17 septembre 2022

Le Coin des Tendances Profits – énergie – digital

L’Europe renforcée par la crise énergétique

L’Europe doit faire face à une menace de pénurie énergétique et à une vague d’inflation, inédite depuis quarante ans, sur fond de reprise de l’épidémie de covid-19 et de sécheresse sur une grande partie du continent. Malgré la succession de crises, l’économie européenne demeure néanmoins relativement solide avec un taux de chômage de 6,6 %, ce qui signifie presque le retour au plein emploi. Le pouvoir d’achat des ménages ne se contracte que légèrement. Les salaires sont orientés à la hausse. La chute de la confiance des consommateurs n’a pas entraîné celle de la consommation. Le moral des chefs d’entreprise reste élevé.

En cette rentrée 2022, le marché de l’énergie est sous tension en Europe, même si le cours du baril de pétrole est retombé au-dessous de 100 dollars. La production d’électricité est devenue le problème numéro un de l’Union européenne. L’arrêt des livraisons de gaz russe et les problèmes des centrales nucléaires françaises ont provoqués une vive augmentation des contrats à terme pour l’électricité. En 2021, les contrats français et allemands d’électricité à un an se négociaient à environ 100 euros par mégawattheure quand ils ont dépassé, fin août, 1 000 euros. Ce prix est une indication de l’état du marché au printemps 2023 en cas de persistance des problèmes actuels. Le 5 septembre, la Russie a annoncé qu’elle fermerait son gazoduc Nord Stream tant que les sanctions occidentales seraient en place, entraînant une augmentation de 30 % du cours du gaz de 30 %. Ce cours a atteint l’équivalent de 400 dollars le baril de pétrole, contre 100 euros avant la guerre en Ukraine. La dépréciation de l’euro accentue la hausse des prix de l’énergie. Aux prix à terme actuels, les dépenses annuelles en électricité et en gaz des consommateurs et des entreprises de l’Union européenne pourraient atteindre 1 400 milliards d’euros, contre 200 milliards d’euros avant 2020, selon les experts de Morgan Stanley.

La crise énergétique a des répercussions de plus en plus importantes sur l’ensemble du continent européen. En Italie, des usines de gazéification de l’eau ont fermé, le coût du gaz étant devenu prohibitif. ArcelorMittal a décidé de fermer une usine à Brême en Allemagne. Il en est de même pour la verrerie de Duralex de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret). Au Royaume-Uni, où aucun bouclier tarifaire n’avait été institué jusqu’à la nomination de Liz Truss, plus de 14 % des ménages n’acquittent plus leur facture énergétique. La Pologne et la République tchèque sont également exposées aux menaces de pénurie d’énergie.

Face à cette situation, la Commission européenne entend modifier le fonctionnement du marché de l’énergie et en particulier celui de l’électricité. Le prix du mégawattheure était jusqu’à maintenant déterminé par les coûts du producteur marginal, qui est souvent alimenté au gaz. La hausse du prix du gaz se répercute ainsi sur l’ensemble de la production d’électricité qu’elle soit d’origine renouvelable, nucléaire ou liée à l’utilisation d’hydrocarbures. Cette situation aboutit à la constitution de profits importants de la part de certaines entreprises énergétiques, profits que la Commission entend taxer de manière spécifique.

Pour compenser les effets de la hausse de l’énergie, tous les gouvernements européens, et désormais le Royaume-Uni, ont décidé de soutenir les ménages et les entreprises. L’Allemagne va dépenser 65 milliards d’euros supplémentaires, soit 1,8 % du PIB pour des mesures comprenant un plafonnement des prix pour une quantité de base d’électricité pour les ménages et les entreprises. Liz Truss, la nouvelle Première ministre britannique, a annoncé un plan de gel des prix pendant deux ans évalué à plus de 100 milliards de livres sterling (115 milliards d’euros), soit 4,3 % du PIB. En France, l’État consacrera plus de 30 milliards d’euros en 2022 pour le bouclier tarifaire et la ristourne sur les carburants. De nombreux pays atténuent la répercussion des prix de gros en réduisant considérablement les taxes. Treize États européens ont supprimé les droits sur le carburant, allant d’une remise de six centimes le litre en Grande-Bretagne à 30 centimes en France. Beaucoup ont également réduit les taux de TVA, dont les Pays-Bas et la Pologne. La Grèce couvre 94 % des hausses du prix de l’électricité auxquelles les ménages sont confrontés, une mesure qui devrait coûter près de 2 milliards d’euros au contribuable. L’État norvégien acquitte 90 % des factures d’électricité supérieures à 700 NkR (70 euros soit environ la moitié du prix actuel) par mégawattheure jusqu’en mars 2023. La France a limité, jusqu’à la fin de l’année, l’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité à 4 % et oblige EDF à vendre plus d’électricité à perte à ses concurrents. La Roumanie plafonne les factures de gaz et d’électricité jusqu’à certains niveaux de consommation. Le Portugal et l’Espagne financent une partie des coûts de carburant des centrales électriques. Les gouvernements multiplient les chèques en faveur des ménages. Les salariés allemands qui paient l’impôt sur le revenu devraient recevoir une allocation unique de 300 euros quand les familles bénéficieront d’une prime de 100 euros par enfant. Plus de 8 millions de ménages britanniques accéderont à une prime de 650 livres qui s’ajoute à un versement universel de 400 livres. Le Danemark, l’Italie et d’autres ont également réservé des transferts aux plus touchés. Au total, l’Europe, Royaume-Uni compris, dépensera plus de 450 milliards d’euros pour réduire les effets de la crise énergétique.

Les politiques de soutien des gouvernements génèrent néanmoins des effets pervers. Le plafonnement des prix favorise le maintien de la demande d’énergie. La consommation de gaz augmenterait en Espagne depuis l’introduction des ristournes. Il est surtout difficile de mettre un terme au bouclier par crainte d’une hausse brutale des prix. Pour autant, les États sont condamnés à intervenir. Les entreprises qui ont bien résisté à la crise sanitaire grâces aux aides publiques sont confrontées à des problèmes de production plus graves avec la guerre en Ukraine. Afin d’éviter l’effondrement en mode domino des compagnies d’électricité, certaines peuvent avoir besoin de lignes de crédit temporaires de l’État, comme les banques en ont bénéficié en 2008 lors de la crise financière. Pour éviter la multiplication des fermetures d’usines, les gouvernements pourraient être contraints de renouer avec la politique des prêts garantis. En Allemagne, toute l’industrie chimique, sidérurgique et de l’automobile est menacée.

Après l’épidémie de covid-19 qui a accru la dette publique de 20 points de PIB pour les États membres de l’OCDE, la guerre en Ukraine occasionne une nouvelle progression des dépenses publiques. Ces dernières ont comme conséquence le maintien des déficits publics autour de 5 points de PIB. Des déficits plus importants en période d’inflation obligent les banques centrales à augmenter encore plus leurs taux directeurs, ce qui accroît par ricochet le coût de la dette. La politique de soutien global n’est pas tenable sur le long terme du fait de la dérive des finances publiques qu’elle entraîne. De plus en plus d’experts estiment que le recours aux prélèvements obligatoires est incontournable tant pour équilibrer les comptes publics que pour refroidir les économies. La taxation des bénéfices liés à l’énergie est devenue le fil rouge de l’été. En Europe, ces derniers pourraient atteindre près de 300 milliards d’euros. L’instauration de prélèvements exceptionnels nuit néanmoins à la neutralité fiscale et peut dissuader les entreprises d’investir. Les besoins financiers pour les énergies renouvelables, pour le stockage de l’énergie, comme les batteries, se chiffrent en milliers de milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne. Pour faire face à la crise, les entreprises énergétiques doivent investir dans de nouvelles infrastructures pour le gaz liquéfié et accélérer leurs programmes de développement des énergies renouvelables.

Le recentrage des aides sur les ménages modestes est avancé pour limiter la progression des dépenses publiques. Il permettrait au mécanisme de marché de freiner la demande, tout en soutenant les personnes les plus vulnérables. Selon le FMI, cette politique serait plus efficace que celle actuellement en vigueur. La deuxième priorité est d’augmenter l’offre. Les gouvernements multiplient les contrats avec des producteurs de gaz que ce soit l’Algérie ou le Qatar. L’amélioration des interconnexions gazières transfrontalières est également une nécessité. Après vingt ans de sous-investissement, les États sont contraints de rattraper leur retard même si la crise actuelle n’a pas totalement effacé les divisions au sein de l’Union européenne comme la traditionnelle hostilité de la France pour la réalisation d’un gazoduc en provenance de l’Espagne et qui rejoindrait l’Allemagne.

Cette crise devrait renforcer les institutions européennes. Le risque de pénurie souligne l’interdépendance énergétique sur le vieux continent. Avec l’arrêt de plus de la moitié de son parc nucléaire, la France a besoin de l’électricité allemande quand, de son côté, l’Allemagne souhaite avoir accès au gaz que la première a acheté. La Commission européenne entend réguler le marché de l’énergie et éviter que les États surendettés en soient privés. Elle a décidé d’utiliser son fonds de relance pandémique de 807 milliards d’euros pour venir en aide aux États membres. Ce fonds mis en place en 2021 n’a été utilisé pour le moment qu’à hauteur de 15 %. Les versements pour les projets énergétiques pourraient être accélérés et la Commission pourrait proposer des prêts à faible taux pour assurer le financement de mesures en faveur de la transition énergétique. La BCE s’est engagée de son côté à limiter les écarts de taux entre les États membres pour éviter une fragmentation de la zone euro.

Retour sur terre pour les stars du digital

La crise sanitaire, a fait naître un sentiment de toute puissance et d’euphorie chez les acteurs de l’industrie technologique. Avec des milliards de personnes enfermées, le digital est devenu la voie de passage obligée pour les achats, le travail et les loisirs. Cette crise sans précédent a incité à la numérisation accélérée des activités. Nombreux sont ceux qui ont prédit alors des gains de productivité importants, une transformation rapide des économies. Le cours de bourse de toutes les entreprises du secteur de l’information et de la communication a enregistré des croissances à deux chiffres. L’indice Nasdaq de mars 2020 à août 2021 a ainsi progressé de près de 90 %. Depuis le milieu de l’année dernière, l’atterrissage est brutal. L’indice Nasdaq a perdu le quart de sa valeur. Le cours de Zoom, une entreprise de visioconférence, a chuté de son côté plus de 80 %.

La fin du boom digital est assez logique. Après deux années exceptionnelles, les ménages ont réduit leurs achats d’ordinateurs. Ils arbitrent de plus en plus entre les différentes plateformes de vidéos en ligne. Les achats de téléphone se réduisent. Les consommateurs sont moins férus de nouveauté que dans le passé. Néanmoins, l’industrie du cloud computing continue de croître et devrait atteindre près de 500 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année, contre 243 milliards de dollars en 2019. L’offre cloud d’Amazon, la plus importante au monde, devrait augmenter de 33 % cette année. Il représente les trois quarts du bénéfice d’exploitation de l’entreprise au cours des 12 derniers mois et soutient l’activité de commerce électronique en difficulté du géant de la technologie. Ses deux concurrents, Microsoft et Google, enregistrent des augmentations de leur chiffre d’affaires de respectivement de 40 % et 36 %. La « cloudification » de l’économie crée de nouveaux besoins en matière de cybersécurité. Les revenus des trois plus grandes entreprises de cybersécurité cotées en bourse ont presque doublé depuis le début de la pandémie. Leur capitalisation boursière après avoir triplé, n’a que faiblement baissé depuis le début de l’année. Les paiements numériques poursuivent également leur progression. Les trois quarts des propriétaires d’iPhone utilisent Apple Pay, contre la moitié en 2019, et neuf détaillants américains sur dix l’acceptent désormais comme mode de paiement. En Europe, le rattrapage s’amorce. Près de 200 millions de personnes en Inde et en Chine ont utilisé une forme de paiement numérique pour la première fois depuis le début de la covid. Un tiers des adultes en Afrique subsaharienne a désormais un compte d’argent mobile, contre un cinquième en 2017.

L’éclatement de la bulle du secteur de l’information et de la communication, aidé par la hausse des taux, était attendu. Il permet un écrémage. En revanche, il conforte les positions des sociétés spécialisées dans les infrastructures sous-jacentes. La question est de savoir si la diffusion des techniques numériques aura des effets sur la productivité. Deux années de numérisation à outrance et de télétravail ne se sont pas accompagnées de l’essor attendu en la matière. La productivité est même en baisse, les entreprises ayant besoin de plus de salariés pour faire la même quantité de travail.

Taxer ou pas les superprofits des entreprises énergétiques ?

Chaque fois que le cours du pétrole et du gaz croît, les entreprises énergétiques sont accusées de réaliser des bénéfices illégitimes. Dans plusieurs pays dont la Bulgarie, l’Italie, la Roumanie ou l’Espagne, de nouvelles taxes ont été instaurées pour capter une partie de ces bénéfices. En France, plusieurs partis politiques ont réclamé une majoration de l’imposition sur les bénéfices des compagnies pétrolières. La Commission de Bruxelles a indiqué qu’un prélèvement pour financer la transition énergétique et les mesures de soutien pourrait être pratiquée.

Qu’est-ce un superprofit ? Est-ce un profit généré par une situation indépendante des process de production classique ? Est-ce un profit dépassant un certain montant ? Faut-il apprécier les superprofits sur un an ou faut-il prendre en compte des périodes pluriannuelles ?

Face aux conséquences de la guerre en Ukraine et compte tenu du niveau élevé des déficits et des dettes, les gouvernements sont tentés d’instituer des prélèvements exceptionnels au risque de déstabiliser un peu plus des secteurs confrontés à des défis importants. Le marché de l’énergie doit supporter tout à la fois les contraintes qu’imposent la transition énergétique et celles liées à l’invasion de la Russie en Ukraine. Les prix du pétrole et du gaz sont fortement volatils. Depuis dix ans, le secteur a connu deux chutes abyssales, en 2015/2016 et en 2020 avec des ventes à terme à prix négatif pour le pétrole. Les compagnies pétrolières ont subi des pertes d’exploitation en 2020. Une mutualisation des seuls bénéfices sans tenir compte des pertes remettrait en cause la viabilité du secteur. Dit autrement, la viabilité des entreprises serait incertaine si elles devaient endurer, seules, les mauvais moments et être dessaisies d’une partie de leurs bénéfices lorsque les prix augmentent.

Faut-il fiscaliser les gains des entreprises énergétiques considérant que les États sont mieux à même d’organiser la transition écologique et de garantir l’approvisionnement des ménages et des entreprises ? Dans une vision libérale, des bénéfices importants s’assimilent à une rente qui est une anomalie du marché, un dysfonctionnement qu’il convient de corriger. Dans le cas présent, l’anomalie provient de la hausse brutale des cours par crainte d’une pénurie généralisée. Elle est en partie extérieure au marché même si, dans les faits, le secteur de l’énergie est également touché par un sous-investissement dans le domaine des hydrocarbures en lien avec le développement des énergies renouvelable et par la volatilité des prix. Pour les libéraux, l’autofinancement n’est pas le meilleur moyen d’assurer une allocation optimale des ressources. L’absence de contrainte financière incite au gaspillage. Dans ce contexte, les États seraient légitimes à taxer les superbénéfices sous réserve évidemment qu’ils prouvent qu’ils en feront un usage efficient.

Ne faut-il pas donner les moyens aux entreprises énergétiques de réaliser au mieux la transition écologique ? Si les entreprises d’énergie propre voient leurs bénéfices saisis pendant les périodes de pénurie, l’incitation à résoudre le problème d’intermittence des énergies renouvelables, par exemple en améliorant les batteries ou en stockant l’énergie sous forme d’hydrogène, sera émoussée. Pour résoudre le problème, l’idée serait d’instituer un taux majoré pour les bénéfices dépassant un certain seuil.