30 janvier 2021

Le Coin des tendances : puces, recherche, covid

La guerre des puces aura-t-elle lieu ?

Les microprocesseurs ont été inventés en 1958, en pleine guerre froide, avec comme premier usage, le guidage des missiles nucléaires. 70 ans plus tard, ils ont envahi notre quotidien. En 2020, 1 000 milliards de puces sont fabriquées par an, soit 130 pour chaque personne sur la planète. Des ordinateurs aux smartphones en passant par les voitures, l’électroménagers, l’agriculture ou la maison, ils sont partout. Une voiture électrique peut en posséder plus de 3 000. Tesla exige des microprocesseurs de nouvelle génération afin de piloter l’ensemble des fonctions de ses voitures.

La crise de la Covid-19 a conforté la place de l’informatique et des techniques de l’information et des communications. Quel aurait été le recul du PIB sans le télétravail, sans le e-commerce, sans les mails, sans les visio-conférences ? Les achats d’ordinateurs ont progressé fortement depuis le mois de mars afin d’équiper les élèves privés d’école et les salariés travaillant de chez eux. Cet accroissement des achats de produits informatiques a entraîné une pénurie au niveau des microprocesseurs. L’offre ne suit plus la demande qui dépasse le seul secteur des ordinateurs. Ainsi, au milieu du mois de janvier, Honda a été contraint de fermer son usine de construction d’automobiles de Swindon, une ville du sud de l’Angleterre, car elle n’était plus approvisionnée en microprocesseurs. D’autres constructeurs, comme Volkswagen, ont annoncé un ralentissement de leur production pour la même raison. Ce constructeur a annoncé qu’il fabriquera 100 000 véhicules de moins que prévu au premier trimestre. Les voitures sont de plus en plus des ordinateurs montés sur des roues. L’informatique assure des fonctions de gestion du moteur, de contrôle, de sécurité ainsi que des fonctions de guidage. Avec les véhicules hybrides ou électriques, la place dévolue à l’informatique est encore plus importante afin de gérer l’énergie.

Dans ce contexte de forte demande, le secteur connaît une importante restructuration liée à l’arrivée de nouveaux acteurs et aux coûts croissants de la recherche. Ce contexte contribue à la progression rapide de la capitalisation boursière des entreprises de semi-conducteurs qui a été multipliée par quatre en cinq ans. Les fabricants traditionnels de puces que sont AMD, Nvidia ou Intel doivent faire face à la concurrence des géants du Web que sont Amazon ou Google. Importants consommateurs de puces, ces derniers entendent devenir des producteurs.  De nombreuses startups, désireuses de capitaliser sur l’envolée de la demande pour du matériel adapté aux besoins de l’intelligence artificielle, du réseautage ou d’autres applications spécialisées, souhaitent également prendre des parts de marché.

La restructuration de l’offre est également liée aux coûts croissants de conception des microprocesseurs. La loi de Moore en vertu de laquelle le nombre de composants pouvant être mis dans une puce de silicium double tous les deux ans commence à s’éroder. Le délai est passé à trois ans au prix d’efforts croissants. En 2000, une usine de fabrication de microprocesseurs de pointe coûtait un milliard de dollars. La dernière usine de Tsmc, achevée en 2020, dans le sud de Taiwan, a coûté 19,5 milliards de dollars. Seules trois entreprises dans le monde sont désormais capables de fabriquer des processeurs avancés : l’entreprise américaine Intel, l’entreprise taiwanaise Tsmc et l’entreprise coréenne Samsung. La Semiconductor Industry Association, un organisme professionnel américain, estime que 80 % de la capacité mondiale de fabrication de puces réside désormais en Asie. Ce groupe des trois pourrait à terme ne comporter que deux membres. Les responsables d’Intel ont avoué au début de l’année 2021 qu’ils n’étaient plus en état de soutenir la concurrence avec les firmes asiatiques. Ils auraient accepté de sous-traiter une partie de leur production à Tsmc. Apple a définitivement abandonné en 2020 les puces Intel pour se fournir auprès de Tsmc. Amazon et Google sont également en train de suivre Apple. Seul Microsoft résiste en recourant à des microprocesseurs qui lui sont spécifiques.

La Chine a placé la production de puces de pointe parmi ses priorités stratégiques. Les sanctions commerciales américaines ont encouragé les dirigeants chinois à prendre des mesures afin de rendre le secteur informatique complètement indépendant d’ici 2025. Plus de 100 milliards de dollars devraient être alloués à ce projet. L’embargo américain sur les technologies de pointe qui visent Huawei et 60 entreprises chinoises a conduit les autorités chinoises à accélérer leur plan. L’embargo a contraint Tsmc à réduire de près des trois quarts ses ventes en Chine afin de ne pas tomber sous le coup de la loi d’extraterritorialité américaine.

La restructuration s’accompagne d’une recomposition du marché avec des opérations de fusion/acquisition. Une des plus importantes opérations en cours concerne Nvidia, producteur américain de puces pour les jeux et l’intelligence artificielle, met en émoi tout à la fois le Royaume-Uni, l’Union européenne, la Chine et les États-Unis. Cette société a annoncé son intention de racheter Arm, une société britannique qui élabore les architectures informatiques d’un grand nombre de smartphones, pour 40 milliards de dollars. Ce projet a provoqué de nombreuses réactions en raison de ses conséquences sur l’ensemble du secteur d’activité. L’autorité de la concurrence britannique s’est saisie du dossier. Les autorités britanniques s’inquiètent de la perte de souveraineté dans un domaine jugé stratégique en matière de défense. Arm est la dernière entreprise de technologie anglaise et une des rares européennes qui jouit d’une position dominante dans le secteur des microprocesseurs pour appareils mobiles. Plusieurs entreprises américaines concurrentes de Nvidia comme Intel et Qualcomm souhaitent l’arrêt de la fusion. La FTC. Apple a également alerté sur les dangers de la disparition de Arm. Le régulateur américain de la concurrence a été également saisi tout comme la Commission européenne. Par ailleurs, Nvidia soit également obtenir l’accord des autorités chinoises car Arm possède 49 % d’Arm China, une coentreprise locale dont le deuxième actionnaire est un fonds privé lié au gouvernement chinois. Les administrations américaines comme celle de Pékin pourraient bloquer l’opération au nom de la défense de leurs intérêts stratégiques. Un autre rachat défraie également la chronique, celui d’Amd, qui fabrique des plans pour des microprocesseurs à usage général, avec Xilinx, un fabricant de puces reprogrammables, pour un montant de 35 milliards de dollars. Le Coréen Samsung a, de son côté, décidé d’investir plus de 100 milliards de dollars sur dix ans dans son activité de microprocesseurs.

La guerre des puces souligne le retrait de l’Occident sur un des secteurs clefs de l’économie. Sa dépendance à l’Asie est devenue très forte. Elle est dangereuse car la Chine populaire revendique de plus en plus fermement le retour de Taïwan, et la Corée du Nord ayant toujours des ambitions d’annexion de la Corée du Sud. De fait, un cinquième de toute la fabrication de puces, et peut-être la moitié de la capacité de pointe, se fait à Taiwan. Les États-Unis, en réaction, renforcent leur lien avec l’entreprise de Taïwan, Tsmc, qui a installé une usine en Arizona. Samsung a bénéficié d’aides publiques afin d’agrandir celle du Texas. L’Union européenne, totalement dépendante en matière de microprocesseurs, a également engagé, en décembre, un programme visant à sécuriser ses approvisionnements et à investir une dizaine de milliards d’euros afin de créer des usines de pointe d’ici le milieu de la décennie.

Heurs et malheurs de la recherche en temps de Covid

Les déboires des laboratoires pharmaceutiques français pour l’élaboration d’un vaccin prouvent que la recherche est un art difficile qui exige évidemment des chercheurs bien formés, des capitaux et un environnement porteur. Que ce soit l’Institut Pasteur ou Sanofi, le choix d’utiliser des techniques traditionnelles pour l’élaboration d’un vaccin s’est révélé être mauvais. Les entreprises en place ont une tendance naturelle à tenter de reproduire leurs succès passés. Les start-ups peuvent plus aisément s’affranchir de ces contraintes, appelées « dépendance du sentier » par l’économiste Philippe Aghion. Moderna ou BioNTech, deux jeunes entreprises, ont pu plus facilement que Sanofi, recourir à de nouvelles technologies afin de développer des vaccins Arn. Le Directeur général français, Stéphane Bancel, de Moderna, une biotech implantée aux États-Unis, souligne qu’il n’a pas obtenu de la part des autorités européennes le soutien financier nécessaire pour la production en masse de vaccins. Les États-Unis prouvent en matière de vaccin la résilience de leur recherche qui peut compter sur l’appui des pouvoirs publics et du milieu universitaire. Les États-Unis se sont dotés durant la Guerre froide de trois agences, la National Science Foundation (NSF), la National Institute of Health (NIH) et la National Aeronautics and Space Administration (NASA), trois acteurs clef de la recherche. La concurrence entre les universités les amène à repérer les meilleurs chercheurs et à leur accorder des moyens importants en lien avec les agences et les grandes entreprises. Les fondations jouent un rôle également important aux États-Unis en mobilisant des capitaux et en garantissant une certaine indépendance aux chercheurs. La Fondation Howard Hughes Medical Institute est la première source de financement privé aux États-Unis pour la recherche bio-académique médicale.

Les start-ups, les biotechs, aux États-Unis, peuvent compter sur un large marché de capital-risque qui en Europe est segmenté et d’une taille bien plus faible. En moyenne, ces dernières années, le capital-risque a atteint plus de 70 milliards de dollars aux États-Unis contre 700 millions de dollars en France. Les entreprises à forte capacité d’innovation bénéficient, de la part des fonds de capital-risque, en moyenne par an de plus de 5 milliards de dollars de capitaux quand en France, le montant dépasse à peine 400 millions.

Aux États-Unis, le capital risque est une véritable industrie qui a pour objectif d’orienter l’épargne vers l’innovation. Cette pratique est née dans la région de Boston, cœur de la recherche américaine avec la présence de nombreuses grandes écoles, dès les années 1920. Le capital-risque a été imaginé par un Français, Georges Doriot, professeur de management à Boston. Le Wall Street Journal considère qu’il figure parmi les dix personnalités qui ont changé le monde des entrepreneurs. En France, il est à l’origine de la création de l’ INSEAD à Fontainebleau, en 1957, avec Claude Janssen et Olivier Giscard d’Estaing.

Aux États-Unis, le marché financier dispose d’une large profondeur avec des acteurs complémentaires. Les investisseurs institutionnels prennent assez facilement le relais des capital-risqueurs quand l’entreprise devient une société cotée en bourse. Les investisseurs institutionnels, banques, assureurs, fonds de pension, sont devenus les principaux actionnaires en détenant plus de 60 % des actions en 2015, contre 10 % en 1970. En 2018, les institutionnels ont financé à hauteur de 54 milliards de dollars de jeunes entreprises innovantes aux États-Unis, contre 665 millions de dollars pour leurs homologues français, soit 84 fois moins quand l’écart de population est de 1 à 5. Contrairement à quelques idées reçues, la présence d’un investisseur institutionnel joue favorablement au niveau de l’innovation (étude Aghion, Reenen et Zingales de 2013). Cette présence sécurise l’entreprise et permet de faire face à un éventuel échec. Les États-Unis ont un avantage comparatif élevé par rapport à la France en raison d’un grand nombre de fonds de pension. Ces derniers gèrent les cotisations de leurs membres sur la durée et sont, en règle générale, des investisseurs stables à la recherche d’un rendement constant et, si possible, élevé.

Pour encourager la recherche, les États ont institué des dispositifs fiscaux. En France, le crédit d’impôt recherche (CIR) constitue une aide importante, régulièrement décriée en raison de son coût élevé (6 milliards d’euros par an). Le CIR place la France parmi les États aidant fiscalement le plus à la recherche. Créé en 1983, ce crédit d’impôt a été modifié à plusieurs reprises, la dernière datant de 2020, sachant que sa dernière grande réforme date de 2008. Ce crédit d’impôt soutient essentiellement la recherche des grandes entreprises contrairement à celui en vigueur au Royaume-Uni. En France, il est jugé offrir un effet d’aubaine à des entreprises qui auraient de toute façon réalisé des dépenses de recherche. L’Allemagne qui n’a pas de crédit d’impôt recherche peut s’enorgueillir de bénéficier d’une recherche privée 40 % plus importante que celle de la France. Notre pays est confronté à un déficit de chercheurs. Les parcours universitaires étant peu valorisés, le nombre de cadres d’entreprise détenteurs d’un doctorat est bien moindre que dans des pays comme l’Allemagne ou la Chine. Les chercheurs français sont moins bien payés qu’aux États-Unis ou en Allemagne d’où de nombreuses expatriations.

L’amélioration de l’attractivité de la France passe avant tout par une revalorisation des études et des métiers scientifiques. Le salaire d’un doctorant avoisine 1 500 euros par mois en France. Les chercheurs au CNRS sont rémunérés entre 2000 et 4000 euros. Dans le secteur privé, les chercheurs gagnent aux États-Unis en moyenne 160 000 dollars par an, contre 80 000 en France. Cette attractivité passe également par l’instauration de fonds européen dévolus au capital-risque ainsi par le développement de véritables fonds de pension européens.