29 juin 2019

Le Coin des tendances du 29 juin 2019

Les impôts sur la production, une vieille histoire

La France se caractérise par l’importance des impôts pesant sur la production. Selon une étude du Conseil d’Analyse Économique du mois de juin 2019, leur poids atteint plus de 72 milliards d’euros, soit plus de 3 % du PIB contre 30 milliards pour l’impôt sur les sociétés. Ces impôts sont de nature multiple. Ils peuvent frapper le facteur travail, le facteur capital, le foncier, la valeur ajoutée (VA) ou le chiffre d’affaires (CA).  La limitation, voire la suppression des impôts frappant la production, est une antienne. Jugés antiéconomiques, minant la compétitivité extérieure de notre économie, les pouvoirs publics envisagent régulièrement d’en limiter l’impact. C’est notamment pour cette raison que la TVA a été instituée en 1954 en contrepartie de la suppression d’une kyrielle de taxes en cascades. Durant plusieurs décennies, la taxe professionnelle a été fortement contestée entraînant sa suppression et son remplacement par la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et par la Contribution Foncière des Entreprises (CFE), deux taxes qui qui font également l’objet de nombreuses critiques. Il en est de même pour la taxe sur les salaires ou la Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S).

Depuis plusieurs années, la question de la suppression de la taxe sur les salaires qui concerne essentiellement le secteur financier et celle de la refonte des impôts locaux sont au cœur de l’actualité sans pour autant qu’une réponse définitive ait pu être apportée.

impôts sur la production en milliards d’euros (2016)
impôts sur la masse salariale 26,2
        dont versements transports 7,2
        dont taxes sur les salaires 6,1
        dont forfait social 5,2
        dont autres 7,7
impôts sur le chiffre d’affaires (Contribution sociale de solidarité des sociétés – C3S) 3,6
impôts sur la valeur ajoutée CVAE 13,3
impôts fonciers 24,6
          dont taxe sur le foncier bâti 12,1
          dont contribution foncière sur les entreprises 6,5
          dont autres 6
Autres impôts sur la production 4,5
total 72

Il est difficile de comparer le poids des impôts sur la production entre les différents pays du fait de leur nature très diverse. Les impôts comme la taxe sur les salaires peuvent être assimilés à des cotisations sociales.

En excluant la taxe sur les salaires, la France se distingue de ses voisins européens à la fois par l’importance de ces impôts sur la production à 2 % du PIB et 3,6 % de la VA des entreprises, et par leur nombre. En Europe, seule la Grèce prélève davantage (2,6 % du PIB) essentiellement à travers un impôt foncier, des licences professionnelles et une taxe sur les activités polluantes. Au Royaume-Uni, les prélèvements sur la production représentent 1,6 % du PIB (impôts portant sur le foncier, avec un équivalent à notre CFE). En Belgique, leur poids est de 1,4 % du PIB. Ils sont, comme en France, assez diverses tout en étant moins nombreux.  L’Italie est le seul pays avec la France à avoir mis en place un impôt sur la valeur ajoutée avec la taxe locale sur les activités productives. Enfin, aucun pays n’a d’impôt assis sur la production comparable à notre C3S.

Les pays les plus performants économiquement en Europe se caractérisent par des impôts modérés sur la production. C’est ainsi le cas en Allemagne, en Autriche, et aux Pays-Bas où les prélèvements sur la production sont inférieurs à 1,5 % du PIB. Sur un plan théorique, les biens intermédiaires ne devraient jamais être taxés. Toute taxe sur un échange dans le cadre d’un marché, quel qu’il soit, éloigne l’économie d’une situation optimale. Les taxes intervenant dans le cadre de la production et des échanges entre entreprises sont considérées comme les plus nuisibles à la bonne marche de l’économie.

La taxation d’un intrant (facteur capital ou bien intermédiaire) renchérit son prix relatif et conduit les entreprises à faire des mauvais choix dans leur processus de production. Cette distorsion peut favoriser la délocalisation de l’activité ou la réduction des effectifs afin de limiter l’impact de ces taxes.

La C3S peut être considérée comme un droit de douane interne frappant la production française. La C3S est une rémanence des anciennes taxes sur la production. La France a de tout temps eu une forte appétence pour taxer le chiffre d’affaires. Récemment, cette pratique a été remise au goût du jour pour lutter contre l’évasion fiscale des géants du digital. Les taxes sur le chiffre d’affaires existent dans notre pays depuis le XIIIe siècle. Elles ont connu leur heure de gloire en France après la Première Guerre Mondiale. La France qui a été à l’origine de la TVA a été le seul pays industrialisé à réintroduire une taxe sur le chiffre d’affaires avec la création de la C3S en 1970. La C3S est une taxe en cascade que les entreprises doivent payer à chaque niveau de la production.

Avec les taxes sur la production, les entreprises ayant besoin de faire des achats de biens et services intermédiaires sont incitées à se fournir à l’étranger, et non en France du fait de cette incidence sur les prix. Afin de garantir une neutralité économique, la taxation doit intervenir au terme du processus de production. La TVA qui est payée par les consommateurs finaux obéit à cette logique tout comme l’impôt sur les sociétés.  

Le Conseil d’Analyse économique demande la remise en cause des taxes sur la production les plus nocives dont la C3S et la CVAE. Pour financer ces suppressions, cet organisme de réflexion dépendant du Premier Ministre préconise une réduction des subventions aux entreprises et une réduction des allègements de charge. Or, depuis plus d’un quart de siècle, les pouvoirs publics ont développé une politique de réduction des cotisations coûteuses aux effets contestables avec en contrepartie une augmentation d’impôts et de taxes pénalisant la compétitivité du pays.

La Chine face à une montagne de dettes masquées

Deuxième puissance économique et premier exportateur mondial, la Chine est confrontée à un ralentissement de sa croissance. Ce dernier est d’ordre structurel avec la montée en puissance du secteur tertiaire et d’ordre conjoncturel avec notamment l’augmentation des tensions commerciales avec les États-Unis. La croissance se situe certes toujours autour de 6 % mais elle s’érode. Les autorités chinoises surveillent avec attention l’évolution de l’activité afin d’éviter tout conflit social. Cet accompagnement du ralentissement passe par la mise en œuvre d’une politique monétaire accommodante et une politique de soutien à certains secteurs clefs comme le bâtiment. La conséquence est une augmentation de la dette. Si au niveau national, la dette chinoise reste sous contrôle, elle apparaît cependant de plus en plus dangereuse au niveau des collectivités locales. En effet, la dette publique chinoise ne s’élève qu’à 38 % du PIB bien loin des 98 % du PIB de la France.  Mais, les administrations locales ont recours à la dette hors bilan dans des proportions croissantes. Ces collectivités sont à l’origine de 85 % des dépenses publiques chinoises mais ne reçoivent que 50 % des recettes publiques. Elles sont contraintes de s’endetter pour réaliser les infrastructures demandées par l’échelon central. Or, l’administration de Pékin a rendu difficile le recours à l’emprunt pour les collectivités locales. Afin de contourner la réglementation, ces dernières ont mis en place des entités spécifiques dénommées « véhicules de financement des administrations locales » (lgfv). Ce sont des sociétés qui sont supposés bénéficier de la garantie de l’État et qui peuvent donc s’endetter dans les meilleures conditions possibles. La Chine comptait, en 2018, plus de 11 500 Ifgv dont la dette publique représente 70 % du PIB. Selon le FMI, cette dette a été multipliée par trois en moins de 10 ans. Elle est mal contrôlée par les pouvoirs publics et par la banque centrale chinoise. Elle est par ailleurs avant tout générée par les régions les plus pauvres de Chine.

Depuis 2010, les autorités chinoises tentent de maîtriser cet endettement masqué des collectivités locales. Des opérations de conversions de dettes ont été engagées afin de rendre plus transparente la comptabilité des collectivités locales. Le Gouvernement a facilité le recours à la transformation des titres en émettant des obligations à taux réduit. Malgré tout, de plus en plus, des lgfv sont dans l’incapacité de faire face à leurs échéances. Leurs revenus d’exploitation ne couvrent qu’environ 40 % de leurs charges annuelles. Elles sont donc contraintes de s’endetter pour rembourser. La croissance de l’endettement des lfgv, malgré les opérations d’échanges de titres, est de 20 % chaque année. En 2018, le Gouvernement chinois a accepté des défauts de bilan mais cela a eu comme conséquence une augmentation des taux d’intérêt proposés au Ifgv pouvant conduire à une implosion de l’ensemble du système. Le relèvement des taux a, en outre, réduit les ressources des collectivités locales qui ont été contraints d’interrompre les travaux sur une autoroute autour de la ville.

Le ralentissement de la construction a été assez brutal. Les investissements dans les infrastructures n’ont augmenté que de 1,6 % en mai par rapport à l’année précédente, contre plus de 10 % au début des années 2010. Face à la montée des inquiétudes, le gouvernement chinois a assoupli la réglementation financière applicable aux collectivités locales afin qu’elles puissent s’endetter en direct plus facilement. Il a demandé aux responsables locaux d’émettre des obligations spéciales pour les grands projets tels que la modernisation des réseaux électriques.

Pour éviter un blocage financier des collectivités locales, les autorités de Pékin sont disposées également à un financement direct des lgfv en ayant recours à la China Development Bank qui appartient à l’État.

La situation des collectivités locales chinoises est suivie de près par l’État central pour des raisons économiques, sociales et politiques. Une banqueroute des collectivités pourrait, par effet domino, mettre en danger la sphère financière chinoise et saper la confiance des Chinois vis-à-vis du pouvoir en place. L’arrêt de nombreux chantiers pourrait dans certaines régions occasionner une augmentation du taux de chômage, ce qui est craint également par le Gouvernement. Enfin, la Chine qui entend devenir d’ici 2049 la première puissance économique mondiale ne peut guère se payer le luxe d’imiter les Américains en connaissant une crise digne de celle de 2008.