10 juillet 2021

Le Coin des Tendances télétravail et vacances

Les entreprises à l’heure du télétravail, une télé-révolution ?

Cité par l’hebdomadaire The Economist, en 2013, à la question « combien d’employés du géant de la technologie télétravaillent ? » Patrick Pichette, alors directeur financier de Google avait répondu « le moins possible ». Même pour les entreprises comme Microsoft, Google ou Apple qui élaborent des solutions pour faciliter le travail à distance, le télétravail se devait d’être, jusqu’à une date récente, une exception. Le regroupement sur un même lieu des salariés est censé favoriser l’innovation et générer des gains de productivité. Les trois règles du théâtre, à savoir unité de temps, de lieu et d’action, convenaient bien aux entreprises. En mars 2020, en quelques jours, les entreprises pouvant le pratiquer ont eu recours au télétravail. Google a accordé une dotation de 1 000 dollars à chaque salarié pour acheter du mobilier de bureau à domicile. L’entreprise informatique a également offert des vidéos et des services à distance afin d’inciter ses salariés à pratiquer du sport à domicile et à réduire leurs apports caloriques.

Un sondage mené auprès de 2 000 salariés américains par l’assureur Prudential a souligné que 87 % de ceux qui travaillaient à domicile pendant la pandémie souhaitaient poursuivre l’expérience. Selon la même enquête, 42 % des travailleurs à distance ont déclaré qu’ils chercheraient un nouvel emploi s’il leur était demandé de retourner au bureau à temps plein. Seul un salarié américain sur cinq déclare ne plus vouloir télétravailler. Selon une étude européenne, près de 80 % des salariés souhaiteraient une législation plus favorable au télétravail. Si les jeunes salariés de moins de 35 ans sont les plus enclins à rester à la maison et à gérer leur temps de travail à leur convenance, un nombre non négligeable demande néanmoins de revenir au bureau. L’accès à la climatisation est fréquemment cité par les jeunes occupant de petits logements mal équipés. Ils mettent également en avant la possibilité de bénéficier de services de restauration, ce qui leur permet de rencontrer des collègues et de se nourrir de manière plus équilibrée.

Après plus d’un an en mode plus ou moins confiné, les relations professionnelles ont profondément évolué. Si certaines entreprises tentent de revenir au mode de production ante, d’autres optent pour des changements radicaux en diminuant la surface des bureaux et en mettant en place une gestion à distance du personnel. Aux États-Unis, le débat est ouvert sur les avantages et les inconvénients du télétravail. Le directeur général de Goldman Sachs, David Solomon, a qualifié le travail à distance « d’aberration ». Son homologue chez Morgan Stanley, James Gorman, s’étonne que les salariés souhaitent aller au restaurant tout en veillant à ne pas se rendre au bureau. Jamie Dimon, directeur général de JPMorgan Chase, reconnaît que de moins en moins de salariés acceptent de perdre du temps pour aller au travail. Les responsables des grandes banques américaines craignent une baisse de la productivité et une démotivation des salariés.  Dans le même temps, la banque suisse UBS, serait sur le point d’autoriser les deux tiers de ses salariés à travailler à mi-temps au bureau et à mi-temps à domicile. La direction des ressources humaines met en avant cette possibilité pour attirer de nouveaux cadres Les responsables de la banque britannique NatWest estiment qu’un seul employé sur huit reviendra au bureau à temps plein, la grande majorité optant pour des horaires hybrides avec une part plus ou moins importante de travail à domicile. Les salariés de la Deutsche Bank travailleront à distance jusqu’à 60 % du temps. Noel Quinn, directeur général de HSBC est enclin à accepter un partage du temps de travail entre le bureau et le domicile. Les jeunes cadres du secteur de l’informatique font pression sur leur direction pour obtenir un volume plus important de télétravail. Compte tenu de la concurrence en matière d’emploi au sein de ce secteur, les responsables des ressources humaines s’adaptent. La direction de Facebook a déclaré en juin que tous les salariés à temps plein peuvent opter pour un travail à distance permanent. Spotify, une entreprise de streaming musical, Square, une entreprise de technologie financière, et Twitter ont déclaré que le télétravail était généralisable.

Le secteur public encourage également au développement du télétravail. L’administration fiscale britannique propose ainsi à tous ses employés le droit de travailler à domicile deux jours par semaine. En Irlande, le gouvernement a fixé un objectif de 20 % de télétravailleurs parmi les 300 000 fonctionnaires. Un soutien financier est même prévu pour ceux qui décident de déménager en dehors des grandes villes. Plus de 400 centres de télétravail se situant en dehors des grandes agglomérations sont en cours de réalisation afin de permettre aux fonctionnaires de travailler plus près de leur domicile. Les autorités indonésiennes ont mis en place un programme « travail de Bali » afin d’encourager des étrangers souhaitant travailler à distance à s’installer dans leur pays. Ce programme vise à relancer le secteur du tourisme fortement touché par l’épidémie. Les îles Baléares ont depuis plus d’un an également favorisé l’arrivée de télétravailleurs. Les entreprises sont incitées à favoriser le télétravail qui permet de réduite leur empreinte carbone grâce à la diminution de la surface de bureaux. La société d’analyse financière S&P Global, affirme que selon ses évaluations, la capacité de travailler à domicile est une mesure de la santé et du bien-être des employés, qui peut influencer jusqu’à 5 % du score ESG d’une entreprise.

La demande de télétravail est forte le lundi et le vendredi, ce qui est perçu, à tort ou à raison, comme une volonté d’allonger la durée des congés de fin de semaine. Par ailleurs, le télétravail permet aux salariés d’organiser leur journée bien souvent à leur guise. Ils peuvent se coucher plus tard et faire la fête comme cela a été constaté en sortie de confinement au sein des grandes agglomérations. Les entreprises multiplient les réunions en zoom afin d’essayer de structurer le travail mais cela n’est pas sans conséquence sur la productivité. Apple a décidé d’imposer à ses salariés de jours obligatoires de présence et de structurer les agendas. Cette pratique du télétravail a été contestée par de nombreux salariés de l’entreprise qui exigent plus de flexibilité.

Les responsables de la société Uber, qui vient d’inaugurer son nouveau siège social à San Francisco, constatent que malgré des conditions de travail optimales les salariés ne veulent pas revenir. L’absence de bureaux, la présence de bars, d’équipement sportifs ou de loisirs n’y font rien, ils préfèrent rester à la maison. Avant la pandémie, les entreprises du digital devaient faire face à une pénurie de bureaux et éprouvaient les pires difficultés à loger leurs salariés dont le nombre augmentait à grande vitesse en raison de leur essor. Elles avaient décidé de bâtir d’importants campus ou d’acquérir des immeubles à grands frais comme Google dans le 9e arrondissement à Paris. Uber avait prévu de consacrer un milliard de dollars de frais de location à San Francisco sur vingt ans. Salesforce, une entreprise de logiciels, avait décidé de réaliser un tour de 61 étages.  Le siège d’Apple à Cupertino pouvant accueillir jusqu’à 13 000 personnes, a coûté 5 milliards de dollars, soit 385 000 dollars par employé. Jusqu’à l’épidémie, la possession d’un siège social imposant, chic et moderne constituait pour une entreprise un symbole de réussite. Il servait à attirer les meilleurs talents. Avant même l’arrivée du covid-19, quelques signes indiquaient néanmoins que cette stratégie d’autoglorification arrivait à son terme. L’allongement des trajets domicile/travail était de plus en plus mal vécu. Le développement des bureaux Flex réduit l’attachement des salariés à son lieu de travail, ceux-ci n’ayant plus réellement de postes de travail attribués.  Les salles de sports et les bars au sein des grands sièges sociaux ne rencontraient pas le succès escompté. La taylorisation des services que l’informatique a provoquée a réduit les interactions au sein des entreprises, le mode de communication numéro un étant le courriel ou la messagerie en direct qui se sont substitués au contact direct et au téléphone.

Les entreprises commencent à réagir face à l’essor du télétravail. Pour réduire ses coûts, Uber a décidé de louer une partie de son siège à d’autres entreprises. La société de capital-risque Andreessen Horowitz, a récemment demandé à ses 226 sociétés en portefeuille de décrire le travail à venir, les deux tiers ont répondu « hybride » avec des espaces de bureaux qui seront avant tout dévolus aux réunions et aux passages. L’espace professionnel sera organisé selon cette société autour des thèmes de la rencontre, de la mise en relation et non plus comme un lieu de travail individuel, celui-ci se faisant à domicile. Afin de maintenir l’implication des salariés, le développement de nouveaux outils informatiques apparait nécessaire. De nombreuses entreprises prévoient davantage de réunions hors site pour compenser le temps d’écran supplémentaire et raviver les liens sociaux.

Aux États-Unis, les entreprises de haute technologie partent de la Californie. Leurs responsables optent pour des États moins chers fiscalement comme la Floride, le Texas ou l’Arizona. Oracle et Tesla ont franchi le cap. Ils réduisent la surface de bureaux. Ils préfèrent multiplier les bases au niveau mondial et éviter la concentration de leurs salariés sur un seul et même site. Les entreprises mondialisées mondialisent (répétition)  leurs structures en réduisant le poids du centre de décision. L’éclatement des chaînes de production s’applique désormais aux chaînes de commandement. Le risque est évidemment une perte de sens, de culture pour des entreprises qui sont avant tout des marques. Google, Apple, Tesla portent dans leurs gènes l’esprit « côte Est » des États-Unis tout comme Mercedes ou Porsche sont des entreprises allemandes du Bad Wittenberg. La déstructuration des entreprises pose également la question des liens professionnels. Le recours à des travailleurs indépendants, à des franchisés pour accomplir les missions administratives pourrait se généraliser. L’entreprise qui jusqu’à maintenant était un lieu de mise en commun de moyens (capitaux et travail) pourrait devenir des plateformes faisant appel, au grès des besoins, à des indépendants, des mercenaires, etc.

Les vacances, c’est fini ?

Une enquête réalisée au mois de mai 2021 par le CRÉDOC souligne que malgré la cagnotte covid, de nombreux Français hésitent à partir en vacances. Entre la peur de la perte de leur emploi et la crainte du virus, nombre de Français préfèrent rester chez eux. Seuls 43 % des Français envisageraient de partir en vacances au cours des six prochains mois, soit une baisse de 15 points par rapport à 2014, date de la dernière enquête. 29 % sont certains de ne pas partir (contre 39 %) et 28 % ne savent pas encore ce qu’ils feront (contre 3 %).

Ce résultat confirme un recul des départs en vacances constaté depuis le début de la crise sanitaire. Si lors des précédentes crises, la proportion de Français décidant de ne pas partir en vacances avait augmenté de quelques points, avec la crise du covid-19, cela se chiffre en dizaine de points. Depuis mars 2020, les seniors se sont protégés et ont limité leurs déplacements. Si 68 % des retraités partaient en vacances avant la crise, ils ne sont plus que 40 % à le faire depuis 2020. La vaccination n’a pas conduit encore à un changement de comportement. 52 % des habitants de l’agglomération parisienne pensent partir en vacances en 2021, contre 77 % en 2019. Le recul est également important au sein des professions intermédiaires (50 % pensent partir en vacances contre 75 % auparavant). La décision de pas partir en vacances concerne essentiellement les plus de 70 ans, les personnes seules, les non-diplômés et les foyers monoparentaux. Si en moyenne, le pouvoir d’achat des Français est en augmentation depuis le début de la crise, un quart d’entre eux enregistre néanmoins une baisse. Il s’agit essentiellement des salariés en CDD, en intérim ou à temps partiel. C’est au sein de cette catégorie que la diminution des départs en vacances est la plus marquée.

Dans la décision de ne pas partir, les ménages mettent également en avant les difficultés d’organisation. Ce facteur arrive en tête des raisons évoquées par les 28 % de Français qui ne savent pas encore s’ils partiront. Les personnes les plus âgées (70 ans et plus) sont particulièrement nombreuses à évoquer cette raison. La crainte de nouvelles mesures sanitaires en lien avec une quatrième vague constitue une des motivations de l’attentisme. L’imprévisibilité et les inquiétudes liées aux réservations, aux remboursements, qu’il s’agisse des lieux de vacances ou des transports, sont des éléments dissuasifs. Les jeunes mettent également en avant la difficulté à trouver des stages ou des emplois d’été, ce qui réduit leurs capacités financières pour partir en vacances.

Avec la crise sanitaire, les amis et les familles hésitent à se regrouper. Or, les domiciles de ces deux catégories constituent le premier mode d’hébergement en vacances. Avec la crise, les liens se sont distendus. 20 % des Français déclarent que la crise a réduit leur réseau amical et familial. Pour 46 % des Français, l’épidémie aurait dégradé leur vie de couple. Or, plus celles-ci sont dégradées, moins il y a de départ en vacances.

Avec la crise sanitaire, de plus en plus de Français souhaitent réduire leurs déplacements. Ils souhaitent passer plus de temps à la maison, ce qui conduit également à diminuer les départs en vacances. De plus en plus de Français jugent inutile de se restreindre financièrement pour les vacances. Pour 30 à 40 % des sondés, il y aurait d’autres moyens de se faire plaisir plutôt que de partir en vacances. La réalisation d’équipements de bonification du domicile, les spectacles à proximité, les activités sportives et les rencontres avec les amis proches entrent en concurrence avec le choix d’un lieu de villégiature pour les vacances. Rester à la maison est perçu quand celle-ci s’y prête est perçu comme une alternative au départ lointain surtout en période de covid.

Le recul des vacances mesuré par le Crédoc traduit un niveau d’inquiétude de la part des Français. Il marque également la polarisation accrue de la France entre ceux qui ont les moyens de partir et les autres qui souhaitent ne pas déséquilibrer leur budget. Compte tenu de la défiance collective, il y a peut-être une volonté de la part des sondés d’attirer l’attention sur la fragilité de la situation. Cette exagération de défiance se retrouve dans plusieurs enquêtes comme celles sur le surendettement ou l’épargne. Les Français se déclarent plus surendettés que ce que les chiffres indiquent. Ils sont nombreux à affirmer ne pas épargner tout en faisant le contraire.