19 novembre 2022

Le Coin des Tendances – environnement – crypto – taux

La planète crypto sous tension

En quelques années, Sam Bankman-Fried appelé SBF a réussi à créer la troisième plus grande plateforme de cryptomonnaies, FTX, et a accumulé une fortune de près de 30 milliards de dollars. Au début de la baisse des cours des cryptoactifs, il accordait des prêts aux entreprises de ce secteur en difficulté. Il a ainsi accordé des prêts à Voyager et BlockFi et a récupéré des actifs de Three Arrows, un fonds spéculatif crypto devenu insolvable. Ces interventions semblaient prouver la force de sa plateforme. SBF était devenu, au fil des années, un mécène recherché. Il soutenait des campagnes politiques sur la réglementation de la cryptographie et affirmait vouloir céder tout ou partie de sa fortune à des œuvres de bienfaisance pour sauvegarder l’avenir de l’humanité. Tout l’édifice de FTX s’est effondré en quelques jours. Les rumeurs d’insolvabilité de l’entreprises ont conduit des clients à retirer 650 millions d’actifs le 7 novembre logés chez FTX, provoquant l’arrêt des opérations sur les cryptoactifs menées par cette société. La valeur d’un FTX Token, un actif de partage des bénéfices de l’entreprise, a perdu 90 % depuis le 4 novembre. Après avoir eu l’intention de reprendre FTX, Changpeng Zhao, le dirigeant de Binance, la plus grande place d’échanges de cryptoactifs s’est dédit le 8 novembre, au regard des pertes potentielles chiffrées à plus de 8 milliards de dollars. Selon Bloomberg Wealth, FTX valait moins d’un milliard de dollars le 10 novembre, soit une baisse de 94 % en un mois. Cette chute a provoqué une nouvelle baisse du bitcoin qui a perdu près de 20 % de sa valeur entre le 9 et le 12 novembre 2022, descendant ainsi à 16 000 dollars. FTX occupait une position importante au sein du monde des cryptos. Sa banqueroute peut en entraîner d’autres. Peu d’entreprises ont la possibilité sur ce marché peu réglementé de reprendre les activités de FTX et d’assainir le marché.

La chute de SBF est liée à un processus assez classique de pyramide de Ponzi. Bankman-Fried possède trois sociétés : FTX, une plateforme jouant le rôle de bourse mondiale pour les cryptoactifs ; FTX.us, la plateforme centrée sur les États-Unis (une sorte de bourse américaine) ; et Alameda Research, un fonds de crypto-trading. En théorie, ces sociétés sont distinctes. Le 2 novembre dernier, CoinDesk, un site d’information, a rapporté que les jetons émis par FTX représentaient les deux cinquièmes des actifs d’Alameda et valaient 5,8 milliards de dollars. Alameda aurait emprunté une somme à FTX pour garantir la valeur de ses jetons. Binance, le concurrent de FTX, en annonçant vouloir se séparer des jetons FTX qui valaient alors plus d’un demi-milliard de dollars a révélé la pyramide et provoqué un effet domino. Certains estiment que le dirigeant de Binance qui avait l’intention de reprendre FTX a provoqué sciemment cette panique pour en déprécier la valeur. Le changement de position de ce dernier à la découverte des pertes de FTX semble indiquer que le problème de cette société ne se limitait pas à des échanges de jetons et de prêts entre les sociétés de SBF. FTX semble avoir permis à Alameda d’emprunter en se gageant sur les actifs des clients par un dépôt de jetons FTX, émis par la plateforme elle-même en garantie. La baisse de la valeur des jetons FTX a conduit à ce que l’entreprise n’avait plus assez d’actifs pour couvrir les dettes qu’elle avait contractées auprès de ses clients.

Les régulateurs surveillent les conséquences de la faillite de FTX pour apprécier les risques d’effets domino. La Securities and Exchange Commission, le principal régulateur financier américain, avait lancé, il y a quelques mois, une enquête sur la gestion des fonds par FTX, ainsi que sur les liens entre les entreprises appartenant à SBF. Le ministère américain de la Justice enquêterait également sur l’entreprise FTX. En France, l’Autorité des Marchés Financiers a envoyé une liste de questions à une cinquantaine d’acteurs en lien avec FTX afin d’apprécier les conséquences pour leurs clients. Les start-up intervenant sur le marché des cryptoactifs essaient de rassurer leurs clients. Coinbase, une autre place de marché, a communiqué pour souligner qu’elle n’avait pas de lien avec FTX. Cette communication n’a pas empêché une diminution du cours de son action de plus de 20 %.

Le secteur des cryptoactifs craint un durcissement de la législation avec une présence plus marquée des autorités de régulation. La faillite de FTX devrait laisser des traces durables dans le monde des actifs numériques en plein essor.

Quand la mer des taux bas se retire, les rochers apparaissent !

Les fortes hausses des cours boursiers sont rarement le signe d’une bonne santé économique. Elles traduisent un dérèglement, des effets de rente, voire des fraudes, ou du moins des comportements peu orthodoxes. Une décennie de taux d’intérêt bas a généré un boom sur le marché des actions. Elle a conduit les entreprises à s’endetter à bon marché. Or la dette cache souvent des dysfonctionnements. Elle permet de gagner du temps. Les problèmes se découvrent quand le crédit se tarit. La crise financière mondiale de 2007-09 a révélé la fraude et la négligence de certains établissements financiers américains dans la gestion des prêts hypothécaires. L’éclatement de la bulle Internet au début des années 2000 a dévoilé l’écart incommensurable entre les prévisions de rentabilité des entreprises naissantes du numérique et les réalités comptables.

Depuis trois ans, les entreprises ont bénéficié d’aides sans précédent pour faire face à la pandémie de covid-19. Elles ont pu accéder à des prêts à des conditions avantageuses, au point que le nombre de faillites est tombé à des niveaux historiquement bas. La guerre en Ukraine et la transition énergétique ont donné l’impression que l’argent facile allait continuer indéfiniment. Le retour de l’inflation change la donne. Les coûts augmentent, la croissance ralentit, le coût du crédit progresse. Le retour aux fondamentaux peut être brutal. Les entreprises du digital qui ont investi ces dernières années, sans compter et sans réelle étude de rentabilité, sont confrontées à une baisse de leurs résultats et à une forte chute du cours de leurs actions. L’action Meta, propriétaire de Facebook, a perdu 25 % de sa valeur après des résultats trimestriels décevants publiés en octobre. Les responsables des entreprises peuvent jouer avec les investisseurs un certain temps mais pas indéfiniment. La quasi-totalité des 400 dirigeants de grandes entreprises américaines interrogés au milieu des années 2000 par John Graham, Campbell Harvey et Shiva Rajgopal, trois d’universitaires, ont avoué que pour satisfaire les investisseurs ils gonflaient leurs prévisions de résultats et essayaient, dans un second temps, de manière comptable, de les respecter. Les dirigeants ont majoritairement admis qu’ils retardaient l’imputation de certaines dépenses pour atteindre un objectif de bénéfices trimestriels. Les grandes entreprises disposent d’importants moyens pour lisser leurs résultats ou pour masquer des avanies. Elles peuvent jouer sur les dates de paiement des fournisseurs, les provisions et les amortissements. Amazon Web Services, la filiale de cloud computing d’Amazon a indiqué en début d’année qu’elle prolongerait d’un an la durée de vie de ses serveurs, réduisant ainsi ses coûts d’amortissement. Cette pratique est légale car personne ne connaît avec certitude la durée de vie utile des immobilisations, telles que les serveurs (ou les avions ou les immeubles de bureaux). Les entreprises ont tendance à masquer leur endettement. Elles peuvent emprunter pour accroître leurs flux de trésorerie, flux qui peuvent gonfler artificiellement leurs bénéfices. En période de hausse de taux, masquer l’ampleur de la dette évite une dégradation par les agences de notation qui renchérirait le coût des emprunts.

Le ralentissement de la croissance met en lumière que des investisseurs ont prêté des sommes importantes à des sociétés sans réel chiffre d’affaires. Le secteur du digital et celui de la transition énergétique recèlent de nombreux exemples. Le fondateur Nikola, une startup américaine qui envisage de fabriquer des camions à batterie, a été reconnu coupable en octobre par un tribunal fédéral de New York d’avoir fraudé l’ensemble de ses comptes afin de masquer son absence d’activité. Des fonds de capital-risque pourraient être exposés à ces risques de fraudes comptables, sachant qu’ils ont investi massivement dans les secteurs de la technologie, parfois sans discernement.

L’assainissement de la planète digitale est une bonne nouvelle afin d’atteindre une allocation plus optimale des ressources. Il devrait limiter les investissements à faible rentabilité.

La croissance n’est pas l’ennemi de l’environnement

Au cours des près de trois siècles qui se sont écoulés depuis le début de l’ère des combustibles fossiles, niveau de vie et émissions ont augmenté de pair. Le charbon, puis le pétrole et le gaz naturel ont apporté la prospérité tout en augmentant les températures mondiales. Ce lien a conduit certains écologistes et scientifiques à affirmer que seul un programme de «décroissance» permettrait de lutter contre le réchauffement climatique. Pourtant, depuis les années 2000, au sein des pays occidentaux, le lien entre croissance et émissions de gaz à effet de serre est rompu, y compris en intégrant les émissions émanant des importations. Depuis 2010, selon The Economist, 33 pays dont la population totale dépasse un milliard de personnes, ont réussi à augmenter leur PIB tout en réduisant leurs émissions de CO2. Après un pic en 2007, les États-Unis, deuxième émetteur de CO2 au monde, ont réduit ses émissions de 6,13 milliards de tonnes d’équivalent dioxyde de carbone à 5,26 milliards en 2019. Les émissions de consommation, qui incluent le carbone intégré dans les importations, ont chuté de 15 % au cours de la même période.

Le découplage entre croissance et gaz à effet de serre s’explique en partie par la tertiarisation des économies. Au fur et à mesure que les nations s’enrichissent, leur secteur tertiaire prend le pas sur l’industrie avec, par voie de conséquence, une moindre consommation d’énergie. Au Royaume-Uni, le secteur des services représente 80 % du PIB, en France, plus de 70 %. En Allemagne comme aux États-Unis, le secteur industriel est en baisse au sein de la valeur ajoutée.

Le découplage est également la conséquence d’une production industrielle moins émettrice de gaz à effet de serre. Depuis 2010, le secteur des exportations chinoises s’est décarboné plus rapidement que le reste de son économie. Cet effort a pour effet de réduire l’empreinte carbone totale des pays riches.

À l’échelle mondiale, les émissions de gaz à effet de serre continuent à augmenter. Selon une étude du Global Carbon Project, les émissions de CO2 produites par la consommation d’énergies fossiles – pétrole, gaz ou charbon – dépasseront, en 2022, leur niveau record d’avant la crise Covid. Elles devraient augmenter, cette année, de plus d’un pour cent par rapport à 2021, pour atteindre 36,6 milliards de tonnes. Cette hausse est portée principalement par l’utilisation du pétrole (+2,2 %), avec la reprise du trafic aérien, et du charbon (+1 %). Les émissions de CO2 liées à la production d’électricité baissent partout dans le monde, sauf en Europe, en raison d’un recours plus important que dans le passé aux centrales au charbon.

Dans les prochaines années, l’évolution des émissions de CO2 dépendra de la nature du développement du continent africain dont la population doit doubler d’ici 2050. Si cette croissance s’aligne sur celle de l’Occident, l’objectif d’un réchauffement limité à 1,5 degré sera impossible à respecter. Pour éviter une forte augmentation des émissions de CO2, les pays les plus avancés doivent accroître leur effort pour décarboner plus rapidement et fortement leur économie tout en aidant les pays en développement à se doter d’activités à faibles émissions de gaz à effet de serre. En matière de télécommunication, les pays en développement ont réussi à généraliser les réseaux sans fil avec bien plus de rapidité que les pays dits industrialisés. En passant l’étape du filaire, ils ont gagné du temps et de l’argent. Ce scénario pourrait se reproduire pour les émissions des gaz à effet de serre. Le développement de ressources énergétiques vertes (solaire, éolien, hydraulique) et de réseaux électriques performants pourrait éviter un emballement des émissions de CO2 tout en facilitant l’essor économique de ces États.

La croissance n’est pas l’ennemi de l’environnement, bien au contraire, mais cela suppose un effort d’investissement continu et important avec une répartition des charges sur tous les acteurs économiques. Que ce soit en matière énergétique ou en matière de captation du carbone, d’importantes innovations pourraient accentuer le découplage croissance/émissions de CO2 dans les prochaines années.

Environnement, de l’action collective à l’action individuelle, un fossé….

Selon une étude du Crédoc publiée au mois de novembre 2022, 37 % des Français expriment une forte sensibilité aux questions environnementales, 59 % exprimant une sensibilité moyenne. Seuls 5 % déclarent être peu sensibles à ces questions. La préoccupation pour l’environnement augmente avec le niveau de revenus et le niveau de diplôme. 84 % (+7 points par rapport à 2021) des Français soutiennent l’idée que la lutte contre le réchauffement climatique devrait mobiliser les pouvoirs publics autant que durant la pandémie de la Covid-19. 38 % des sondés souhaitent un changement radical de la société, quand 40 % aspirent à un changement progressif et 20 % à aucun.

Les Français sont plus partagés sur l’encadrement des comportements individuels. 46 % d’entre eux considèrent que les pouvoirs publics doivent agir pour modifier les comportements individuels potentiellement nocifs pour l’environnement, quand 49 % préconisent la défense des libertés individuelles même si celles-ci vont à l’encontre de la protection de l’environnement. L’acceptation de règles contraignantes augmente avec le niveau de sensibilité environnementale. Les personnes fortement sensibilisées aux enjeux environnementaux sont à 61 % pour des mesures contraignantes quand celles qui sont peu ou pas sensibles sont à 77 % pour la défense des libertés individuelles. Pour ces dernières, seulement 16 % d’entre elles accepteraient des mesures d’encadrement des comportements.

Sans surprise, les Français sont majoritairement opposés à toute forme de fiscalité supplémentaire. 50 % ne souhaitent pas payer plus d’impôts, quelles qu’en soient les raisons (+6 points/2020). 23 % sont disposés à payer un supplément d’impôt afin de financer des dépenses en faveur de la santé, 14 % pour financer des dépenses en faveur de l’environnement et 11 % pour financer les retraites. Seul un quart (24 %) de nos concitoyens acceptent l’idée d’une taxe environnementale. En 2005, plus de 40 % des Français en admettaient le principe. La hausse des taxes sur les carburants et la crise des gilets jaunes ont provoqué une forte chute du taux d’acceptation d’une taxe carbone. En 2022, moins d’un Français sur cinq serait favorable à une taxe carbone en tant que telle, applicable à toutes et à tous. Les 25/39 ans sont les moins hostiles à l’instauration d’une telle taxe (25 % favorables, contre seulement 12 % des plus de 70 ans). Plus de 30 % des télétravailleurs sont ouverts à une telle taxe. Les salariés qui, en revanche, utilisent les moyens de transports pour se rendre à leur travail y sont hostiles à plus de 84 %. Près du tiers des personnes à revenus élevés acceptent l’idée de cette taxe, contre moins de 20 % des personnes à revenus modestes. De manière plus globale, 30 % des sondés souhaitent un accroissement de la fiscalité sur les hauts revenus quand 25 % souhaitent la généralisation de l’impôt sur le revenu de l’ensemble des ménages. Depuis deux ans, un nombre croissant de Français réclame un durcissement de la fiscalité sur les ménages les plus aisés.

Les Français sont divisés concernant l’introduction de quotas individuels d’émissions de CO2. 46 % sont favorables à cette idée, 52 % y sont opposés. Les personnes susceptibles d’en accepter le principe appartiennent aux catégories à revenus modestes, résidant au sein de grande agglomération. 53 % des moins de 25 ans et des cadres sont favorables à des quotas de CO2 individuels. Pour une majorité de concitoyens, l’introduction de ces quotas devrait obéir à une logique d’équité et de progressivité en prenant en considération des critères comme le lieu d’habitation ou encore le revenu.

Sur le plan des énergies, le nucléaire est plébiscité. En 2022, 48 % des Français considèrent que les avantages du nucléaire sont supérieurs aux inconvénients, soit +8 points par rapport à 2021. Le soutien pour l’énergie nucléaire revient presque à son niveau de 1994 (52 %).

Sans surprise, les Français  sont  divisés sur les questions de la transitions énergétiques et éprouvent des difficultés à mettre leurs actions individuelles en conformité avec leurs aspirations collectives. Le syndrome NIMBY (Not In My Back Yard – Pas près de chez moi), désignant l’attitude qui consiste à approuver un projet pourvu qu’il se fasse ailleurs, ou qu’il n’ait pas d’incidence sur sa vie privée, semble sur le sujet de l’environnement comme par ailleurs sur celui des retraites, semble touché un grand nombre de résidents français. Les efforts sont acceptés à la condition d’être réalisés par les autres. L’absence de consensus explique les tergiversations gouvernementales et la montée aux extrêmes des positions des uns et des autres.