9 mars 2019

Le Coin des tendances du 9 mars 2019

Le citoyen consommateur, le digital et les impôts : un cocktail explosif

Près de Bordeaux, au cours d’un déjeuner, un couple de Britanniques me fit part qu’ils avaient voté en faveur du Brexit, le 23 juin 2016. Le mari était un ancien policier et la femme était une retraitée de l’éducation nationale. Ils justifiaient leur choix par le rejet de l’immigration et par la nécessité de couper court aux dépenses exorbitantes de la Commission européenne. Quelques instants plus tard, ils me confièrent que l’un avait demandé la nationalité française et l’autre la nationalité irlandaise afin de pouvoir circuler librement au sein de l’Union européenne. Ayant une maison en France, ils entendaient également profiter de la couverture sociale de notre pays. En clair : obtenir les avantages de l’Europe sans en payer les coûts. Cette histoire illustre bien les conséquences du populisme au sein de l’Union européenne. Elle exprime aussi que les citoyens se comportent avant tout en consommateurs et surtout en consommateurs digitaux. Entre la pensée et les actes, le fossé se creuse de jour en jour. Tout un chacun veut pouvoir se servir dans les rayons des solutions juridiques, fiscales, sanitaires, institutionnelles et, au nom du tout gratuit, ne pas payer le coût des services et condamnent ce type de pratiques quand elles sont l’œuvre d’entreprises, de personnalités, etc. Le particulier, agent économique, est bien souvent plus mondialisé et digitalisé que le même particulier, citoyen, électeur. Cette dichotomie croissante traverse tous les pays. Les Etats incitent les populations à agir de la sorte. La multiplication des niches fiscales, des exonérations, les mécanismes pour attirer les expatriés, les retraités, etc. le Portugal et l’Italie se battent pour attirer les rentiers des régimes de pension des autres pays. La France déplie le tapis rouge pour accueillir les traders londoniens. De leur côté, l’Irlande ou la Roumanie ont opté pour des impositions minimales en matière de bénéfices pour attirer les sièges sociaux qui peuvent prendre la forme de simples boites aux lettres. L’optimisation fiscale est parfaitement légale au sein de l’Union européenne au nom d’un de ses principes clefs, la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux. Face aux pertes fiscales, les Etats tentent d’instituer des gardes fous et d’instaurer de nouvelles taxes, en particulier comme celles sur les entreprises du secteur du digital. Ces mesures qui ont un petit relent protectionniste apparaissent bien faibles face au défi auquel sont confrontés les Etats notamment européens, celui de l’affaissement de certaines de leurs bases fiscales.

Du fait de la concurrence que se livrent les Etats et de l’optimisation fiscale, le poids de l’impôt sur les sociétés tend à se réduire à peau de chagrin.

La TVA, l’impôt symbole de la société de consommation, est remise en cause. Elle est accusée de pénaliser les Français les plus modestes. Dans le cadre du Grand Débat, de nombreuses voix se font entendre pour exonérer les biens de premières nécessités. Depuis une quinzaine d’années, de nombreuses dérogations ont été introduites pour en limiter le poids (bâtiment, restauration, etc.). Le développement des ventes en ligne, des places de marchés digitales où les particuliers sont tout à la fois vendeurs et acheteurs, écorne l’assiette de la TVA.

Les cotisations sociales qui contribuent au financement de l’Etat providence sont accusées depuis plusieurs décennies de pénaliser l’emploi peu qualifié. De ce fait, de manière constante, les pouvoirs publics en France ont procédé à des allègements de charges dont le coût dépasse une trentaine de milliards d’euros. Ces derniers sont compensés par l’Etat et donc par le contribuable national. Le recours à la CSG a permis depuis 1992 de contrebalancer la remise en cause des cotisations. La dernière augmentation de 1,7 point, intervenue au 1er janvier 2018, a démontré que les marges de manœuvre sont désormais faibles. La contestation émanant des retraités a, en effet, démontré que la soutenabilité des hausses des prélèvements atteignait ses limites. Il en a été de même en ce qui concerne l’impôt sur le revenu. Les différentes mesures prises durant le quinquennat de François Hollande ont abouti à une réduction de l’assiette au point que seulement 46 % des ménages acquittent cet impôt.

L’imposition du patrimoine fait également l’objet d’une contestation, du moins d’un débat. Ainsi, le gouvernement français a supprimé l’ISF sauf pour les biens immobiliers, suivant en cela une tendance générale. Les Gilets Jaunes ont demandé sa réintroduction en tant que marqueur social et fiscal. La question de l’augmentation des droits de succession a été posée par certains membres de la majorité, sachant qu’en la matière la France figure parmi les pays ayant les plus forts taux et que l’opinion est très réactive sur à ce sujet.

Une fiscalité efficace passe par des assiettes larges et des taux aussi bas que possibles. La TVA en supprimant les taxes en cascade sur le chiffre d’affaires a répondu à ces objectifs dans les années 50. La réintroduction de taxes sur le chiffre d’affaires pour les entreprises opérant dans le secteur digital constitue un revirement de tendance. La taxe dite GAFA présenté au Conseil des Ministres du 6 mars dernier, s’élèvera à 3 % du chiffre d’affaires digital pour les entreprises dont les ventes mondiales dépassent 750 millions d’euros dont 25 millions d’euros en France. Le chiffre d’affaires est celui de la publicité en ligne, de l’utilisation de données personnelles et des ventes réalisées par les places de marché. La mise en œuvre de la taxe sera complexe et en vertu du principe bien connu, « ce n’est pas en imposant une vache, qu’elle acquitte l’impôt », ce sont les consommateurs français qui paieront cette nouvelle taxe. Le rendement attendu est de 500 millions d’euros mais, selon certains cabinets d’études, celui-ci pourrait être bien plus faible. Face aux critiques, le Ministère de l’Economie a reconnu que cette taxation pourrait n’être que temporaire dans l’attente d’un accord au niveau européen ou au niveau de l’OCDE.

Google a officiellement réalisé 395 millions d’euros de chiffres d’affaires et acquitte 14 millions d’euros d’impôt sur les sociétés quand, selon les calculs de Bercy, ce montant devrait être d’au-moins 30 millions. Par ailleurs, pour certains experts, le chiffre d’affaires sur la publicité atteindrait 2 milliards d’euros, ce qui ferait un manque à gagner fiscal de 150 millions d’euros pour la France.

Le commerce électronique, une question de taille d’entreprise

En 2017, 19 % des sociétés de 10 personnes ou plus ont recours aux ventes en ligne. Cette part stagne depuis trois ans. Sur ce sujet, la France est à la traîne au sein de l’Union européenne. Explication : le nombre important de TPE. En effet, cette évaluation réalisée par l’INSEE masque une grande hétérogénéité. Au sein des sociétés de 250 personnes ou plus, 50 % utilisent ce type d’échange contre 15 % parmi celles de 10 à 49 personnes.

Le commerce électronique s’est imposé comme un canal de distribution majeur. Il pèse de plus en plus dans l’activité des sociétés. En 2017, il représente 22 % de leur chiffre d’affaires total. Cette proportion est en hausse de 5 points depuis 2015. En 2017, elle est de 8 % pour les sociétés de 10 à 49 personnes, de 14 % pour les sociétés de 50 à 249 personnes et de 30 % pour les plus grandes. De plus, les écarts se creusent : par rapport à 2015, la part du commerce électronique est stable pour les sociétés de 10 à 49 personnes, alors qu’elle augmente nettement pour les sociétés de 250 personnes ou plus (+ 9 points).

Le commerce électronique s’effectue par échange de données informatisées (EDI) ou via une interface web. Les EDI, spécifiques au commerce entre sociétés, représentent les deux tiers des ventes dématérialisées des sociétés, soit 15 % du chiffre d’affaires total en 2017. Les ventes web composent le dernier tiers et sont assez équilibrées entre web BtoC et web BtoB (respectivement 3 % et 4 % du chiffre d’affaires total).

L’intensité du commerce électronique selon la taille des sociétés est principalement due au recours à l’EDI : 31 % des sociétés de 250 personnes ou plus y recourent en 2017 contre 5 % de celles de 10 à 49 personnes.

Les sociétés de 10 à 49 personnes qui vendent sur le web déclaraient d’ailleurs en 2015 rencontrer plus de difficultés que les grandes sociétés à recourir au commerce électronique. Elles invoquent un rapport coût-bénéfice défavorable (pour 20 % des petites sociétés contre 9 % des grandes), des problèmes de paiement par Internet (20 %

En 2017, sept sociétés sur dix possèdent un site web. Parmi celles-ci, huit sur dix disposent d’un catalogue décrivant leurs produits et trois sur dix proposent de commander ou réserver en ligne. Cette dernière proportion augmente avec la taille des sociétés. Par ailleurs, plus une société est grande, plus les ventes web se font sur son propre site : 70 % des sociétés de 50 personnes ou plus utilisent uniquement ce mode de vente en ligne contre 58 % des sociétés de 10 à 49 personnes.

15 % des sociétés de 10 à 49 personnes qui vendent en ligne utilisent uniquement une place de marché et 27 % les deux canaux (leur propre site et une place de marché) contre respectivement 9 % et 23 % des sociétés de 250 personnes ou plus. Pour les sociétés utilisant les deux canaux, la place de marché représente 38 % des ventes web des petites sociétés et 30 % de celles des sociétés plus grandes.

Le recours aux ventes dématérialisées diffère selon le secteur d’activité : il concerne trois sociétés sur dix dans le commerce, contre une sur dix dans l’industrie et la construction, et deux sur dix dans les services. La part de ces ventes dans le chiffre d’affaires est respectivement de 21 %, 25 % et 17 %.

Les sites web des sociétés du commerce proposent plus fréquemment de commander en ligne que ceux des autres secteurs : 45 % de ces sociétés, contre seulement 11 % dans l’industrie et la construction, et 28 % dans les services. En revanche, un quart seulement des sociétés du commerce utilisent les places de marché, contre la moitié des sociétés des services (particulièrement dans la restauration et l’hébergement, où c’est le cas de 35 % et 92 % des sociétés).

La France, une société bloquée ?

Depuis les années 90, l’ascension sociale serait en panne en France. Il serait de plus en plus difficile pour des enfants d’ouvriers et d’employés de gravir un ou plusieurs échelons sociaux. Par ailleurs, il est fréquemment affirmé que les enfants de cadres peuvent connaître des processus de déclassement plus fréquent que dans le passé, du fait de la polarisation des emplois. Une étude l’INSEE confirme en partie ce sentiment par ailleurs amplement partagé.

Que ce soit pour les hommes et les femmes, les évolutions sociales se ralentissent depuis un quart de siècle. Ce n’est pas durant les trente glorieuses que l’ascension sociale a été la plus forte mais dans les années 70 et 80. Ce sont les enfants nés après la Seconde Guerre mondiale qui ont profité à plein de l’essor économique pour occuper des emplois plus qualifiés et plus rémunérateurs que leurs parents nés durant l’entre-deux guerres.

En 2015, 65 % des hommes français âgés de 35 à 59 ans, actifs occupés ou retraités, relevaient d’une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur père. Ce taux avait augmenté de 3 points entre 1977 et 1993 (passant de 64 % à 67 %). Il a ensuite diminué de manière modérée (– 2 points) pour s’établir en 2015 quasiment au niveau de 1977. Pour les femmes, la mobilité est supérieure en raison d’un effet rattrapage en ce qui concerne le taux d’activité. En effet, en 2015, 71 % des femmes françaises de 35 à 59 ans appartiennent à une autre catégorie socioprofessionnelle que celle de leur mère, encore en emploi ou l’ayant été. En 40 ans, ce taux de mobilité sociale féminine a connu une forte hausse de 12 points concentrée entre la fin des années 1970 et le début des années 1990. Inférieur de 5 points à celui des hommes par rapport à leur père en 1977, il le dépasse de 6 points en 2015.

Une partie de la mobilité sociale masculine observée en 2015 résulte directement de l’évolution de la structure des emplois entre les générations d’hommes nés entre 1955 et 1980 et celles de leur père. Le déclin de l’emploi ouvrier, la diminution du nombre d’agriculteurs, le développement de la population de cadres, la montée en puissance du nombre de fonctionnaires ont favorisé l’ascension sociale jusque dans les années 2000.

Cette évolution structurelle explique encore le quart de la mobilité sociale contre plus de 40 % en 1970.

Depuis 40 ans, mobilités ascendante et descendante ont évolué différemment. En hausse de plus en plus modérée de 1977 à 2003, la mobilité ascendante a ensuite diminué. En 2015, 28 % des hommes occupent une position sociale plus élevée que celle de leur père, contre 24 % en 1977 mais 31 % en 2003. La mobilité descendante a, elle, progressé de plus en plus : en 2015, elle concerne 15 % des hommes, soit deux fois plus qu’en 1977 (7 %).

La mobilité est de plus en plus faible pour les hommes. Elle s’effectue entre catégories socioprofessionnelles « proches ».  44 % des fils d’employés ou d’ouvriers non qualifiés sont devenus employés ou ouvriers qualifiés, mais seuls 19 % exercent une profession intermédiaire et 8 % sont cadres. Pour leur part, 27 % des fils d’employés ou d’ouvriers qualifiés exercent une profession intermédiaire, mais seulement 13 % sont cadres. Les mouvements descendants sont également courts : par exemple, 25 % des fils de cadres exercent une profession intermédiaire, mais seulement 4 % sont employés ou ouvriers non qualifiés.

La part des mouvements ascendants est plus importante pour les femmes que pour les hommes. En 2015, les femmes en ascension sociale par rapport à leur mère sont 3,4 fois plus nombreuses que celles concernées par un recul. Ce rapport est légèrement plus élevé qu’en 1977 (ratio de 3,0). En effet, en 2015, 40 % des femmes occupent une position sociale plus élevée que leur mère, soit 2,4 fois plus qu’en 1977 (17 %). Sur cette période, la proportion de celles qui ont connu une trajectoire descendante a été multipliée par 2,1 pour s’élever à 12 % en 2015.

La mobilité intergénérationnelle est plus favorable pour les femmes que pour les hommes. Cette situation est liée au fait que les mères des femmes actuellement actives avaient fréquemment un niveau de niveau de qualification plus faible que leur conjoint et qu’une proportion importante d’entre elles ne travaillait pas. Les mouvements ascendants sont en effet d’autant plus fréquents que le parent occupe une position basse dans l’échelle sociale. Malgré tout, il convient de noter que les filles d’une mère cadre connaissent plus fréquemment des trajectoires descendantes que les fils d’un père cadre, 32 % des premières exercent une profession intermédiaire et 10 % sont employées ou ouvrières non qualifiées. La moindre fréquence des trajectoires ascendantes des femmes comparées à leur père plutôt qu’à leur mère s’observe quelle que soit la catégorie sociale du parent. Par exemple, en 2015, 20 % des femmes dont le père exerçait une profession intermédiaire sont cadres contre 29 % lorsque leur mère était profession intermédiaire.

À l’inverse, à catégorie sociale du parent donnée, les filles connaissent plus souvent une trajectoire descendante par rapport à leur père que par rapport à leur mère. Ainsi, 61 % des filles d’un père cadre occupent une position sociale inférieure (contre 53 % des filles d’une mère cadre) : 34 % sont professions intermédiaires (contre 32 %) et 27 % employées ou ouvrières, qualifiées ou non (contre 22 %).

La réduction du nombre d’emplois de classes moyennes constatée dans tous les pays avancés, le renouveau du travail indépendant et l’impact de la crise de 2009 devraient renforcer la tendance du ralentissement de l’ascension sociale. La désindustrialisation devrait toucher en priorité les hommes qui doivent en outre gérer une régression de leur niveau scolaire.