16 janvier 2021

Le Coin des tendances – les territoires – croissance verte – développement durable

Les Français et les territoires

Dans le cinquième roman de Michel Houellebecq, La Carte et le Territoire, le héros Jed Martin réalise des photographies d’art à partir des cartes Michelin. Le mouvement politique d’Hervé Morin, l’ancien ministre de la défense de Nicolas Sarkozy, a baptisé son mouvement politique « Territoires ». A l’Assemblée Nationale, des députés, membres du parti d’Hervé Morin et de diverses formations politiques, dont trois députés nationalistes corses, ont constitué un groupe dénommé « Libertés et territoires ». Le succès du journal de la mi-journée de TF1 présenté par Jean-Pierre Pernaud entre 1988 et 2020 faisait la part belle aux territoires. Cette passion pour l’ancrage terrien intervient au moment où la France connaît un fort mouvement d’urbanisation autour de quelques grandes métropoles. Même si les racines paysannes des Français sont de plus en plus ténues, une part croissante de la population aspire à redécouvrir les territoires voire à changer de mode de vie. Selon une étude du Crédoc, les Français n’ont pas tous la même définition des territoires. Pour un tiers d’entre eux la notion de « territoire » renvoie à leur ville, 28 % à leur région, 23 % à leur département et 14 % à leur quartier. Les ruraux associent le territoire à la région ou au département quand les citadins mettent en avant leur ville voire leur quartier, notamment leur arrondissement à Paris. Le territoire est d’autant plus limité que la personne interrogée habite dans une grande ville.

Pour 38 % des Français, le territoire de référence n’est pas la région, le département ou la ville mais la France. Le sentiment national est plus développé dans notre pays que chez nos partenaires européens. Cet attachement à la nation est lié à l’histoire du pays et à sa tradition jacobine.

Au sein des régions à forte identité comme la Corse ou la Bretagne, le territoire à une connotation avant tout régionale. Il en est de même dans les départements et régions d’Outre-mer où l’éloignement de la métropole renforce cette tendance.

Part des Français qui pensent à leur région ou leur département

en référence au territoire sur lequel ils vivent

Les jeunes de moins de 25 ans se rattachent davantage que leurs aînés à leur ville ou à leur quartier (38 % des moins de 25 ans, contre 28 % des plus âgés des 60-69 ans). Les diplômés sont également plus nombreux à penser à leur ville (39 % des diplômés du supérieur) que les moins diplômés (26 % des non diplômés).

Une faible aspiration à la mobilité

Près des trois quarts des Français envisagent de vivre durablement sur le territoire où ils résident actuellement. 27 % des Français envisagent de quitter le territoire où ils vivent actuellement. Une des motivations de cette émigration est liée aux difficultés économiques rencontrées par leur territoire. Plus du tiers des Français estiment vivre dans un territoire en déclin. Ce sentiment est plus amplement partagé par les jeunes, surtout quand ils vivent en milieu rural.

Part de Français envisageant de quitter le territoire où

ils vivent actuellement, selon l’âge

Source : CREDOC

Le jugement des Français sur les difficultés rencontrées par leur territoire n’est pas toujours fondé sur des critères objectifs. Les régions à forte identité se caractérisent par un nombre faible d’habitants considérant que la situation économique y est dégradée. Néanmoins, ce jugement n’est pas si éloigné de la réalité. Ainsi, seulement 9 % des Corses estiment que cette dernière a de réels problèmes économiques. Or, l’île a bénéficié, entre 2010 et 2019, d’un taux de croissance supérieur à la moyenne nationale. 48 % des habitants des Hauts-de-France considèrent que leur région est en déclin, ce qui est corroboré par certains résultats économiques comme le PIB par habitant ou le taux de chômage. Il en est de même pour l’Occitanie, région ou 45 % des habitants jugent leur région en difficulté.

Carte des proportions de Français qui souhaitent quitter leur territoire (à gauche) et de ceux qui ont le sentiment de vivre dans un territoire en difficulté (à droite), par région

Source : CREDOC

35 % des Franciliens souhaitent quitter leur territoire pour s’installer autre part contre seuls 14 % des Corses ou 19 % des Bretons et des habitants de PACA. Si la région parisienne a été longtemps perçue de manière positive sur le plan de l’emploi ou des loisirs, le coût croissant du logement, les problèmes de transports et l’insécurité ont changé la donne ces dix dernières années. Habiter dans l’agglomération parisienne ou, dans une moindre mesure, résider dans une commune rurale augmentent tous deux le sentiment de vivre dans un territoire en difficulté. Les habitants du milieu rural sont moins désireux de changer de territoire que les habitants des très grandes villes, Paris en particulier, même s’ils sont plus nombreux à juger que le leur est en déclin.

La plupart des Français (48 %) provenant d’un territoire qu’ils estiment en bonne santé souhaitent y vivre durablement. Ce sont principalement les personnes plus âgées et plus aisées que la moyenne vivant dans des territoires également plus aisés qui partagent cet avis. 14 % des Français aspirent à quitter un territoire actuellement en bonne santé. Ce sont également des individus plutôt jeunes vivant au sein de grandes métropoles et qui veulent changer de mode de vie.

24 % vivant sur un territoire qu’ils estiment en difficulté souhaitent tout de même y demeurer. Ce sont les personnes âgées à faibles revenus et qualifications qui souhaitent majoritairement rester dans leur territoire d’origine malgré les difficultés. 13 % aspirent à quitter un territoire qu’ils estiment en difficulté. Cette volonté d’émigration concerne en priorité les jeunes.

L’identité locale, une valeur en hausse

L’identité local gagne du terrain. Avant même la crise sanitaire en janvier 2020, selon le Crédoc, 27 % des Français déclaraient leur attachement à une communauté liée à leur commune ou leur quartier, contre 20 % il y a deux ans. Les Français émettent le besoin d’être des acteurs de la vie locale, bien que cette volonté ne se traduise pas toujours dans les faits car leur participation dans des associations de quartier tend à diminuer. Malgré tout, ceux qui affirment un fort attachement à l’échelon local sont plus nombreux (61 %, +20 pts) que les autres à s’investir dans une activité associative. Ils sont également plus engagés dans la défense de l’environnement (11 %, +5 pts, sont actifs dans une association environnementale, et 49 % jugent prioritaire la protection de l’environnement, +8 pts). Cette population montre un intérêt plus important que la moyenne pour la mise en place de de nouvelle forme de gouvernance locale (assemblée participative, budget participatif). Ces hérauts de la vie locale ne récusent par le fonctionnement traditionnel de la démocratie. Ils sont plus nombreux à avoir voté aux deux tours des dernières élections présidentielles (77 %, +4 pts) et législatives (71 %, +10 pts). Ils estiment que la société française doit se réformer en profondeur et que la transition énergétique doit être encouragée avec le cas échéant une remise en cause du système capitaliste.

Les liens avec les territoires ont profondément évolué ces cinquante dernières années. La France s’étant urbanisée tardivement, les Français se sont longtemps rattachés aux territoires de leur enfance ou de leur famille. À Paris, les habitants se déclaraient Normands, Bretons ou Auvergnats. Ces liens se sont estompés avec la diminution de la population agricole. Les migrations sont de plus en plus effectuées entre villes et non plus entre les campagnes et les agglomérations. La mobilité a augmenté et prend des formes diverses. Elle peut être nationale mais aussi internationale. De plus en plus de personnes travaillent dans une ville la semaine et rejoignent leur domicile familial situé dans une autre cité en fin de semaine. Avec le développement des transports à grande vitesse, des actifs peuvent être amenés à travailler à plusieurs centaines de kilomètres de leur domicile. Des villes comme Tours, Vendôme, Rouen ou Reims comptent de nombreux « pendulaires », des actifs qui effectuent chaque jour le trajet pour se rendre en région parisienne pour travailler. Cette évolution qui a pris toute son importance dans les années 1990/2000 pourrait être remise en cause avec l’épidémie qui a conduit au développement du télétravail. Ces changements modifient les liens aux territoires. Si ces derniers sont multiples et complexes, ils demeurent. Certes, la ville, le quartier, la région supplantent le village mais le besoin de références reste important. L’attachement à la région est avant tout lié à l’existence d’une forte identité historique et vivante.

A la recherche d’une croissance soutenable

Après la crise sanitaire, l’économie mondiale devrait s’engager sur le chemin d’une croissance verte dite soutenable tant sur le plan du réchauffement climatique sur celui de l’utilisation des ressources naturelles ou de la biodiversité. Avec une population mondiale qui n’atteindra son pic qu’en 2050, autour de 10 milliards d’habitants, la croissance est une nécessité pour garantir à tout chacun des conditions de vie dignes et pour financer des dépenses de protection sociales amenées à progresser. Une course de vitesse est engagée entre ces contraintes et la nécessité de repenser le modèle d’expansion afin qu’il soit compatible avec la préservation de notre environnement.

Le concept de rareté a toujours été au cœur de la problématique économique. Il est à la base du système de prix. Thomas Malthus comme Karl Marx estimaient que dans un monde fini la croissance l’est également. La contrainte alimentaire, le rendement décroissant du capital ne pouvaient que provoquer famines, accroissement de la mortalité ou exploitation de l’homme par l’homme et déboucher sur une révolution mondiale. En 1972, le rapport Meadows que le Club de Rome a commandé au Massachusetts Institute of Technology marque une rupture dans la pensée économique en avançant l’idée que l’Homme doit mettre un terme à la croissance afin de préserver son environnement et donc la vie. Le rapport indique ainsi « qu’étant donné le stock limité et décroissant de ressources non renouvelables et l’espace limité de notre globe, il nous faut accepter le principe selon lequel l’augmentation de la population impliquera un niveau de vie moins élevé et une problématique plus complexe de la société humaine ». Ce rapport est publié après une phase de vive croissance qui intervenait après la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale, phase qui concernait essentiellement l’Europe, le Japon et les États-Unis. Sa présentation est également intervenue avant le premier choc pétrolier qui a révélé la dépendance de l’Occident à l’or noir. L’épuisement du pétrole est devenu une antienne qui pour le moment est resté une illusion. Le pic de production (peak oil) était censé arriver au début des années 1980 avant d’être reporté en 2000 puis en 2020. Avec le pétrole de schiste, les experts n’osent plus, depuis, avancer la moindre date.

La question environnementale s’impose dans le débat public au début des années 1970 notamment avec l’apparition des premiers partis écologistes. Des ministères en charge de cette problématique sont créés afin de répondre à une préoccupation émergent au sein de l’opinion. En France, cette création intervient ainsi en 1971 avec la nomination de Robert Poujade comme Ministre de l’’Environnement. Les pouvoirs publics entendent répondre à la montée des contestations à l’encontre de l’urbanisation et des menaces pesant sur la flore et les animaux.

Le réchauffement climatique commence à être réellement abordé dans les années 1980 notamment avec la création par l’ONU du Programme des Nations unies pour le développement et la création de la Commission Brundtland (1983 – 1987). Cette commission développe le concept de développement durable. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur le l’évolution du climat (GIEC) est créé en 1988. Le premier rapport du GIEC publié en 1990 révèle au grand public les dangers du réchauffement climatique en cours. Après la publication de ce rapport, l’ONU organise à Rio une convention à laquelle participent 154 États. L’accord final appelle les pays à agir en fonction de leurs responsabilités et capacités pour stabiliser la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il a été ratifié par 189 pays en 2004. Depuis la signature de cet accord mondial de lutte contre les changements climatiques, une conférence des parties prenantes à cet accord, une COP, se tient chaque année en novembre ou en décembre. En 1997, la COP 3 aboutit à l’adoption du protocole de Kyoto, qui fixe des objectifs de réduction des émissions de CO2 afin de lutter contre le changement climatique. Il est ainsi décidé de diminuer de 5,2 % les émissions des gaz à effet de serre sur la période 2008/2012 par rapport à leurs niveaux de 1990.

En 2011, la COP17 de Durban a permis de définir un agenda d’engagements quand la suivante à Doha décide la prolongation de justesse du protocole de Kyoto en retenant une deuxième période d’engagement du début 2013 à fin 2020. La COP21 qui s’est tenue à Paris en 2015 avait comme principale objectif l’élaboration d’une réponse mondiale à la menace du changement climatique afin de limiter l’augmentation de la température un niveau inférieur à 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts afin de la limiter à 1,5 degré. L’Accord de Paris qui en a résulté demande aux États signataires de travailler au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre et à la neutralité climatique d’ici 2050. L’Accord de Paris établit un engagement contraignant de toutes les parties à préparer, communiquer et maintenir une contribution déterminée au niveau national et à prendre des mesures nationales pour y parvenir.

L’Accord de Paris encourage les parties à prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre, notamment en augmentant la surface dévolue aux forêts. Il appelle les États signataires à coopérer afin de faciliter l’atteinte des objectifs. L’Accord de Paris réaffirme l’obligation des pays développés d’appuyer les efforts des pays en développement. Un « bilan mondial », sera publié en 2023 et tous les cinq ans par la suite, afin d’évaluer les progrès réalisés collectivement dans l’atteinte des objectifs de l’Accord. Ce dernier n’est pas contraignant. Il n’y a pas de mécanisme de sanction en cas de non-respect par les États des objectifs qui leur sont assignés. Plus de 175 pays ont signé l’Accord de Paris. Les États-Unis qui l’avaient signé en 2016 s’en sont retirés le 4 novembre 2020. Avec l’arrivée de Joe Biden à la Présidence, un retour des États-Unis est prévu. 

Les Etats sont donc amenés, de manière rapide, à décarboner leur économie. A la différence du passage du charbon au pétrole, la transition énergétique en cours est de nature réglementaire. Elle est imposée afin de préserver l’environnement. La neutralisation carbone de l’activité économique mondiale est un défi de grande ampleur pour endiguer un processus de réchauffement qui a commencé il y a deux cents ans. Comme le souligne Christian Gollier dans son ouvrage Le Climat après la fin du mois (2019), la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est demeurée stable et inférieure à 280 parties par million (ppm) de l’an 1000 à 1800. Les émissions générées par les activités humaines étaient absorbées par les forêts et par les océans qui jouent le rôle de puits de carbone. Avec l’exploitation du charbon, les émissions sont passées à 280 ppm au début du XXe siècle. En 2018, elles dépassaient 410 ppm amenant un réchauffement climatique qui pourrait s’emballer à défaut d’être endigué.

Sources : US National Oceanic Atmospheric Administration

La menace climatique a remis au goût du jour la thèse de décroissance et du changement du modèle économique accusé de reposer sur la consommation à outrance. Celle-ci étant responsable du réchauffement, il faut la bannir, opter pour l’attrition, la frugalité économique. Dans un monde de ressources limitées, la population se doit d’être économe et réduire ses activités. Les partisans de la décroissance prolongent donc la pensée de Karl Marx et de Thomas Malthus. En considérant que le taux de croissance à long terme est obligatoirement nul, ils oublient cependant le rôle joué par l’innovation et tout particulièrement les gains de productivité qui permettent de réduire la consommation des ressources et des émissions de CO2 pour une croissance plus importante.

Les innovations vertes ne sont pas naturelles. Les entreprises ont tendance à privilégier les inventions qui confortent leurs activités et leur savoir-faire. La rupture est une mise en danger à laquelle les grandes organisations, en raison de leur poids, de leur tradition s’adonnent avec parcimonie. Les start-ups plus mobiles, sans passé, sont évidemment plus réactives que les groupes installés. Kodak a raté la révolution de la photo digitale tout en ayant des brevets sur ce sujet. Sony n’a pas su prendre le virage à temps des smartphones, laissant la place à Apple, tout en disposant de la technologie et des compétences. La marque japonaise avait inventé dans les années 1970 les walkman et était en pointe sur les appareils photographiques. Dans l’automobile, Tesla est devenue la première capitalisation du secteur, devant les sociétés traditionnelles que sont Volkswagen ou Toyota.

Le coût du réchauffement n’est pas internalisé d’où la lenteur des adaptations qui a prévalu ces vingt dernières années. En tant que tel, les émissions de CO2 ne grèvent pas ou peu les activités économiques. Christian Gollier et de nombreux économistes plaident pour la généralisation de la taxe carbone et pour son augmentation afin d’intégrer le coût réel des émissions de CO2.

Le rôle des consommateurs et des électeurs apparaît déterminant. Dans des pays où les associations de défense de l’environnement sont peu présentes, les acteurs économiques y sont peu sensibilisés. En Russie et dans de nombreux pays émergents, comme le Brésil, la question du réchauffement est  moins prégnante. En revanche, en Europe, tout particulièrement en Europe du Nord et dans certaines grandes villes des États-Unis, l’opinion attend une action énergique des gouvernements sur ce sujet. Les Organisations Non Gouvernementales jouent un rôle croissant en la matière tout comme certaines institutions financières. En Chine, les pouvoirs publics ont opté pour une révolution verte de la croissance. Le pays est devenu en quelques années le premier producteur de panneaux solaires, de cellules photovoltaïques et de batteries au risque de générer de nouvelles pollutions.

Avec la crise sanitaire, tous les États souhaitent au plus vite renouer avec une croissance forte et si possible pérenne. Elle est censée être soutenable sur le plan du développement durable grâce à une accélération de la transition énergétique. La conciliation de la croissance avec la lutte contre le réchauffement climatique est un enjeu majeur de la sortie de crise. Seul un effort important d’innovation peut résoudre cette contradiction apparente.