2 mai 2020

Le Coin du Coronavirus

« vérité en deçà des Pyrénées erreur au-delà » ?

L’état d’urgence justifié par la crise sanitaire a donné au Gouvernement, des pouvoirs sans précédent en période de paix, que ce soit en matière de sécurité, de santé ou d’économie.  Présenté le mardi 28 avril dernier par le Premier Ministre Édouard Philippe, le plan de déconfinement prévoit un retour à la normale très réglementé. Ce plan sera complété d’ici l’automne d’un programme de relance qui devrait s’articuler avec celui que l’ensemble des États européens sont censés préparer.

Les statistiques de l’épidémie sont très délicates à utiliser car la comptabilisation des décès s’effectue de manière différente selon les Etats. Au-delà des chiffres, il est admis que l’épidémie a été plus violente en Italie, en Espagne, en Belgique, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni qu’en Allemagne ainsi que dans les pays d’Europe du Nord. Certains pays à forte mortalité ont opté pour des confinements très sévères quand des pays moins touchés ont choisi des restrictions d’activité plus légères. Il est admis que les décisions de distanciation sociale prises très rapidement ont conduit à limiter la mortalité. Au-delà de ces quelques considérations, les analyses sur le niveau des dépenses de publiques et sur les modes d’organisation ne permettent guère d’apporter des conclusions définitives.

La dépense publique ne fait pas tout

Ce ne sont pas les États qui ont les plus forts taux de dépenses publiques et notamment de santé qui obtiennent les meilleurs résultats. A 56% du PIB, le taux de dépenses publiques en France était le plus élevé d’Europe. Avec la crise, ce taux devrait dépasser 60 % du PIB. En moyenne, ce taux était de 46,7 % du produit intérieur brut (PIB) au sein de l’Union européenne en 2018, de 48 % en Italie, et de 44 % en Allemagne. A contrario, l’Espagne avec un taux de 41 % est en-dessous de la moyenne européenne.

Source : Eurostat

Les déficits publics n’ont pas un lien direct avec la situation sanitaire ; ils traduisent néanmoins une capacité à bien gérer les ressources publiques. Les pays les plus vertueux, parfois accusés de l’être même trop, comme l’Allemagne ou les Pays Bas, ont un meilleur bilan. Les Etats comme la France, l’Espagne ou l’Italie en indélicatesse avec leur gestion publique ont été ceux qui ont connu des taux de mortalité élevé. Au-delà du montant des déficits, c’est peut être l’organisation des systèmes de santé et de prévention qui est en cause.

déficits publics

Source : OCDE

La proportion des dépenses de santé n’a pas d’incidence directe sur la mortalité constatée pour le covid-19. Ainsi, les États-Unis dont le taux de mortalité au covid-19 est élevé, est également le pays de l’OCDE qui dépense le plus en matière de santé. Pour expliquer ce piètre résultat, l’importance des inégalités aux États-Unis est mise en avant. Cette explication ne tient pas, en revanche, pour la France qui consacre 12 % du PIB aux dépenses de santé avec un des plus faibles restes à charge pour les ménages au sein de l’OCDE.

Le nombre de décès en France serait la conséquence de l’insuffisance du nombre de lits d’hôpitaux en particulier en soins intensifs. Depuis une dizaine d’années, notre pays a privilégié les soins ambulatoires et réduit assez drastiquement le nombre de lits. Au sein des pays européens qui enregistrent jusqu’à maintenant de faibles taux de mortalité au covid-19, les établissements de santé n’ont pas été saturés non pas à cause du grand nombre de lits disponibles mais en raison d’un nombre plus faible d’admissions. En Allemagne, les autorités ont même décidé de réduire, fin avril, de 25 % le nombre de lits destinés au covid-19 en raison de leur inutilisation.

Source : Eurostat

Nombre de lits de soins intensifs

au sein des pays membres de l’OCDE en 2017

États centralisés / États décentralisés

Le nombre élevé des décès en Italie a été mis sur le compte du caractère décentralisé du système de santé. En Allemagne, la santé est de la compétence des Länder sans que cela ait nui à l’efficacité dans la lutte contre le covid-19. En France, le système est centralisé. La question ne serait pas la nature fédérale ou centralisée du système de santé mais celle de sa capacité d’adaptation. L’organisation du système de santé est complexe avec la présence d’un grand nombre d’acteurs communiquant et coopérant avec difficulté sous l’autorité hégémonique de l’État.

Le prix de la souveraineté économique

La crise du coronavirus a révélé la déficience de la France en ce qui concerne certaines productions, en particulier dans le domaine médical. Cette situation n’est pas spécifique à la France ni nouvelle. Le recours aux importations pour des produits à faible valeur ajoutée (génériques ou produits basiques comme les masques) s’est imposé au nom du principe des avantages comparatifs, chaque pays se spécialisant dans la production de biens et de services où il est le moins mauvais. Avec la crise sanitaire, l’idée de privilégier une production nationale pour des biens dits stratégiques tend à s’imposer. Le problème est de déterminer ce qui est stratégique ou pas. Avec le covid-19, nul n’aurait imaginé qu’un masque en papier, jetable soit un bien stratégique. L’explosion de la demande au sein tous les États a provoqué une pénurie jugée insoutenable et incompréhensible par les populations. Compte tenu de la consommation en temps normal de masques, il n’est pas certain que la France, même en ayant imposé une production minimale sur le territoire, aurait eu la capacité de répondre à la progression exponentielle de la demande. En outre, le choix d’une production nationale de masques importante aurait eu un coût économique non négligeable qui aurait eu comme conséquence de réduire d’autres dépenses tout aussi voire plus indispensables. L’arbitrage en faveur des masques aurait pu se traduire par une réduction des dépenses de recherche pour le cancer ou contre les infections virales.

D’autres secteurs sont jugés tout aussi stratégiques que celui de la santé. Entrent notamment dans cette catégorie les industries du secteur de la communication. La dépendance de France et des autres pays d’Union européenne est forte dans ce domaine. Ainsi, le pays ne dispose pas de producteurs de matériels de télécom de référence. Ce secteur est dominé par la Chine (Huawei et ZTE), les États-Unis (Cisco system et Qualcomm) et le Japon (Fujitsu, Nec Corporation). En Europe, seules la Finlande et la Suède placent une entreprise parmi les dix premiers mondiaux (respectivement Nokia et Ericsson). Il convient de souligner que le chiffre d’affaires d’Huawei est de près de quatre fois supérieur à celui du deuxième producteur de matériel de télécom (Cisco).

La dépendance est encore plus manifeste au niveau de l’informatique, de l’électronique, pour les moteurs de recherche en ligne ou en matière de réseaux sociaux. Le moteur de recherche français, Qwant, éprouve les pires difficultés pour s’imposer en raison d’un nombre insuffisant de requêtes. Il a dû s’adosser à Microsoft et à son moteur de recherche « Bing ». Au mois de septembre 2019, la Direction Interministérielle du Numérique française a établi que la dépendance à Bing est de 64 % pour Qwant. Ce taux est de 100 % pour les images.

La dépendance est également très nette pour la production de batteries électriques. La France se place au 8e rang avec une capacité de 1,1 GWh loin derrière la Chine (217,2 GWhs), les États-Unis (49,6 GWhs) ou le Japon (23,1 GWhs). L’Union européenne dispose de capacités de production inférieure à 10 GWhs. La production française est également faible en ce qui concerne les éoliennes.

Que ce soit dans les domaines de la santé, de l’information, des énergies renouvelables, la tentation d’un souverainisme économique est illusoire. La création de combinats colbertistes seraient coûteux et auraient de forts risques de se terminer en échecs comme au temps des plans calculs dans les années 60 et 70. Le marché français est trop étroit pour espérer rattraper le temps perdu. Si l’Europe a manqué la révolution numérique, c’est en grande partie en raison de l’absence d’un marché des capitaux unifié et du poids des barrières linguistiques. La profondeur de marché est moindre dans l’Union européenne qu’en Chine ou aux États-Unis.

La relocalisation de certaines activités jugées, à tort ou à raison, stratégiques ne passe pas par le retour de l’État producteur. Elle exige un environnement favorable, avec en premier lieu, pour l’Union Européenne, des États prospectifs et non normatifs.

Les collectivités locales et la crise du coronavirus

Depuis 1982, la France s’est engagée sur la voie de la décentralisation en transférant aux collectivités locales des compétences importantes en particulier en matière sociale ou économique. Le nombre élevé d’échelons de collectivités locales amène des télescopages de compétences et à une concurrence entre elles comme l’ont démontré les commandes de masques. Si les collectivités locales ont accru leurs pouvoirs ces quarante dernières années, elles demeurent soumises au pouvoir normatif et financier du pouvoir central, la France n’étant pas un État fédéral à la différence de l’Allemagne, pays dans lequel la politique sanitaire relève des Länder. Pour le déconfinement, le gouvernement entend s’appuyer sur les maires en particulier en matière scolaire. Pour le moment, ces derniers ont tendance à amplifier les mesures de précaution du pouvoir central en particulier dans les domaines de restrictions de circulation ou dans le port du masque.

Les collectivités locales face à l’État d’urgence

Dès le départ de la crise sanitaire, L’État a prévu l’intervention et la contribution des collectivités locales dans la lutte contre le convid-19. Ainsi, plusieurs dispositions ont été prévues la loi d’urgence du 23 mars 2020 et dans les textes pris en application. Le Fonds de solidarité pour les très petites entreprises de moins de 10 salariés financés par l’État et les assureurs, peut également l’être, sur une base volontaire, par les collectivités locales. Les Régions, compétentes en matière d’aides aux entreprises, se sont engagées à hauteur de 500 millions d’euros pour le financement du second volet d’action de ce fond permettant l’attribution d’une aide complémentaire pouvant atteindre entre 2 000 euros et 5 000 euros par entreprise.

Ces mesures n’empêchent pas l’émergence d’autres mécanismes en faveur des entreprises notamment sous forme d’avance remboursable, à l’instar des fonds de résilience mis en œuvre par plusieurs régions avec la participation des intercommunalités. Interrogé par l’Association des Départements de France, le Gouvernement n’a toutefois pas autorisé les départements à accorder des aides directes aux entreprises pour lesquelles ils n’ont plus de compétences. Ceux-ci peuvent cependant participer financièrement au fonds national de solidarité mis en place par l’État.

Le Gouvernement est intervenu auprès de la Commission européenne pour permettre aux régions d’orienter les fonds européens en faveur des entreprises en difficulté en raison de la crise sanitaire. Cette réorientation porte sur 650 millions d’euros.

Les collectivités locales se sont engagées dans l’acquisition de masques pour le personnel soignant et la population de leur territoire. Par un décret du 20 mars 2020, L’État a autorisé les élus locaux à passer des commandes de masques à l’étranger. Cette autorisation ne supprime pas le droit pour l’État de réquisitionner tout ou partie des livraisons de masques produits en France ou importés. Les régions françaises ont ainsi acheté plus de 65 millions de masques à l’étranger pour un montant total de près de 41 millions d’euros. À ces commandes, il faut ajouter celles des départements, des communes et de leurs groupements.

L’investissement des collectivités locales qui assurent 70 % de la commande publique en France joue un rôle important en particulier pour le secteur du bâtiment et des travaux publics, de l’environnement, des transports et de la voirie. Les dépenses publiques d’investissement qui se sont élevées en 2019 à 87,5 milliards d’euros sont ont été fortement freinées par la crise sanitaire et par l’arrêt du processus électoral pour les communes. Afin de permettre l’engagement rapide des dépenses, l’Association des Maires de France demande l’installation des conseils municipaux et la désignation des maires dans les 30 000 communes où l’élection a été acquise dès le 1er tour du 15 mars. Pour les 4 922 autres communes, l’élection d’un conseil municipal reste conditionnée à l’organisation du second tour dont la date n’est pas encore fixée. Cela conditionne aussi l’élection et l’installation des conseils communautaires, les intercommunalité jouant un rôle important en matière de développement économique.

La tentation du colbertisme local

Les conseils départementaux et régionaux seront élus au mois de mars 2021, ce qui ne facilite pas la mise en place de politique de soutien à l’économie d’ici là. L’Association des Régions de France a proposé l’engagement d’un « new deal industriel et environnemental » qui remplacerait les contrats de plan État-régions (CPER). Ce nouveau plan viserait à faciliter la réalisation de projets sanitaires, environnementaux ou en lien avec le tourisme et l’économie sociale et solidaire. À cet effet, l’Association des Régions de France souhaite un allègement des règles encadrant les prises de participation au capital des entreprises, une réorientation des crédits du plan d’investissement dans les compétences au profit d’action de formations aux métiers de l’industrie afin d’accompagner les relocalisations. Cet interventionnisme qui dans le passé avait donné lieu à quelques errements financiers retrouve, aux yeux de certains, quelques lustres. Les collectivités locales ont souvent buté sur le problème de l’expertise et du suivi de la gestion des entreprises ainsi épaulées.

Le thème du grand soir écologique est récurrent dans les débats économiques actuels. Les Communautés de France (AdCF) appelle, par exemple, à un « Grenelle » de l’investissement public territorial en articulation avec le « Green Deal » de la Commission de Bruxelles et de ses déclinaisons au niveau national.  L’AdCF veut stimuler l’investissement local et la commande publique par la mise en œuvre de pactes territoriaux de relance et de croissance. Le volet investissement public du plan de relance viserait à faciliter la transition écologique, le soutien aux éco-industries, la relocalisation d’activités de production et la sécurisation des approvisionnements favorisées par des politiques d’achats ciblées ainsi que par l’accompagnement de la digitalisation des procédés de production et du télétravail. 

Les limites financières

Les collectivités locales connaîtront des baisses de recettes fiscales en raison du rétrécissement des assiettes, de la multiplication des reports et des annulations d’impôts ainsi que de la diminution des droits de mutation avec la réduction du nombre de transactions immobilières.

Selon les estimations de la commission des finances du Sénat, la perte de recettes cumulée en 2020 et 2021 pour les collectivités territoriales pourrait atteindre 4,9 milliards d’euros. Les régions seraient les principales collectivités touchées, les recettes fiscales étant à 78 % dépendantes de l’activité économique. Les pertes de recettes issues de la part de TVA dont elles bénéficient et de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sont évaluées entre 130 et 910 millions d’euros sur cette période. Pour les Départements, la perte de recettes cumulée en 2020 et 2021 pourrait atteindre 3,4 milliards d’euros avec, en particulier, la chute des droits de mutations à titre onéreux (DMTO) et de la fraction départementale de la CVAE. Les communes dont l’essentiel des ressources fiscales proviennent de la taxe d’habitation et de la taxe foncière, seraient surtout touchées par le manque à gagner au titre des recettes tirées du tourisme et de la vente des produits domaniaux. Les intercommunalités seront davantage affectées par la baisse de la CVAE et de la contribution foncière des entreprises (CFE). Les collectivités qui bénéficient également d’une part de la taxe intérieure sur les produits énergétiques enregistreront à ce titre une moins-value en raison de la diminution entre mars et mai de la consommation de carburant. Selon d’autres chiffrages, la perte de recettes pourrait atteindre, au total, plus de 10 milliards d’euros.

À la différence de l’État, les collectivités ne peuvent pas emprunter pour leurs dépenses de fonctionnement et ne peuvent pas voter des budgets en déséquilibre. Elles peuvent compter sur leurs réserves de trésorerie qui, au 31 mars dernier, s’élevaient à 39 milliards d’euros. Le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a indiqué que le prochain projet de loi de finances rectificative pourrait comporter des mesures en faveur des collectivités locales.

Cette crise sanitaire souligne à la fois la richesse des initiatives au niveau local et la complexité de l’organisation administrative du pays. La concurrence entre les collectivités publiques a pu se révéler inutile même si parfois elle ne semblait pas toujours rationnelle.

L’agro-alimentaire entre deux eaux

Depuis le début de la crise sanitaire, le secteur de l’agro-alimentaire est confronté à des vents contraires. D’un côté, il bénéficie de l’augmentation des achats alimentaires des ménages, de l’autre la fermeture des cafés et des restaurants entraîne une diminution des commandes. Les difficultés d’approvisionnement en particulier de produits importés renchérit les coûts.

Au mois de mars, selon l’INSEE, le chiffre d’affaires des grandes surfaces alimentaires est en hausse (+1,8 % après +1,3 % en février). La vente de produits alimentaires a enregistré une hausse de 10,9 % après +1,8 % en février. De nombreux achats de précaution ont été réalisés dans les premiers jours du confinement. Il est quasi stable dans la vente de produits non alimentaires (-0,1 % après -0,6 %) et chute nettement dans celle de carburants (-34,4 % après -1,5 %). Les supermarchés ont connu une forte hausse de leur chiffre d’affaires en mars (+8,2 % après +1,5 %) tandis que celui des hypermarchés a baissé de 1,8 % après +0,5 %, les ménages préférant s’approvisionner à proximité de leur domicile.

La chaîne de production de l’agro-alimentaire a été moins touchée par la crise que les autres secteurs d’activité. Le recours au chômage partiel y a été plus faible. Les baisses de chiffre d’affaires sont variables selon les entreprises, celles qui exportent étant les plus touchées. Certaines entreprises rencontrent des problèmes d’approvisionnement avec une hausse des coûts des biens intermédiaires. Des entreprises souffrent de problèmes d’écoulement de production. Les exploitations agricoles, faute de saisonniers étrangers, éprouvent des difficultés pour mener à bien les récoltes. Par ailleurs, la vente de fromage est en forte baisse, les particuliers ayant diminué leurs achats. Les entreprises spécialisées dans la restauration collective ont perdu la quasi-totalité de leurs recettes. Pour ce marché, la baisse d’activité atteint plus de 75 % en valeur et en volume pour 50 % des entreprises. Celles travaillant avec les maisons de retraite ou les hôpitaux résistent mieux. La fermeture des cafés et restaurants jusqu’à début juin minimum devrait continuer à peser sur l’activité tout comme l’absence de perspectives pour le retour à la normale au niveau du secteur touristique.

Dans les prochaines semaines, la question du rétablissement des chaînes d’approvisionnement et celle de la reprise des échanges commerciaux internationaux conditionneront l’évolution du chiffre d’affaires du secteur agro-alimentaire. Avec l’allongement des restrictions, de plus en plus de restaurants se lancent dans la vente à emporter ou dans les livraisons ce qui permettrait une petite reprise de l’activité avant même le début du mois de juin.