25 mai 2019

Le Coin des tendances du 25 mai 2019

100 ans de réduction du temps de travail

La France a fêté, assez discrètement, le 100e anniversaire de la loi de 1919 sur la journée de travail de 8 heures. Cette loi instituait un horaire légal maximal pour l’ensemble de la population active. La diminution du temps avait été alors réalisée sans perte de salaire. Elle était le fruit de revendications qui s’exprimaient notamment le 1er mai de chaque année. Elle s’inscrivait dans le climat de concorde nationale faisant suite à la fin de la Première Guerre mondiale.

La question du temps de travail est toujours, dans notre pays, sensible et passionnelle. Des 40 heures en 1936 accusées d’avoir menées à la débâcle de 1940 aux 35 heures de Martine Aubry, à chaque fois, les réductions ont été des sources de conflits dans le pays. Malgré tout, il faut souligner que les lois qui les ont instituées n’ont jamais été totalement abrogées.

Cent ans après la loi des 8 heures, le débat a été relancé avec d’un côté le Président de la République qui indique la nécessité d’allonger le temps de travail et, de l’autre, les responsables des « Verts » et de « La France Insoumise » proposent au contraire sa réduction.

La France est avec l’Allemagne est l’un des pays où le temps de travail est le plus faible. L’Allemagne dont l’industrie pèse deux fois plus lourd que la nôtre peut compter sur des gains de productivité supérieurs. En outre, la forte compétitivité extérieure des entreprises Outre-Rhin leur permet d’offrir des temps de travail assez faible. Par ailleurs, le volume plus faible du travail en Allemagne est lié à un recours élevé du temps partiel, en particulier pour les femmes. Par an, tous les autres grands pays occidentaux ont des volumes de travail plus élevés de 200 à 300 heures. Le nombre d’heures moyennes annuelles aux États-Unis dépasse 1800. Il se situe entre 1650 et 1750 en Espagne, en Italie, au Royaume-Uni ou au Japon.

La France se caractérise par un taux d’emploi faible et un taux de chômage élevé. Au sein des grands pays de l’OCDE, le taux d’emploi français, avoisine les 66 %, soit l’un des plus faibles des pays considérés. Ce taux dépasse 75 % en Allemagne, en Suède ou au Japon. Il est de 71 % aux États-Unis. À l’exception de l’Allemagne, tous les pays ayant un faible chômage ont des durées de travail plus élevées.

Si la réduction du temps de travail a été fréquemment un combat social, elle repose néanmoins sur des considérations économiques. Elle est une des expressions du partage des fruits de la croissance des entreprises. Elle dépend de ce fait des gains de productivité. En période de faibles gains, une baisse de la durée du travail entraîne une hausse du coût de ce dernier si elle ne s’accompagne pas d’une diminution des salaires. Elle aboutit à une répartition de la valeur ajoutée en faveur des salariés. En France, les gains de productivité ne dépassent pas 1 % depuis de nombreuses années. L’instauration des 35 heures s’est accompagnée d’un effort public important afin de compenser le surcoût de 11 % pour les entreprises. La collectivité publique finance à hauteur d’une trentaine de milliards d’euros la réduction du temps de travail.

La mise en place d’un nouveau plan de réduction du temps de travail ne pourrait pas donner lieu à une compensation de la part de l’État ou des régimes sociaux compte tenu du niveau d’endettement. Le faible niveau de marge des entreprises et le déficit de la balance commerciale ne permettent pas de leur faire supporter l’éventuel surcoût. Une réduction des salaires apparaît également difficile à opérer.

La diminution du temps de travail a un impact négatif pour les personnes rencontrant des difficultés d’insertion. Elle élève la marche d’entrée sur le marché du travail. En effet, plus le temps de travail est réduit, plus l’exigence de productivité est forte. Il faut être productif rapidement car le temps est compté. La réduction du temps de travail peut contribuer à augmenter le chômage structurel.

À défaut de travailler moins, pouvons-nous travailler plus ? Le travailler plus prend plusieurs formes : allongement de la durée hebdomadaire de travail, augmentation du temps de travail annuel avec diminution par exemple de jours fériés, recours facilité aux heures supplémentaires, allongement de la durée des carrières (durée de cotisation pour le financement des retraites). Ces différentes propositions ne reçoivent guère l’assentiment de l’opinion publique. Les Présidents de la République, Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron, ont décidé tour à tour, de favoriser les heures supplémentaires en instaurant des dispositifs d’exonération de charges sociales et d’impôt. Il en résulte que la France finance tant la réduction que l’allongement du temps de travail !

Selon le classement PIAAC de l’OCDE sur les compétences de la population active, la France se situe au 21e rang loin derrière le Japon, la Finlande,  les Pays-Bas ou la Suède. Ce sont les pays qui ont les meilleurs résultats PIAAC qui dégagent les gains de productivité les plus élevés et qui ont les taux d’emploi les plus importants. Ces corrélations semblent supposer que ce n’est pas travailler plus ou moins qui compte mais travailler mieux. La question centrale est la formation tant initiale que professionnelle. Or, en la matière, la France ne figure pas pour le moment parmi les bons élèves.

La diffusion du digital, un risque d’exclusion pour certains actifs

Plus de huit salariés sur dix ont recours dans le cadre de leur travail à des outils numériques. Le degré d’utilisation diffère en fonction des secteurs d’activité et des postes occupés. Le Centre d’Études et de Recherches sur les Qualifications a réalisé une étude afin d’analyser le rapport aux technologies de l’information et de la communication des salariés français. Plusieurs catégories peuvent être distinguées. Elles permettent d’apprécier les risques en termes d’emploi que pourraient rencontrer dans les prochaines années les actifs du fait de la diffusion croissante du digital dans la vie professionnelle. Il apparaît que les salariés les plus éloignés des TIC dans le cadre de leur travail le sont également de la formation, mais aussi des apprentissages informels dont bénéficient de façon cumulative les utilisateurs de TIC.

L’étude met en exergue six profils d’utilisateurs des TIC :

  • les nomades ;  
  • les relations clients ;
  • les tâches en ligne ;  
  • les distants ;
  • les non-connectés ;
  • les chercheurs d’emploi.

Les « nomades »

16 % des salariés sont en permanence connectés. Ils sont diplômés de l’enseignement supérieur pour plus des deux tiers d’entre eux. Ils sont bien représentés dans les moins de 35 ans. Ce sont des utilisateurs des réseaux sociaux tant sur le plan professionnel qu’individuel. La frontière entre les activités de ces deux sphères s’estompe. Ils sont en contact avec leur entreprise en permanence quel que soit le lieu où ils se trouvent. Ils sont habitués au travail collaboratif et au travail à distance. Ils acceptent assez facilement l’idée du bureau de passage. 58 % sont des cadres. Ils occupent des fonctions de direction ou aspirent à les occuper. Ils sont bien représentés dans les secteurs de l’informatique, de la télécommunication, dans la finance et dans les fonctions marketing ainsi que dans celles liées aux activités commerciales.

Les « relation clients »

16 % des salariés sont des utilisateurs importants à titre professionnel des mails et des moteurs de recherche. Ce sont également des salariés très connectés mais moins férus de nouveautés. Internet est un outil de conquête de marché, de clients. Ce sont également diplômes de l’enseignement supérieur (59 %). À la différence des « geeks » précédemment présentés, les représentants de cette catégorie comptent une proportion importante de femmes. Ce sont des cadres mais aussi des agents de maîtrise. Les professions paramédicales, d’attachés commerciaux et de secrétaires sont ici surreprésentées.

Les « tâches en ligne »

Cette catégorie regroupe 25 % des salarié. L’utilisation d’Internet est très orientée vers la recherche d’information. Les outils d’aide à la coopération interne sont également utilisés par cette catégorie de salariés. Ce sont des salariés qui participent aux processus d’automatisation de la production industrielle ou dans les services. Les salariés en question sont des diplômés du supérieur. Ils occupent des postes d’agents de maîtrise ou de techniciens avec une an­cienneté moyenne plus importante que les autres (27 % ont plus de 20 ans d’ancienneté, contre 19 % pour l’ensemble). Les professions d’employés administratifs, de la banque et des assurances et de techniciens de la maintenance y sont surreprésentées.

Les « distants »

14 % des salariés ont un rapport limité avec le monde d’Internet. Leur recours aux outils connectés se limite au mail et à l’intranet. Moins orientés vers la recherche d’information et la communication, ils utilisent peu les outils informatiques pour échanger et partager. Peu diplômés, ces salariés occupent plus souvent des postes d’employés ou d’ouvriers qualifiés dans des fonctions de production et d’exploitation. Ils exercent plus souvent dans les secteurs des transports et de la fabrication de produit industriel, au sein de structures de taille moyenne (250 à 449 salariés). Les professions d’agents d’entretien, de vendeurs, de conducteurs et d’ouvriers qualifiés de l’industrie y sont surreprésentées.

Les « non connectés »

16 % des salariés n’ont pas de lien suivi avec Internet durant leur activité professionnelle ce qui n’exclut pas l’utilisation occasionnelle d’un équipement numérique. 24 % d’entre eux ont ainsi recours à un ordinateur dans leur travail, mais leur usage ne nécessite pas une connexion à un réseau interne ou externe. Ces salariés sont plus âgés que la moyenne (55 % ont plus de 45 ans). Il s’agit plus souvent d’hommes, peu diplômés (1/4 n’ont aucun diplôme), occupant des postes peu qualifiés. Ils exercent des fonctions de production, de chantier, de gardiennage ou de nettoyage, dans les secteurs de la construction ou de l’industrie agroalimentaire. Les professions d’ouvriers du bâtiment, d’ouvriers des industries de process, de conducteurs de véhicules et d’agents d’entretien, sont surreprésentées.

Les « chercheurs d’emploi »

13 % des actifs utilisent régulièrement Internet pour leur recherche d’emploi. Ce sont avant tout les demandeurs d’emploi. Ils se connectent pour se documenter ou rechercher un emploi, de l’information et des données sur leurs éventuels employeurs. Ils sont plus jeunes que la moyenne de la population (42 % sont âgés de moins de 35 ans). Ils sont moins diplômés que la moyenne (la moitié n’ont pas le bac) à l’image de la population en recherche d’emploi.

Ceux qui utilisent peu ou pas Internet dans leur travail regroupent un tiers des actifs. Ils figurent parmi ceux qui suivent le moins de formation en ligne et de formation tout court. En étant peu connecté, l’accès aux formations est complexe. La logique des tutoriels leur échappe. Cela concerne les « non connectés » et les « distants » en entreprise mais aussi une part non négligeable des demandeurs d’emploi. Cette population peut être confrontée à une marginalisation digitale.

Les salariés qui ont accès à la formation sont ceux qui utilisent le plus les outils connectés. 53 % des « nomades » ont suivi une formation au cours des 12 dernier mois (respectivement 48 % et 55 % pour les « relation client » et « tâches en ligne » contre 22 % des « non connectés ».

Au-delà même des formations, le fait même d’avoir accès à des outils numériques permet de se tenir informé et de se former. Cet accès est une garantie de rester à niveau. Au fil des années, le fossé se creuse entre ceux qui utilisent professionnellement le réseau Internet et les autres. Ces derniers accumulent un retard difficile à combler surtout pour les plus âgés d’entre eux.

Les TIC façonnent de plus en plus les structures des entreprises. Elles instituent des codes informels qui comme tout langage s’acquièrent par la pratique au quotidien. Les « non-connectés » en sont exclus, ce qui rend difficile leur évolution professionnelle à terme. Selon un des derniers rapports en date du Conseil d’orientation pour l’emploi, la moitié des emplois devrait connaître une profonde évolution en raison de la montée en puissance du digital. Le fossé entre les connectés et les autres n’est pas sans danger pour l’emploi de milliers de personnes. En effet, l’automatisation et la numérisation des tâches imposent le recours à des outils connectés même dans des professions qui jusqu’à maintenant étaient peu concernées. L’entretien – nettoyage, la logistique – l’hôtellerie et la restauration donnent davantage lieu à des opérations visant à récupérer des données. Il y a donc une gestion avec des outils numérique de plus en plus fréquente. Ces dernières années, les transports ont montré que l’intrusion du digital pouvait être rapide (chauffeurs VTC). Dans les restaurants, le pilotage des cuisines et des stocks s’effectue directement en fonction des commandes prises en ligne et transmises par le réseau. Le secteur du bâtiment qui est encore en retard dans ce domaine devrait connaître une forte évolution afin de réaliser des gains de productivité en ce qui concerne l’utilisation des entrants (sable, ciment, graviers, eau, produits) mais aussi dans le processus de construction (planification des tâches en direct et suivi de chantier). La construction des maisons s’inspirera de plus en plus de la logistique en cours pour celle des avions. L’une et l’autre se caractérisent par l’intervention d’un grand nombre d’acteurs qu’il convient de coordonner.

Les secteurs où es gains de productivité sont réalisables via le numérique sont ceux où les salariés sont les moins connectés et qui bénéficient le moins de formation. Un des enjeux soulignés par de nombreux rapports est de faciliter la diffusion des outils digitaux auprès d’un plus grand nombre de salariés.