15 juillet 2022

Le Coin des tendances – Stones – licornes – bruit

Les Stones, une affaire qui roule depuis soixante ans

Le 17 octobre 1961, à 25 kilomètres du centre de Londres, à Dartford, une ville de 80 000 habitants, dans le comté du Kent, sur le quai N°2 de la gare, deux jeunes hommes de 18 ans, Michael Philip Jagger et Keith Richards, se rencontrent, le premier ayant sous son bras un disque de Chuck Berry. Les deux protagonistes de cette scène se connaissaient, ils étant dans la même classe à l’école primaire. Keith Richards se rend compte que son ancien coreligionnaire a tous les disques de ses musiciens préférés, Jimmy Reed, Muddy Waters, Chuck Berry, Howlin’ Wolf, John Lee Hooker, Bo Diddley. De cette rencontre nait « le plus grand groupe du rock du monde », les Rolling Stones qui est tout à la fois une aventure musicale, sociétale et économique. Le 12 juillet 1962, les Rolling Stones jouent leur premier concert au Marquee à Londres. Bill Wyman et Charlie Watts ne sont pas encore présents, le premier, bassiste de son état, arrivera en décembre 1962 quand le second, batteur prendra sa place derrière les fûts au mois de janvier 1963. Charlie Watts  a assuré cette fonction jusqu’au 24 août 2021, date de son décès. Avec des membres est de près de 80 ans, les Stones célèbrent cette année leur soixantième année d’existence en passant notamment par Lyon et Paris. De longue date, la France occupe une place à part pour les Stones. Ils y ont enregistré de nombreux albums dont Exile on main street dans la villa Nellcote de Keith Richards en 1971, Some Girls (1978), Emotional Rescue (1980), Undercover (1982-1983), Dirty work (1986), Bigger Bang (2005 au Château de la Fourchette de Mick Jagger en Touraine). En 1971, les Stones avaient choisi la France pour échapper aux contraintes fiscales du Royaume-Uni. Ils seront en France pour deux concerts le 19 juillet à Lyon et le 23 juillet à Paris en présence de Philippe Crevel 😉.

Mick Jagger a estimé dès les premières années des Stones, que la musique n’était qu’un des éléments du divertissement. Il considérait qu’il se devait être associé à l’image, la photographie et surtout aux films. Les concerts sont conçus comme des films. Les Stones ont fait appel à de grands réalisateurs et à de grands photographes dès les années 1960. Ils ont accepté que leur musique soit utilisée pour des bandes son de film ce qui leur garantissait une large diffusion. Martin Scorcese a, dès ses débuts, utilisé des chansons des Stones pour illustrer des scènes de ces films. Jean-Luc Godard a, en 19687, réalisé un film autour de la chanson Sympathy for the devil qui retranscrit le processus créatif du groupe. Mick Jagger et ses acolytes ont tôt compris l’intérêt de la mondialisation et la force des images.

Les Stones constituent un modèle de référence dans l’industrie musicale. Au fil de leur carrière, ils n’ont eu de cesse de conquérir, de manière assez méthodique, de nouveaux territoires. Ils ont été parmi les premiers groupes de musiques internationaux à se produire en Europe de l’Est après la chute du Mur de Berlin. Mick Jagger est ainsi devenu un ami de Vaclav Havel. Les Stones ont lors de leur venue en 1995 à Prague décidé de contribuer au financement de l’éclairage du « Château », la résidence officielle du Président.

Les Stones ont également conquis dans les années 1990 et 2000 le public des pays émergents où une classe moyenne se développe. Ils se sont ainsi rendus en Chine, au Moyen-Orient, en Amérique latine ou en Afrique du Sud. Ils détiennent toujours le record du plus grand nombre de spectateurs à un concert, plus d’un million au concert de Copacabana à Rio, le 8 février 2006. Dix ans plus tard, le 25 mars 2016, ils ont donné un concert à Cuba, celui marquant avec la venue du Président Obama sur l’île la réouverture relative du pays. Si au sein des pays avancés, les membres du groupe jouent sur la fibre de la nostalgie et sur la volonté des baby-boomers de vouloir rester éternellement adolescents, pour les autres zones géographiques, leur musique symbolise toujours la liberté et l’accession au mode de vie occidental. Si en Chine, les chansons peuvent être censurées par les autorités, certaines d’entre elles le sont à nouveau en Occident en raison de paroles contraires à la morale actuelle. La chanson Brown Sugar n’est ainsi plus joué du fait de l’opposition de certaines association féministes et antiracistes. Les Stones autrefois étaient condamnés à choquer pour exister face au Beatles, ils sont aujourd’hui contraints de remiser certains textes qui aujourd’hui sont jugés inappropriés.

Est-ce dû aux quelques mois passés par Mick Jagger à la London Economics School ou sa capacité à s’entourer de conseillers financiers de qualité, il n’en demeure pas moins que celui-ci a réussi, à partir des années 70, à construire un empire qui repose évidemment sur leur succès musical mais aussi sur un savoir-faire commercial indéniable. Comme les Beatles, les Stones ont été floués par leurs premiers producteurs qui avaient tendance à ne pas redistribuer les recettes et surtout à ne pas payer les impôts, à l’époque élevés outre-manche. Face aux problèmes financiers qu’ils rencontraient à la fin des années soixante, les Stones ont réussi à imposer leurs règles aux producteurs et aux compagnies de disque. En 1971, contraints de fuir le Royaume-Uni pour raisons fiscales. Ils décident de mettre en place une organisation indépendante des compagnies. Ils fondent ainsi leur label, « Promotone ». Ils avaient prévu que cette structure puisse accueillir les Beatles. L’éclatement du groupe mis un terme à la négociation de réunion économique des deux plus importants groupes de tous les temps. Les Stones, à partir de 1971, deviennent maîtres de leur catalogue musical. Ils ne disposent pas en revanche de l’ensemble des droits pour les titres des années 1960 dont Satisfaction ou Paint it black. Les Stones ont été les premiers à fixer des contrats, pour une durée déterminée, avec les majors de la musique permettant à ces dernières de diffuser leurs disques. Les majors achètent un droit de diffusion, à elles après de rentabiliser l’opération. Le dernier contrat a été signé par Universal en 2018. Il s’agit d’un contrat « 360 degrés » sur toutes les œuvres du groupe anglais et qui s’étend à l’ensemble du merchandising, des objets frappés du logo à la langue jusqu’au e-commerce. Ce contrat reprend celui de 2008 signé par la maison de disques avec les Rolling Stones. Aussi étrange que cela puisse paraître, les Stones ne sont pas des gros vendeurs de disques. Ils arrivent loin derrière Mickael Jackson, les Beatles, les Pink Floyd ou AC/DC mais leur longévité supplée aisément cette faiblesse. De même, grâce à leur histoire, le merchandising est extrêmement dynamique et rémunérateur. Les droits sur les musiques de films, sur les goodies, les vêtements et surtout les retombées des concerts sont des sources de recettes importantes. Le 9 septembre 2020 à Carnaby à Londres, les Stones ont ouvert une boutique qui leur est dédiée en optant pour une logique de haut de gamme.

Les Stones sont avant tout un groupe de scène. Or, de leur premier concert en 1962 à Londres, au Marquee, à l’actuelle tournée « Sixty tour », l’organisation et le modèle économique ont profondément évolué. Durant plusieurs décennies, les concerts servaient à assurer la promotion des albums. Avec la digitalisation de la musique et l’écoute en ligne, la donne a changé. Les disques se vendent moins. En revanche, avec la progression du niveau de vie et le vieillissement de la population, le nombre de personnes susceptibles d’aller à un concert à travers le monde augmente. Sur le plan de l’organisation technique, du fait de leur position de leader et de la volonté de Mick Jagger de pouvoir s’adresser à un nombre de plus en plus élevé de fans, les Stones ont été à la pointe de la technique. Dès les années 70, ils utilisent des amplificateurs à forte puissance et des blocs d’enceintes multidirectionnels. Si auparavant, les groupes utilisaient les équipements disponibles sur place, les organisateurs de concert transportent leur propre matériel par avion et par camion. Par ailleurs, les shows s’éloignent du simple concert de musique pour intégrer une scénographie. Mick Jagger afin de capter l’attention du public recourt dès les années 70 au micro sans fil ce qui lui permet de se mouvoir en toute liberté sur scène. L’utilisation de grands écrans permet de relayer auprès du public les images de la scène. Les Stones figurent parmi les premiers à devenir un groupe de stades permettant de réunir dans un même lieu des dizaines de milliers de personnes même si la qualité du son n’est pas toujours au rendez-vous.

Les maîtres incontestés des concerts

Les Stones, c’est avant tout les concerts. La posture des membres, le déhanchement de Mick Jagger fait dès 1962 le succès du groupe. Sur les conseils de leur producteur, les Stones prenennt la posture des « bad boys » qu’ils ne sont dans les faits pas. Les concerts obéissent à des rituels, la casse des chaises, les groupies qui hurlent et en veulent au corps des musiciens. . Les Beatles ne prenaient aucun plaisir à ce rite sacrificielle quand Mick Jagger en a fait son fond de boutique. Jusqu’en 1964, les Stones ne composent pas et sont avant un groupe de reprise de blues comme aime à le souligner Paul McCartney encore, en 2021. Néanmoins grâce à la pression de leur premier manager Andrew Loog Oldham, Mick Jagger et Keith Richards vont à partir de 1964 être de prolifiques compositeurs. Il n’en demeure pas moins que la scène reste jusqu’à maintenant leur lieu d’expression privilégié.

Mick Jagger avait été choqué par le meurtre de Meredith Hunter, un spectateur poignardé à quelques mètres de la scène lors du concert gratuit organisé le 6 décembre 1969 à Altamont. L’évènement a été filmé et incorporé dans le film documentaire Gimme Shelter sorti en 1970. La victime qui aurait eu l’intention de tuer Mick Jagger a été poignardé et roué de coups par les Hells Angels, en charge de la sécurité du concert. L’arme à feu de Meredith Hunter visible sur les images ne fut jamais retrouvée. Le responsable des coups de couteau, Alan Passaro, fut de son côté innocenté en ayant plaidé la légitime défense. Ce concert marqué la fin d’une certaine forme d’innocence dans le mouvement rock et hippie de l’époque. Les Stones mettront trois ans pour revenir aux États-Unis. Mick Jagger décida alors de tout contrôler avec l’appui de Charlie Watts. Si la tournée de 1972, « Stones Touring Party », fut celle de tous les excès, elle marque également un tournant, l’image, la communication faisant l’objet d’un contrôle de la part du groupe. Le film de Robert Frank qui devait relater cette tournée fut ainsi interdit de sortie en raison de scènes pouvant nuire à la réputation du groupe. Dans les années soixante-dix, les Stones tournent dans des salles de plus en plus grandes avec des moyens techniques importants. La tournée 1981/1982 constitue une rupture en termes de prix des places et de logistiques même si de tout temps, le groupe a toujours été celui dont les places de concert sont les plus chères de la scène rock.

À partir de 1989, les Stones décident de changer le modèle financier des concerts. Conseillés par le Prince Rupert Ludwig Ferdinand zu Loewenstein (qui était leur financier depuis 1966) et par Michael Cohl, un ancien promoteur de salle de concert, ils imposent leur tarif aux tenanciers de salles et à tous les intermédiaires. Jusqu’alors, les ventes de billets étaient réalisées par chaque salle qui rémunérait ensuite les artistes. Depuis la tournée « Steel Wheels » en 1989, les ventes de billets sont centralisées. L’organisateur s’engage à verser dès le départ un certain montant fixe aux Stones à charge pour lui de rentabiliser l’opération. Le recours au sponsoring se multiplie. Les bières Budweiser (bières), Volkswagen et bien d’autres participent au financement. Les Stones touchent par ailleurs des royalties sur toutes les ventes de produits dérivés. Ce système contribue à internationaliser l’organisation des concerts. Sur l’ensemble de leur carrière, les Stones ont rapporté en concert environ deux milliards de dollars de recettes. En 2021, malgré le covid, les Stones a été le groupe ayant gagné le plus d’argent, 115,5 millions dollars en 12 concerts. Les membres du groupe dégageraient au minimum 8 millions net de revenus par concert.

Un marketing de pointe

Les Stones sont donc une multinationale avec un logo internationalement connu. Il a été dessiné, en 1970 par John Pasche, encore étudiant au Royal College of Art de Londres. À l’époque, ce logo inspiré des lèvres de Mick Jagger symbolisait l’anticonformisme et la révolte voire le mauvais goût. Il est devenu au fil des décennies le logo le plus célèbre du rock. La force en termes de marketing des Stones est leur capacité à créer des évènements, à créer une histoire. Ils ont fait du storytelling avant même que ce terme n’existe. Dès le départ, le positionnement marketing a été étudié. D’origine bourgeoise, les Stones, s’affichent, dès 1962, comme des mauvais garçons afin de se différencier des Beatles. La mise en scène de la compétition des deux groupes a été organisée afin évidemment de développer des communautés de fans qui sont autant d’acheteurs potentiels. Mais à la différence des autres groupes alors en vogue, les Stones fraient très rapidement avec l’intelligentsia politique et culturelle. Mick Jagger a toujours entretenu des relations avec les responsables politiques de droite comme de gauche. Il a même été tenté de poursuivre une carrière politique au début des années 70. De grands photographes comme Dominique Tarlé ou Annie Leibovitz, des artistes comme Andy Warhol ou des écrivains tel Truman Capote ainsi que des cinéastes comme Jean-Luc Godard et Martin Scorcese ont été amenés à travailler avec les Stones ou à les suivre.

Les déplacements des Stones sont toujours scénarisés. Dans les années 70, les extravagances des membres du groupe et des roadies sont plus ou moins mises en scène. La tournée de 1972, dénommée « Stones Touring Party » jugée la plus excessive, permit de replacer les Stones au cœur de l’actualité. Au sein du groupe, une répartition des rôles s’institue, Mick Jagger devient tout à la fois un mondain et un redoutable homme d’affaires quand le guitariste Keith Richards entend demeurer le représentant de l’esprit rock. Mick Jagger dandy, ouvert aux modes, a joué sur une certaine forme d’ambivalence sexuelle avant de se muer en « adulescent ». Aujourd’hui, il symbolise le sénior résistant au temps, pratiquant du sport et suivant les conseils d’un diététicien pour rester svelte et en pleine forme. Les querelles entre les deux hommes sont savamment distillées à la presse mais n’aboutissent pas à la scission définitive du groupe. Ce qui les unit, le goût du blues, du spectacle, l’ivresse de la foule, le goût pour la belle vie, est bien plus fort que leurs divergences plus ou moins réelles. À près de 80 ans, la scène devient un bain de jouvence. À l’image de leurs pères spirituels que sont les bluesmen américains, ils semble vouloir continuer de jouer jusqu’au bout de leurs forces. Jusqu’à maintenant, le public a toujours répondu à l’appel, acceptant de payer les places de plus en plus chères. La logistique des concerts des Stones demeure la référence du métier même si sur la dernière tournée une certaine sobriété semble être de mise.

Depuis plusieurs années, les Stones exploitent la fibre nostalgique des fans en proposant notamment une exposition itinérante qui relate l’histoire du groupe de Londres aux dernières tournées géantes avec moults objets. La première s’est tenue à Londres en 2016. En France, elle s’est installée à Marseille en 2021 au Vélodrome dans lequel plusieurs concerts des Stones ont eu lieu.

L’entreprise n’amasse pas que de la mousse

En 2022, les Stones est une entreprise employant plus de 400 personnes. En permanence, des juristes chassent les utilisations frauduleuses des titres, des images, du logo. Avec l’appui d’Universal, la firme gère les produits dérivés et propose avant les fêtes de Noël son lot de nouveautés. Pour réduire les charges fiscales, les Stones avant même Amazon, Google et autres GAFA, ont créé une structure aux Pays-Bas. Leur comptable Johannes Favie a été récemment entendu par la chambre des députés néerlandaise afin de justifier le paiement d’un montant réduit d’impôt. Le recours au système de sociétés holding a été vendu par les Stones à d’autres groupes comme U2 ou AC/DC. Le montant des recettes totales du groupe demeure inconnu. Seuls les résultats des concerts sont communiqués. Ils peuvent rapporter plus de 300 millions de dollars, les Stones figurant parmi ceux qui obtiennent les montants les plus élevés.

Les Stones, des racines à aujourd’hui

Les fondateurs des Stones, de manière discrète, n’oublient pas de rendre hommage aux bluesmen qui sont à l’origine de leur musique. Ils aident financièrement les plus vieux d’entre eux. Ils ont enregistré en 2016 un album de reprises de morceaux de blues. En 2020, ils ont financé la publication d’une compilation Confessin’ the Blues où ces morceaux apparaissent dans leur version d’origine. Mick Jagger, par son longévité, par sa présence sur scène, influence un grand nombre d’artistes d’âge et de styles différents. Il est capable de travailler avec des rappeurs, des chanteurs de soul ou des spécialistes de la musique électronique. La nonchalance stonienne cache un goût forcené pour le travail. Les membres du groupe tant pour la composition que pour la préparation des concerts passent des heures en studio. Les morceaux sont des compositions qui peuvent mettre des années à émerger. Mick Jagger a dès les débuts du groupe décidé de tout enregistrer. Avec l’aide du directeur musical, Chuck Leavel, il est capable de faire ressurgir une boucle de son,   vieille de plusieurs décennies, pour en faire un morceau d’aujourd’hui. Si pour le mythe Keith Richards aurait inventé Satisfaction en dormant, la vérité serait plus prosaïque. Ils auraient durant plusieurs jours travaillé autour de ce riff qui est devenu légendaire. Les Stones, c’est une entreprise musicale qui ne se limite pas aux membres fondateurs. Il y a, à la différence des Beatles, des compagnons de route qui participent à l’aventure. Il y a le pianiste et organiste Nicky Hopkins, Billy Preston, Chuck Leavel, Lisa Fisher et bien d’autres. Les Stones ont dès la fin des années 1960 contribué à la l’essor de groupes ou de musiciens. Disposant en 1968 d’un studio d’enregistrement mobile, ils permettent à Led Zeppelin ou à Deep Purple d’enregistrer plusieurs albums. ils contribueront également à populariser le Reggae de Bob Marley.

Pour terminer cette petite histoire stonienne, retour à Datford. Mick Jagger y finance un centre culturel et musical installé dans son ancien lycée. Il permet chaque année à 450 enfants de pouvoir apprendre un instrument pour un coût raisonnable. La ville consciente de la renommée internationale du groupe a décidé de renommer treize de ses rues du nom de chansons des Rolling Stones. Il est ainsi possible de passer de Satisfaction Street à Angie Mews en passant par Ruby Tuesday Drive. Une plaque a été, par ailleurs, installée sur le quai N°2 de la gare. La nostalgie l’emporte désormais sur la révolution des mœurs qu’exprima dans les années 1960 les Stones. Certains soulignent que le groupe vit sur ses acquis et qu’il n’aurait rien proposé de révolutionnaire depuis Start me up en 1981, c’est oublié que les amateurs rock souhaitent vivre ou revivre une époque disparue. Les rares nouvelles compositions des Stones, aussi bonnes soient-elles, ne trouvent pas d’échos car elles ne portent pas toute la symbolique des anciennes.

L’Europe, le nouvel eldorado des licornes

Au moment où le Président Emmanuel Macron vantait la capacité du pays à attirer des entreprises de haute technologies lors du Forum à Versailles, « Choose France », des économistes s’interrogeaient sur les conséquences des chocs économiques en cours sur les start-up européennes. Lors des deux précédentes grandes crises, l’éclatement de la bulle Internet et la crise financière de 2008, l’Europe a connu une forte régression de son secteur de pointe quand les États-Unis ont fait preuve de résilience. Les moteurs de recherche européens nés au tournant du siècle ont été nombreux à disparaître tout comme des entreprises de fabrication de téléphone comme Nokia. Même si la fintech suédoise, Klarna, spécialisée dans l’affacturage en ligne est en difficulté, les start-up européennes et leurs capital-risqueurs semblent plus solides que par le passé. Elles seraient moins dépendantes du savoir-faire et des capitaux extra-européens. Ayant connu des valorisations moins importantes et ayant moins fait appel au financement par les actions que leurs concurrentes américaines, elles seraient moins exposées au retournement des marchés financiers.

Les Européens ont découvert récemment les vertus du capital-risque ce dont pourrait bénéficier les start-up. En 2021, pour la première fois, les investissements en capital-risque sur le vieux continent ont dépassé 100 milliards d’euros en une seule année. L’Europe compte désormais près de 150 licornes dont la capitalisation dépasse un milliard de dollars, soit environ 13 % du total mondial. Bien que l’écosystème technologique européen ne représente encore qu’environ un tiers de la taille de l’écosystème américain en termes d’investissements en capital-risque, sa taille a plus que doublé depuis 2020. Cette arrivée de capitaux dans le secteur des technologies et de l’information est avant tout un rattrapage, l’Europe ayant accumulé un retard important vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. En 2021, les investisseurs américains ont apporté pour plus de 100 milliards d’euros de capitaux aux start-up européennes mais dans le même temps ces dernière ont pu compter sur des financeurs européens, ce qui constitue un réel changement par rapport à la situation des années 2010. Les start-up et les licornes européennes bénéficient de l’expérience croissante de leurs dirigeants qui sont de plus en plus nombreux à avoir occupé des postes de direction dans plusieurs entreprises technologiques. Le secteur est en voie de professionnalisation. Les investisseurs sont de ce fait de plus en plus enclins à financer des start-up européennes. Les projets de plus en plus concrets proposés retiennent leur attention. Ainsi, figure dans les entreprises qui ont bénéficié d’apports importants, Proximie, une start-up du secteur de la santé qui utilise la réalité augmentée pour permettre aux médecins de surveiller à distance une opération. Cette entreprise a pour objectif de de créer le « bloc opératoire sans frontière ». Il en est de même pour TravelPerk, un site de gestion de voyages d’affaires basé à Barcelone qui vise à faciliter les connexions humaines entre les travailleurs à distance, en proposant des outils pour organiser des réunions d’équipe réelles. L’entreprise BlaBlaCar est également regardée avec attention par les fonds de capital-risque. Cette société qui a commencé comme un service parisien pour organiser des trajets en voiture partagée entre les villes, vise désormais à devenir une plateforme multimodale de dimension mondiale qui agrège la demande de bus et de trains.

Longtemps, en Europe, l’industrie a été le parent pauvre des capital-risqueurs. Avec la transition énergétique, ce secteur connait un regain d’intérêt. Par ailleurs, même les petites structures à forte capacité d’innovation sont regardées de près par les investisseurs. Le nombre de « business angels », des entrepreneurs prospères qui réinjectent une partie de leur richesse dans d’autres start-up, est également en augmentation. Certains créent leurs propres fonds de capital-risque. Le 28 juin, Taavet Hinrikus, co-fondateur de Wise, un service de paiements internationaux, et trois autres entrepreneurs européens, ont lancé Plural, un fonds de 250 millions d’euros.

En 2021, preuve d’un rapport de force moins défavorable que dans le passé, les licornes européennes ont levé des sommes équivalentes à celles des États-Unis, respectivement 378 millions de dollars et 392 millions de dollars. Les start-up matures en Europe, quant à elles, sont moins concentrées géographiquement que leurs homologues américaines, à la fois en termes de marchés et de soutiens au capital-risque. Les marchés intérieurs et les réservoirs de talents européens étant limités, les entreprises se développent rapidement à l’étranger. Si dans le passé, les frontières et les langues différentes constituaient un handicap pour les start-up européennes, ces dernières arrivent depuis à en faire une force. Veriff, un service estonien d’identification en ligne, a récemment ouvert un site à Barcelone car il ne pouvait pas embaucher suffisamment d’ingénieurs à Tallinn. L’application lithuanienne Vinted créée en 2008 a dû, pour se développer, s’implanter dès 2008 en Allemagne, en 2010 aux États-Unis et en 2013 en France. 80 % des entreprises technologiques européennes ont une présence internationale, contre 61 % des entreprises basées dans la Silicon Valley. Seule une entreprise européenne sur cinq a un bureau sur son seul territoire d’origine et un peu plus de la moitié sont présentes dans trois pays ou plus. Dans la Silicon Valley, ces ratios sont inversés. En temps de crise, une telle diversification est un atout.

La diversité des start-up européennes est également un facteur favorable en période de crise. Selon la classification utilisée par le Credit Suisse, les entreprises sujettes à la récession telles que les services aux consommateurs sont moins répandues qu’aux États-Unis. Un tiers des licornes européennes opèrent dans la fintech, fournissant souvent des services de paiement à d’autres entreprises, grâce à la réglementation financière plus ouverte de l’Union européenne.

Ce contexte favorable en Europe explique la progression du nombre de licornes. Lors du premier semestre 2022, 42 start-up sont devenues des licornes, contre 37 créés à la même période en 2021.

L’Île-de-France, victime des nuisances sonores ?

De 2016 à 2019, Paris a perdu 16 000 habitants. Depuis la crise sanitaire, le solde de population serait négatif de près de 50 000. Les départs concernent essentiellement les familles avec enfants et les retraités, la capitale continuant à attirer les étudiants et les jeunes actifs. Les confinements ont amené des Parisiens à rechercher des logements plus grands, voire des maisons à la périphérie. Compte tenu des prix, les familles avec enfants continuent à partir. Le développement des logements sociaux favorise essentiellement les familles monoparentales et les ménages à revenus modestes, les représentants des classes moyennes préférant déménager au-delà du périphérique. Paris souffre de l’absence d’espaces verts et d’infrastructures sportives. Les nuisances sonores figurent également parmi les facteurs expliquant l’émigration croissante de la population parisienne. Les nuisances sonores ne se limitent pas à Paris intramuros ; elles concernent toute la région qui est la plus dense de France voire d’Europe.

Les périodes de confinements ont rendu la population francilienne plus sensible au bruit : Selon une enquête de l’INSEE, 26 % des sondés estimaient que les nuisances sonores se sont aggravées depuis le début de la crise sanitaire. Les cadres, les quinquagénaires et les Parisiens sont les plus concernés par cette sensibilité accrue au bruit. La préoccupation vis-à-vis des questions relatives au bruit et aux nuisances sonores touche désormais près d’un Francilien sur trois (31 %), contre un sur quatre en 2016 (+6 points). Les quinquas sont deux fois plus préoccupés que les plus jeunes (39 % d’entre eux se disent « tout à fait préoccupés », contre 18 % des moins de 20 ans) et la préoccupation est plus prononcée à Paris (35 %) qu’à l’extérieur de la Métropole du Grand Paris (28 %). 44 % des personnes sondés déclarent résider dans un logement exposés à plusieurs sources de bruit (voie à forte circulation, chantier, cour d’école, bar ou restaurant, voie ferrée, local commercial ou industriel …). Deux personnes sur trois auraient déjà pensé à quitter leur quartier à cause du bruit. Dans la moitié des cas, le trafic routier est la principale source de bruit. Moins d’un Francilien sur deux déclare résider dans un logement bénéficiant d’une isolation acoustique ou phonique renforcée (45 %). Une fois sur cinq, environ, cette isolation a bénéficié d’une aide financière. Le niveau de vie et le statut d’occupation du logement sont déterminants pour expliquer la bonne isolation du logement. 56 % des propriétaires en bénéficient (contre un tiers des locataires) de même que 53 % des titulaires de hauts revenus (contre 34 % des bas revenus). 54 % des Franciliens et 67 % des Parisiens déclarent devoir fermer les fenêtres à cause du bruit. 14 % des Franciliens prendraient des antidépresseurs en raison des nuisances sonores21 % des Franciliens disent avoir déjà fait appel aux forces de l’ordre.

La place des nuisances sonores dans la hiérarchie des inconvénients à résider en Île-de-France a progressé. Le bruit est désormais le 4ème inconvénient principal (36 % des citations cumulées), après le coût de la vie et du logement (61 %), l’insécurité (46 %) et la pollution de l’air (38 %). Le bruit dépasse désormais les conditions de déplacement, reléguées en cinquième place, et deux points seulement le séparent de la pollution de l’air (contre 9 points en 2016). 40 % des Parisiens se plaignent du bruit avec l’expression d’un fort sentiment d’insatisfaction.

Les plus de 50 ans, les retraités et les locataires du parc social placent le bruit au 3e rang des inconvénients à résider en Île-de-France. Par ailleurs, 55 % des Franciliens considèrent que les transports sont bruyants et générant une forte gêne. 44 % indiquent que la principale source de gêne est constatée au sein des logements, 32 % au travail. les Parisiens estiment que les bureaux sont mieux isolés que leurs habitations ce qui est paradoxal au vu que ces dernières sont censées être des lieux de repos….

La pandémie a eu des conséquences dans la perception des nuisances sonores. Le télétravail s’est développé. En Île-de-France, près d’un actif sur deux exerce, effectue une partie de son activité en télétravail (49 %). Les actifs concernés bénéficient, le plus souvent, de deux jours de télétravail (31 %) et ils travaillent dans une pièce où ils peuvent s’isoler près d’une fois sur deux (48 %). Si 27 % disposent dans leur logement d’une pièce consacrée au télétravail, 23 % doivent partager leur lieu de travail quand ils sont à domicile. La proportion de télétravailleurs atteint 75 % pour les cadres supérieurs. Les conséquences du télétravail sur l’exposition au bruit ne sont pas toutes favorables. Quand un actif est en télétravail y est moins gêné par le bruit (43 % de gêne) que lorsqu’il travaille sur le lieu de travail principal (47 %).

La mauvaise isolation des logements peut induire des gênes pour le travail. La cohabitation sous un même toit durant la journée de plusieurs personnes dont certaines en télétravail peut être une source de tensions. Le recours au casque ou aux écouteurs pour télétravailler peut induire des problèmes d’audition. 33 % des télétravailleurs utiliseraient un casque au moins la moitié du temps durant leur journée professionnelle. Ce ratio est de 27 % pour les présentiels. Selon le Credoc, les comportements potentiellement à risque pour l’audition sont en nette progression. Le recours aux casques et aux écouteurs que ce soit pour regarder des vidéos ou écouter de la musique s’est généralisé. 43 % des personnes sondés sont des utilisateurs réguliers (plusieurs fois par semaine, voire tous les jours ou presque), contre 34 % en 2016 (+9 points). Les utilisateurs assidus (qui passent trois heures et plus par jour avec un casque) sont 12 % en moyenne, mais 34 % des moins de 20 ans se rangent dans cette catégorie. Les usagers des transports en commun sont des utilisateurs assidus des casques et des écouteurs, plus de 20 %. Les adeptes de jeux vidéo recourent fréquemment aux casques et aux écouteurs. 43 % des Français indiquent jouer régulièrement à des jeux vidéo, +10 points par rapport à 2016. 16 % des joueurs y consacrent au moins trois heures par jour (deux fois plus qu’en 2016).

Un tiers des Franciliens mettraient potentiellement son audition en danger. Ce type de comportement est majoritaire chez les moins de trente ans (il concerne 61 % des moins de 20 ans et 57 % des 20-29 ans) et il est plus fréquent chez les titulaires de bas revenus (45 %) ainsi qu’à Paris (38 %)

De manière plus globale, 39 % des personnes interrogées auraient déjà ressenti les effets du bruit sur leur santé. Parmi les effets cités figurent la fatigue (28 %) ; l’irritabilité, la tension, le stress (27 %) et l’impossibilité de dormir correctement (26 %)

25 % des Franciliens connaîtraient le dispositif public d’aide à l’insonorisation. Les plans de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) ont une notoriété deux fois moins établie (13 %). Les plus jeunes et les Parisiens se disent souvent mieux informés que la moyenne. La question du bruit induit par les transports est centrale. 86 % des Franciliens jugent qu’il est important ou très important de réduire les nuisances sonores provoquées par les transports, et à laquelle les séniors sont particulièrement attachés (93 % des 60 et plus contre 70 % des moins de 20 ans). Les Franciliens souhaiteraient la généralisation de revêtements de chaussée moins bruyants et la mise en place de radars sonores destinés à verbaliser et interdire les véhicules les plus bruyants (recueillant respectivement 31 % et 18 % des suffrages).