24 février 2018

Le Coin des Tendances du 24 février 2018

Le long combat de la décarbonisation de l’énergie

Pour l’OCDE, la fiscalité constitue l’un des meilleurs leviers pour faire baisser les émissions dommageables liées à la consommation d’énergie. Dans le cadre de son rapport intitulé « Taxing Energy Use 2018 », l’organisation internationale souligne que les gouvernements pourraient mieux utiliser cet outil. La part des émissions assujetties à une taxe carbone est passée de 1 % à 6 % en 2015, mais seules 0,3 % des émissions sont ainsi imposées à un niveau au moins égal au coût climatique. La fiscalité est largement dominée par les droits d’accise.

Les Gouvernements des États membres hésitent à mettre en place une véritable fiscalité dissuasive. Les nouvelles données montrent que les taxes sur l’énergie ne sont toujours pas en phase avec les effets secondaires négatifs de l’utilisation d’énergie. Elles créent seulement des incitations limitées à réduire la consommation d’énergie, améliorer l’efficacité énergétique et privilégier des sources d’énergie moins dommageables. L’OCDE note que, depuis 2012, les progrès sont ténus. « Des efforts ont été faits ou sont en cours dans plusieurs pays et collectivités pour appliquer le principe pollueur-payeur, mais les progrès sur la voie d’une utilisation plus efficace de la fiscalité pour réduire les émissions nocives sont lents et parcellaires dans l’ensemble ». Le rapport relève qu’en 2015, en dehors des transports routiers, 81 % des émissions échappaient à toute imposition, et 97 % d’entre elles étaient taxées à un taux inférieur à l’estimation basse du coût climatique (30 euros par tonne de CO2).

Dans certaines grandes économies à revenu faible ou intermédiaire, la part de ses émissions taxées à un taux supérieur au coût climatique est passée de 46 % en 2012 à 50 % en 2015 à la faveur de réformes de la fiscalité des carburants. Tendance encourageante, certains pays dont la France ont entrepris de mettre fin à l’avantage fiscal dont bénéficie le gazole par rapport à l’essence. Il n’en reste pas moins que, dans presque tous les pays, la fiscalité est loin d’être à la hauteur des coûts externes non climatiques occasionnés.

La consommation de charbon produit de grandes quantités d’émissions nocives et près de la moitié des émissions de carbone liées à l’énergie dans les 42 pays étudiés mais ce combustible est pourtant presque partout l’énergie la moins taxée ou même pleinement exonérée.

Le Secrétaire général de l’OCDE, José Ángel Gurría Treviño, souligne que « les atteintes au climat et à la qualité de l’air imputables à la combustion d’énergies fossiles peuvent être maîtrisées ». Sur ce sujet, une étude de l’Irena, l’Agence internationale des énergies renouvelables commandée par la Commission de Bruxelles, souligne que les États de l’Union européenne pourraient atteindre plus rapidement que prévu leurs objectifs et réduire ainsi le poids des énergies carbonées. L’Union pourrait atteindre une part des renouvelables dans sa consommation d’énergie d’un tiers en 2030, contre un objectif actuellement fixé à 27 %.

L’Agence considère que l’efficacité croissante des réseaux, la chute des coûts de nombreuses technologies, la banalisation du numérique, l’arrivée du véhicule électrique, la convergence des réseaux énergétiques (électricité, chaleur, froid) et les besoins des usagers devraient favoriser la substitution. Pour l’électricité éolienne, l’Irena estime le potentiel réaliste à 327 gigawatts (97 GW de mieux que le scénario tendanciel). Pour le photovoltaïque, 270 GW sont envisageables (+86 GW par rapport aux prévision). Au total, 50 % de l’électricité consommée par les Européens en 2030 pourraient être verte : 2,5 fois mieux qu’en 2010. Le facteur carbone de l’électron communautaire passerait ainsi de 304 à 177 grammes de CO2 par kilowattheure (kWh) : une baisse de 40 %. L’Irena estime ainsi que 40 millions de véhicules électriques pourraient sillonner les routes européennes dans 12 ans. Leur demande d’électricité est estimée à 104 térawattheures (TWh) par an.

 La compagnie pétrolière BP a réalisé une étude dont les conclusions sont assez proches de celles de l’Irena. BP prévoit une montée en puissance plus soutenue, de 7 % par an, des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire, au cours des 25 prochaines années. BP considère également que le parc de véhicules électriques devrait rapidement s’accroître dans les prochaines années. La part du pétrole devrait reculer sensiblement, passant en-dessous des 30 % en 2030, contre près de 50 % au début des années 1970.  La demande de pétrole ne reculerait pas en valeur absolue car la consommation totale d’énergie continuerait à progresser. Elle atteindrait, selon BP, « un plateau » vers 2035. Malgré la montée en puissance des renouvelables, les émissions de CO2 augmenteraient de 10 % d’ici à 2040.  Cette évolution des émissions ne permettra pas de respecter les accords de paris sur le climat.

 

Les villes au carrefour des défis environnementaux

La moitié de la population mondiale vit en milieu urbain. D’ici 2050, plus des deux tiers des habitants seront des citadins. En France, les urbains représentent déjà plus de 75 % de la population. Les villes sont responsables de 80 % du PIB mondial. Par l’effet de concentration de la population et des activités, les villes sont devenues les principaux centres de pollution. Elles sont responsables de 70 % des émissions mondiales des gaz à effet de serre et de deux tiers de la consommation d’énergie. Selon la Banque mondiale, le secteur des transports dans les villes génèrera d’ici 2050 un tiers des émissions des gaz à effet de serre. En France, ce secteur représentait, en 2015 à lui seul 33 % de la consommation d’énergie finale contre 20 % en 1973. Il était à l’origine de 39 % des émissions de gaz à effet de serre.

Le développement des villes exige une modification des flux de circulation. Par leurs structures concentriques, les goulots d’étranglement sont inévitables. L’amélioration des flux logistiques, la mise à disposition d’information en direct et à terme la mise en place de flottes de véhicules automatiques constituent des voies de recherche pour rendre les villes plus fluides. La promotion de modes de déplacements dits collaboratifs ou alternatifs est également mise en avant. À Stockholm, l’instauration de péages dynamiques, dont le prix varie en fonction du type de véhicule et des horaires de passage, a réduit les temps de déplacement de 50 % et la pollution de 25 %. La restriction des places de parking améliore la fluidité en dissuadant certains citadins de recourir à la voiture et en incitant d’autres à se garer en sous-sol ce qui limite également les embouteillages et la pollution.

La maîtrise de la consommation de l’énergie et de l’eau

Les villes exigent une alimentation permanente en eau et en énergie, ce qui suppose la réalisation d’infrastructures importantes (réseaux d’alimentation et d’assainissement). L’usage domestique de l’eau représente un quart de la consommation totale (près de la moitié étant assurée par l’irrigation).

Contrairement à certaines idées reçues, depuis le milieu des années 90, la consommation en eau au sein des grandes métropoles européennes tend à se réduire. La désindustrialisation, la modernisation des réseaux et la diffusion d’équipements électroménagers moins gourmands en eau expliquent cette évolution. La multiplication des compteurs individuels connectés devrait permettre la réalisation de nouvelles économies dans les prochaines années.

La maîtrise des intempéries

Les grandes villes se situent soit en bordure côtière, soit sont traversées par un ou plusieurs fleuves. Il en résulte une vulnérabilité face à la montée des eaux. En 2025, 75 % de la population mondiale vivra à moins de 100 kilomètres de la mer. D’ici 2070, en raison des changements climatiques et de l’urbanisation, la population potentiellement concernée par le risque d’inondations serait multipliée par trois.

La gestion des eaux usées et des eaux de pluie au sein d’espaces urbanisés pose des problèmes croissants. En France, les communes sont amenées à construire des bassins de compensation et de rétention d’eaux pluviales afin d’éviter la saturation des réseaux d’assainissement et des écoulements incontrôlés sur les voies de circulation.

La problématique des déchets

La Banque mondiale a calculé que les habitants des villes génèreront 2,2 milliards de tonnes de déchets par an à l’horizon 2025, contre 1,5 milliard actuellement. Le coût de la gestion des déchets solides passerait de 205 milliards à plus de 375 milliards de dollars par an. La ville de New York génère chaque année 14 millions de tonnes de déchets solides émettant 1,66 million de mètres cubes de gaz à effet de serre. Il faut 2 000 camions bennes municipaux et 4 000 camions privés pour les ramasser. Le coût annuel dépasse 1 milliard de dollars. Depuis 2004, la Chine est devenue le premier producteur de déchets devant les États-Unis et génère 70 % des ordures de la région de l’Asie orientale et du Pacifique. Les pays qui connaissent le plus fort taux de croissance de ces déchets se situent en Asie de l’Est, en Europe de l’Est et dans certaines zones du Moyen-Orient.

Chaque Français rejette plus de 350 kilogrammes de déchets par an. Même si des progrès ont été accomplis ces dernières années, notre pays est en retard sur le recyclage des déchets. Si en Allemagne, 70 % des déchets sont recyclés, ce taux est d’à peine 50 % en France. Au niveau mondial, plusieurs grandes villes ont mis en œuvre des programmes « zéro déchet » comme San Francisco aux États-Unis.

À San Francisco, la municipalité a imposé le tri sélectif des déchets et a réussi à négocier avec les entreprises qu’elles en recyclent 75 % en amont. Par ailleurs, elle a interdit la vente sur la voie publique des bouteilles d’eau et des sacs en plastique. Les particuliers ont été invités à recycler l’eau de leurs équipements électroménagers. Par exemple, l’eau provenant des machines à laver est utilisé pour l’arrosage. Les hôtels et restaurants de la ville ont été amenés à composter les restes des repas, ce qui limite d’autant les coûts de ramassage des ordures ménagères.

En France, la ville de Roubaix a mis en place un programme de réduction des déchets en encourageant le tri et le compostage. En un peu plus d’un an, le volume des déchets ménagers a été réduit de 40 %. Cette voie a été également menée à Milan avec le même succès.

Pollution de l’air, gestion de l’eau et des déchets, logements, équilibre entre emplois et habitants, les grandes métropoles ont un grand nombre de défis à relever. Elles devront faire face à l’arrivée de centaines de millions de personnes d’ici 2070. La résorption des bidonvilles qui pourraient accueillir en 2050 plus de 3 milliards de personnes sera une nécessité tant en matière d’amélioration des conditions de vie qu’en termes de sécurité. Les problèmes que rencontrent le Brésil en la matière mais aussi des pays dits avancés comme la France ou les États-Unis soulignent que si l’urbanisation est bien souvent synonyme de progrès sociaux et économiques, doit être pensée et régulée. En effet, la ville permet une circulation plus rapide des données, des biens, des connaissances ; elle est un catalyseur de croissance. De tout temps, les grandes cités, à la réserve qu’elles soient ouvertes, ont été les centres de croissance : Gênes, Venise, les villes de Flandres, les ports hanséatiques, Londres, Paris, New-York, Shanghai ont été ou sont les cœurs de l’économie mondiale. Pour autant, comme les Empires, les villes sont mortelles. Du fait de leur complexité croissante, elles se doivent d’être de plus en plus intelligentes, efficientes et durables. Les villes qui sont par nature des constructions artificielles ; leurs gestionnaires ont un défi les rendre soutenables sur un plan écologique.

 

Le Net est-il aussi propre que cela ?

L’industrie des télécommunications et l’ensemble des activités liées aux techniques de l’information et de la communication ne sont pas exemplaires en matière d’utilisation de matières premières et d’énergie. En trente ans, selon une étude du CNRS de 2012, les besoins en métaux de cette industrie ont été multipliés par plus de trois. La production des équipements est fortement consommatrice de métaux et terres rares, plus de soixante sont aujourd’hui nécessaires. En outre, l’électronique exige des standards de qualité supérieurs. Ainsi, le silicium consommé par l’industrie électronique nécessite pour sa production 160 fois plus d’énergie que pour celui utilisé par d’autres secteurs d’activités. L’éclatement des chaines de production concerne en premier lieu la fabrication des ordinateurs, des smartphones et des tablettes, ce qui provoque de nombreux flux de transports.

Selon une étude de Greenpeace, 7 % de la consommation mondiale d’électricité proviendrait du seul secteur informatique. En France, les TIC seraient responsables de plus de 13 % de la consommation énergétique (étude ADEME 2017). L’utilisation au quotidien d’Internet n’est pas exempte de pollution. Ainsi, l’envoi de 33 courriels d’un mégaoctet par jour génère annuellement des émissions équivalentes à 180 kg de CO2 soit plus de 1000 kilomètres parcourus en voiture. Or, le volume de données a tendance à s’accroître de manière exponentielle. D’ici 10 ans, ce volume pourrait être multiplié par dix et atteindre 23 375 giga octets (étude IDC 2017). En 2020, plus de 212 milliards d’objets connectés pourraient communiqués en permanence générant des flux de données également consommatrices d’énergie. Par ailleurs, la montée en puissance des technologies de transmission accroît les besoins en énergie. Ainsi, la 4G nécessite 23 fois plus d’énergie qu’une connexion ADSL vers un serveur.

Les Data Center dont le nombre dépasse 4 000 dans le monde sont fortement consommateurs d’énergie. Fonctionnant 24 heures sur 24, ils ont besoin d’être en permanence refroidis. En France, les Data Center seraient responsables de 7 à 10 % de la consommation électrique.

Selon une étude menée par F. Filipo, M. Dobré et M. Michot en 2013, d’ici 2020, les NTIC émettraient autant de gaz à effet de serre que l’aviation. La moitié de l’énergie consommée par cette industrie provient des centrales électriques au charbon. Certaines entreprises dont Google ou Apple ont pris des mesures pour réduire leur empreinte énergétique en recourant davantage aux énergies renouvelables.

Le secteur des NTIC est également montré du doigt en raison de l’importance des déchets qu’il génère dont une partie non négligeable n’est pas recyclable. Au niveau mondial, le volume des déchets électroniques et électroniques dépasse 50 millions de tonnes par an. Chaque Français produit pour 23 kilos de déchets électriques et électronique par an ; 43 % sont transférés vers une filière de retraitement et in fine seuls 2 % donnent lieu à un réemploi (Les Amis de la Terre – France – 2016). Chaque année, malgré les interdictions d’exportation, 2 millions de tonnes de déchets électriques et électroniques partent d’Europe à destination de la Chine, de l’Inde ou de l’Afrique. Dans le cadre de la lutte contre la multiplication des déchets inutiles, plusieurs campagnes contre l’obsolescence programmée ont été lancées en Europe et en France. Cette obsolescence prend trois formes : l’obsolescence technique, l’obsolescence indirecte par l’arrêt des mises à jour par exemple, et l’obsolescence notifiée par communication d’une imminence d’une panne. Les fabricants d’électroniques sont accusés de jouer sur les différents tableaux pour accélérer le renouvellement de leurs produits par les ménages. En outre, cette obsolescence permet de réduire les coûts de maintenance et de stocks de pièces détachés. Les pouvoirs publics et les organisations de consommateurs demandent de plus en plus que les entreprises des NTIC adoptent une stratégie d’économie circulaire. Ainsi, les Data Center sont de plus en plus générateurs d’énergie notamment pour chauffer des installations publiques.