12 janvier 2024

Le Coin des tendances – intelligence artificielle – les conditions de la richesse – la croissance par Solow

Quand l’intelligence artificielle devient une terre de conflit

Depuis que la société américaine, Openai, a lancé Chatgpt, en novembre 2022, l’intelligence artificielle est devenue la nouvelle terre promise pour les investisseurs du monde entier. Tous les grandes entreprises de haute technologie, tous les États entendent être présents sur ce nouveau créneau. Le 28 novembre dernier, Abu Dhabi a créé une nouvelle société d’intelligence artificielle soutenue, AI71, qui commercialisera un nouveau modèle de langage, Falcon. Le 11 décembre dernier, Mistral, une start-up française, a annoncé avoir levé 400 millions de dollars moins d’un an après sa création. Cet appel de fonds valoriserait l’entreprise à plus de 2 milliards de dollars. Toujours au mois de décembre, deux start-ups indiennes, Kutrim et Sarvam, ont annoncé avoir développé des applications de traduction instantanées des langues indiennes.

Intelligence artificielle et nationalisme économique

L’intelligence artificielle est devenue, en moins d’un an, un enjeu de souveraineté pour les États. Les États-Unis et la Chine ont annoncé, chacun, en 2023, entre 40 et 50 milliards de dollars d’aides pour des investissements dans ce domaine. La Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) – ont pris des engagements portant sur 40 milliards de dollars à l’intelligence artificielle. Les responsables d’Abu Dhabi ont affirmé, toujours en 2023, qu’AI71 pourrait rapidement concurrencer Openai. Emmanuel Macron a déclaré de son côté « bravo à Mistral, c’est le génie français ». Le responsable indien de Kutrim, Bhavish Aggarwal a indiqué que « Chatgpt ne doit pas capturer notre culture, notre langue et notre philosophie ». Sarvam s’est focalisée sur les langues indiennes car, selon les mots de son co-fondateur, Vivek Raghavan, « nous construisons une entreprise indienne ».

L’intelligence artificielle exige des capacités informatiques importantes et en particulier des microprocesseurs de haute technologie. Face aux risques de dépendance vis-à-vis de la Chine et de Taïwan, les États occidentaux ont décidé la création d’unités de production sur leur territoire. Les États-Unis ont ainsi prévu de dépenser 50 milliards de dollars sur cinq ans pour accroître la capacité nationale de fabrication de microprocesseurs. La crainte des autorités américaines est qu’un invasion de Taïwan par la Chine provoque l’arrêt des livraisons des semi-conducteurs de pointe de TSMC, première entreprise mondiale sur ce créneau.

L’intelligence artificielle, nouveau terrain de jeu pour le protectionnisme

Pour maintenir son avance technologique, l’administration démocrate de Joe Biden a restreint les exportations des équipements nécessaires pour l’intelligence artificielle à la Chine et à la Russie. Elle impose à ses partenaires qui utilisent des technologies américaines d’adopter les mêmes règles. Cette extraterritorialité aboutira à interdire l’accès à la technologie américaine aux entreprises européennes ou japonaises travaillant avec la Chine. Ces entreprises peuvent être dans l’obligation d’arrêter tout échange commercial avec ce pays. En octobre 2023, le gouvernement américain a imposé à des entreprises de pays tiers, notamment d’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis l’obtention de licences afin d’acheter des puces d’intelligence artificielle auprès de la société américaine Nvidia. L’administration a ainsi institué une « présomption d’approbation ». Le gouvernement est ainsi en droit d’accepter ou de refuser les ventes à de telles entreprises en fonction des relations entretenues avec la Chine. Par crainte de mesures de rétorsions, le 6 décembre dernier, Xiao Peng, qui dirige une startup d’IA soutenue par l’État à Abu Dhabi appelée G42, a annoncé que son entreprise mettait un terme à ses relations commerciales avec ses fournisseurs de matériel chinois tels que Huawei.

Face aux sanctions américaines, les autorités chinoises ont mis en place un plan afin de disposer rapidement d’une autonomie en matière de microprocesseurs de pointe. Entre 2021 et 2022, l’État chinois a dépensé près de 300 milliards de dollars pour recréer une chaîne d’approvisionnement en micro-processeurs. Huawei a ainsi développé une nouvelle puce pouvant rivaliser avec celles des États-Unis. Le gouvernement a également lancé un plan visant à assurer l’indépendance de la Chine dans toutes les technologies jugées cruciales. Il a mobilisé sur tout le territoire 2000 fonds d’investissement et a demandé aux entreprises de multiplier les échanges d’informations afin d’être plus compétitives.

La compétition mondiale de l’intelligence artificielle

Une course de vitesse entre les États pour l’intelligence artificielle s’est instaurée en quelques mois. Les pays du Proche et Moyen-Orient ont décidé de se positionner rapidement sur ce créneau. Les gouvernements d’Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis ont pu agir plus rapidement que les gouvernements démocratiques, qui doivent tenir compte des préoccupations des électeurs concernant l’impact de l’intelligence artificielle sur la vie privée ou l’emploi. Disposant d’abondants capitaux et d’une énergie à bon marché, ces pays peuvent financer facilement la création d’usines de microprocesseurs de dernière génération. De la sorte, ils préparent leur pays à l’après pétrole. À cette fin, ils investissent également sur la formation et la recherche. Leurs universités, avec leur budget sans limite, progressent rapidement dans les classements mondiaux. Le programme d’Intelligence Artificielle de l’Université des sciences et technologies King Abdullah en Arabie saoudite et de l’Université d’intelligence artificielle Mohamed bin Zayed à Abu Dhabi ont débauché des professeurs de l’Université de Californie, Berkeley et de l’Université Carnegie Mellon de Pittsburgh. Beaucoup de leurs étudiants et chercheurs viennent de Chine ou d’Inde et restent dans la région du Golfe. De nombreuses start-ups apparaissent dans les pays pétroliers que ce soit dans le domaine de l’intelligence artificielle ou dans ceux de la santé ou les énergies.

L’Europe tente, face à la Chine, les États-Unis voire les pays du Golfe, de rattraper son retard en favorisant l’installation d’usines de microprocesseurs ou de batteries. L’État fédéral allemand a ainsi contribué à hauteur d’un tiers au financement de la construction de la nouvelle usine de puces d’Intel portant sur 30 milliards d’euros. Cette politique constitue également la réponse aux dispositifs mis en œuvre par les États-Unis. Une surenchère coûteuse pour les finances publiques n’est pas à négliger avec en outre un risque de surproduction. Cette course aux subvention pourrait nuire au bon fonctionnement marché unique européen et déboucher sur une hostilité croissante des petits États européens à l’encontre des grands disposant de moyens financiers plus importants. Cette course n’est pas qu’Européenne, elle est mondiale. Le gouvernement indien multiplie également les aides pour encourager la fabrication sur son territoire de semi-conducteurs.

Pour favoriser leurs entreprises nationales, de plus en plus d’États sont prêts à laisser au secteur privé des données publiques en particulier dans le domaine de la santé. Le pays le plus réticent à cette utilisation des données publiques est, aussi étrange que cela puisse paraître, les États-Unis. Les autorités indiennes, allemandes et françaises sont les plus ouvertes sur cette question. Le Royaume-Uni envisage d’autoriser les entreprises à exploiter les données appartenant au National Health Service. Au sein de l’Union européenne, la Commission souhaite un cadre commun à tous les États pour éviter les distorsions de concurrence. Elle plaide pour un marché unique des données quand la France et l’Allemagne ont une vision plus protectionniste.

La tentation protectionniste qui se développe en matière d’intelligence artificielle pénalisera les adversaires comme les alliés. Elle risque de freiner le progrès technique et de générer d’importants surcoûts. En Chine, la volonté du gouvernement d’être autonome s’accompagne d’une surrèglementation qui dans les faits stérilise toute créativité. Le pari des pays du Golfe sur le lancement de modèles open source pourrait échouer si d’autres gouvernements en limitent l’utilisation, comme entendent le faire l’administration américaine et l’Union européenne. Si le numérique se segmente au point que les échanges entre zones économiques se raréfient, les tensions géopolitiques pourraient s’accroître sur fond de suspicions de contrôle du monde virtuel. Les États devraient avant tout s’accorder sur les usages de l’intelligence artificielle en jouant leur rôle de régulateur. Un traité international fixant un cadre clair pour les activités relevant du digital est indispensable en particulier pour limiter autant que possible la multiplication des « fausses informations » et l’ingérence. Ce traité devrait également garantir le respect des libertés essentielles des citoyens.

Comment devenir un État riche et puissant d’ici 2050 ?

Le classement des grandes puissances économiques est amené à évoluer d’ici le milieu du siècle. L’Inde, l’Indonésie, l’Arabie saoudite mais aussi le Chili, l’Éthiopie ou la Malaisie entendent gagner des places et se rapprocher des pays dits avancés. Les dirigeants de ces pays ne manquent pas d’ambition. Pour rattraper les pays occidentaux, les responsables indiens tablent sur une croissance de 8 % par an, soit 1,5 point de plus que le taux moyen de ces vingt dernières années. L’Indonésie escompte une croissance de 7 % par an, contre une moyenne de 4,6 % sur la même période. L’économie saoudienne devra croître de 9 % par an, contre 2,8 % en moyenne pour intégrer le club des pays riches en termes de PIB par habitant. Atteindre de telles taux de croissance sur une durée aussi longue est rarissime. Le Japon, la Chine ou la Corée du Sud l’ont fait mais ces États demeurent des exceptions.

Quelles sont les recettes pour maintenir une croissance forte sur plusieurs années ?

Pour stimuler la prospérité, les économistes prescrivent généralement des réformes de structures, la réalisation d’infrastructures, l’augmentation du niveau de formation, une stabilité juridique et politique ainsi qu’un régime fiscal incitatif pour les entreprises.

La forte croissance de la Chine et des pays d’Asie du Sud Est, ces quarante dernières années, repose sur le développement d’une industrie d’exportation, rendue possible par une main-d’œuvre nombreuse et bon marché. Ces pays ont ainsi bénéficié d’un avantage comparatif sur les marchés de l’automobile (Japon), de l’électronique (Corée du Sud), des produits pharmaceutiques (Singapour) et des produits industriels (Chine). Les pays émergents d’Asie ont construit leur prospérité en protégeant leur marché intérieur tout en attirant les entreprises et les capitaux étrangers. Ces apports extérieurs ont permis la réalisation d’importants gains de productivité. Le succès de ce modèle conduit des pays comme l’Inde ou l’Indonésie à jouer la carte industrielle. En 2015, le Premier Ministre indien, Narendra Modi, a annoncé son intention d’augmenter la part de l’industrie dans le PIB indien de 16 à 25 %. Le Cambodge espère doubler les exportations de ses usines, hors vêtements, d’ici 2025. Le Kenya souhaite voir son secteur manufacturier croître de 15 % par an.

L’industrie, une voie de croissance datée ?

La priorité à l’exportation de biens industriels pourrait se révéler être un mauvais choix. Les ménages, au niveau mondial, consomment de plus en plus de services du fait de l’évolution des comportements et du vieillissement de la population. La transition écologique pourrait peser sur les échanges internationaux tout comme les tensions géopolitiques. Au-delà de ces considérations, l’évolution technologique rebat les cartes. La robotisation ou la digitalisation rendent moins nécessaire le recours à la main-d’œuvre à bon marché. En Inde, il faut cinq fois moins de travailleurs pour faire fonctionner une usine de textile en 2007 qu’en 1980. L’industrie repose de plus en plus sur les compétences et le capital, facteurs dont les pays riches sont bien dotés. L’avantage comparatif des faibles coûts salariaux tend à s’atténuer. Conscients de cette évolution, les pays émergents veulent prendre des positions dans les industries et les services de pointe mais, en la matière, ils sont en concurrence directe avec les autres pays.

Le retour du protectionnisme comme outil ou illusion de développement ?

La compétition technologique amène les pays émergents à opter de plus en plus pour un protectionnisme désuet. En Inde, le gouvernement appelle sa population à acheter indien. Il a annoncé des interdictions d’importation sur de nombreux biens, depuis les ordinateurs portables jusqu’aux armes. D’un côté, les capitaux étrangers sont encouragés, de l’autre côté, les importations sont pénalisées. Les gouvernements multiplient les aides pour bâtir à grande vitesse des industries de pointe. L’État indien a ainsi consacré, en 2023, plus de 45 milliards de dollars soit 1,2 % de son PIB pour financer des entreprises industrielles. La Malaisie pratique de même. Le Kenya construit actuellement cinq parcs industriels exonérés d’impôts, qui seront prêts en 2030, et prévoit d’en créer vingt autres.

Les pays richement dotés en matières premières et en particulier celles indispensables à la transition énergétique misent sur leur exploitation et leur valorisation. Plusieurs pays d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique entendent bénéficier de cette rente pour décoller sur le plan économique. La République démocratique du Congo et le Zimbabwe ou l’Indonésie jouent cette carte. Ils limitent les exportations de métaux pour accroître le prix et pour les réserver à leur industrie naissante. L’Indonésie, depuis 2020, a interdit les exportations de bauxite et de nickel, dont il produit 7 et 22 % de l’offre mondiale. Les responsables politiques de ce pays espèrent en conduire les raffineurs mondiaux à s’y installer. Ils veulent ensuite répéter l’opération jusqu’à maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur. Cette pratique renie la théorie des avantages comparatifs et remet en cause les principes mêmes du commerce international tel qu’il s’est développé depuis 1945. L’Indonésie, comme le Brésil ou la Bolivie, pour attirer les capitaux étrangers, n’hésite pas également à octroyer des subventions ou des avantages fiscaux ou à réaliser les équipements nécessaires pour l’installation des usines. L’Indonésie a dépensé entre 2020 et 2023 400 milliards de dollars, soit plus de 50 % de plus par an qu’en 2014 en infrastructures. Cette somme a servi notamment à la création 27 parcs industriels. Cette politique axée sur les chaînes de valeur est relativement récente. Les pays pétroliers ont durant des années avant tout exporté du pétrole brut. Ils ont certes développé, ces dernières décennies, quelques centres de raffinage mais ne sont allés guère plus loin dans la valorisation du pétrole. Il convient de souligner que plus de 40 % de la capacité mondiale de raffinage sont localisés aux États-Unis, en Chine, en Inde et au Japon. L’Arabie Saoudite raffine moins d’un quart de sa production. L’entreprise Saudi Aramco, a préféré installer des raffineries en Chine que dans son pays.

Les politiques protectionnistes des pays producteurs de matières premières pourraient inciter les pays consommateurs à rechercher chez eux ou dans d’autres pays des gisements. Ils pourraient également chercher des matières premières de substitution. La dépendance au nickel ou au lithium n’est pas de la même ampleur que celle aux hydrocarbures.

Les pays du golfe conscients de la fragilité de la mono-activité tendent à développer les activités de services qui connaissent depuis des années une forte croissance. Les Émirats arabes unis (EAU) se diversifient ainsi sur des secteurs comme le transport maritime et le tourisme ou l’intelligence artificielle. Abu Dhabi a accueilli un musée supervisé par le Louvre et un établissement dépendant de l’Université de New York. Il souhaite prendre des parts de marché dans le secteur de l’espace. Le Qatar construit le centre Education City, un campus devant coûter plus de 6,5 milliards de dollars qui s’étendra sur 1 500 hectares. Il comprendra les succursales de dix grands établissements d’enseignement supérieur, dont Northwestern et University College London. Les pays du Golfe construisent des villes qui sont censées être neutre en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Le Qatar, les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite investissent dans le sport en rachetant par exemple des équipes de football et en attirant dans leur pays de grands joueurs comme Karim Benzema.

Dans les pays du Golfe, la transformation de l’économie est organisée par les États. L’Arabie saoudite consacre près de 20 % de son PIB en aides pour l’industrie. Près de 80 % de la croissance économique non pétrolière des cinq dernières années provient des dépenses publiques. Les pays du Golfe sont confrontés à un problème de main-d’œuvre qui est en grande partie étrangère et qui est limitée par la faiblesse de l’emploi des femmes. En Arabie saoudite, le taux d’activité de ces dernières est en nette progression (35 % en 2022, contre 20 % en 2018) mais reste très en-deçà de la moyenne de l’OCDE (60 %). La productivité par tête dans ces pays demeure assez faible en raison des modes de management utilisés.

Le développement de l’industrie, la haute technologie, les réseaux, le tourisme sont aujourd’hui les voies privilégiés pour assurer la richesse des nations mais nul ne garantit que celle-ci soit au rendez-vous. Depuis quelques années, le retour est à l’étatisation, à l’interventionnisme public. Dans le passé, ces derniers ont été sources de nombreuses désillusions au sein des pays en voie de développement. L’Europe de l’Est au temps de l’URSS ou l’Algérie après la fin de la colonisation ont payé durement la politique des combinats publics. Si l’affirmation de la croissance suppose la réalisation d’infrastructures, l’élévation du niveau scolaire ou encore des taux d’intérêt réels faibles et stables, elle dépend, par ailleurs, de nombreux autres facteurs. L’interventionnisme public a conduit dans le passé à d’importants gaspillages et à la corruption dans de nombreux pays. Dans les années 1970 et 1980, l’Afrique a connu un réel recul de sa richesse en raison d’un endettement massif fruit de politiques publiques peu inspirées. Dans les années 2000, les autorités saoudiennes ont dépensé en vain pour promouvoir une industrie pétrochimique peu compétitive car ne pouvant compter sur un personnel suffisamment formé. Plusieurs pays d’Asie ou d’Afrique sont confrontés à nouveau à es problèmes de financement. Le Cambodge, le Kenya, l’Éthiopie sont ainsi au bord du défaut de paiement.

La tentation protectionniste de nombreux États, riches ou pauvres, est une source de dangers. Elle amènera une baisse de la productivité et de la croissance. Elle tourne le dos aux enseignements de la crise de 1929. C’est par les échanges que les pays ont connu depuis 1945 un essor sans précédent. Ces derniers ont limité le recours à la guerre comme solution aux conflits. Un des raisons de la Seconde guerre mondiale était l’accès aux matières premières, aux produits agricoles et à l’énergie. Les pays de l’Axe, Allemagne et Japon, voulaient élargir, par la force, leur marché intérieur pour écouler leur production. Évitons que le XXIe siècle ne ressemble au XXe.

Robert Solow et la recherche de la croissance

L’économiste américain Robert Solow est décidé le 21 décembre 2023. Prix Nobel en 1987, il était connu pour sa théorie sur la croissance économique. Enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT) durant près de 50 ans, il a formé plusieurs générations d’économistes dont la plupart recevront également un prix Nobel dont George Akerlof, Peter Diamond, William Nordhaus, Joseph Stiglitz et Jean Tirole. Robert Solow appartenait à la classe moyenne américaine. Il a fait ses études dans les écoles publiques de Brooklyn. Il a combattu durant la Seconde Guerre mondiale en décodant les codes ennemis. Il a étudié à Harvard après la guerre. Épris de justice sociale et de modestie, il refusa de devenir officier considérant qu’il n’en avait pas les compétences. Au MIT, quand il devint enseignant, il exigea d’être payé comme le professeur le moins bien rémunéré. Quand il intégra le « Council of Economic Advisers » (littéralement Conseil des conseillers économiques) du président Kennedy, il refusa tout titre. Informé peu avant l’aube d’octobre 1987 qu’il avait remporté le prix Nobel, son premier réflexe fut de se rendormir. Il a durant toute sa vie mis en avant ses équipes. Il dédaignait la hiérarchie et privilégiait les relations directes avec ses collaborateurs et ses étudiants. Cette pratique a porté ses fruits, plusieurs de ces derniers étant devenus également Prix Nobel. En tant qu’économiste, il aimait les modèles mathématiques d’où son choix d’enseigner au MIT. Sa stratégie consistait à diviser les grandes questions – sur la croissance, les ressources, le chômage – en plus petites, dans l’espoir que les petites réponses se regrouperaient en de plus grandes. Il prenait un soin particulier à travailler à partir de données fiables et précises.

Les travaux qui ont fait sa renommée ont commencé par une critique des théories de la croissance des années 1930 et 1940. Il a contribué à aller au-delà des théories keynésiennes en y intégrant la notion d’intensité capitalistique. L’augmentation du capital par travailleur est à ses yeux un facteur important d’équilibre du système économique. Le capital ne suffit pas à créer de la croissance pour Robert Solow. Ainsi, il a calculé que l’accumulation de capital expliquait moins de 13 % de la croissance du revenu par personne aux États-Unis entre 1909 et 1949. Le reste serait imputable à d’autres forces. Cette vaste partie inexpliquée de la croissance est devenue connue sous le nom de « résidu de Solow ». Le progrès technique, la formation sont des éléments de ce fameux résidu. Féru de mathématiques, l’économiste était néanmoins sceptique quant aux exercices statistiques analysant les taux de croissance des pays à chaque stade de développement. Il n’a jamais voulu ou réussi à modéliser le progrès technologique. Selon lui, les tentatives ultérieures visant à créer des théories formelles du progrès technologique ont néanmoins posé plus de questions qu’elles n’en ont réglées. Le problème est que l’innovation est souvent accidentel et qu’il est difficile de modéliser l’aléatoire. Robert Solow qui avait collaboré avec les laboratoires de recherche de General Motors et avec le McKinsey Global Institute sur des études de productivité au niveau de l’industrie, pensait que les économistes pouvaient tirer avantage à partir de cas pratique en entreprises pour bâtir des modèles. L’objectif était « d’extraire quelques hypothèses réalisables » sans se perdre dans les détails. Pour comprendre le fonctionnement de l’économie, pour décoder ses secrets, « il faut s’approcher de près, mais pas trop ». L’année de son prix Nobel en 1987, Robert Solow indiqua non sans humour que « nous voyons les ordinateurs partout, sauf dans les statistiques » amenant à réfléchir sur la productivité réelle de l’informatique ou sur la valeur des statistiques. Plus de 35 ans plus tard, au moment les gains de productivité déclinent, la question de l’apport du numérique se pose tout comme celle des moyens pour obtenir une croissance pérenne.