13 août 2022

Le Coin des Tendances pétrole – digital – numérique

La banalisation inévitable des géants du numérique

Depuis le début du siècle, le monde du digital a battu record sur record. En presque vingt ans, le poids du numérique dans le PIB américain a augmenté d’un tiers pour atteindre plus de 10 % du PIB. L’oligopole technologique – Meta, Alphabet, Amazon, Microsoft et Apple (MAAMA qui a remplacé GAFA) a connu une croissance de plus de 40 %. Leurs revenus et leurs bénéfices ont augmenté de près de 20 % par an en moyenne au cours de la dernière décennie, tandis que la croissance américaine était inférieure à 4 % par an. Sur la même période, la crise sanitaire a accéléré la digitalisation des sociétés et a enrichi les grandes entreprises du numérique.

Après trois années exceptionnelles, un ralentissement était inévitable. Sa brutalité surprend et désarçonne un secteur habitué à des taux de croissance élevés. L’indice Nasdaq des valeurs technologiques américaines a perdu 25 % de sa valeur depuis janvier, soit deux fois plus que le Dow Jones. Le 26 juillet, Alphabet (Google) a annoncé sa progression trimestrielle des ventes la plus lente depuis 2019. Meta (Facebook) a déclaré que ses ventes avaient chuté d’une année sur l’autre, pour la toute première fois. Les entreprises digitales sont confrontées aux mêmes problèmes que celles de l’ancienne économie, problèmes d’approvisionnement, montée du protectionnisme, pénurie de main-d’œuvre, etc. Pour les MAAMA, ces contraintes sont inédites. Elles pourraient être amenées à perdurer. Pour le deuxième trimestre de l’année, Apple n’a connu qu’une croissance de 2 %, ce qui est faible au regard des résultats passés. Ses bénéfices qui ont atteint 19,4 milliards de dollars sont en baisse de 10 %. Apple a souffert en début d’année de problèmes de chaîne d’approvisionnement en Chine, problèmes qui a réduit le chiffre d’affaires de 4 à 8 milliards de dollars. Lors du premier semestre, Amazon a également dû faire face à quelques difficultés en raison de la hausse des prix et à une mauvaise évaluation des besoins des consommateurs. Les barrières réglementaires commencent à peser sur les entreprises américaines du digital. L’Union européenne et l’Inde sont les deux zones jugées les plus protectionnistes. Les dispositifs de protection des données remettent en cause les fondamentaux de ces entreprises qui doivent s’y adapter. Jusqu’à maintenant, les entreprises technologiques attiraient facilement les meilleurs talents. Or, depuis la crise sanitaire, elles ne sont plus le rêve exclusif des diplômés de l’enseignement supérieur. Ces entreprises se sont banalisées. Elles ont perdu l’esprit start up. Ce sont devenues des multinationales En dix ans, les effectifs des MAAMA ont été multipliés par six pour atteindre 2,2 millions. Le secteur du numérique doit faire face à la concurrence de l’industrie traditionnelle qui embauche un grand nombre de programmeurs.

Durant la période de montée en puissance du numérique, les cycles économiques avaient peu d’incidences sur le chiffre d’affaires des MAAMA. Désormais, elles ne sont pas insensibles aux aléas de la conjoncture. Dominant le marché de la publicité, Alphabet et Meta sont touchées par le ralentissement de ce marché. De même, les spécialistes de l’e-commerce doivent faire face à une moindre croissance en raison de la hausse des prix. Qu’il s’agisse de publicités en ligne ou d’achats en ligne, du cloud ou des smartphones, les marchés technologiques sont plus matures. De tels marchés connaissent des taux de croissance plus faibles et sont soumis à des contraintes réglementaires de plus en plus fortes. Les marges sont amenées à s’éroder d’autant plus que les entreprises doivent investir davantage pour conserver leurs positions acquises.

Les entreprises du numériques découvrent les lois traditionnelles de l’économie. La diffusion du digital se poursuit mais à un rythme plus modéré et dans un cadre de plus en plus régulé. Si jusqu’à maintenant, les MAAMA s’étaient réparti le marché, elles pourraient être tentées d’entrer dans une concurrence plus frontale. Elles essaieront aussi de prendre des positions dans les secteurs où elles ne sont pas en position de force comme la santé ou le secteur financier.  

Les pays pétroliers et la bataille du réchauffement climatique

Total Energies, ExxonMobil, Shell et les autres grandes compagnies pétrolières sont les cibles parfaites des militants luttant contre le réchauffement climatique. Elles symbolisent le capitalisme de ces cent dernières années et sont accusées d’être les principaux responsables du dérèglement climatique. Elles sont les bouc-émissaires idéaux du fait de leur notoriété mondiale. Dans les faits, elles ne sont qu’un rouage de l’économie carbonée, certes important mais leur condamnation ne saurait suffire pour renverser le réchauffement climatique.

Contrairement à une croyance bien établie, les majors pétrolières ne sont pas les principaux producteurs de pétrole. Les compagnies pétrolières nationales comma Saudi Aramo, QatarEnergy, Adnoc (Emirats Arabes Unies) et PDVSA (Venezuela) sont bien plus puissantes que les majors occidentales. Elles produisent les  trois cinquièmes du brut mondial et la moitié du gaz naturel, contre un peu plus d’un dixième pour les grandes sociétés pétrolières internationales. Elles disposent des deux tiers des réserves de pétrole et de gaz découverts dans le monde. Elles peuvent produire encore plus de quatre décennies. Les majors occidentales produisent moins de 20 % de la production mondiale de pétrole et détiennent environ 15 % des réserves. Dans les cinq premières compagnies intervenant dans le secteur des hydrocarbures figurent une société saoudienne, une société iranienne, une société chinoise et deux sociétés russes. Exxon arrive en 6e position, BP en 7e, Shell en 8 et Total Energies en 13e position.

Avec un prix du baril à 100 dollars, les compagnies nationales enregistrent des gains records. Si ce prix se maintenait jusqu’en 2030, leurs gains supplémentaires se chiffreraient à plus de 1100 milliards de dollars. La moitié de cette prime irait aux compagnies nationales émiratis, koweïtiens, qatariens et saoudiens. Les entreprises  russes tels que Rosneft, malgré les embargos occidentaux, grâce à leurs ventes en Chine et dans les autres pays asiatiques, capteraient près d’un cinquième de ce gain.

Les compagnies nationales productrices d’hydrocarbures réalisent peu d’efforts pour décarboner leurs activités. Selon le cabinet de conseil Wood Mackenzie, on estime que les géants publics consacrent moins de 5 % de leurs dépenses d’investissement à la transition énergétique, contre 15 % en moyenne pour les entreprises américaines et européennes. Entre 2005 et 2020, les entreprises nationales ont également déposé moins de demandes de brevet pour des idées vertes que leurs rivaux internationaux.

Les entreprises pétrolières d’Etat les moins impliquées dans la transition énergétique sont celles des pays peu ou pas démocratiques. La PDVSA vénézuélienne ne réalise aucun investissement pour la décarbonation quand, en revanche, Equinor, en Norvège s’investit dans les énergies renouvelables. Il convient de signaler qu’il en est de même pour Aramco qui est une société saoudienne mais cotée. Petronas en Malaisie et Ptt en Thaïlande, se tournent de plus en plus vers les énergies renouvelables. Ptt se lance également dans les véhicules électriques. La compagnie de Colombie, Ecopetrol, a investi dans des projets éoliens et solaires et a récemment acquis une société de transport d’électricité. Le Cnooc chinois veut maintenant que ses émissions de carbone atteignent leur maximum d’ici 2028 et promet que l’énergie non fossile représentera plus de la moitié de sa production intérieure d’ici 2050, conformément à l’engagement du président Xi Jinping selon lequel les émissions chinoises commenceront à baisser avant 2030. La compagnie brésilienne Petrobras estime que la production de pétrole de ses nouveaux gisements entraîne 40 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins par baril que la moyenne mondiale. Plutôt que de miser sur les énergies renouvelables, la société brésilienne décarbonise les opérations pétrolières en investissant dans des installations de production et des navires entièrement électriques. Il a récemment obtenu un prêt vert de 1,3 milliard de dollars, où le taux d’intérêt baisse si l’entreprise émet moins de carbone, et a lié la rémunération des dirigeants aux objectifs d’émissions. Aramco a développé des centres de recherche pour favoriser l’essor d’énergies vertes. Les Saoudiens ont investi sur des techniques de captation des émissions de CO2 . Ils ont financé, pour 5 milliards de dollars, un projet d’hydrogène vert dans la ville au plein milieu du désert, Neom, avec l’objectif de devenir le premier exportateur mondial d’hydrogène.

Les entreprises algériennes et vénézuéliennes émettent trois à quatre fois plus de carbone dans la production de pétrole que les entreprises les mieux gérées et les mieux gérées sur le plan géologique telles que Adnoc et Aramco, et brûlent sept à dix fois plus de gaz par baril que QatarEnergy. Les petites compagnies nationales ou celles qui détiennent d’importantes réserves n’entendent pas modifier leur mode de développement.

Le pétrole reste incontournable encore pour de nombreuses années tant en matière d’énergie qu’en tant que matières premières. Les pays producteurs disposent d’un pouvoir économique qui devrait perdurer au minimum jusqu’au milieu du siècle.  A partir des années 1960 et surtout 1970, ils ont entendu contrôler leur rente en créant de grandes compagnies nationales dont l’objectif n’était pas de restreindre la consommation de pétrole mais bien d’en retirer tous les avantages. Les pays producteurs doivent néanmoins gérer l’épuisement des réserves et la transition énergétique qui suppose une sortie des énergies fossiles. Cette sortie sera progressive mais elle entraînera des changements dans les rapports de force entre les Etats. Si certains préparent demain et après-demain, force est de constater que d’autres tendent à espérer que la rente perdurera.