24 juin 2017

Le Coin des Tendances du 24 juins 2017

L’emploi polarisé ou la segmentation du marché du travail

La mondialisation et le digital ont, ces vingt dernières années, conduit à une polarisation de l’emploi qui consiste en une augmentation des emplois aux deux extrémités et en une diminution des emplois moyens (employés, encadrement).

Entre 1995 et 2015, la part de l’emploi moyennement qualifié s’est contractée de 9.5 points de pourcentage dans la zone OCDE, quand l’emploi très qualifié et l’emploi peu qualifié gagnaient respectivement 7.6 et 1.9 points.

Si les travailleurs ont tendance à incriminer la division internationale du travail, plusieurs études soulignent que cette polarisation est, en grande partie, imputable aux changements technologiques et aux changements de structures de l’économie. En effet, un tiers de la polarisation trouverait son origine dans la montée en puissance du secteur des services. Le tertiaire représente désormais plus des trois quarts des emplois et de la création de richesses au sein des grands pays avancés. Le développement des services progresse avec le niveau de revenu. Il est d’autant plus rapide que la population vieillit. Or, par nature, les emplois de service notamment à la personne donnent lieu à des rémunérations plus faibles que dans l’industrie. Les travailleurs ayant perdu leur place dans le secteur manufacturier n’ont d’autre choix que d’accepter un poste souvent moins bien rémunéré dans le secteur tertiaire.

Les deux tiers de la polarisation proviendraient des évolutions technologiques au sein des entreprises. Certes, elles ne seraient pas sans lien avec l’accentuation de la concurrence issue des pays émergents. La digitalisation, la robotisation ainsi que l’élévation des compétences diminuent les emplois des catégories intermédiaires. Les entreprises ont des besoins accrues pour l’innovation, le marketing ou la communication. En revanche, du fait de l’automatisation, les besoins sont plus faibles pour toutes les tâches répétitives et d’encadrement. Les emplois faiblement qualifiés connaissent une progression dans les secteurs où la machine n’est pas ou pas encore à même de remplir les missions. La logistique, les services à la personne, la restauration, l’hébergement, les chauffeurs, la sécurité constituent des domaines où l’emploi progresse.

Un système d’emplois polarisé aboutit à une segmentation dangereuse. En effet, en supprimant les échelons intermédiaires, les possibilités de passage du bas vers le haut de l’échelle sont plus difficiles. Les emplois hautement qualifiés sont réservés aux diplômés de l’enseignement supérieur. Face à cette polarisation du marché du travail, l’OCDE recommande un effort soutenu en matière de formation. Pour l’organisation internationale, les pays devraient mieux appréhender l’évolution des besoins de compétences avec une orientation des étudiants et des actifs vers les filières les plus dynamiques. Dans tous les pays de l’OCDE, les travailleurs très qualifiés ont deux à trois fois plus de chances de suivre une formation en cours d’emploi que leurs collègues peu qualifiés.

L’OCDE réclame également une protection sociale tenant compte de l’évolution du marché du travail. Plus de la moitié des travailleurs indépendants que compte l’Europe n’ont pas d’assurance-chômage. L’OCDE cautionne de la sorte le projet d’Emmanuel Macron d’assurance chômage universel.

L’Europe, une valeur de nouveau positive

Après une annus horribilis en 2016, l’Europe redevient « tendance ». Les résultats des élections depuis le début de l’année, aux Pays-Bas, en France, voire au Royaume-Uni, témoignent d’un sursaut réel en faveur de la construction européenne. L’Europe était devenue le bouc-émissaire des problèmes nationaux, le chômage, la stagnation ou la diminution des salaires et des prestations sociales, les déficits, les dettes, les normes, les prix des produits agricoles, etc. L’effacement progressif des stigmates de la crise de 2008 avec notamment la baisse du chômage explique, en partie, ce retournement de tendance. Une prise de conscience des apports de l’Europe s’est certainement produite après la décision du Royaume-Uni de sortir de l’Union. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump a également pu créer un électrochoc. Ces premiers propos antieuropéens ont eu comme conséquence de rapprocher les ressortissants du vieux continent. Les attentats qui, de Londres à Paris, en passant par Bruxelles et Berlin, ont également ressoudé les Européens.

Selon une étude réalisée durant le printemps par le Pew Research Center qui est un laboratoire centre de recherche américain, l’opinion publique des différents pays européens après avoir doutée en 2016 de l’intérêt de l’Europe semble, de nouveau vouloir y croire. Le souhait de rester dans l’Union est très fort au sein des différents Etats. Néanmoins, l’idée de conforter l’adhésion par un référendum est unanimement partagée selon.

 

Europe, Etats-Unis, deux puissances agricoles au coude à coude !

L’Europe et les Etats-Unis sont deux grandes puissances agricoles qui se plaisent à se combattre dans le cadre des négociations commerciales internationales. Ils s’accusent mutuellement de protectionnisme. Quels sont les rapports de force et quelles sont les politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics pour soutenir leur agriculture ?

L’Union européenne est le premier exportateur et importateur mondial de produits agroalimentaires depuis 2013. En 2014, ces produits ont représenté 7.1 % des exportations totales de l’Union européenne et 6.3 % de ses importations totales.

La part de l’agriculture dans l’économie européenne recule  d’année en année. Elle représentait en 2014 1.6 % du PIB et 4.3 % de l’emploi. Elle continue néanmoins de devancer les Etats-Unis, pays dans lequel le secteur agricole primaire représente 1.3 % du PIB. En 2014, les États-Unis ont réalisé environ 44 % de leurs exportations vers la Chine, le Canada et le Mexique, tandis que la moitié environ des importations de produits agricoles provenait du Canada, du Mexique et de l’Union européenne

L’Europe se caractérise par l’importance de ses terres cultivées, plus de la moitié de son territoire. Les terres agricoles en Union européenne ont une superficie deux fois supérieure à la moyenne constatée au sein des pays de l’OCDE. Les Etats-Unis disposent du deuxième espace agricole mondiale. L’étendue latitudinale du pays lui offre la possibilité de cultiver une très large gamme de produits, plus large que celle de l’Europe.

Production, avantage aux Etats-Unis

L’agriculture européenne stagne depuis 2012 en raison de conditions climatologiques défavorables, de la crise qui a frappé de nombreux Etats, ces dernières années, et en raison des embargos avec la Russie. Sa croissance est inférieure de trois points à celle de la moyenne mondiale. Cette stagnation n’empêche pas une accélération de la productivité totale des facteurs (PTF). Elle a progressé de 1.5 % par an depuis 2012, soit plus du double du taux de croissance observé entre 1991 et 2000. L’agriculture européenne devient plus économe en intrants grâce au développement des produits bio et de la réglementation environnementale. De son côté, l’agriculture américaine a connu, ces dernières années, une croissance assez dynamique, +0,9 % par an en moyenne. Les gains de productivité ont été de 1,8 % par an du fait de l’intégration plus rapide du progrès technique (agriculture connectée).

Les réglementations environnementales sont de plus en plus sévères en Europe quand elles s’allègent aux Etats-Unis mais le recours aux pesticides et aux engrais chimiques est plus important sur le vieux continent. La baisse relative de leur utilisation aux Etats-Unis est plus rapide qu’en Europe. L’agrandissement des exploitations contribue également à l’amélioration de la productivité. L’agriculture est moins consommatrice d’énergie aux Etats-Unis que dans le reste de l’OCDE, en revanche, elle génère davantage de stress hydrique.

Le secteur agricole américain bénéficie, par ailleurs, d’un grand marché intérieur de consommation avec une concurrence assez forte en matière de distribution ce qui n’est pas le cas en Europe où le marché reste segmenté et détenu par des oligopoles, du moins dans certains Etats.

L’agriculture européenne est bien intégrée dans la chaine de production mondiale. En effet, les importations agricoles et agroalimentaires sont destinées à être transformées quand les exportations sont constituées à 70 % de produits destinés à la consommation finale, essentiellement en tant que produits transformés. Aux Etats-Unis, près de la moitié des importations de produits agroalimentaires correspond à des produits transformés pour la consommation finale, tandis que plus de la moitié des exportations sont destinées au secteur agroalimentaire, puis utilisées principalement sous la forme de produits primaires.

Les politiques de soutien passées au crible

 La Politique agricole commune (PAC) est le principal instrument de l’Union européenne. En dehors du cadre de la PAC, les États membres peuvent appliquer des mesures financées sur leurs budgets nationaux qui ciblent des secteurs ou objectifs spécifiques, tant qu’elles satisfont aux règles sur l’aide publique de l’Union européenne et ne faussent pas la concurrence au sein du marché commun.

La PAC prend la forme de programmes couvrant une période de sept ans. Elle repose sur deux piliers. Le premier est financé par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et le second par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Les mesures du second pilier s’appuient sur les programmes de développement rural (PDR) proposés et cofinancés par les États membres de l’Union européenne. Le budget global de la PAC pour la période 2014-20 est fixé à 408 milliards EUR (453 milliards USD). Sur ce montant, 76 % sont consacrés au premier pilier, c’est-à-dire aux dépenses liées au marché et aux paiements directs, et 24 % au second pilier.

Le premier pilier finance également les mesures de soutien des prix du marché, qui représentent 5 % du budget total de l’agriculture et du développement rural. Ces dispositifs qui jouaient un rôle importants jusque dans les années 80 ont été démantelés ou réduits pour limiter la surproduction et constitution de stocks, pour éviter des situations de rente et pour être en conformité avec le droit de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Des systèmes d’intervention existent encore pour les céréales, à savoir le blé tendre et le blé dur, l’orge et le maïs, mais n’ont pas été utilisés récemment. Le sucre est soutenu au moyen de quotas de production et d’une aide au stockage privé. Le prix minimum de la betterave sous quota est fixé à 26.29 euros par tonne jusqu’à la fin du régime de quotas applicable au sucre, prévue pour le 30 septembre 2017.

Les fruits et les légumes peuvent bénéficier du dispositif de paiement par produits. Des mécanismes d’intervention en cas de crise peuvent être mis en œuvre par les organisations professionnelles. Un dispositif de prix d’entrée (prix minimum d’importation) pour certains produits et des droits ad valorem sont prévus ; en revanche, il n’y a pas plus de subventions à l’exportation. Les fruits et les légumes, mais aussi l’huile d’olive et les olives de table bénéficient d’aides cofinancées par les États membres.

Le secteur vinicole est admissible à des mesures de promotion dans le marché commun et des pays tiers. Des aides sont prévues pour la restructuration, la conversion des vignobles ; la compensation en cas de mauvaise récolte, l’élaboration de nouveaux produits et pour la distillation de sous-produits.

Les fonds du second pilier sont mis en œuvre au moyen de plans de développement rural (PDR) nationaux (ou régionaux). Les États membres participent au financement du second pilier dans le cadre des PDR qui sont valables sur la totalité du cycle de la PAC. Dans leur programme, les États membres ont le choix entre un bouquet de mesures qui correspond aux six priorités du second pilier. 30 % du financement du développement rural par le budget de l’Union européenne doivent être consacrés au moins à des mesures liées à l’environnement et à l’adaptation au changement climatique, notamment par la sylviculture et des investissements physiques.

Les six domaines prioritaires du second pilier sont les suivants :

  • favoriser le transfert de connaissances et l’innovation ;
  • améliorer la compétitivité de tous les types d’agriculture et promouvoir la gestion durable des forêts ;
  • promouvoir l’organisation de la chaîne alimentaire, y compris la transformation et la commercialisation des produits agricoles, ainsi que la gestion des risques ;
  • restaurer, protéger et renforcer les écosystèmes ;
  • promouvoir l’utilisation efficace des ressources et soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de CO2 ;
  • promouvoir l’inclusion sociale, la réduction de la pauvreté et le développement économique dans les zones rurales.

Dans le cadre de la PAC 2014/2020, les quotas de production de lait ont été supprimés et cela à compter du 1er avril 2015. Les Etats membres ont, par ailleurs, pris des dispositions pour venir en aide aux agriculteurs pénalisés par l’embargo imposé depuis le 7 août 2014 par la Fédération de Russie sur les importations de certains produits agricoles en provenance de l’Union européenne.

Si par rapport aux années 90, la politique de soutien à l’agriculture a baissé, une inversion de tendance est constatée depuis 2015 avec la baisse des prix mondiaux. Des mesures ont été prises pour tenter de stabiliser les revenus des agriculteurs européens. La politique agricole commune comprend de nombreuses aides visant à inciter les exploitants à améliorer leurs connaissances, à entretenir les infrastructures ou le paysage.

Les Etats-Unis aident moins mais aident quand même

Le niveau de soutien accordé aux agriculteurs américains a toujours été inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE et tend à baisser au fil des années. Ces dernières décennies, la part du soutien des prix du marché a été réduite. À l’inverse, le soutien budgétaire direct aux exploitants s’est peu à peu accru du fait, principalement, de l’augmentation des paiements non assortis d’une exigence de production. Les politiques agricoles sont, en ce sens, assez convergentes.

Le soutien aux producteurs américains en pourcentage des recettes varie considérablement selon les années et les produits de base. De nombreuses mesures de politique agricole étant contracycliques par rapport aux prix du marché. L’aide aux agriculteurs est ainsi passé entre 1986-88 et 2014-16, de 21 à 9 % des recettes agricoles brutes étant donné que durant cette période les prix mondiaux ont eu tendance à progresser. La part des mesures susceptibles de créer le plus de distorsions (mesures fondées sur la production et l’utilisation d’intrants variables – sans contraintes) a reculé pour s’établir à 33 % en 2014-16, ce qui est bien inférieur à la moyenne de l’OCDE et aux niveaux relevés en 1996-97.

Le soutien a atteint son niveau maximal quand les prix mondiaux (en USD) des produits de base étaient en baisse, tandis que les prix élevés des produits de base observés depuis 2007-08 expliquent en partie sa baisse. Les agriculteurs américains ont également contribué à la réduction du déficit public dans le cadre des programmes de réductions automatiques des dépenses publiques.

En 2014-16, les agriculteurs américains ont perçu des prix supérieurs de 3 % en moyenne aux prix observés sur les marchés mondiaux. Cela s’explique en grande partie par le soutien au prix du lait, du sucre et, dans une moindre mesure, de la viande ovine. Le soutien à la consommation représente près de la moitié du soutien total à l’agriculture américaine, en raison des programmes intérieurs d’aide alimentaire. Comme en Europe, les agriculteurs sont appelés à remplir des missions de service public. Les aides liées services d’intérêt général sont passées, dans l’estimation du soutien total  l’agriculture, de 6.4 % en 1986-88 à 9.9 % en 2014-16.

La politique agricole repose sur une loi pluriannuelle dont celle en vigueur couvre la période 2014-2018 (voire au-delà de 2018 s’agissant de certaines dispositions). Elle comprend douze titres :

  • les programmes de soutien par produit ;
  • l’assurance récolte ;
  • la conservation des terres agricoles ;
  • l’aide alimentaire intérieure ;
  • la promotion des échanges agricoles et à l’aide alimentaire internationale ;
  • le crédit agricole ;
  • le développement rural ;
  • la recherche agricole ;
  • les activités d’exploitation forestière menées sur des terrains privés ;
  • l’horticulture ;
  • l’agriculture biologique ;
  • la bioénergie.

Près de 80 % des dépenses budgétaires effectuées dans le cadre de la loi agricole de 2014 sont consacrées à des programmes d’aide alimentaire intérieure.

Le programme d’assurance récolte couvre les pertes de rendement et de revenus. Il joue un rôle important dans le soutien aux agriculteurs. Le dispositif classique accorde une subvention aux producteurs souscrivant une police d’assurance afin de se prémunir contre les pertes de rendement ou de revenus, voire la perte de la totalité des recettes de leur exploitation. En outre, l’option de couverture complémentaire (Supplementary Coverage Option – SCO) offre aux producteurs une assurance supplémentaire fondée sur les superficies, qui se conjugue avec les polices d’assurance récolte habituelles

Aux États-Unis, le secteur agricole est également soumis à toute une série de mesures  réglementaires de portée fédérale ou locale concernant notamment les échanges, la sécurité des aliments, les opérations financières, la politique fiscale, l’énergie et les transports.

Si le sucre fait l’objet d’un contingent tarifaire, conjugué à un mécanisme de prêts non recouvrables ainsi qu’à des quotas de commercialisation, le lait et les produits laitiers ne bénéficient plus de prix minimums. Les achats publics de beurre, de lait écrémé en poudre et de cheddar ont été supprimés, mais des droits de douane et les contingents tarifaires ont été maintenus. La filière laitière est néanmoins aidée à travers les achats de l’aide alimentaire.

Les droits de douane sur les produits agricoles importés sont, en règle générale, assez bas aux Etats-Unis permettant à ses dirigeants d’exiger la réciprocité de la part notamment de l’Europe. Il n’en demeure pas moins que les deux grandes zones économiques disposent d’un arsenal important d’aides difficiles à comparer. Les Etats-Unis ont centré leur politique sur la politique d’aide alimentaire permettant de réaliser des achats aux producteurs locaux. L’Europe dont la politique agricole commune date du début des années 60 a été contraint, au cours de ces vingt dernières années, d’en modifier progressivement les grandes orientations. L’aide direct aux agriculteurs a pris le pas sur le soutien aux prix et à la production. La fixation d’objectifs environnementaux est plus prégnante en Europe qui, par tradition et par contrainte territoriale, a une agriculture plus intensive et plus consommatrice d’intrants.