20 mai 2022

Le Coin des Tendances – Inde – surveillance au travail

L’Inde est-elle l’avenir de l’économie mondiale ?

Au cours des trois dernières années, l’Inde a été confrontée à des difficultés de grande ampleur. La pandémie a tué entre 2,2 et 9,7 millions de personnes. Les confinements ont provoqué, en 2020, une contraction du PIB de plus de 7 %. De grandes migrations internes, les plus importantes depuis la partition en 1947 donnant lieu à la création du Pakistan, ont désorganisé l’économie. Des millions de travailleurs sont partis des villes pour se réfugier dans leurs villages. Les tensions religieuses se sont accrues, attisées par le nationalisme antimusulman du Bharatiya Janata Party (BJP), au pouvoir depuis 2014 avec comme Premier ministre, Narendra Modi. Depuis plusieurs semaines, l’Inde est frappée par une canicule qui risque de remettre en cause la récolte de céréales. Elle est également touchée par l’augmentation des prix de l’énergie, sachant qu’elle est en la matière dépendante des importations.

Au-delà de ces difficultés, le pays dispose d’atouts de première importance : une population en augmentation de mieux en mieux formée pratiquant l’Anglais, une spécialisation dans les technologies de l’information et de la communication, un système politique démocratique et une neutralité par rapport aux autres grandes forces économiques. Les sauts technologiques, la transition énergétique et les changements géopolitiques créent de nouvelles opportunités et de nouveaux outils pour résoudre les problèmes insolubles. La principale faiblesse de l’Inde tient au pays lui-même avec la persistance des classes et des inégalités, la multiplication des tensions ethniques et religieuses ainsi que des relations parfois complexes avec ses voisins.

Depuis l’ouverture de l’Inde au monde en 1991, son économie a suscité à la fois l’euphorie et le désespoir. Depuis trente ans, l’Inde n’a pas malgré une croissance importante n’est pas pris pour exemple. Elle n’a pas connu de fièvre manufacturière qui a enrichi l’Asie de l’Est, ni construit suffisamment de grandes entreprises pour mobiliser des capitaux pour le développement. Ses marchés fragmentés et ses entreprises informelles ne permettent pas la constitution d’une large classe moyenne. Les pays touristiques qui se battaient avant la pandémie pour accueillir les Chinois, ne dépensent pas autant d’énergie pour les Indiens.

L’Inde a rapidement fait le pari des nouvelles technologies. L’État a favorisé la diffusion d’Internet et a doté les habitants d’une identité électronique permettant de les connecter à des systèmes de paiement et fiscaux et à des comptes bancaires. L’adoption rapide de ces plateformes vise également à réduire la vaste économie informelle. L’Inde est devenue la troisième place mondiale pour les startups après les États-Unis et la Chine. L’industrie des services informatiques a doublé de taille en une décennie, aidée par le cloud et une pénurie mondiale de travailleurs du logiciel. L’Inde a favorisé l’émergence sur son territoire de centres d’appels. Les entreprises américaines et européennes font de plus en plus appels aux ingénieurs indiens, reconnus pour leur niveau de qualification et leur employabilité.

L’Inde dont les gisements de pétrole et de gaz sont limités a opté pour le développement de sites de production d’énergies renouvelables. Le pays se classe, ainsi, en 2022, au troisième rang pour les installations solaires. Il a également développé une filière d’hydrogène vert.

Si longtemps les entreprises occidentales se sont méfiées de l’Inde jugée imprévisible et protectionniste, avec les tensions croissantes avec la Chine, elles commencent à s’intéresser à ce vaste marché. Les investissements s’y multiplient. Le cadre juridique et social longtemps défaillant s’améliore. L’État a ainsi décidé de favoriser l’émergence d’un système de protection sociale complètement numérisé qui délivre des prestations sociales en temps réel.

L’Inde devient un allié de choix pour les pays occidentaux qui craignent l’instauration d’un axe Moscou/Pékin. L’Inde qui a été un des ardents défenseurs de la neutralité bienveillante avec l’URSS se rapproche de l’Occident. Elle a ainsi acheté des Rafales à la France. Un partenariat militaire a été signé, en mars 2021, entre l’Inde et les États-Unis. Le commerce militaire entre les deux pays est passé de moins de 1 milliard de dollars en 2008 à 19 milliards de dollars en 2019.

L’économie indienne devrait conserver cette années et pour les années à venir un des taux de croissance les plus élevés à l’échelle mondiale. Cette croissance devrait favoriser la réalisation des infrastructures qui manquent cruellement au pays en matière de santé, d’éducation et de transports.

Certains observateurs craignent que le parti en place institue un régime autoritaire autour de la personnalité du Premier Ministre qui est en place depuis 2014 et qui pourrait le rester jusqu’en 2024. Les tensions avec les musulmans pourraient dégénérer et provoquer une fuite de capitaux. Le désir d’unité religieuse et linguistique du BJP au pouvoir dans un pays immense et diversifié pourrait être une source de déstabilisation Si le parti imposait l’hindi comme langue nationale, les pressions sécessionnistes augmenteraient dans certains provinces riches du Sud qui paient une grande partie des impôts.

L’absence de contrepouvoirs rend la politique de Modi plus brutale, moins prévisible. Le gouvernement tend à vouloir contrôler la presse et la justice. La tentation protectionniste du BJP pourrait provoquer un retour en arrière avec l’instauration de mesures visant à décourager l’implantation d’entreprises étrangères.

L’Inde a la possibilité de refaçonner la carte de l’économie mondiale en s’immisçant dans le face à face États-Unis/Chine. À cette fin, elle doit continuer de dégager une croissance de 8 points et s’imposer sur les secteurs en forte expansion. Pour cela, elle devra éviter de retomber dans ses travers habituels et réveiller ses vieux démons, la corruption, le protectionnisme, la nationalisme hindou.

« Surveiller et punir » au travail sont-ils encore d’actualité ?

Le salariat repose sur le principe de subordination de l’employé à l’employeur, supposant un droit de surveillance du second sur le premier. La taylorisation avec notamment le travail à la chaîne a conduit à un contrôle poussé du travail. La fixation d’un cadre horaire, l’instauration d’un système hiérarchique, la détermination des tâches à réaliser constituent les symboles de ce mode d’organisation qui a émergé avec les premières révolutions industrielles. Cette surveillance concerne, en premier lieu, les ouvriers et les employés, les cadres ayant une certaine marge de manœuvre dans l’organisation de leur travail. Les lieux de travail ont longtemps été surveillés, par des inspecteurs, des caméras de vidéosurveillance et, plus récemment, toutes sortes de capteurs, pour vérifier la quantité de biens rassemblée par les salariés ou pour éviter tout acte délictueux.

La capacité de surveillance a évolué au rythme des mutations de l’économie. La tertiarisation des activités a conduit au développement du contrôle via les systèmes informatiques des entreprises. Avec la montée de l’individualisme, l’arrivée sur le marché du travail des millenials et l’essor du télétravail en lien avec la pandémie, le système de contrôle sur place a explosé.

Une récente étude de la Commission européenne a révélé que la demande mondiale de logiciels d’espionnage des employés a doublé entre avril 2019 et avril 2020. Dans les semaines qui ont suivi les premiers confinements en mars 2020, les requêtes de recherche pour les outils de surveillance ont été multipliées par plus de dix-huit. Les ventes des producteurs de logiciels de surveillance ont fortement augmenté. Les ventes du logiciel « Time Doctor » permettant l’enregistrement vidéo des écrans des salariés et la prise de photographies afin de s’assurer que ces derniers sont devant leur ordinateur, ont été multiplié par trois en avril 2020 par rapport à l’année précédente. Celles de DeskTime, qui suit le temps passé sur les tâches, ont quadruplé au cours de cette période. Une enquête menée auprès de plus de 1 000 entreprises aux États-Unis en 2021 a révélé que 60 % d’entre elles utilisaient au moins un logiciel de surveillance. 17 % pensaient en acquérir un dans les prochains mois.

Aux États-Unis, de plus en plus de voix se font entendre pour mettre en doute la légalité de ce type de pratique. Le 7 mai, une loi de l’État de New York est entrée en vigueur, obligeant les entreprises à informer le personnel de toute surveillance électronique de leur téléphone, de leur courrier électronique et de leur activité sur Internet. Les entreprises ne respectant pas cette règle encourent une amende de 500 à 3 000 dollars par infraction. New York rejoint le Connecticut et le Delaware, qui ont imposé des divulgations similaires depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, respectivement.

En Europe, la protection des salariés est de mise. Ils doivent être au préalable informés. En revanche, ils ne peuvent pas s’opposer à une surveillance de leur ordinateur, surveillance qui doit être proportionnée aux intérêts de l’entreprise. Dans les domaines sensibles, sécurité, finances, la surveillance peut être plus importante que dans d’autres secteurs.

Le droit en France

L’article L. 1121-1 du Code du travail prévoit que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché.

L’employeur est appelé à être attentif au respect de la vie privée des salariés quand il :

  • met en place un dispositif de surveillance des salariés ;
  • souhaite accéder aux documents, fichiers ou courriers (électroniques ou papier) d’un salarié notamment pour se ménager une preuve de ses agissements.

La simple surveillance d’un salarié faite sur les lieux du travail par son supérieur hiérarchique est possible, même en l’absence d’information préalable du salarié. En effet, en l’absence d’un dispositif spécifique de surveillance, l’information n’est pas requise. Si l’employeur souhaite mettre en place un système de contrôle spécifique, il doit en informer préalablement les salariés concernés. Selon le règlement général sur la protection des données, les salariés doivent être informés individuellement de l’existence de traitements contenant des données personnelles les concernant par note, affichage, publication dans le journal interne, courriel, etc.

Sur le plan collectif, la loi prescrit plus qu’une simple information sur la question de la surveillance et du contrôle des salariés puisqu’elle impose une véritable procédure de consultation des représentants du personnel. En premier lieu, le comité social et économique (CSE), doit être informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés.

Dès qu’il y a un traitement automatisé d’informations personnelles a vocation à être mise en place dans l’entreprise, il doit, en principe, faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés).

L’employeur a ainsi le droit d’accéder au matériel informatique mis à disposition des salariés et de consulter les fichiers de l’ordinateur professionnel, à l’exception des documents identifiés comme « personnels ». L’employeur peut contrôler et limiter l’utilisation d’Internet (dispositifs de filtrage de sites, détection de virus, …).

S’agissant de l’usage que les salariés font du réseau Internet, les connexions établies sur des sites Internet pendant le temps de travail grâce à l’outil informatique mis à disposition par l’employeur pour l’exécution du travail sont présumées avoir un caractère professionnel de sorte que l’employeur peut les rechercher aux fins de les identifier, en l’absence des intéressés. L’utilisation sur les lieux du travail des outils informatiques à des fins autres que professionnels est généralement tolérée. Mais elle doit rester raisonnable et ne doit pas affecter la sécurité des réseaux ou la productivité de l’entreprise.

Dans un arrêt du 18 mars 2009, la Cour de cassation a jugé que constituait une faute grave du salarié rendant impossible son maintien provisoire dans l’entreprise, un usage excessif d’Internet à des fins non professionnelles, pour une durée totale de 41 heures de connexion durant le seul mois de décembre. Il est recommandé à l’employeur de fixer des règles de bonne conduite et de contrôle, en étroite collaboration avec les institutions représentatives du personnel, et d’intégrer ces règles au règlement intérieur de l’entreprise et dans la charte informatique lorsque celle-ci existe.

La question de l’accès aux boîtes « e-mail » des salariés se pose de plus en plus. Les « courriels » ont, par défaut, un caractère professionnel, et l’employeur peut donc les lire y compris en l’absence du salarié. Néanmoins, le respect de la vie privée implique en particulier le secret des correspondances. Leurs correspondances privées reçues au travail sont donc protégées. Selon la CNIL des exigences de sécurité, de prévention ou de contrôle de l’encombrement des réseaux peuvent conduire l’employeur à mettre en place des outils de contrôle de la messagerie. Le logiciel de contrôle de la messagerie doit être déclaré à la CNIL. L’employeur peut consulter les SMS reçus sur le téléphone portable professionnel d’un salarié, dès lors qu’ils n’ont pas été identifiés comme « personnels » par le salarié.

Les entreprises prises entre deux eaux

Avec le télétravail, les salariés utilisent de plus en plus des appareils personnels. En 2021, une banque européenne a commencé à demander l’accès aux appareils concernés. Les problèmes de sécurité et de piratage informatique sont de plus en plus prégnants. JP Morgan Case utilise des applications d’intelligence artificielle pour détecter des comportements anormaux de ses salariés. Des startups développent des outils de plus en plus sophistiqués pour permettre l’évaluation des menaces internes. L’application note les salariés et établit des probabilité de comportements pouvant amener des fraudes. Toujours aux États-Unis, la société Deepscore, affirme que ses outils de dépistage du visage et de la voix peuvent déterminer la fiabilité d’un employé. La pratique chinoise tend ainsi à se diffuser au sein des pays occidentaux.

Une autre raison importante pour laquelle les entreprises surveillent les travailleurs est d’évaluer et d’améliorer la productivité. Les deux dernières années ont vu une explosion des outils disponibles pour les managers qui prétendent mesurer en temps réel le travail derrière l’écran qu’il soit situé dans la chambre à coucher ou au bureau. Les employeurs peuvent suivre chaque frappe ou mouvement de la souris, accéder aux webcams et aux microphones, scanner les e-mails ou prendre des captures d’écran des appareils. Certaines fonctionnalités de surveillance sont désormais directement installées sur des logiciels bureautiques comme Google Workspace, Microsoft Teams ou Slack.

Des logiciels peuvent évaluer la productivité en alertant les employeurs en cas de baisse du rendement de production. Fujitsu, un groupe technologique japonais, a dévoilé un logiciel d’intelligence artificielle évaluant la concentration des employés en fonction de leur expression faciale. L’application « RemoteDesk » alerte les responsables si les travailleurs mangent ou boivent au travail.

Ces logiciels peuvent également prévenir l’épuisement professionnel des salariés. Les employeurs peuvent être informés de problèmes d’exécution du travail et prendre des mesures adaptées. La technologie permet de responsabiliser les employés. Elle facilite la lutte contre les discriminations. Les salariés en télétravail peuvent prouver qu’ils sont aussi productifs que ceux qui sont au bureau.

Le caractère intrusif des logiciels de surveillance entraîne des réactions dans certaines entreprises. En 2020, le personnel de la banque britannique Barclays a demandé la suppression d’un logiciel qui suivait en temps réel l’activité des salariés en les rappelant à l’ordre quand ils étaient en mode « pause ». Microsoft a été critiqué pour une fonctionnalité intégrée à ses logiciels permettant d’évaluer la productivité des salariés à l’aide de mesures telles que la fréquence à laquelle ils ont assisté à des réunions vidéo ou envoyé des e-mails. Microsoft a décidé de retirer ce dispositif.

Des logiciels de surveillance se sont avérés contreproductifs en contribuant à des baisses de productivité. Selon une étude sur les centres d’appels, la surveillance intensive des performances a provoqué l’épuisement émotionnel, la dépression de nombreux salariés avec comme conséquence une progression des démissions. Aux États-Unis, un nombre croissant de salariés a recours à des logiciels anti-surveillance. Au Royaume-Uni, les syndicats exigent une plus grande transparence dans l’utilisation des logiciels de surveillance.

La digitalisation des activités impose une profonde évolution des pratiques managériales. Les notions d’unité de temps, de lieu et d’action qui ont régi les entreprises comme pour le théâtre classique sont de moins en moins de mise. Avec l’individualisme, le télétravail, les salariés entendent organiser leur vie professionnelle, ce qui va à l’encontre du principe de subordination. Une entreprise se définit comme une structure associant du capital et du travail afin d’atteindre des objectifs déterminés. Cette communauté hiérarchisée s’est imposée depuis les débuts de la révolution industrielle au milieu du 18e siècle. Aujourd’hui, avec des salariés ayant un niveau de formation élevé, avec les outils numériques et l’éclatement des tâches, les fondamentaux des entreprises évoluent. Les objectifs qui étaient auparavant d’ordre économique et financier, intègrent aujourd’hui des aspects environnementaux ou sociaux.