27 juillet 2019

Le Coin des Tendances du 27 juillet 2019

« Couvrez ce CETA que je ne saurais voir ! »

Le traité de ratification de l’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada a été adopté par l’Assemblée nationale le mardi 23 juillet 2019. Cette ratification a donné lieu à un important débat public. Parmi les arguments soulevés contre cet accord figurent son impact sur l’environnement, ses effets sur les revenus des agriculteurs et le manque de transparence des procédures d’arbitrage en cas de conflits.

L’accord économique et commercial global (AECG) ou Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) est le traité établi entre le Canada et l’Union européenne. Les négociations ont été conclues le 18 octobre 2013 et il a été signé par les représentants des parties prenantes le 30 octobre 2016. L’application provisoire de l’accord, concernant plus de 90 % de ses dispositions, est intervenue le 21 septembre 2017. Une clause prévoit qu’en cas de rejet par l’un des parlements des États membres, l’accord s’applique provisoirement durant trois années.

La peur que suscite le Canada est inversement proportionnelle à son poids démographique. En effet, ce pays est peuplé de 37 millions d’habitants contre 70 millions pour la France et plus de 500 millions pour l’Union européenne. Le Canada est la dixième puissance économique mondiale avec un PIB par habitant comparable de celui de la France.

L’accord commercial est appliqué de manière temporaire depuis le 21 septembre 2017 sans que cela ait généré d’importantes perturbations sur les marchés agricoles européens.

Le CETA permet aux parties prenantes d’aller plus loin en termes de baisses des barrières commerciales que le cadre prévu par l’Organisation Mondiale du Commerce. Il supprime les droits de douane pour presque tous les produits, soit près de 98 % des droits de douanes entre les deux régions, dès la mise en œuvre de l’accord. Les droits de douane sont déjà très faibles entre les deux zones économiques. Ils passent en moyenne de 1,2 à 0 %. Certes, certains secteurs étaient soumis à des tarifs plus importants comme ceux en vigueur sur les produits chimiques et plastique (en moyenne de 4,9 % avec un maximum de 6,5 %). Pour les produits manufacturés, les taux de 1,8 et 3,3 % disparaissent. Il est à noter que certains produits industriels pouvaient être soumis à des taux de 22 %. Sont également supprimés les droits de douanes sur les produits miniers et métalliques comme ceux sur l’aluminium et ses dérivés qui étaient de 6,3 %, sur le nickel et ses dérivés qui étaient de 3,3 % ou encore sur le cuivre, le zinc, le plomb et l’étain et leurs dérivés qui étaient de 3,1 % en moyenne.

Pour certains produits l’élimination des droits de douanes est progressive sur 3, 5 ou 7 ans. Cela concerne notamment le secteur automobile, certains produits de la mer et quelques produits agricoles. Cependant, même dans ces catégories, une large majorité des produits voient leurs droits de douane supprimés immédiatement avec, par exemple, des droits de douanes sur les produits de la mer qui pouvaient aller jusqu’à 20 %, ou encore pour les produits agricoles des droits de douanes européens de 12 % sur les cerises, de 9 % sur les pommes, ou encore de 17,3 % sur le miel. Certains produits agricoles voient la suppression de droits de douanes variables comme le blé dur qui avait des droits de douanes compris entre 190 dollars/tonne et zéro selon la situation de marché, ou le blé commun avec des droits de douane maximum de 122 dollars/tonne, l’avoine avec des droits de douane fixes de 89 euros/tonne, l’orge et le seigle avec des droits de douane fixes de 93 euros/tonne. En revanche, contrairement à ce qui a pu être affirmé par certains, les viandes de volailles et les œufs sont exclus de l’accord dans les deux sens, et les viandes bovines et porcines dans le sens allant du Canada vers l’Union. Des contingents d’accès exemptés de droits sont toutefois introduits de manière progressive sur 3, 5 ou 7 ans. Les quotas de viandes bovines passeront de 4 162 à 45 840 tonnes par an quand ceux des quotas de viandes porcines passeront de 5 549 à 75 000 tonnes par an. Par ailleurs, les produits laitiers au départ de l’Union européenne sont exclus. Un contingent tarifaire est toutefois introduit et s‘ajoute à celui qui existe déjà. Le traité oblige le Canada à reconnaître 145 appellations d’origines contrôlées européennes non viticoles sur les 1 500 que compte l’Union européenne. Il faut également souligner que les produits agricoles ou alimentaires non conformes aux règles de l’Union tels que le bœuf aux hormones ou le poulet au chlore sont exclus de l’accord, de même que les OGM qui ne sont pas approuvés par l’Union.

L’accord prévoit également l’ouverture des marchés publics. Pour le Canada, le taux d’ouverture passera de 10 à 30 % des marchés publics. Les marchés publics européens ne devraient pas être plus ouverts aux entreprises canadiennes car 90 % des marchés publics le sont déjà ouverts.

Comme dans une grande majorité des accords commerciaux, une procédure d’arbitrage des conflits spécifique existe. Ce recours à l’arbitrage permet de résoudre rapidement les problèmes commerciaux sans passer par la voie judiciaire classique. Le traité comporte également un volet sur le développement durable, l’environnement et le droit du travail. Des reconnaissances de qualifications et de diplômes sont également incluses et rationalisées dans le trait.

Depuis la mise en place temporaire du traité, les exportations européennes vers le Canada ont augmenté de 7 % en valeur (en euros), par rapport à la même période l’année précédente, alors que les exportations du Canada vers l’Union européenne sur cette même période ont diminué de 3 %. Selon les données de la Commission européenne, sur la période d’octobre 2017 à juin 2018, l’augmentation des exportations vers le Canada par rapport à l’année précédente concerne des produits comme les machines, appareils et engins mécaniques (+8 %), les produits pharmaceutiques (+10 %), les produits cosmétiques (+11 %), les vêtements (+11 %), les fruits (+29 %), le chocolat (+34 %) ou encore les vins pétillants (+11 %). Pour les seuls échanges agroalimentaires bilatéraux France-Canada, dans les 12 mois suivant la mise en application provisoire de l’accord, les importations canadiennes de produits français se sont élevées à 1 174 millions de dollars canadiens, par rapport à 1 036 millions de dollars canadiens pour la période de 12 mois immédiatement antérieure, soit une progression de 13,3 %. Parallèlement, les importations françaises de produits agroalimentaires canadiens se sont élevées à 314 millions d’euros, par rapport à 431 millions d’euros pour la période de 12 mois immédiatement antérieure, soit une diminution de 27,2 %. Le solde commercial bilatéral de la France pour les produits agro-alimentaires, déjà très excédentaire, s’est encore accru depuis la mise en application provisoire du CETA notamment pour le fromage et dans une moindre mesure pour le vin.

Le protectionnisme est une tradition française. Le libre échange est toujours perçu contre nature, imposé par des élites déconnectées du terrain. Ainsi, Napoléon III fut critiqué quand il imposa le traité franco-britannique en 1860. De même, le Traité de Rome créant le marché commun, entraîna une forte contestation de la part des agriculteurs. Depuis une trentaine d’années, qu’ils soient négociés dans le cadre de l’OMC ou de manière bilatérale, les accords de commerce donnent lieu à une cristallisation des oppositions de nature agricole, écologique ou anticapitaliste. Les réactions au CETA sont d’autant plus étonnantes qu’il a été prouvé que les échanges entre pays ayant des états de développement voisins engendrent des flux fructueux et moins déstabilisants pour les économies respectives. Les coûts de production sont proches tout comme les besoins de consommation de la population. Les accords permettent de faire jouer les avantages comparatifs avec des transferts faibles d’activités. Initialement, il était imaginé de créer un grand espace commercial entre l’ensemble de l’Amérique du Nord et l’Union européenne. L’objectif était de réunir les deux plus grands marchés de consommation et de faire contrepoids à l’Asie du Sud Est. La dégradation des relations avec les États-Unis et la crainte qu’un tel accord permette au Royaume-Uni de profiter du marché commun européen a entraîné l’arrêt des négociations.

Dans l’histoire économique, il n’y a pas un exemple où des États ayant mis en œuvre des politiques protectionnistes en soient ressortis gagnants, de la Chine du XVIe siècle dont les Empereurs refusaient le commerce avec les barbares, à l’URSS en passant par les États fraichement décolonisés d’Afrique.

Bretton Woods, 75 ans après

Il y a 75 ans, avant même la fin de la Seconde Guerre mondiale, les représentants des alliés décident de mettre en place un cadre économique et monétaire afin d’éviter la répétition des erreurs ayant conduit à la grande crise de 1929. Dans son discours inaugural à la conférence de Bretton Woods, en 1944, le Président Roosevelt déclare : « Les maladies économiques sont très contagieuses [et] la santé économique de chaque pays est un sujet de préoccupation réel pour tous ses voisins, proches comme éloignés ; [c’est pour cette raison que] ce que nous devons faire doit être fait – ne peut être fait – que de concert »

Parmi les représentants participant à cette conférence figurent notamment, Pierre Mendès France pour la France et John Mayard Keynes pour le Royaume-Uni. Les États-Unis étaient représentés par Harry Dexter White.

L’objectif de la négociation était de mettre en place une organisation monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre. Après trois semaines de débats, les accords sont signés par les représentants des 44 pays alliés. L’URSS, également présente, n’est pas signataire. 

Deux organismes voient le jour lors de cette conférence, et sont toujours en activité : La Banque Internationale pour la reconstruction et le Développement (BIRD) connue sous le nom de Banque Mondiale, et le Fonds Monétaire International (FMI).

Un troisième organisme aurait dû être créée et chargée du commerce international. Du fait de l’opposition américaine, cette organisation ne verra le jour qu’en 1995 et prendra le nom d’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et remplace les cycles de négociations de l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT).

Au niveau monétaire, la conférence de Bretton Woods prend acte de l’impossible retour à l’étalon or. Les représentants des États créent un Gold-Exchange Standard fondé sur une seule monnaie, le dollar américain. Toutes les monnaies sont convertibles en dollar et seul le dollar est défini en or. Le rattachement à l’or, sur la base de 35 dollars américains l’once d’or, suppose qu’il n’y aura pas de dérapage incontrôlé de la part des États-Unis et qu’ils chercheront à maintenir la valeur « réelle » de leur monnaie.

Dans ce système, les différentes monnaies nationales (autres que le dollar américain) ont un taux de change fixe mais ajustable en cas de besoin sous réserve de l’accord des partenaires. En temps courant, la convertibilité des monnaies par rapport au dollar est encadrée par un cours plancher et un cours plafond, qui interdisent à ces monnaies de s’écarter de plus de 1 % de la parité initiale fixée. Le FMI est chargé de surveiller les politiques nationales afin d’éviter la survenue de crises de change. Les accords de Bretton Woods visent à éviter la réédition des pratiques malthusiennes et protectionnistes des années 30 qui ont amplifié la crise.

Ce système ne peut fonctionner que si les détenteurs de dollars ne demandent pas leur conversion. Il aboutit à ce que les États-Unis interviennent ainsi indirectement dans le processus de création monétaire de leurs alliés. Du fait du déficit commercial américain, des encaisses de dollars se sont constituées : les eurodollars.

L’accumulation des déficits extérieurs américains, la libéralisation du prix de l’or et le développement des eurodollars ont mis à mal le système monétaire issu de Bretton Woods. La convertibilité du dollar en or a été progressivement restreinte tandis que le cours réel de l’or s’éloignait de plus en plus des 35 dollars l’once. Le Général de Gaulle de manière peu coopérative, obtint la conversion de ses réserves en dollars contre de l’or entre 1963 et 1967. Il fut suivi par quelques États, ce qui incita le Président Richard Nixon à suspendre la convertibilité le 15 août 1971. 

L’économie mondiale évolue depuis une quarantaine d’année dans un non-système monétaire ou plutôt dans un système dollar. L’instauration des changes flottants en 1973 confirmée par les accords de la Jamaïque de 1976 ont supprimé les liens qui existaient entre la monnaie et des matières premières (or, argent, etc.). Depuis 1971, la valeur de la monnaie est fonction de l’offre et de la demande. Elle est liée à une série de facteurs, les taux d’intérêt, les résultats de la balance des paiements courants, la croissance, les réserves monétaires et la valeur des autres monnaies. La crise de 2008 a débouché sur une augmentation sans précédent des bilans des banques centrales à travers la mise en œuvre de politique de rachats d’obligations. Cette pratique a été réalisée au Japon, aux États-Unis, au Royaume-Uni, dans la zone euro mais aussi en Chine.

Le dollar reste la monnaie dominante tant pour les échanges (plus de 50 %) que pour les réserves (plus de 60 %). Les États-Unis ont ainsi la possibilité d’imposer leurs règles commerciales et financières à tous les pays, à toutes les entreprises qui utilisent leur monnaie. Plusieurs banques dont BNP PARIBAS ont été sanctionnées pour ne pas avoir respecté les embargos décidés par les Américains à l’encontre de certains pays (Iran).

La base monétaire mondiale a été multipliée par plus de cinq entre 1998 et 2018. Cette croissance monétaire de la base monétaire n’a pas été coordonnée. Le Fonds Monétaire International a été suiveur plus qu’acteur dans la mise en œuvre des politiques monétaires non conventionnelles. Les pays émergents ont constitué d’importantes réserves de change pour empêcher la logique appréciation de leur monnaie. Les réserves de change mondiales sont passées de 1998 à 2018 de 1800 à 11 000 milliards de dollars. De nombreuses monnaies sont ainsi sous-appréciées. C’est le cas du yuan, du yen et de l’euro. En revanche, le dollar est surévalué en raison de la politique américaine et notamment du positionnement économique financier et militaire des États-Unis.

Si le système monétaire actuel est pourvoyeur de nombreux déséquilibres, nul n’imagine sa refonte à court terme du fait de l’absence de consensus des parties prenantes. La Chine ne dispose pas d’un système monétaire et financier transparent et ouvert. Les investissements étrangers sont encore réglementés. La profondeur du marché financier reste modeste. L’Europe, premier centre commercial international, pourrait être en position d’initier un projet de système monétaire international. L’euro, en vingt ans, est devenu la deuxième monnaie mondiale derrière le dollar. Mais les divisions internes, les incertitudes pesant sur certains États membres et l’absence d’avancée fédérale empêchent l’Union européenne de peser sur la scène monétaire internationale. Les États-Unis ont trop à perdre à rebâtir un nouveau système monétaire. Les dirigeants américains ont toujours été très méfiants à l’encontre des DTS (Droits de Tirages Spéciaux) assis sur un panier de monnaies qui pourraient jouer le rôle d’étalon. Ils s’étaient déjà opposés en 1944 au projet de Keynes qui visait justement à ne pas placer une monnaie au cœur du système monétaire international. L’idée de créer un nouveau système à partir d’une cryptomonnaie a été émise après la crise de 2008. Il en a résulté la création notamment du bitcoin mais cette création qui repose sur la technique de la blockchain ne répond pas pour le moment aux objectifs assignés à une monnaie et, surtout, ne remplit pas les conditions nécessaires. Une monnaie doit être un étalon, un instrument d’échange et de réserve ainsi qu’un outil d’arbitrage. La monnaie n’est pas un outil de spéculation.