiques s’installent auprès des voyageurs. La ville devient un centre de rencontre pour les nouveaux nomades que nous sommes en train de redevenir.

Les agglomérations tentaculaires et la problématique du réchauffement climatique imposent le retour de l’agriculture en son sein. La ville durable est une ville qui produit des biens agricoles sur les toits. Ainsi, à Paris, la modernisation du Parc des Expositions Porte de Versailles s’accompagne de la création d’une ferme. La Maire de Paris entend recréer des forêts à l’intérieur de la ville pour faire baisser la température et créer des puits à carbone.

La question environnementale peut aboutir à la fermeture des villes. Longtemps protégées par des enceintes, ces dernières sont tombées au 19e siècle du fait de la sécurisation des Etats et de l’évolution des techniques militaires. Au cours du 20e siècle, les villes ont été ceinturées par des voies routières qui en facilitaient l’accès tout en créant de nouvelles murailles de goudrons. La ville par sa structure concentre la pollution et la chaleur. Les élus sont contraints de mettre en place des politiques afin de limiter les effets de cette double concentration. La réduction de la circulation automobile et le verdissement des villes constituent les deux solutions les plus pratiquées.

Les villes sont également au cœur de la révolution digitale en cours.  Pour faciliter la vie de ses habitants, pour les sécuriser, pour réguler la circulation, les villes recourent de plus en plus aux nouvelles technologies. La surveillance par caméras se développe tout comme les écrans interactifs. Des capteurs permettent en temps réel d’avoir des informations sur la propreté, sur les problèmes de circulation, etc. Dans les pays autoritaires, le contrôle facial permet de surveiller la population. Le développement des nouveaux services numériques se conçoit essentiellement en milieu urbain. En effet, la révolution digitale est une révolution du grand nombre. Pour être efficient, les services comme Airbnb, Uber et autres supposent une large offre et une forte demande. Les cités sont des centres majeurs de production de données dont sont friands les moteurs de recherche. En effet, sur un espace limité en concentrant un nombre important d’êtres humains, elles génèrent en permanence des informations sur le comportement de ces derniers.

La ville de cette première partie du 21e siècle connaît de profonde mutation. Les petites cités voire les villes moyennes peinent à demeurer des centres d’échanges, des lieux de rencontre. Elle se transforment en cités dortoir. Elles sont confrontées pour nombre d’entre elles à un déclin démographique et économique. Les services s’y font plus rares et leur situation se rapproche de celle du monde rural. Les grandes agglomérations captent une part croissante de la création de richesses et connaissent de profondes évolutions. Les cœurs historiques sont de plus en plus des centres touristiques à l’image de Manhattan à New York, de Barcelone ou de Paris intramuros. Les classes moyennes éprouvent des difficultés à s’y loger et sont renvoyées en périphérie. Pour des raisons de coûts fonciers et de transports, les grandes entreprises quittent également le cœur des agglomérations. La ville se réinvente. Les quartiers d’affaires dépendent de leurs liens avec les aéroports ou les gares et de la présence de grands axes routiers. La ville reste un lieu de passage dans un monde qui est de plus en plus mobile. Certaines entreprises louent des bureaux à l’heure pour permettre des réunions ou pour y installer des équipes devant réaliser un projet. Les espaces de coworking se multiplient. Dans certaines sociétés, les salariés n’ont plus de bureaux attitrés. Même si la ville agrège moins les populations que dans le passé, elle reste le support de l’activité. Malgré la mondialisation, les spécialisations demeurent prouvant que la rencontre des compétences sur un espace donné procure un avantage comparatif. Milan demeure la cité de la mode, Londres, celle de l’argent, New York, celle des affaires, celle de Paris du luxe etc.