9 octobre 2021

Le Coin des Tendances – la city – les jeunes

La City à la recherche d’un nouveau souffle

L’économie britannique a longtemps reposé sur deux grandes activités, les loisirs et la finance. Après la Seconde Guerre mondiale, la musique, le cinéma ou la littérature ont joué un rôle important en termes de revenus et d’exportations. Si le rock est né à la confluence du blues et du jazz aux États-Unis, les groupes anglais comme les Beatles et les Stones l’ont mondialisé. Le Royaume-Uni a été durant plus de cinquante ans à l’origine des grands mouvements musicaux contemporains (le rock, le hard rock, le psychédélique, la pop, le punk, la newwave, etc.). Un nombre impressionnant de stars mondiales sont issues des quartiers de Londres ou des grandes villes britanniques avec un renouvellement étonnant. Les studios de cinéma ont également été une source de revenus, au fil des époques, avec comme symbole James Bond et Harry Potter. Les séries télévisées anglaises ont connu d’importants succès du « Saint » en passant « Peppa Pig », une émission télévisée pour enfants qui deviendra si populaire aux États-Unis que les parents américains s’étaient alors plaints du fait qu’elle aurait donné à leurs enfants des accents britanniques. Ces dernières années, le rock britannique a été détrôné par le rap issu des États-Unis. Les groupes des années 1960 dont les revenus ne transitent plus, depuis longtemps, par le Royaume-Uni sont en fin de carrière. Au cinéma, la sortie du 25ème « James Bond » qui est, en outre une production américano-britannique, peine à masquer un réel déclin.

La finance a longtemps porté haut les couleurs britanniques. Malgré le déclin industriel du pays au cours du XXe siècle et la montée en puissance des États-Unis, Londres avait conservé son rôle de place financière mondiale grâce à la présence, dans un même lieu, de toutes la palette des activités financières et à un niveau de compétence sans pareil ailleurs. Dans les années 1980, la City a été un des moteurs de l’innovation financière et a profité pleinement de la libéralisation des échanges et de la déréglementation. Elle a continué à attirer les banques étrangères. Elle est devenue la plaque tournante financière du monde grâce notamment à son rôle dans le développement du marché des euro-obligations, qui permet aux entreprises d’emprunter des dollars américains en dehors des États-Unis. Londres était la place de référence pour les levées de fonds propres. En 2005, Un cinquième de toutes les entreprises dans le monde qui ont eu recours à des émissions publiques d’actions ont choisi de le faire à la Bourse de Londres. En 2019, seulement 4 % des émissions ont eu lieu à Londres. Le nombre des entreprises qui y sont cotées a diminué de 40 % entre 2007 et 2020. Les cotations des grands groupes s’effectuent désormais essentiellement à New York. Si au début des années 2000, des émissions de 60 à 100 milliards de dollars étaient légions, la City doit aujourd’hui se contenter de volumes inférieurs. L’introduction en bourse de Deliveroo (10,5 milliards de dollars) et Wise (11 milliards de dollars) est considérée comme des opérations majeures.

Londres doit faire face au déplacement du centre du capitalisme vers les pays d’Asie. Avant 1960, le marché boursier asiatique représentait moins de 5 % du marché mondial. Il a connu un impressionnant essor dans les années 1980 avec le développement des valeurs japonaises. En 1989, il représentait près de la moitié de la capitalisation boursière mondiale, en grande partie à cause de la bulle japonaise des prix des actifs. Deux ans plus tard, cette bulle avait éclaté mais le flambeau a été repris par les bourses de Hong Kong, Shanghai et de Shenzhen. La Chine et l’Amérique sont, aujourd’hui, de loin les centres les plus importants pour la levée de capitaux. Les États-Unis ont enregistré, sur le premier semestre 2021, 750 offres publiques initiales (IPO) d’une valeur totale de 242 milliards de dollars. La Chine, Hong Kong compris, en a dénombré 427, pour des entreprises d’une valeur de 72 milliards de dollars. La valeur des introductions en bourse enregistrées en France, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne n’a atteint que 45 milliards de dollars sur la même période.

La City a raté la révolution numérique. L’indice Footsie 100 comporte peu de valeurs de haute technologie, 2 %, contre 39 % pour l’indice américain S&P500. L’indice britannique est avant tout constitué d’entreprises minières, énergétiques ou bancaires. Le marché londonien bénéficie peu de la croissance des entreprises de pointe. Londres est également surclassée par les clusters technologiques étrangers. Par rapport à ses rivaux internationaux, l’environnement réglementaire de la City est moins favorable aux fondateurs de startup qui cherchent à lancer leur entreprise sans abandonner le contrôle des votes. La City est handicapée par un nombre faible d’analystes capables d’évaluer les entreprises technologiques et les fintech. Le Nasdaq américain est plus facile d’accès pour les entreprises du numériques que Londres. Par ailleurs, les entreprises britanniques perdent du terrain par rapport à leurs concurrentes internationales. Le Brexit a affaibli leurs positions. Même dans les secteurs où le Royaume-Uni était en pointe, un déclin se fait jour du moins sur le plan boursier. L’action du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer, dopée par le vaccin contre le covid, connaît une progression sans commune mesure par rapport à celle de son concurrent britannique GlaxoSmithKline. Il en est de même, au niveau bancaire entre JPMorgan Chase et Barclays. La capitalisation de Google, Apple, Amazon, Facebook et Microsoft est supérieure à celle des 1 964 entreprises cotées à la Bourse de Londres. Le marché britannique est également pénalisé par la moindre appétence des investisseurs nationaux en produits locaux. Ils sont de plus en plus enclins à diversifier leur portefeuille et à chercher des fonds sur les autres places. Les régimes de retraite à prestations définies britanniques, dont les actifs s’élevaient à 1 700 milliards de livres sterling en 2020, réduisent leurs achats d’actions à Londres. Le Pension Protection Fund géré par l’État britannique investissait, en 2008, 26 % de ses fonds en actions cotées britanniques en 2008 contre 3 % en 2020. Cette chute n’est pas que la conséquence de la désaffection vis-à-vis de la City ; elle est également liée au durcissement de la réglementation prudentielle. La détention d’actions est strictement encadrée et est de plus en plus coûteuse en fonds propres. Même pour la part décroissante de leurs portefeuilles allouée aux actions cotées, les gestionnaires de fonds de pension boudent de plus en plus les titres britanniques.

La moindre attractivité de la place financière britannique est une mauvaise nouvelle pour l’État de sa gracieuse Majesté avec, à la clef, de moindres rentrées fiscales. La diminution de l’emploi et de l’activité concerne les activités purement financières mais également tous les métiers connexes (avocats, informatique, etc.). Le gouvernement de Boris Johnson suit de très près l’évolution de la City et a engagé des réflexions sur une modernisation du cadre juridique et financier du secteur. Un nouveau processus de dérèglementation pourrait être engagé. Pourrait être ainsi autorisée la création de sociétés avec des actions à double classe (qui confèrent à certains administrateurs un plus grand droit de vote) sur le segment des valeurs technologiques. Une telle évolution permettrait aux entreprises concernées d’être incluses dans des indices comme le Footsie et au marché londonien de s’aligner sur ces concurrents. Parmi les autres pistes figure la réduction de la proportion minimale d’actions d’une entreprise devant être rendues publiques lors d’une introduction en bourse. Cette proposition vise à encourager les investisseurs privés qui ne veulent pas abandonner leur participation dans des entreprises tout en leur permettant d’être cotées. Afin d’attirer les jeunes talents, l’administration britannique pourrait accorder des visas à tous les diplômés des meilleures universités internationales, quel que soit leur statut d’emploi.

Jeunes, défiance collective, espérance individuelle

La crise sanitaire a donné lieu à un retour sur le devant de la scène du conflit des générations. Frédéric Dabi, le directeur général de l’IFOP, dans son dernier ouvrage, « La fracture », souligne que la jeunesse est à l’image de la société française fragmentée, « archipélisée » pour reprendre la formule de Jérôme Fourquet. Après les générations « salut les copains », « hippies », « sida », « post mur de Berlin », une génération « covid » prendrait forme. Dans une époque marquée par les notions de « victime » et de « préjudice », elle s’inscrirait en opposition aux précédentes. Les jeunes de 2021, ou du moins certains d’entre eux, considèrent qu’ils ont été sacrifiés afin de préserver la santé des personnes plus âgées. Ce jugement est partagé par plus des deux tiers d’entre eux. (étude IFOP de février 2021). 70 % estiment avoir été accusés injustement d’être responsables de la reprise de l’épidémie. Dans le même temps, ils estiment les « boomers » responsables de la détérioration de l’environnement et de la mise en danger du système de protection sociale en raison de l’accumulation des déficits. 

Pessimisme sur l’avenir de la société et de la France

Au moment où la situation de l’emploi s’améliore à grande vitesse, où les jeunes diplômés sont sollicités par de nombreuses entreprises, les enquêtes de l’IFOP soulignent un pessimisme important chez les moins de 25 ans qui tranche avec l’optimisme qui était de mise chez leurs aînés quand ils avaient le même âge. En 2021,16 % des jeunes se déclarent « pas heureux » contre 2 % en 1988. Seuls 19 % indiquent être très heureux quand ils étaient 46 % en 1999.

88 % des 18/30 ans affirment qu’ils devront payer durant de très nombreuses années la dette « covid ». Ils estiment à 87 % qu’ils sont lourdement affectés dans leur vie sociale et affective par cette crise. 83 % considèrent que les étudiants vivent dans un état de détresse sans précédent. 74 % sont favorables à un revenu minimum jeune. 53 % des jeunes affirment que ce n’est pas une chance de vivre aujourd’hui en France. En 1999, ils n’étaient que 23 % à le penser. Pour 30 % des jeunes, vivre en France est une malchance. 64 % pensent que le pays est en déclin. Parmi les faiblesses du pays citées en premier par les moins de 30 ans, figurent le chômage, l’affaiblissement du niveau scolaire et la dette. L’époque serait maudite autant que le pays. Cette appréciation diffère entre les jeunes issus des catégories sociales les plus aisées et les autres. Des écarts atteignant 50 points entre les différentes catégories sont constatés.

Priorité au temps libre

Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas les mêmes objectifs que ceux des générations précédentes. La priorité est donnée au temps libre qui passe avant l’argent ou la réussite professionnelle. La notion d’idéal a perdu de son importance. Seulement 42 % des jeunes considèrent que pour vivre heureux il en faut un contre 82 % en 1998. La notion de héros a beaucoup évolué. Ils se trouvent désormais essentiellement dans le cercle familial, essentiellement la mère, le père étant en perte de vitesse. Les figures du passé comme Ghandi, de Gaulle ou Nelson Mandela sont souvent cités. Parmi les personnalités contemporaines marquantes figure Barack Obama.

Une forte détresse personnelle

Un jeune sur cinq mentionne une perte d’emploi, un arrêt des études ou la fin d’un stage en lien avec la crise sanitaire. Le mal être semble s’être fortement accru. 83 % des jeunes interrogés par l’IFOP mentionnent se trouver dans une situation « jamais vue » en matière de souffrance morale. 58 % se déclarent dépressifs, 16 % indiquent prendre des anxiolytiques et 19 % ont mentionné avoir régulièrement des idées suicidaires. Les jeunes hommes et les jeunes issus des catégories sociales les plus modestes sont les plus fragilisés sur le plan moral. Les jeunes femmes sont de leur côté plus pessimistes que les hommes sur l’évolution de leur situation et celle du pays. 67 % des femmes de moins de 30 ans indiquent « avoir peur de l’avenir » contre 56 % des hommes de cette tranche d’âge. Même les jeunes aisés partagent cette peur (50 % de ceux dont les parents sont cadres supérieurs). Ce pessimisme est conforté par l’idée que les jeunes ont peu de prise sur le cours de la société. En février 2021, 34 % d’entre eux pensent avoir une influence sur les destinées de la France, contre 59 % en 1999. Pour retrouver un taux plus bas, il faut remonter en 1957 (20 %). En 2021, 30 % des jeunes affirment n’avoir aucune influence ou être à la merci des évènements. Cette appréciation doit être relativisée. En effet, les jeunes sont moins pessimistes sur leur avenir personnel que sur celui de la société. Ainsi, deux tiers d’entre eux pensent qu’ils vivront mieux demain qu’aujourd’hui dont un quart beaucoup mieux. Ces taux sont nettement supérieurs à ceux de l’ensemble de la population. Seulement 26 % des Français anticipent une meilleure vie dans les dix prochaines années. 92 % des jeunes estiment qu’ils ont beaucoup de choses à accomplir et 91 % pensent que la vie a beaucoup à leur offrir. 62 % des jeunes de moins de 25 ans ont un état d’esprit positif face à la crise sanitaire, soit dix points de plus que les plus de 35 ans. 88 % des jeunes pensent pouvoir s’accomplir dans leur vie professionnelle. 68 % pensent devenir salarié d’une entreprise et 40 % pensent rapidement monter son entreprise.

La famille avant tout

Si en 1957, 16 % des jeunes pensaient être différents de leurs aînés, en 2021, ce taux est de 89 %. Ils sont 85 % à penser qu’ils n’ont rien à voir avec les jeunes d’hier ou d’avant-hier. Il y a l’idée qu’ils partagent en commun des valeurs que les autres ne comprennent pas. Les moins de 30 ans placent parmi leurs mots préférés « la famille », « le mérite », « le partage » et « la solidarité » quand l’ensemble des Français retient les mots suivants : « la  France », « la responsabilité », « le partage » et « la solidarité ». Les jeunes réhabilitent certaines valeurs traditionnelles comme la famille, la liberté et le travail. Parmi les cinquante mots proposés par l’IFOP, la famille est plébiscitée par 92 % des jeunes et est considérée comme une voie de passage obligée pour avoir une vie réussie. Ce choix est en rupture complet avec les générations du baby-boom. La famille si elle peut être un lieu de tensions est avant tout perçue comme un havre. 82 % des jeunes estiment que le travail est une valeur positive. Pour 88 et 86 % des jeunes les mots respectifs de mérite et d’effort sont connotés positivement. Ce jugement ne rompt pas avec une tendance qui s’affirme depuis les années 1980. Les jeunes ont une appréciation moins positive de l’assistanat que leurs ainés même s’ils peuvent louer par ailleurs le mot de solidarité. 60 % des moins de 30 ans considèrent que les chômeurs pourraient s’ils le voulaient un travail (53 % pour l’ensemble de la population). Les propos du Président de la République «traverser la rue pour trouver un travail » trouve un écho favorable chez les jeunes.

Le retour en force du libéralisme

L’État ne fait pas rêver les jeunes. 48 % ont a priori négatif sur l’État et ses politiques quand ce taux est de 44 % pour l’ensemble de la population. Les jeunes qui critiquent le plus l’État se trouvent parmi les catégories populaires et parmi les lycéens. L’État est accusé de ne pas les avoir protégés, de leur avoir volé leurs meilleures années et d’avoir été incompétent dans la lutte contre le virus. 67 % des 18/30 ans estiment, en 2021, que l’État intervient trop dans la vie des Français, contre 55 % en 2011. Le libéralisme retrouve aux yeux des jeunes des vertus qui n’étaient plus citées depuis des années. Pour 60 % des jeunes, ce mot est connoté positivement (55 % pour l’ensemble de la population). 80 % des jeunes ont une vision positive de l’entreprise. Ce taux est de 78 % chez les sympathisants de gauche et de 92 % à droite. D’année en année, la valeur « entreprise » est en hausse. Le dernier accès négatif anti-entreprise date de la visite du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin à l’université du MEDEF en 2003, visite qui avait entraîné un fort repli de sa cote de popularité. Depuis, les Premier Ministres s’y rendent sans que cela n’ait d’effet sur les sondages. Même le terme « profit » est apprécié positivement par les jeunes (58 %). L’économie de marché reçoit l’assentiment de 60 % des moins de 30 ans. 64 % d’entre eux souhaitent que l’État accorde plus de libertés aux chefs d’entreprise. Si les startup sont connotées positivement par 79 % des jeunes, les GAFA le sont négativement par 62 %. L’auto-entrepreneuriat est plébiscité par 83 % des jeunes. La création d’entreprises et la PME sont des valeurs positives quand la multinationale est suspecte.

Les jeunes à l’image des autres catégories de la population française ne sont pas monolithiques. Leurs opinions sont également moins établies que dans le passé. Ils peuvent être tout à la fois très engagés sur le terrain du développement durable, les actions de solidarité et se révéler conservateurs au niveau des valeurs, voire en ce qui concerne l’immigration. Leur défiance à l’encontre des institutions ne leur est pas spécifique, elle est simplement amplifiée. Ils estiment que les aînés, par facilité, par résignation, ne veulent pas prendre en compte les grands défis de société. En revanche, ce jugement s’arrête aux portes de la famille. De même, les jeunes restent positifs en ce qui concerne leur destin. Ils minorent leur pouvoir d’influence tant au niveau des politiques nationales qu’au niveau des entreprises. Le télétravail qu’ils plébiscitent à une très large majorité s’impose au sein du milieu professionnel. Le concept d’horaire unique est en voie d’abandon pour des horaires à la carte. Les problèmes de recrutement dans la restauration ou l’hébergement sont en partie liés à cette question des horaires et du temps libre.  En quelques années, le code vestimentaire en entreprise, a profondément changé. Le port de la cravate, du costume est de moins en moins pratiqué. Les gouvernements tiennent de plus en plus compte de la génération « Greta Thunberg » en accélérant la transition énergétique. Les politiques s’adaptent, avec plus ou moins de bonheurs, aux nouveaux canaux d’expression publique que sont les réseaux sociaux en ayant recours non plus aux textes mais aux vidéos. Les grandes villes, avec le départ des familles et des retraités en périphérie ou dans des agglomérations de taille moyenne ou en bord de mer, se rajeunissent grâce au maintien, dans leur cœur, des universités. La génération dite sacrifiée est en proie de gagner une partie de son pari, celui de « changer le monde ».